Conte for Kids

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Il était une fois

Un voyage en bus flexible

De la Bretagne à la Capitale

Marcel avait rendez-vous avec Béa

Tout près de la cinémathèque

Au café des spectacles de Bercy

Béa était musicienne

Béa jouait de la guitare et un peu de tout

Béa chantait aussi

Do ré mi fa sol la si

Béa était pile à l’heure ou presque

Des salutations chaleureuses

Portes ouvertes

Paris grand air

Direction la vallée de Chevreuse

Où elle habitait heureuse

Avec son chien et son chat

Une maison de montagnards

Dans la vallée de l’Yvette

Au bout d’un chemin privé

Il était déjà tard

Une nuit étoilée

Et une belle surprise qui attendait Marcel

Ce dimanche soir seize novembre deux mille dix sept

Il était une fois un ami de Béa

Originaire du Venezuela

Qui racontait et chantait des histoires de son pays

Des histoires de là-bas

Où il était né

Des histoires qu’il avait traduites

Avec beaucoup d’humour et de liberté

Des histoires et un peu de sa vie

Qu’il avait réduite

Marcel était venu à Paris pour une prestation

Et Béa l’accueillait gentiment pour trois jours

Deuxième jour

Lundi dix sept novembre deux mille dix sept

RER

Direction École quarante deux

Dix septième arrondissement

Paris

Startup For Kids

« Le meilleur moyen de prévoir le futur, c’est de le créer »

Marcel lisait douze fois tout au long de la journée Cendrillon

Pour des classes d’enfants à l’occasion de l’installation Bakou

L’une des démonstrations du Startup For kids

Bakou était un ingénieux procédé qui permettait au public de voir projetés au plafond

Les jolis dessins du conte tout en écoutant l’histoire

Une agréable manière de s’endormir

La journée se clôturait autour d’un buffet pour la remise des prix de toutes ces inventions présentées

Des Startup au service de l’éducation des enfants

Bakou et Jules aux anges emportaient le trophée Disney

Béa et son amie conteuse Alice venaient de rejoindre Marcel dans la salle principale de l’école quarante deux

Les coupes de champagne et les petits fours de la récréation étaient là

Réception

Digne d’un château

Des contes de fées

Il était une fois Alice grande et forte

Alice était catégorique

Lire Cendrillon de Perrault n’était pas conter

Lire était un véritable blasphème au conte

Marcel était montré du doigt tout près de Perrault

Tous deux se retrouvaient penauds sur l’échafaud

Marcel était pourtant réjoui de voir avec quel enthousiasme Jules avait défendu son invention, son Bakou, le projet de sa vie, offrir du rêve aux enfants, leur permettre d’entrer avec douceur dans le monde de la nuit en choisissant leur histoire

Alice, ne démordait pas, elle était en rage défendant avec force la genèse du conte et son principe d’oralite depuis la nuit des temps

L’art de la parole se transmettant uniquement de génération en génération, en dehors de tout livre, de tout pouvoir qui aurait voulu l’enfermer, le figer

Point final

Alice avait certainement raison dans le fond, cependant Marcel se sentait tellement ravi d’avoir été convié dans cette Capitale pour lire douze fois sans s’arrêter Cendrillon, un honneur, un défi pour lui

Heureux de toutes ces félicitations qu’il avait reçues

Lui qui était à cette époque veilleur de nuit dans un centre d ‘hébergement pour les gens à la rue

A la Roche vendéenne de Napoléon

Marcel aurait voulu pleinement savourer ce bonheur

Sans peine

Cette nuit de gloire

Sans la foudre d’Alice

Pour la déchirer

De désespoirs

Il était une fois Marcel

Marcel n’était donc qu’un simple lecteur

Qu’un simple veilleur de mots

Qu’un

Aucun

Alice l’avait banni de la grande famille des raconteurs d’histoires et s’en était allée crachant majestueusement sur la Startup des Kids

Il était une fois Béa

Béa reconduisait le petit Marcel puni

Au fond de la maison des montagnards

Traversant le champ percé

Des cimes de la Défense

Bakou

Raconte-moi une histoire de silence

Dessine-moi dans le ciel

Pas des building

Mais les fleurs du bonheur qui dansent

Un jour

On ira

A New-York

Toi et moi

Cendrillon

Tu verras

Tu verras

Toi et moi

Un jour

Tu verras

Cendrillon

Que le monde ne tourne pas rond

Et pas même

L’amour

Il était une fois le troisième jour

Un lundi dix huit novembre deux mille dix sept

RER

Direction Bercy

Gare routière et graffiti

Et déjà le retour de Marcel dans le bus flexible

Et plein de sourires d’enfants dans le cœur

Une larme suspendue sur le bord de sa lune

Bakou

Où es-tu

Je me sens si seul dans la nuit

Bakou

Dis-moi

Conte for Kids

Is for me ?

Suis-je un enfant

Perdu dans le temps ?

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 10 mars 2023
"Une vie parmi des milliards"

Le petit Dali

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Dali

Comment être à ce point

Si imbu de toi-même

Si ancré dans les lignes de tes mains

Dali

Par tes fines moustaches relevées

Et ton air hautain

Et excentrique

Tu amusais

Toute la galerie

Ou presque

A parler de toi

A la troisième personne

Monsieur Dali

Étais-tu vraiment drôle

Quand tu jouais à tirer sur les pigeons

Fier comme un roi

Quand tu méprisais ton chauffeur, ta maîtresse de maison, les modèles qui posaient pour toi

Tout ce monde ébloui ou acheté

Affairé à tous tes caprices

Petit Dali

Quand tu n’avais que cette préoccupation

Que tous les regards convergent vers tes petites moustaches à la fleur de Lys

Maître Dali

Tu étais

Bien petit

Dans ton palais

Toi

Qui ne faisais que te regarder

Te glorifier

Tu ajoutais

Une grisaille de plus

A ces jours de pluie qui n’en finissaient plus

Pauvre Dali

Ridicule baron d’Espagne

Triste portrait

Pourquoi

S’extasiait-on

Riait-on

Dès qu’on prononçait ton nom

Dali

Pinceau

Génie de quoi

De tous ses égos

Qui nous voulaient soumis

A ses folies

Peintre Dali

Toutes les guerres commençaient ainsi

Quand plus aucun sens de la vie nous reliait

Que le chaos des pulsions

D’auto-destruction

A moins que tu nous jouais cette funeste comédie

Les dédales de l’inconscient

Professeur Dali

Pour nous ouvrir les yeux

L’égo poussé à sa perte

Anéanti

Vagues souvenirs de tableaux surréalistes

Tout était fini

Petit Dali

Il était temps de grandir

Et de contempler l’infini

D’autres visages

La beauté des paysages

Avant que toutes ces guerres n’embrasent le monde

Dali

Toi

Moi

Si nous quittons nos miroirs

Et regardions l’oiseau qui veut vivre

L’oiseau qui veut retrouver son nid

Dans le désert

Petit

Dali

Thierry Rousse
Nantes, samedi 9 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"
D'après le film « Daaaaaali ! » de Quentin Dupieux

L’enfant Tiste

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

On voyait écrit dans les petites annonces des cités

Tiste cherche une île pour l’accueillir

On voyait écrit dans les souterrains des villes

L’artiste est d’une grande sensibilité

On voyait écrit sur les troncs des magnolias

On ne sait d’où il vient

Séparation

Scission d’un atome

Tiste

Comme

Ar

Tiste

Comme

Tiste

Tiste

Comme

Artiste

Ce cordon qui te reliait à ta genèse

Vallon prenait ses aises

Paysage fuyant

Jusqu’à l’océan

Très tôt

Tu étais parti

Appelé à ta source

Comme un aimant

Qui t’attirait

On voyait écrit à l’entrée des cinémas

L’artiste livré corps et âme

Dans l’art

Comme dans un miroir

Et maintenant

A l’aube de tes soixante ans

Le temps était venu pour toi t’écrire

Ce que la vie t’avait donné

Tu écrivais avec ton corps

Tu écrivais avec ton âme

La page était ton miroir

Tout ce que tu avais donné de toi

Et reçu des corps et des âmes

Longue odyssée si brève à la fois

Vivre encore un dernier instant pour cet enfant

Vivre encore un dernier instant pour ce monde

Porter un dernier message avant la guerre

Le dernier acte final

On voyait écrit sur les grilles des jardins

Et à côté de l’artiste

L’enfant qui court

Et qui a bien raison

La vie est urgente

D’attentions lentes

On voyait écrit ces graffitis dans les toilettes publics

Qui court dans le jardin de sa ville

Voit des fleurs en chaque chose à cueillir

On voyait écrit sur les pétales des roses

Seule la beauté peut nous donner raison d’exister

Tu avais vingt ans

Et la grande vie devant

Marcel

Tu avais rêvé d’être journaliste

De publier tes canards

Tes regards sur le monde

L’infinie diversité des êtres et des pages

Tu remuais la terre

Affrontais ta mère

Te liait à ton père

Tu avais choisi le camp des rejetés

Des âmes insultées

Rubrique des soleils

Des faits d’hiver

Rubrique

Des poètes captifs

Inlassablement

Tu cherchais cette île pour t’accueillir

De la vie à la scène

Timides pas franchis

Sous les feux des projecteurs

La famille maternelle s’indignait

C’est quand même incroyable de patauger ainsi

Que fera-t-il de sa vie

Quelle femme voudra de lui

On voyait écrit dans cette absence

Qui comprend l’âme autiste

L’eau qui la relie au ciel

L’inconscient au bord du temps

Regards accusateurs

Que percevez-vous dans ce vallon de bonheurs

Rien

Ce côté-là de ta famille ne voyait que ton errance

Allons

Petit poisson

Laisse parler l’ignorance qui te condamne

Réfugie-toi dans le silence

D’une marre

On voyait écrit au fond de l’eau trouble

Le malheur des autres nous rend souvent tristes

On a le cœur gros de les voir ainsi

Et de ne pouvoir rien leur dire

Ton père cachait sa souffrance dans un bar

L’enfant courait comme au cinéma

On voyait écrit dans ses yeux

Une lumière au plafond

Dans le ciel se balance

Connais-tu dans ce monde

Les anges

Un p’tit oiseau venait de se poser sur la main de l’artiste

Il y avait du pain dans sa vie

Une tendresse dans son cœur

Miettes de bonheurs

A l’abri des chasseurs

Et puis

Épuisé

Tu jetais tes mots

Comme des bouteilles à la mer

Passé

Présent

Tu déchirais les feuilles de tes blocs notes

Aucune phrase ne sonnait

Tu ouvrais la porte

Papa

Maman

J’ai mis de la musique africaine

Pour réchauffer l’atmosphère

Pour toucher aux racines

Pour grandir

La poésie de l’image et du son

Était l’avenir

Dessiner les courbes qui parlaient à ton cœur

Et sourire

On voyait écrit sur tes lèvres

Les mots me bouffent

Affamés d’amour

Je ne puis en écrire d’autres

Depuis que tu m’as quitté

Source tarie

Vallon aride

Mosaïque d’humanité

Ton canard était déchaîné

Trop vite

Les pages étaient tournées

De peur de laisser derrière toi

Un cadavre de canard

Exquis

Tiste

Écrivain de l’avent

Ture

Tiste

Ture

Texture

Il y avait écrit dans ton cœur

Ces fissures

Je n’ai qu’une hâte

Connaître votre expérience

Du mot

Et

De la vie

Qui du premier a enfanté l’autre

Ton père écrivait pour survivre

Glissait chaque jour ses textes dans les pochettes transparentes de son classeur

Cent textes

Il t’avait dit

J’écrirais cent textes

Pour toi mon fils

Ton père avait tenu sa promesse

Perdu

Dans la tempête

Par sa force d’écrire

Il t’avait guidé

Ramené à la vie

Depuis tu lisais

Et écrivais

Il était écrit entre vous deux

Nous mangerons ensemble

Toi et moi

Le cadavre exquis

Chacune

Chacun

Est artiste

L’excellence était de vivre

A la hauteur d’une fleur

Tiste

Tu l’avais vu

L’Enfant artiste

Marcel

Au milieu de la cour

Sous la pluie

Tu l’avais compris

Tiste était d’un autre monde

Ferais-tu ce pas

De le découvrir

Pas après pas

Il était écrit patience

Est la science

Des sages

Grappe d’été 87

L’enfant Tiste

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 8 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Ila la fille du coupeur de mots

une vie parmi des milliards

Une page

Une seule page

Imprimée de travers

Les débuts de mots

Alignés à gauche

Dans la revue numéro 19 de la Grappe

Avaient disparu

Page numéro

Il n’y avait pas de numéro de page

Aucun

Juste la deuxième page de ton texte

Un froid de canard

Qu’une seule page de travers de la revue

Cette page

Ta deuxième page

Et cette liste de moitiés de mots disparues

Les retrouverais-tu dans ta mémoire

Trente sept après

Ce jeu de reconstitution t’avait été donné

Le début d’une moitié de ta vie à la trappe à retrouver

Théophile dans les cieux ne manquait pas de malice

Dernier troubadour ou presque

Poète anarchiste

Qui s’amusait

Complice des mots

Il se jouait de leurs lettres

De leurs sons

Et même de leur orthographe

Clin d’oeil à tes vingt ans

Rimbaud sa besace trouée riait aussi

Déambulant dans le temps

Ambulance poétique

1987

A semer

Les raisins de la jeunesse

Sur les bords de la scène

Maison de la jeunesse et de la culture de ton quartier

Tu déclamais tes mots inachevés

Hachés par la cisaille de la censure

En étais-tu vraiment bien sûr

Ta raison escaladait les murs

Guettant la moindre fissure

Y faufilant ta voix

Tu construisais ta révolte d’être banni

Un froid de canard

Deuxième épisode

Sous les pavés la plage

On a les cheveux au vent quand on a vingt ans

Et l’envie d’un feu de joie

Pour se réchauffer avec toi

Ila

En grattant les cordes d’une guitare désaccordée

Au clair de la lune déjà tard

Tu avais écrit cette bafouille d’étudiant dégouté d’économie

Ratatouille d’idées mixées

Au hachoir du grand poète Théophile

Cultivant l’espoir d’un vin nouveau

Mange tes mots

Marcel

Mange tes mots

Marcel

Rifie

Dans un train qui avance sans nous

Sur un rail politique

And

Profit

Oh non

Ce serait

De ne pas dire tout haut

Quel

Notre profit en ce monde

Trop bête comme quoi la flamme

Vie

Prend le devant avant même que les mots ne soient inscrits

Le papier

Pétrifié

Ila

Donc je suis un écrivain de l’avant

Je fais avant d’écri-

Ou je fais et j’écris

Ou j’écris et je fais

Truffaut disait

E

Le cinéma était sa vie

Maintenant nous allons faire en

R.T.E.

Que son cinéma soit notre vie

C’est à dire

Notre

E

Soit une passion

Exprimons donc notre désir

Créons un

U

De nous-mêmes dans un monde qui a trop vite tendance à ne

S

Penser à nous

Faisons du théâtre

Jouons au cinéma

Organi-

N.S.

Des actions pour aider les plus défavorisés

Broyons les

Aines

De la solitude

Ce que tu fis

Tu laissas tout

Trois années plus tard

Les études d’économie

De philosophie

Et même le théâtre

Pour servir la soupe aux sans-logis de Paris

Tu clamais tes vingt ans militant

A la face de Madame

I

Il y a toujours une Madame qui dit que ces jeunes sont

En

Trop jeunes pour avoir une activité de jeunes et que le

Nema

Le théâtre la solidarité sont pour les grands

Mais

Mment

Être grands si on nous empêche de devenir grands

Non

Est bien nous la génération de demain

L’art de demain

Que

Bureaucratie le sache

Et qu’elle nous fasse confiance

Ila

Etait hilare

Dans un coin de la cheminée

Elle dégustait tes mots mâchés

Et s’en délectait

Marcel

R

Sans l’art

Je ne vois pas ce que je ferai là

Non

Pas

Tout

Entre les automobiles et les banalités de

Ça va

Oui

I

Non plus

Et toi un peu plus

Glissant sur des courbes écono-

Ques

Qu’est-ce

Caisses de vide

Car l’économie quelle belle connerie

Oui quelle belle

Nnerie

Un piège à cons

J’y suis tombé

Et je n’y retomberai

Us

Us des coutumes libérales

Productivité

Compétitivité

L’argent doit rapporter aux actionnaires

Côté en bourse

Non

Maintenant

Je vais voir des films

Ila

Le dernier était

Tarkovski

Il s’intitulait

Le miroir

Une petite merveille

L’évocation de la nostalgie de l’enfance

Du manque de spiri-

Ila

Alitée

Et de profondeur sentimentale et affective dans les

Opos échangés

De la difficulté d’exprimer par les mots tout

Qu’on éprouve

Les limites du langage

Et de l’aspiration

L’éternité

Valoriser l’âme du corps

Quelques particules de mots

Coincés dans la gorge

Tu accouchais d’un souffle

Un coup

Mon sang de canard était réchauffé

Tu seras mon coin coin

Ila

L’écran qu’on

Nsait

Pensait

Être une fenêtre

Était désormais ouverte

Ouvrez les guillemets

Points de suspension

Libération des sons

Théophile jubilait

Art ouvre grand les yeux

Grand le coeur

C’est une flamme

I

Ila

Apporte chaleur et lumière

C’est une grande illusion qui

Ila

A l’arrière d’une deux chevaux

Vient réalité

Dans tes bras

C’est un verbe qui a son silence

Festoyer

Après avoir vendangé

Le fruit d’un baiser mûr

Gorgé de jus

O

Doit bien y réfléchir dans son ministère mais son art n’aura

Mais le même son que celui des artistes

Ila

Était comblée

Artiste suce son pouce au matin

L’artiste met la main dans

S

Cheveux dans le train

L’artiste regarde avec un air triste

Paysage du soir défiler

L’artiste voudrait se blottir

L’art-

Fin de la deuxième page

Ila était enjouée

Tu gardais la troisième

L’ultime page de cette grappe

Pour la nuit des lectures

De ta belle

Ila

C’était donc

Toi

Qui avais coupé

Mes mots

Toi

Qui désirais

Leur donner

En cette nuit

Une saveur inconnue

Imprévue

Ces mots à la trappe

D’une Grappe d’été 87

Vingt ans

Et toute la vie devant

A toi

Mon Ila

Je t’appelais

La fille du coupeur de mots

La fille du coupeur de mots

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 6 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"
La Grappe Numéro 19, été 1987

L’homme du café des plantes

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

L’oeil vitreux

A regarder son verre

L’oeil de son verre

Se vider

Doucement

L’homme semblait disposer de toute sa journée

Pour sa besogne

Doucement vider verre après verre

Le quota d’une journée

Pour se sentir un autre

Ou s’oublier

Noyé

Épuisé

Dans le rosé d’un bonheur passé

L’homme avait

La barbe hirsute

Les sillons du visage

D’un marin

Qui aurait affronté mille vents

Mille bourrasques

Un héros

A quoi songeait l’homme seul

Dans ce café des plantes

Bien placé

Pour observer les gens

Cette vie dont il ne faisait plus partie

Depuis bien longtemps

L’homme qui s’était arrêté de vivre

Pour regarder le monde de passage

L’homme réfugié dans sa barbe qui lui tenait chaud

Qui resterait là

Lui

A l’abri de l’eau

Pendant que les autres s’agitaient

Mangeaient

Se pressaient

Palabraient

L’homme discret

Qui resterait là

Pendant que les autres iraient prendre le train

L’homme qui ne voyageait plus

L’homme qui ne travaillait plus

L’homme qui n’était plus attendu

L’homme qui n’était attendu que par son verre

L’homme à la destination bien connue

L’homme qui s’enracinait au café des plantes

A quelle espèce

Quelle nomenclature

Quel matricule

Appartenait-il

L’homme rosé

La silhouette bien placée à l’entrée

L’habitué

Le pilier

Le personnage bien à sa place

L’homme qui faisait partie du décor

Au même rang que les chaises

Et les plantes

L’homme qui finissait par se confondre à son verre

L’homme qu’on ne voyait plus

L’homme qu’on remplissait de son rosé par habitude

Comme on remplissait de gazoil le réservoir d’un camion

L’homme arrêté à sa station service silencieux

L’homme pauvre créature

Dont une prostituée même ne voulait

Cet homme

Retranché dans la plus absolue solitude

Je songeais à l’enfant qu’il avait pu être

A ses vies

A toutes ses vies

L’homme du café des plantes

Oublié

Invisible

Thierry Rousse
Nantes, 4 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Les Amours de Ronsard

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Les Amours de Ronsard

« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »

Tu écrivais Ronsard

Ces mots devenus

Un tube

La légende des solitaires

Dis-moi

Entre nous

Ce soir

Qu’en étaient-ils de tes amours

Tes innombrables amours

Dont on ne pouvait qu’être éblouis

Au seuil de la nuit

L’effet

De tes décasyllabes

Si parfaits

De tes césures

Au juste point de rupture

De tes sons qui se répondaient

De tes deux mains légères

Sur un clavier de délicatesses

Où avais-tu acquis telles prouesses

Où puisais-tu tant d’inspiration

Pure fiction

Libre imagination

Musique dans ta tête

De ces temps de ta jeunesse

Sur les cimes de l’Anjou

Tout proche de ton ami Du Bellay

De ses doux paysages

Vallon où coule un flot sauvage

Ou sur les monts du Palatin

Les théâtres du quartier latin

Une plume libérée de sa cage

Reflet d’une âme sensible

Ayant Cassandre et bien d’autres pour cibles

Hélène Marie Vénus

Mes mots quant à moi

Sous la pluie nantaise

Avaient peine à entrer

Leur bon nombre de pieds

Rimant avec mes émois

Ma prose libre

Et Caroline

Quand toi bien plus à l’aise

Étais nettement plus balaise

Combien de lignes intarissables

Pouvais-tu aligner

Traces dans le sable

Vers qui ne s’effacent

Étaient milliers d’étoiles

Limon de Loire amassé

N’était plus navigable

Tout n’était que tendresse

Joie aliénée

Exaltation du printemps

A l’aube des bourgeons

Fleurs de baisers

Pourtant

Très vite

Tes sentiments faisaient obstacle

Au paisible débit de ta vie

Te fallait-il ces monts latins ou grecs

Pour te plaire à les gravir

Choisir l’impossible amour

Pour être élu troubadour

A la cour des romances

Du Roi

Faire vibrer les silences

A Blois

O

Face à toi

Ronsard

J’étais quoi

Asséché

A court d’idées

Sur les bancs du lycée

Univers cité

Jardin de la liberté

Quand tu glorifiais l’amour

De tes envolées

Lyriques

Arithmétiques

Académiques

O toi

Ronsard

Aurais-tu ému aujourd’hui

Toutes les scènes Slam

De Paris à Nantes

Bouche gagnante

De Lille à Marseille

Des lèvres qui s’éveillent

Gagné

Tous les trophées des flots et d’or

Jetant tes vagues à l’âme

Par dessus bord

Brisés

A la face des vents

Comme autant d’envies endurcies

O

Toi

Ronsard

Pierre fragile

Épris de passion

Déchirements d’un coeur

Élévation

Vers la beauté divine

Descente

Dans les gouffres des tourments

O toi l’âme du poète

Écartelée

Entre paradis et enfer

Toi qui avais pour muse

Une adolescente de quinze ans

Cassandre

Pour laquelle tu nourrissais

Le ravissement de sa perfection

Tes mots à ce jour

T’enfermeraient

Ou

Te pardonneraient

Sanction

Infraction

Ou

Permission

Prescription

Quel âge avais-tu quand tu fus saisi de son regard

Quinze ans toi aussi

Vingt ans

Ou plus

Dis

Quand

Elle t’a plu

Cassandre

Les Amours de ta vie resteront dans tes songes

Resteront là dans tes mots tendres

Ton cœur n’était qu’une éponge

Tes rimes ballerines

Attrapaient les vallons

Cueillaient les tétons

Des corps sculptés

De tes sons brassés

Tu rêvais de son corps

Fantasmes

Sous les étoiles

En dessinait sa danse

Et la dévoilait

De tous tes sens

De tes vaillants efforts

A trouver le bon accord

O

Toi

Ronsard

Toi qui ne cessais de peindre

Par tes mots

Dans les moindres détails

La femme que tu idéalisais

En chacune de tes muses

Toi

Qui la fardais

De tes désirs

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou l’idéal que tu t’inventais d’elle

Dans la chambre de ta plume

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou le poème que tu faisais d’elle

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou tout simplement toi qui te regardais

Dans ses yeux

O

Toi

Ronsard

Tu les contemplais dans le musée de tes curiosités antiques et bucoliques

O

Toi

Ronsard

Aimais-tu vraiment cette femme

Cassandre

Sa douceur

Sa candeur

Ou la passion qu’elle réveillait en toi

L’impossible amour sur Terre

Pour mieux viser le ciel

Faire de ses déchirures

L’éclat d’une écriture

Les héros de tes livres

Les avais-tu au-moins acquittées

Poète

De tout ce qu’elles t’avaient donné

Leurs yeux

Comme dieux

Uniques

O

Toi

Ronsard

Qui ne cessais de chanter l’impossible amour

Pourquoi m’avoir fait par la beauté de tes vers

Prendre ce chemin tortueux qui m’abîmait depuis ce jour sous terre

Poésie si belle

Et si cruelle

J’avais décidé de te quitter un matin

Et vivre de toutes mes ailes enfin

Quand aujourd’hui

Dans la solitude l’amère pauvreté

Vers toi

Brisé

Je revenais les poings liés

Pour essuyer mon âme

Élever mes larmes

O

Toi

Ronsard

Surpris par la colère

D’un coup de foudre

Accablerais-tu à présent la femme aimée de tous tes maux

Cassandre serait-elle à ce point si altière

T’offrant dans le creux de tes mains

Les fleurs fanées de son dédain

Lui ferais-tu porter la lourdeur de ton fardeau

La douleur de t’être laissé emporter

Aveugler par les mots trompeurs

Des mathématiques poétiques

O

Moi

Face à toi

Je n’avais pas compté mes pieds

Ni les palpitations de mon cœur

Que par ton flot fougueux

Je m’étais laissé emporter

A la nuit tombée

O

Toi

Ronsard

Plus tu écrivais ta douleur

Plus tu t’enfonçais dans ton malheur

Attisant le feu de ses yeux

Révoltés

O

Toi

Ronsard

Je t’avais trop suivi

Jusqu’au seuil de ta prison

Me perdant au cœur du Morvan

Sans Caroline je n’étais plus

Et toi non plus sans Cassandre

Pareil à toi

Tout mon être je lui avais donné

Quand elle m’avait quitté

J’étais une lune sans soleil

Qui étais-je au coeur de ce sombre été sans ma lumière de sourires

Qu’un vide errant

N’espérant qu’une unique chose

La retrouver pour me retrouver

Je voulais tout quitter

Déchirer l’océan de mes lettres

Et me jeter dans les tourments de ses vagues

Caroline prit d’autant peur

Cette nuit d’artifices

Et creusa entre nous

Un abîme fatal

O

Toi

Ronsard

Criblé de balles

De ta révolte

Te plairais-tu à souffrir

Jusqu’à faire de ta peine

La source de ton plaisir

O

Toi

Mon

Ami

J’avais dépassé le temps des confidences

Toi aussi largement

Pour espérer slamer sur une scène d’applaudissements

J’étais disqualifié

Hors jeu

Dans le jeu de l’amour

Toute une vie

A cultiver les amours impossibles

Un champ retourné

Stérile

Truffé de stèles

Si j’avais su

Si j’avais bu

D’autres vers que les tiens

Un autre vin plus doux

Sans doute je serais moins saoul

De regrets

Le coeur en paix

Cherchant son visage

Dans chaque beauté du paysage

La nature consolait l’âme perdue

Disait-on

Et lentement au passage des nuages

S’effaçait discrètement

Son nom

A la surface des nénuphars

Cassandre et Caroline

Se dévoilaient

Innocentes

D’un frémissement de feuilles

Surgissait

Le corsage de Marie

O

Toi

Ronsard

Au lit seul

Il te restait l’idée de ton amour

Allongée à côté de toi

Une écorce de corps

Vide

Tu finissais par t’avouer vaincu

Et m’interrogeais au grand soir venu

« Qu’est-ce que parler d’Amour sans point faire l’amour,

Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumière ? »

Que pouvais-je te répondre

Qu’est-ce que parler d’Amour sans point être l’Amour

Sinon aimer la lumière sans être son Soleil

Disparaitrais-tu

Dans ton mirage

Ronsard

Comme un paladin

Traversant le paysage

D’un corps absent

Tant loué

La communion de deux êtres qui s’aimaient

Ne füt-elle qu’illusion

Que la pure invention de la poésie

O

Toi

Mon ami

Trouverais-tu consolation

Au crépuscule de ta vie

À l’aurore de ton vieil âge

Dans les songes érotiques

De tes personnages mythiques

O

Toi

Mon ami

En rien

Je ne te blâmais

Les roses

Tu les avais aimées jusqu’à leurs épines

Les corps jusqu’à leur âme divine

Toi

Pierre

Lunaire

Toi

Qui éclairais

Mes nuits

« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 29 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
Ronsard, « Les Amours », Gallimard

Douze autres instants fragiles

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

L’arbre

Sais-tu pourquoi je grandis

L’homme

Pour atteindre le soleil pardi

L’arbre rit de toutes ses feuilles

Tu es bien un homme

Je grandis pour accueillir

simplement

Plus d’oiseaux

Sur mes branches

A l’abri du vent

2

L’homme a oublié d’être un arbre

Marcel y avait pensé

Chloé l’a dessiné

Avec ses racines

Et ses cheveux

Comme des brindilles

3

Marcel est-il un sequoïa

Ou un magnolia

Marcel dernier vivant

A l’abri du vent

4

A l’abri du vent

Il y a des marguerites

5

Au jardin des plantes

Où sont les marguerites

A l’abri du vent

6

Tu me dis que tu les aimes

Et tu arraches leurs pétales

7

Sur les étagères

C’est pas des livres

C’est quoi

Des marguerites

Que j’aime

A la folie

8

On n’arrache pas les pages d’un livre

9

On n’attache pas des branches à la terre

Ni des livres

Ni des marguerites

Ni toi

Ni moi

10

On est une vie parmi des milliards

Un arbre parmi des milliards

Un

Une

Un livre

Une marguerite

A l’abri du vent

11

On est

Toi

Moi

Toi et moi

A l’abri du temps

12

On est une forêt de séquoïa et de magnolia

Et douze autres instants fragiles

Thierry Rousse
Mercredi 28 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Douze instants fragiles

une vie parmi des milliards

1

Tu ne marches pas

L’arbre

Crois-tu

Je marche vers le ciel

Je marche vers la terre

2

L’air

Est un nid pour toi

Le savais-tu

3

Embrasse cette aire

D’air qui t’enlace

C’est par elle que tu vis

4

Elle est

Si légère

Invisible

Je l’oublie

5

Fais un noeud à ton foulard

6

Revêts ton manteau d’elle

Et ton foulard au vent

Tu auras l’air

Invisible

Et

Légère

Princesse du désert

7

J’ai vu

Ma Princesse du désert

L’éclat de tes yeux

Grimpant l’escalier de mes rêves

Et de la guerre des dieux

J’ai fait une trêve

8

Je suis ton jardinier

Tu es mon ange

Banalité

Et beauté

Avalanche

De sentiments

9

N’oublie pas un passage

Aussi large soit-il

Laisse-moi respirer

Dans ton paysage

Tendrement dessiné

De bons sentiments

10

Économise ta batterie

Avant que nos mots ne s’éteignent

11

J’ai rechargé

Mes pensées de toi

Ma sage princesse

Je ne ferai plus que t’écrire et t’aimer

Au coucher du soleil

Tu es mon unique voix

Dans le désert

12

Au coucher du soleil

Tout comme l’air

Pense que sans l’être qui luit

Nous remplit

Nous sommes

Que poussières

D’étoiles

Dans le désert

Voix

Silencieuses

Dans la nuit

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 28 février 2024
"Une vie parmi des milliards"

One Love encore

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Bob

Avais-tu vraiment disparu

Bob

And the Wailers

Ton cœur brûlait encore

Brillait

Encore

Transperçait la pluie qui dansait maintenant Bob

Ce dimanche

Intarissable

Océan de coquillages

Je te connaissais

Comme on connaissait le jour

Des traces de mains sur le sable

One love

Mais te connaissais-je vraiment

Bob

Qui veut te connaître qu’il attende la nuit

Le départ d’un père

Les larmes et le courage d’une mère

La détermination d’un enfant qui grandissait

La rencontre de sa belle fidèle au port

One love

Quand le corps danse ce qu’il désire

Déhanchement de vies

Quand le chaman voit le ciel dans la terre

Quand tu entends vibrer vivre

Tous ces mots qui appellent au réveil des esprits

Dieu aussi était noir

Bob

Qui l’avait enfermé dans une image d’Epinal

Qui rêvait de pouvoir

Entraînant les uns contre les autres

Raisons crédules

One love

Mes semblables

Jusqu’à quelle heure prendrons-nous les armes

Quand percevrons-nous les yeux qui nous regardent

One love

En tirant sur ton frère sur ta soeur

Tu assassines la pureté qui est en toi

One love

Tu avais compris

Bob

L’humanité n’était pas prête

Tu avait vu les yeux de l’âme perdue dans les tiens

Ton peuple déchiré

Ces traces de sang sur tes lèvres

Tu avais fui parce qu’il te fallait ce repaire

Pour mieux revenir

Réconcilier les tiens

One love

T’a guidé

T’a tenu la main jusqu’au dernier souffle

De l’Exode

One love

Des yeux dans la nuit

Jamaïque

Afrique

Éclairaient

De tes chants

Nos pas

Désarmés

One love

Suspends

La course

Des balles

Ignorantes

Dévoile

L’île

Dessiné

De ton cœur

L’unique bonheur

One love

Bob

Marley

Tu n’avais pas disparu

Bob

And the Wailers

Ton cœur brûlait encore

Brillait

encore

Transperçait la pluie qui dansait maintenant Bob

Qui dansait maintenant

One love

Encore

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 28 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Film « One Love » de Reinaldo Marcus Green

Cinq minutes de soleil et plus

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

C’est vous qui toussiez dans la rue

Me demandait la secrétaire d’accueil

La secrétaire d’accueil

De la jolie maison du quartier

Toute verte

Moi

Est-ce que c’était moi qui toussait dans la rue

Je jetais un oeil dans l’entrebâillement de la porte

La rue était déserte

Je me tournais vers elle

L’interrogeais du regard

Dans son étroit bureau

Madeleine

Ainsi je la nommais

Craignait les inconnus qui toussaient dans la rue

Je me présentais à elle

Lui demandais s’il y avait à tout hasard une salle disponible pour répéter la semaine prochaine

Je lui expliquais tout du pourquoi

L’objet de cette affaire urgente

Lui déclinais

Mon matricule

Mon pedigree

Mes origines

Je ne venais pourtant pas d’une maison du quartier

D’ailleurs

Que n’avais-je pas demander là

La Lune à Madeleine

Je sentais sa confusion sa gêne

Et ses réponses déjà toutes faites

Avez-vous contacté le service de location des salles

Oui naturellement

Et bien

Écrivez-nous un mail

Je n’avais pas la réponse à ma question

Madeleine

Une salle était-elle disponible oui ou non

Mystère et boule de gomme

Dans le secret des maisons

Je repartais avec ma question en l’air

Heureusement le ciel était d’un bleu limpide ce mardi

Un film se tournait dans la rue

L’homme qui toussait

Il y avait longtemps que je n’avais pas vu si bleu si grand le ciel

Dissimulé sous ces innombrables cotons de pluie

Barbara acquiesçait

Elle et moi marchions

D’un commun accord

Sur la ligne verte

Je longeais avec son ombre le quai de l’île Feydeau

L’ancien port des armateurs trafiquants d’esclaves

Des milliers de corps noirs soumis

A qui ces visages blancs bouffis de graisse et de barbe

Devaient leur fortune

Je traversais le potager qui se réveillait de son long sommeil

En face dans le jardin de Jean-Baptiste

Il y avait deux silhouettes assises sur un banc

Deux parmi le vide

Un jardin déserté

Des migrants relogés

Square Daviais

Où ces deux jeunes colombes s’étaient posées

Et se nourrissaient de baisers

Je grimpais la colline

Rue Jean-Jacques Rousseau

A son sommet m’attendait la nouvelle caisse de mon petit écureuil

Ce gentil petit écureuil me remettrait ma nouvelle carte bleue

Bleue

La matinée était vraiment d’un bleu parfait

Place Graslin face à l’Opéra

Je nageais

Je sonnais

La porte transparente

Au bout d’un long moment

Finissait par glisser

J’entrais comme un prince royal

Le vent en poupe

La sensation soudaine d’être un homme riche et respectable

Le tapis rouge amortissait mon atterrisage

Les employé.es exquis des deux sexes

Jeunes, élégant.es, belles et beaux me souriaient

Luxe

Calme

Et volupté de cette banque

Trésors d’argent

Tapis rouge volant

Nouvelle vie

Au-dessus des lignes de flottaison

La cargaison s’offrait à moi

Dans la cour du roi Soleil

Et de son prestigieux hôtel

Je relevais la tête

Cinq minutes de soleil et plus

Je me faufilais dans les ruelles

Direction la médiathèque

Un homme dont il ne restait que la tête

Se cognait à un cube immense décidé à ne pas bouger

Triste sort face à lui-même

Quand il n’avait qu’à contourner l’obstacle

Pour entrer

Prendre la clé des champs

Ce que je fis aussitôt

Par l’emprunt de ces livres

Dernière évasion possible

« Dans l’univers de Bonnard »

« Le livre des beautés minuscules »

« L’arbre m’a dit »

« Trente poèmes pour célébrer le monde »

Cinq minutes de soleil et plus

Chercher mon Bob

Entre les jets d’eau

Les arbres roses en fleurs

Le trouver

Dans les musiques du monde

Un reggae éternel

Mon Bob était en vie

Je repartais avec lui

Une dernière escale au pays basque

Un plat du jour exquis pour douze euros

Le bon plan des routards

Je n’ai pas dit un pétard

Cinq minutes de soleil et plus

Faire durer l’instant

Douze douceurs

Toi et moi Barbara

Et tant pis pour Madeleine

Et tant pis pour Madeleine

Aujourd’hui brillait le soleil

Thierry Rousse
Nantes, mardi 27 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Titres cités : "Dans l'univers de Bonnard", Sophie Comte-Surcin et Caroline Justin, Belem - "Le livre des beautés minuscules" Carl Norac et Julie Bernard, Rue du monde - "L'arbre m'a dit" Jean-Pierre Siméon et Zaü, Rue du monde - "30 poèmes pour célébrer le monde", Belin