Douze autres fragiles kilos de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Vingt ans

Et ne plus bouger

Entre les barres du lit blanc

D’une maison d’accueil spécialisée

Ne plus bouger

2

Il ne parle plus qu’avec ses yeux

Ses yeux dans tes yeux

Douceur d’un moment

3

Instant de verticalité

Le lever

Étrange instrument

Debout

Il sera

Contre ce tronc métallique

Posé

Combien de temps

Combien de temps

4

Vingt ans

Et il vivra

Ainsi tout le temps

Entre horizontalité

Et

Verticalité

Que ses yeux pour parler

Et te murmurer

Ce qu’il vit au dedans

L’importance de chaque instant

5

Quand

Au bout du couloir

On te presse

Combien as-tu fait de toilettes

D’une chambre à l’autre

A la chaîne

Instant

Brisé

Entre ses yeux et toi

6

Elle

Elle ne mangera pas

Elle ne mangera plus jamais

Une sonde gastrique

Juste pour la nourrir

Une sonde qui la relie au monde

Elle

Qui la relie au monde

Elle

Bat ses ailes

Elle

Bat ses ailes

7

Lui

Cumule les handicaps

L’un physique

L’autre mental

Des jambes trop courtes

Un buste trop court

Et la tête beaucoup trop grosse

Trop lourde la tête

A se cogner contre le sol

A se cogner et encore et encore

A se frapper

A grands fracas

Qui n’étonne plus personne

Dans les couloirs

Le casque noir

Ne pas omettre le principal

Lui mettre son casque noir

Son casque noir

Avant que sa tête ne se brise en mille morceaux

Mille morceaux de perles d’eau

A ne plus supporter sa vie

Et son corps

Et sa tête

Lui

8

Te dépêcher

Lui

Au corps tout tordu

Qui refuse toute nourriture

Le faire manger à tout prix

Lui enfourner la cuillère de bouillie

Qu’il rejette à hauts cris

Stridents

Avaler

Quand le corps n’a plus envie de vivre

Qu’une accalmie

La quiétude

D’une présence

9

Être là

Dans une maison d’accueil spécialisée

Où partout on te presse

A cocher des cases

A noter tes heures

Combien de toilettes

Combien de repas

Quand tu entends dans le bureau des soignants

Ces mots blessants

J’en ai fait plus que toi

Plus de quoi

Plus que toi

Plus que moi

Combien de kilos de soi

Attendaient

Attendaient

Ton amour

Ces heures qui ne se cochent pas

Dans cette maison oubliée

10

Tu rentres tes kilos chez toi

Tu ne bouges plus

Tu ne bouges plus

Ton corps horizontal est vertical

Tu as traversé les opaques brouillards

Entre la vie et la mort

11

Tu parles aux cieux

Tu regardes les anges dans les yeux

Pourquoi

Pourquoi

Pourquoi lui

Pourquoi elle

Pourquoi toi

Pourquoi moi

12

Tu te frappes la tête

Tu te nourris du vide

Quelle présence le remplit

Tu portes sur ton corps disloqué

L’odeur des hôpitaux

L’odeur de tous leurs maux

Tu voudrais crier aux cieux tes mots

Les peser sur une balance

Tu te sens impuissant

Les ailes lourdes

Épuisé

Verticalité

Vertical

Alité

Douze autres fragiles kilos de soi

Dans une maison d’accueil

Spéciale

Lisez

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 28 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Une drôle de journée à la ferme

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Il était une fois un fermier

Qui, de bon matin et de bonne humeur

Entrait dans la cour de son poulailler

Tout souriant sur son joli tracteur.

BROUM … BROUM … BROUM …

Le fermier commençait sa journée

D’abord, saluait le coq matinal

Qui chantait l’hymne de la liberté

COCORICO ! COCORICO !

Puis les poules qui crevaient la dalle

Errant derrière leur tas de foin

( Tristes ) COT COT CODEC … COT COT CODEC …

Le fermier leur jeta du bon grain

(Joyeuses ) COT COT CODEC ! COT COT CODEC !

Et remontait sur son joli tracteur

Roulant à grande peine à dix à l’heure

BROUM … BROUM…

Il s’en allait par les chemins aux prés

Traire ses vaches et faucher le blé

MEUH … MEUH ..

Soudain surgit un colosse chien

Dans la ferme n’ayant peur de rien

OUAF ! OUAF !

Et aussitôt les poules apeurées

S’envolaient dans le p’tit bois d’à côté

( Peureuses ) COT COT CODEC ! COT COT CODEC !

Le coq fier tenait tête au chien

De sa voix la plus rock : « Je te tiens ! »

COCORICO ! / OUAF OUAF !

COCORICO ! / OUAF OUAF !

COCORICO ! / OUAF OUAF !

Mais le chien finit par l’emporter

De son ouaf ouaf plus prononcé

OUAF ! OUAF !

Le coq surpris à son tour apeuré

S’envolait dans le p’tit bois d’à côté

( Peureux ) COCORICO ! COCORICO !

Et le chien fit le coq, fit sa loi

Sur toute la basse-cour jusqu’aux oies

OUAF ! OUAF !

Les moutons suivaient le chien partout

Où il allait, jusqu’aux monts, jusqu’aux trous

( Dociles, lever la tête ) Bê … ( baisser la tête ) Bê …

Le chien s’endormait quand il voulait

En vrai maître sur la ferme il régnait

( RONFLEMENTS DU CHIEN COLOSSE )

Quand une abeille surgit triple saut

Taquinant le chien sur son museau

ZZZ… ZZZ … ZZZ …

Le chien en sursaut se réveilla

Et prit d’un bond la fuite à grands pas

( Peureux ) OUAF ! OUAF ! OUAF ! OUAF !

Les moutons sortaient du trou fatigués

Retrouvaient au pré force et liberté

( Joyeux ) Bê ! Bê !

Les canards en choeur allaient se baigner

Et les moutons les suivaient motivés

( Joyeux ) COIN ! COIN ! / Bê… Bê…

Le soleil se couchant, le fermier

Sur son joli tracteur, des champs rentrait

Suivi de ses vaches écossaises

MEUH … MEUH …

Gagnant doucement leur grange fort aise

( Joyeuses ) MEUH … MEUH…

Le fermier, dans son lit, retournait

A ses pieds, le p’tit chat miaulait

MIAOU … MIAOU…

Le fermier le prit contre lui

Et tous deux, si heureux, se sont endor … mis.

( RONFLEMENTS DU FERMIER ET RONRONNEMENTS DU P’TIT CHAT )

FIN.

La fin d’une drôle de journée à la ferme

Bien loin d’être qu’une histoire de fer . . . me.

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 27 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Poème à l’oreille de Marlène

une vie parmi des milliards

Deux pieds sous la table

L’appel du désir

Une fable

Les yeux dans les yeux

Soyons audacieux

Ce que tu n’avais jamais eu

Ce que tu n’avais jamais connu

O toi Marlène

O toi ma Reine

Un désir de douceurs

Un été de chaleurs

Ou peut-être si

Une fois

Il était une fois

Juste au début de ta vie

Marlène

Adolescente à Charleville

La plus chère de tes villes

Empreintes d’amours de romans

Encore juvéniles

De ce doux garçon

Redoublant pour toi d’attentions

Quand d’une sombre rue

Surgissaient les Sex Pistols

Et leurs fracassantes idylles

O toi Marlène

O toi ma Reine

A seize ans

Tu avais l’empressement

D’un envol

De ces gars qui te faisaient goûter

A toutes les drogues

A tous les plaisirs interdits

Ces gars révoltés

Qui voulaient croquer

Affamés

A pleine dents

La pomme d’Ève

O toi Marlène

O toi ma Reine

Tu étais livrée nue

A leurs rêves

Elue

A leurs jeux illicites

Par ton propre amant

T’offrant

Au milieu d’une place

A l’appétit de sa bande vorace

O toi Marlène

O toi ma Reine

De son piédestal

Te poussant contre une table

L’air affable

C’est pour vous les gars

Je vous offre ma femme prenez-la

O toi Marlène

O toi ma Reine

A les voir ainsi te prendre

Comme une bête à vendre

Ton maître en trouvait

Aux vents mauvais

Son sublime contentement

Champ de souffrances

Dans les pires des silences

Place au milieu de la nuit

Où l’on étouffe tous ses cris

O toi Marlène

O toi ma Reine

Depuis tout ce temps

Ton cœur saigne

Et saignera

Ici-bas

Tant que ce genre de mâle

Tribal

Règnera

Sur le désir de la femme

Et la pureté de son âme

O toi Marlène

O Toi ma Reine

Tatouée de tes songes

Je te murmure

A l’oreille ce poème

Comme une larme

Qu’on éponge

Pour te dire que je t’aime

O toi Marlène

O toi ma Reine

Puissent ces murs

Enfin s’effondrer

Et te rendre

Tendre-

-ment

Tous les champs

De ton innocente liberté

O toi Marlène

O Toi ma Reine

Dans les pays des mots

Et des guerres

Du vagabond Rimbaud

A tes yeux Charleville

Retrouvera sa toute toute première

Idylle

Cette nuit

Tes blessures pansées

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 27 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Contre un enfant

une vie parmi des milliards

Des policiers dans une école

Appelés par un enseignant

Contre un enfant

Juste un enfant

Rien qu’un enfant

Avais-tu déjà vu ça

Contre un enfant

Jamais de ta vie

Un enfant face à la police

Parce qu’il n’arrivait plus à le gérer l’enseignant cet enfant

Alors il voulait le confronter à l’autorité

L’enfant face à la police armée et blindée

Pour lui faire la leçon

Un enfant

Tu vois ce qui t’attend si tu continues à ne pas écouter

Ton avenir est tracé

Échec scolaire

Puis case prison

Un enfant

Que pouvait-il comprendre

De la pensée des grands

Qui s’était interrogé

Un instant

Sur la vie de cet enfant en dehors de l’école

Qui s’était interrogé

Sur l’école

Ce qu’elle représentait au fond pour cet enfant

Qui

Un enseignant

Un pion du système

Excédé

Toujours à crier

Un enseignant

Qui avait oublié de respirer

Oublié les mots « j’aime »

Oublié de jardiner

De faire pousser

Les mots de la bonté

Les mots de la beauté

Les mots qu’on sème

Un enseignant

Qui engendrait lui-même la violence

Sans le savoir

Qui la portait sur lui

Avec lui

Comme un masque noir

A l’affût du moindre écart

De chaque enfant

Un enseignant

Qui ne voyait plus l’enfant

Un enseignant

Qui ne voyait que du sang

Un enseignant

Tout

Saignant

Et l’enfant dans la cour face à la police

Le jeu des écrans

Grandeur nature

Les gentils les méchants

Les perdants les gagnants

Désastre d’un monde

Décidément perdu

La balle aux prisonniers

N’était plus un jeu

Amusant

Un château fort

De rires

Le bal de la réalité

N’était que pire

Le jardin

Des enseignants

Avec les enfants

Avait été depuis longtemps

Abandonné

Contre

Un enfant

Et pourtant

Un enfant

Qu’avait-il besoin vraiment

Sinon

Juste le rassurer

Juste lui expliquer

Juste l’écouter

Juste l’aimer

Juste prendre du temps pour lui

Un enfant

Une fleur

Qui luit

Juste prendre du temps avec elle

Juste la protéger

Son enfance

L’enfance de l’enfant jugé bizarre

Question de regard

Des policiers dans une école

Des cerisiers dans une école

Prends donc mon enfant

Contre le monde un micro

Et slame pour mon coeur

A chaque instant

Tous tes maux

Tu en seras libéré

J’espère

Et plus jamais prisonnier

Sur cette Terre

Un enfant

Juste un enfant

Pour toi

Rien que pour toi

Un jardin

De bonheurs

Un jardin

Où primera toujours le cœur

Toujours le coeur

Thierry Rousse
Nantes, mardi 27 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Ici Londres le théâtre du Globe

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

C’était quoi ces étendards

Qui flottaient ce samedi matin

Devant ta fenêtre

Ces étendards tout colorés

Resplendissant sous un fond de ciel bleu printanier

Etait-ce le rassemblement pour la Palestine

Sans doute tu te disais

Qu’est-ce que je fais à rester derrière ma vitre à observer

Tu décidais de les rejoindre

Quitter ton appartement

Descendre l’escalier

Pousser la porte sur l’effervescence de ta rue

Le monde t’attendait

De l’autre côté du tunnel

Au traditionnel miroir d’eau

Devant les remparts de ta Duchesse Anne

Tu ne reconnaissais pas dans cette foule amassée le drapeau de la Palestine

Tu te frayais un passage

Tu avais besoin de comprendre où tu étais

Des noyaux de pépins entre eux palabraient

Tu osais en interrompre un

Pourquoi êtes-vous là

Jean t’expliquait la nouvelle réforme de notre bien-aimé et vénéré Chef Napoléon

Créer des classes de niveau au collège

Les génies

Les très bons

Les bons

Les moyens

Les moins bons

Les mauvais

Les nuls

Les irrécupérables

Les intouchables

L’avènement des castes dans l’Hexagone était annoncé promu au prix d’éloquence et d’excellence après le gel des salaires, l’allongement des retraites et tant d’autres mesures autoritaires

Jusqu’où irait notre Maître absolu

Dans la folie de son plan destructeur

Dans la folie de son rouleau compresseur

Il nous voyait fourmis invisibles et bientôt terre

N’était-il qu’un pion dans cette pièce montée d’un empire mondialisé

Sous fond de guerres et de virus aux frontières européennes

Sous fond de dérèglements climatiques et philosophiques

Où se logeait la sagesse tant chérie

Incarnation du Père bienveillant de la Nation

Quelle considération avait ce protecteur de la vie et de ses enfants

Ton esprit était brouillé

Marcel

En temps de dictature

Tu aurais pu craindre la prison

L’exil sur une île déserte

La libre expression de tes mots t’était encore autorisée

De quoi te plaignais-tu

Il était temps de te mettre à nu

Te coucher sous les étoiles dorées

Demain matin

Tu jouerais à Férel

Et la vie serait si belle

Belle de ses mélanges

Belle de ses différences

Belle déjà dans tes rêves

Dimanche était venu et tu étais vivant

Marcel

Debout et vivant

Tu hissais le drapeau du partage

Le théâtre impliquait une discipline

Réveil à 5 heures du matin dans ta caserne

Chargement à 6h

Départ à 7h pour une arrivée fixée à 8h30

Durée du trajet : 1h10

Tu prévoyais toujours une marge pour les imprévus de la route

7 heures

Tout était chargé

Le timing était respecté

Tu étais fier de ta ponctualité

Marcel

Tu t’apprêtais à entrer dignement dans ta voiture

Quand une jeune femme d’environ vingt ans accompagnée de ses copines et copains Surgissait sur le trottoir frais du matin

Elle était tout juste sortie d’une nuit blanche apparemment de la discothèque d’à côté

Elle te dit

Elle est belle votre voiture monsieur

Ta voiture était une vieille Peugeot à la couleur océan délavée

Les portes avaient été cabossées par des inconnus peu respectueux

Et pourtant cette jeune femme la trouvait belle ta voiture

Soudain elle fixait son regard sur tes yeux

Mais je vous connais monsieur je vous connais

Attendez

Tu étais donc connu

Marcel

Je sais c’est vous qui prenez toujours un café dans le bar où je suis serveuse

Oui c’était toi le petit café Marcel

Je vous envoie plein d’amour Monsieur

Plein d’amour

Plein d’amour

Te chantait-elle de tout son cœur en s’en allant avec sa bande de jeunes dans la nuit du jour

Plein d’amour c’était toujours bon à prendre

Surtout ce dimanche où tu partais jouer dans le Morbihan

Ce dimanche qui était donc ton jour de chance

Le ciel était bleu

La route était belle

Peu de voitures à cette heure

Aucun camion

Tu traversais les longues et denses forêts de Bretagne

Les fées perdues de Brocéliande te souriaient

Cap à l’ouest en écoutant Lennon

“Imagine”

Au fond

La solution d’une vie meilleure était là

Tout simplement

Offerte là

Dans l’amour

La paix

La beauté de l’instant présent

Imagine

Tout ce monde à s’aimer

Imagine

Tout ce monde qui posait ses armes

Un dimanche matin

De bonne heure

Du bon pied

Et de bonne humeur

Imagine l’homme

Qui posait tous ses égos

Toutes ses rancunes

Tous ses instincts de possession

Imagine

Seulement

Un instant de libération

Férel

Le village où la vie était belle

Arrivée 8h10

Gaga avait chronométré à la perfection ton voyage

Vingt minutes de marge

Le temps de savourer un café croissant dans l’unique commerce ouvert sur la place du village

Une boulangerie qui faisait aussi salon de gourmandises

Ce dimanche de bontés exquises

Décidément

Tous tes anges

L’avaient béni de bonheurs

Un accueil chaleureux

Durée de montage et de préparation

Deux heures

Début du spectacle 11 heures

Tu étais large

Comme cela faisait du bien d’être large

Respirer

Prendre le temps de t’échauffer

Prendre le temps du grand large

Salle bien remplie

Une centaine de personnes

Enfants et parents

Les enfants étaient ravis de jouer avec toi

Le bonheur était là

Là ici

Et tu avais rendez-vous avec sa grâce ce dimanche

Fée Clochette te portait espérancesur ses ailes transparentes

Tu saluais avec les enfants le public

Vous formiez ensemble une si belle troupe

Un si bel arbre à palabres

Midi fin du spectacle

Une heure de démontage

Et un délicieux repas qui t’attendait avec l’équipe organisatrice de ce sublime événement

Là à Férel tu étais tout proche de l’océan

Et son horizon son embrun t’appelaient à Pénestin

Shakespeare avait quelques mots à te dire

Combien mon enfant d’amours brisés, de guerres, de vaines batailles, ai-je écrits

Pour dénoncer les entrailles de leurs folles absurdités

Marche donc sur cette plage de la Mine d’or oubliée

Plonge donc dans ce sable chaud tes pas alertes

Loin du triste et vieux globe globuleux des rois qui le mènent à sa perte

Suis l’élan de tes traces

L’âme libre et à l’aise

Ton cœur aimant est la lumière étincelante de ces rougeoyantes falaises

Ici

Au bout de ce tunnel

Est ma voix

Ici

Londres

La poésie te murmure ses tendres caresses à l’oreille

Que ses sonnets soient chaque mouvement d’aile de ta vie ton éveil

Ici

Londres

L’amour est résistance

Ici

Londres

L’amour est confidence

Dans le plumage des oiseaux de passage

Dans les paysages j’ai vu son visage

Être l’éclat du soleil

Son dernier éveil

Sa page

Blanche

Éternelle

Un dimanche

à Férel

Thierry Rousse
Nantes, lundi 25 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Théâtre avant la fin de l’humanité

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Raconter l’histoire du théâtre en une chanson

Tu te fous de moi dis tu me prends pour un con

C’est quoi au fond ton délire

Raconte-moi une fois j’ai bien envie de rire

Ton banal gymnase alors c’est ça

Alors c’est ça le théâtre c’est ça

Un gymnase des années 80 c’est ça juste ça

Et cette espèce de folle qui raconte des histoires

Que je n’y comprends rien à ces histoires

A cette hystérique qui vocifère

Qui de son allure outrancière n’a que faire

Alors le théâtre commence ainsi

A l’origine des cris des fantaisies

Et ce travesti qui rapplique

J’attends toujours sa réplique

Et le public ah le public

Sur les gradins ce serait pas ma foi le choeur antique

Et les comédiens tiens les voici en avant la zique

Alors ça serait ça d’abord ça un effort physique

La performance tout donner

Tout donner jusqu’au bout avant de tomber

Parce que c’est ça qu’il attend le public

Que tu lui donnes toutes les tripes de ton art lyrique

Que chaque effort soit pour lui une prouesse

Que l’impossible excite en lui sa liesse

C’est en toi qu’il vit tout ce qu’il aimerait vivre

Aller au delà de lui-même être ce qu’il rêve de franchir

Le théâtre ne serait-il qu’une affaire d’hommes

Et de femmes qui veulent être aussi des hommes

Crois-tu que dans cette compétition

Il y a une place à notre communion

L’union fraternelle d’une compagnie

Qui vient à ta rescousse et sourit

O toi la violoniste sur ta poutre en équilibre

A répéter inlassablement les mêmes mouvements te sens-tu vraiment libre

Ou toi le coureur à pied as-tu choisi de courir

Ou est-ce ce tapis roulant qui t’oblige à courir

Balancer tes mots comme une urgence

En cette fin d’humanité briser ses silences

Dire jouer célébrer l’instant de la beauté

Nous relayer nous retrouver reliés

Unis et dignes d’aller jusqu’au bout

Quitte à ce qu’on nous prenne pour des fous

Aller jusqu’au bout

Aliénés

De ce qui nous a fait naître

Être ou ne pas être

Le théâtre ne serait-il qu’un spectacle populaire

Qui ne se résumerait qu’à un seul air

Peut-être bien que je réfléchis à voix haute avec toi

Peut-etre bien que j’ai envie de marcher avec toi sur les toits

Et de te dire que c’est dans sa force sa volonté son indéfectible amitié

Son épuisement, ses encouragements sa fidélité que le théâtre trouve là toute son utilité

Le théâtre c’est avant tout des corps

Qui parlent à d’autres corps

Entre corps on se comprend on sue

Sous notre costume de parade on est nu

Nu au milieu d’un monde illusoire qui s’effondre

Un plancher inondé à éponger avant de fondre

Sous un soleil de plomb

Derniers bonds

Avant la mort de notre public

Fin tragique

Des pom pom girls et leurs fanions

Pour la culture et l’éducation plus guère de pognon

Vestiges d’humanité

Souvenirs de liberté

Sous les bourses des guerres

La course au nucléaire

Quels mots étaient écrits sur la pierre

Quel sens avais-tu compris à hier

Le théâtre pareille à une femme

Ne se donnait que par petites touches à ton âme

Le théâtre tournait à la dernière fin sur lui-même

Pour t’élever au plus profond de toi-même

Il te restait ça Marcel

Le sourire de Louise et un bout du ciel

Allez chauffe Marcel

Il te reste ça Marcel

Il te restera ça Marcel

L’histoire du théâtre raconté

Par Miet Warlop avant qu’il ne cesse d’exister

Avant que les derniers robinets de la création

Ne soient à tout jamais soumis à leur destruction

Quand viendra l’heure de la fin de la pensée

Viendra l’heure de la fin de l’humanité

Trois coups de marteau

Sur nos maux

Voici mon ultime déclaration

Au micro

Presque un hymne de rébellion

Les genoux dans l’eau

Théâtre je t’aime

Et c’est avec toi que je veux écrire ce long poème

Qu’importe le nombre imparfait de nos pieds

Nous sommes tellement de voix nombreuses à vouloir exister

Théâtre de toi j’ai envie

Pareils aux seins innocents d’une femme

Théâtre tu es toute ma vie

Et de mon cœur qui se languit

Jaillit la plus belle prunelle de tes flammes

Théâtre juste avant la fin de l’humanité

Il nous reste encore un peu de temps toi et moi pour nous embrasser

Juste pour nous embrasser

Dans les caniveaux

Et les ruisseaux

Un long et dernier baiser

Un long et langoureux baiser

Sur nos mots

Rideau

Thierry Rousse
Nantes, samedi 23 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"
D’après le spectacle “One Song - Histoire du théâtre IV” de Miet Warlop, vu au Lieu Unique de Nantes le mercredi 20 mars 2024

Douze kilos de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Kilos de soi

Dans la boucherie des corps

Monter sur sa vieille balance

Peser tes idées

C’est quoi ce poids de trop

De qui es-tu enceinte

De ton propre enfant qui veut naître

2

Kilos de soi

Dans le gymnase du lycée

Les garçons sous la douche se regardent

Qui possède l’arme la plus virile

Le glaive solide et fier

Qui défoncera tous les coeurs

Et qui sera la risée des rois

La tige minuscule et fragile

Tremblement

D’un joueur mis en touche

3

Kilos de soi

Dans les dunes

Désertification sur la cime de ton crâne

Plus rien à vingt ans ne veut pousser

Que

La tonsure d’un moine

Au fil des années s’agrandit

Et te donne à ce jour

Entre les murs de son cloître

L’air d’un clown solitaire

4

Kilos de soi

Chez la dentiste

La petite dent de lait restée sous ton délicieux palais

Comme accrochée au premier palais de ses rêves

Que faire

L’extraire

Ou la laisser telle quelle

Comme une enfance en toi éternelle

5

Kilos de soi

Dans le miroir

De quelle partie de ton corps es-tu le plus fier

De mon âme répond sa main ouverte

6

Kilos de soi

Sur le billard

Et cette envie d’aller voir tout au-dedans

Comment tout ça bel et bien fonctionne

7

Kilos de soi

En hiver

Et si plus personne ne coupait tes cheveux

Que deviendraient-ils Bob

Un long chemin d’herbes sauvages

Où tu t’enroulerais l’été venu

8

Kilos de soi

Dans un lit

As-tu mesuré l’étendue de ton être

9

Kilos de soi

Dans la nuit

Qu’est-ce qui aime en toi

Le seul désir de te satisfaire

Ou l’envie d’être et d’offrir

10

Kilos de soi

Assoiffés

Il y aurait bien un peu d’eau en toi

Un océan infini

Où baigner largement tes pensées

11

Kilos de soi

Chez l’opticienne

Il y a bien une chose qui ne vieillit pas en toi

Tes yeux

Tu comprends maintenant pourquoi je te regarde dans les yeux

12

Kilos de soi

Chez Moustaki

J’aime ta jeunesse

A tout âge

Qui resplendit

Thierry Rousse
Nantes, samedi 23 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Nantes, samedi 23 mars 2024

Kelly

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

J’poussais la porte j’entrais en Irlande

Entraîné en ses mystérieuses landes

Jusqu’aux flots d’ses vagues filles du vent

Les vieux déballaient leurs instruments

Sur le comptoir des fidèles pochtrons

Violons flûtes tambours accordéons

Entre deux houblons grattaient quelques notes

Kelly exhibait sa poitrine forte

Fallait ben ça pour exciter les gars

Ramollis par leur copieux repas

Les faire jouer jusqu’à l’infini

Quand du fond des brumes rousses jaillit

La moustache mouillée de Bobby

Sa voix nasillarde ondulait fière

Dans les creux et monts dressés par la mer

La fougue révoltée de sa jeunesse

Faisait naître des frissons de liesse

Les marins perdus avaient un Captain

Qui chantait à défaut d’une sirène

“Des gouffres on en sort toujours vainqueur

Il suffit de voir de l’intérieur

Ces lames pointues des vagues à l’âme

Ces mots absents qui tuent le cœur des femmes

Il suffit de tout changer en espoir

Entre deux airs parler à son miroir”

Alors Miss Kelly monta sur la scène

Les seins nus se prit pour une sirène

Kelly baptisait Bobby d’une pinte

De Guinness Captain n’osait porter plainte

Le navire braverait la tempête

Miss Kelly redresserait haut la tête

Vaille que vaille le vent de l’Irlande

Vaille que vaille le temps de nos landes

Il s’en racontait ici des histoires

Sur les yeux fatigués des déboires

Poignées d’amourettes printanières

Des gardiens de phare solitaires

Tous ceux-là étaient passés sur Kelly

Mais aujourd’hui Kelly reprenait sa vie

Deux pas devant les vieux de l’Irlande

Kelly dansait au milieu des landes

Vaille que vaille le vent de l’Irlande

Vaille que vaille le temps de nos landes

J’poussais la porte j’entrais en Irlande

Entraîné en ses mystérieuses landes

Ivre ce premier jour du printemps

J’vis dans la brume son cœur tout aimant

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 21 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

L’entre soi de douceurs

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Entre et sois ici chez toi camarade

Jette un œil au comptoir de notre rade

T’inquiète il n’y a ni faucille ni marteau

Juste un bol de soupe qui tient chaud

Ici c’est notre jolie maison nomade

Dans ton dos on n’te passera que d’la pommade

On n’aime pas vraiment les racontars

Nous les vieux zincs les vieux routards

Ici c’est l’auberge pour tous les pieds

Qui veulent déposer leurs sacs chargés

Leurs fardeaux et leurs tas de mots

Ici c’est l’hôtel où tout l’monde est beau

Où tout l’monde chante ses joies ses tristesses

Ses colères ses rêves ses ivresses

Et tant tant d’autres choses encore

Tous ces fragiles passages de la vie à la mort

Allez chante encore

Montre-moi tes accords

Ici on a – attends je reprends mon souffle- définivement cessé de compter nos pieds sur nos doigts

Ici dans l’instant d’un souffle attendu on fonctionne juste avec l’émoi de moi à toi de toi à moi

Ici jamais tu ne seras jugé.e

Ici toujours tu seras aimé.e

Au masculin au féminin

Tout ça ne fait plus qu’un

Ici tu pourras être toi-même

Dans l’éphèmère ton plus grand poème

Ici ta parole sera écoutée précieusement

Même le temps suspendra son déferlement

Ici ces quelques planches c’est comme un carré vert

Comme un hammam de nuages dans le désert

Ici c’est juste un entre soi de paille

Où l’on refait le monde vaille que vaille

En croisant toutes nos différences

En nous plongeant dans tous nos silences

Ici il n’y a ni premier ni deuxième

Que des yeux qui s’aiment

Ici ni une somme de notes

Ni une tonne de menottes

Respire ce que tu as envie de dire

Souffle le ruisseau tranquille jusqu’à tes délires

Ici ni d’excellence

Ni d’exubérance

Que celle de ton cœur

Qui déborde de bonheur

Ici c’est l’entre soi de nos vies

Où l’on sourit où l’on rit

Ici c’est un rêve que l’on vit les yeux ouverts

Les yeux dans les yeux autour d’un ou deux vers

Allez prends donc le micro

Il te portera si haut

A la cime d’un magnolia

Ou peut-être bien d’un sequoia

Crois en moi

Si tu ne crois pas en toi

Sors tes rimes joue avec tes balles et ton violoncelle

Tes cordes vocales sont mon plus beau ciel

Tu seras mon cerisier du Japon

Avec toi je verrai des mots si profonds

Et allons camarade trinquer à l’amitié

Pour toutes ces ballades semées

On a vu toi et moi tant de vies s’exprimer

Face au bruit des gens qui ont osé s’affirmer

J’existe et je dis

Je fais et je suis

Ici les doutes on a connu

Et même à trois on y a cru

On n’a rien lâché

On a tout espéré

Que les mots d’amour lancés sur cette terre

Puissent faire cesser un jour toutes les guerres

Ici de nouveaux visages ont vu nos messages briller dans la nuit

Ici leurs pieds ont poussé un soir la porte de leur peur et d’leur ennui

Ici les pieds ont osé dire à leur bouche des mots sans pieds

Ici des anges en toute liberté dans leurs phrases sont nés

Ton enfant même de ce qui l’enfermait

S’est libéré de ses murets

Et cet instant était vivant de grâce

Et ta cabane est devenue un palace

Allez chauffe Marcel

Allez chauffe Marcel

Allez encore un p’tit mot doux pour trinquer

Pioche donc dans le chapeau du cow-boy un papier

Et monte donc indien sur la plus petite scène du monde

Pour refaire en grandeur nature et de plumes le monde

Dans un entre soi de douceurs

Caresse mes oreilles de chaleur

Riz paille on

Allumons ensemble le son

Et laissons les bonnes ondes

Refaire en nous le monde

De l’Asie au Népal jusqu’en Irlande

Goûtons au goût sauvage de toutes les landes

Entre et sois ici chez toi camarade

Jette un œil au comptoir de notre rade

Regarde le soleil comme il se lève

A l’est comme à l’ouest ce n’est plus un rêve

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 20 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Luttes joyeuses

une vie parmi des milliards

Pour quel étendard tu marchais

Rouge jaune vert bleu noir rose

Pour quelle chanson t’avançais

Celle qui te répétait ose

« On lâche rien »

« Ici c’est chez moi »

« Antisocial »

« O Bella ciao « 

Avancer

Reculer

D’un camion à l’autre

Avec qui marcher

Visions-nous les mêmes buts

Les mêmes salaires

Vibrions-nous des mêmes valeurs

Étions-nous au fond si liés

Sur un même pied d’égalité

Les supérieurs les inférieurs mélangés pas mélangés

Où sont passés les camarades

Écoutions-nous les mêmes airs

Qui d’entre nous avait glissé dans l’urne

Le p’tit papier de son Napoléon

Qui l’ignorait aujourd’hui

Il y avait toujours les yeux

Qui regardaient le cortège

Comme une parade festive

Comme un carnaval

La grande animation du jour

Il y avait toujours les pieds attirés ou désœuvrés

Qui prenaient la caravane en marche

Il y avait toujours les cœurs qui en avaient marre

De cette grande mascarade politique

Il y avait les oreilles curieuses

Qui changeaient de camion

Qui changeaient de musique

Il y avait le corps affranchi

Qui dansait dansait encore

Il y avait des sourires

Il y avait des conversations

Des mots dans les bulles d’eau

Il y avait ce constat

Quelle était cette femme fardée

Qui voulait te gouverner

Il y avait cette envie de bifurquer

Suivre la voix bleue et rose d’Hk

“‘Ne soyons pas sans résistance

Les instruments de leur démence” (1)

Il y avait toujours le flot des marcheurs indifférents

Ceux qui te disaient

Marcher pour tes idées ne sert à rien

De toute manière tu seras manipulé.e

Il y avait toujours les langues qui répétaient

Je ne vais plus aux manifs

Les manifs finissent toujours en castagnes et en canifs

Il y avait toujours

Il était une fois

Maître Napoléon

Qui déclarait à son balcon

Grâce aux indécis

Aux frileux

Aux casseurs

De la fenêtre de mon palace

J’ai triomphé

Il y avait toujours des voeux pieux

“On parle d’égalité, on parle de parité”

Regarde la cour de ton travail

Qui va au jardin

Semer les graines de demain

Il y avait l’arrivée du défilé

Des gyrophares bleus

Nous attendaient

Canalisaient le flux de nos voix

Contenaient le peuple sage de la rue

Les légionnaires attendaient dépités

Au pied des remparts

Pas de bagarre pas de prime ce mardi

Et mon divertissement

Et mon feu d’artifices

S’écriait Anne

Plus de budget économie Chère Duchesse

Midi c’est l’heure d’aller manger

Dispersion

Dispersion

Notre marche s’arrêtait là

Devant les barrières des légionnaires

Le parc du bétail était bien gardé

La loi serait votée

Démocratiquement

Pardon

Je voulais dire

Comme d’habitude

File-moi

Le 49 3

A trois on est des rois

Toi et moi

Rien de neuf

Chez les complices

Napoléon et Brille-Babil

Mise en quarantaine des bêtes libres

Il n’y aurait pas d’augmentation des revenus

Nous étions là à regarder ces légionnaires

Fiers d’avoir fait barrage à notre front populaire

Mission accomplie avec brio

Les chiens de Napoléon étaient dociles

Les moutons retourneraient à leurs pâtures

Toujours un peu moins de paille fraîche chaque année

Les bons toutous recevraient leur susucre et leur caresse

Tu étais là à observer cette défaite amère avec cette dame de soixante treize ans

Vive d’esprit

Qui constatait avec désolation le faible nombre d’âmes mobilisées

Serre un cran de plus à ta ceinture

Et faufile-toi dans les fissures

Il y avait le soleil maintenant

Après ces mois de pluie

Un soleil soudain bien trop chaud

Montagnes russes

D’un radiateur complètement déréglé

Il y avait la énième tentative de la convergence des luttes

Lancée par Culture en luttes

Dans un agora improvisé ou presque

Il y avait les jeunes demoiselles anglaises jolies et insouciantes dans le tramway

Qui allaient étudier Rimbaud Hugo Baudelaire et Zola

Sur les bancs de l’université française

Et les cerisiers étaient toujours en fleurs

Et les cerisiers emportaient nos rêves ailleurs

Thierry Rousse
Nantes, Mardi 19 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) HK « Danser encore »