L’homme du café des plantes

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

L’oeil vitreux

A regarder son verre

L’oeil de son verre

Se vider

Doucement

L’homme semblait disposer de toute sa journée

Pour sa besogne

Doucement vider verre après verre

Le quota d’une journée

Pour se sentir un autre

Ou s’oublier

Noyé

Épuisé

Dans le rosé d’un bonheur passé

L’homme avait

La barbe hirsute

Les sillons du visage

D’un marin

Qui aurait affronté mille vents

Mille bourrasques

Un héros

A quoi songeait l’homme seul

Dans ce café des plantes

Bien placé

Pour observer les gens

Cette vie dont il ne faisait plus partie

Depuis bien longtemps

L’homme qui s’était arrêté de vivre

Pour regarder le monde de passage

L’homme réfugié dans sa barbe qui lui tenait chaud

Qui resterait là

Lui

A l’abri de l’eau

Pendant que les autres s’agitaient

Mangeaient

Se pressaient

Palabraient

L’homme discret

Qui resterait là

Pendant que les autres iraient prendre le train

L’homme qui ne voyageait plus

L’homme qui ne travaillait plus

L’homme qui n’était plus attendu

L’homme qui n’était attendu que par son verre

L’homme à la destination bien connue

L’homme qui s’enracinait au café des plantes

A quelle espèce

Quelle nomenclature

Quel matricule

Appartenait-il

L’homme rosé

La silhouette bien placée à l’entrée

L’habitué

Le pilier

Le personnage bien à sa place

L’homme qui faisait partie du décor

Au même rang que les chaises

Et les plantes

L’homme qui finissait par se confondre à son verre

L’homme qu’on ne voyait plus

L’homme qu’on remplissait de son rosé par habitude

Comme on remplissait de gazoil le réservoir d’un camion

L’homme arrêté à sa station service silencieux

L’homme pauvre créature

Dont une prostituée même ne voulait

Cet homme

Retranché dans la plus absolue solitude

Je songeais à l’enfant qu’il avait pu être

A ses vies

A toutes ses vies

L’homme du café des plantes

Oublié

Invisible

Thierry Rousse
Nantes, 4 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Les Amours de Ronsard

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Les Amours de Ronsard

« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »

Tu écrivais Ronsard

Ces mots devenus

Un tube

La légende des solitaires

Dis-moi

Entre nous

Ce soir

Qu’en étaient-ils de tes amours

Tes innombrables amours

Dont on ne pouvait qu’être éblouis

Au seuil de la nuit

L’effet

De tes décasyllabes

Si parfaits

De tes césures

Au juste point de rupture

De tes sons qui se répondaient

De tes deux mains légères

Sur un clavier de délicatesses

Où avais-tu acquis telles prouesses

Où puisais-tu tant d’inspiration

Pure fiction

Libre imagination

Musique dans ta tête

De ces temps de ta jeunesse

Sur les cimes de l’Anjou

Tout proche de ton ami Du Bellay

De ses doux paysages

Vallon où coule un flot sauvage

Ou sur les monts du Palatin

Les théâtres du quartier latin

Une plume libérée de sa cage

Reflet d’une âme sensible

Ayant Cassandre et bien d’autres pour cibles

Hélène Marie Vénus

Mes mots quant à moi

Sous la pluie nantaise

Avaient peine à entrer

Leur bon nombre de pieds

Rimant avec mes émois

Ma prose libre

Et Caroline

Quand toi bien plus à l’aise

Étais nettement plus balaise

Combien de lignes intarissables

Pouvais-tu aligner

Traces dans le sable

Vers qui ne s’effacent

Étaient milliers d’étoiles

Limon de Loire amassé

N’était plus navigable

Tout n’était que tendresse

Joie aliénée

Exaltation du printemps

A l’aube des bourgeons

Fleurs de baisers

Pourtant

Très vite

Tes sentiments faisaient obstacle

Au paisible débit de ta vie

Te fallait-il ces monts latins ou grecs

Pour te plaire à les gravir

Choisir l’impossible amour

Pour être élu troubadour

A la cour des romances

Du Roi

Faire vibrer les silences

A Blois

O

Face à toi

Ronsard

J’étais quoi

Asséché

A court d’idées

Sur les bancs du lycée

Univers cité

Jardin de la liberté

Quand tu glorifiais l’amour

De tes envolées

Lyriques

Arithmétiques

Académiques

O toi

Ronsard

Aurais-tu ému aujourd’hui

Toutes les scènes Slam

De Paris à Nantes

Bouche gagnante

De Lille à Marseille

Des lèvres qui s’éveillent

Gagné

Tous les trophées des flots et d’or

Jetant tes vagues à l’âme

Par dessus bord

Brisés

A la face des vents

Comme autant d’envies endurcies

O

Toi

Ronsard

Pierre fragile

Épris de passion

Déchirements d’un coeur

Élévation

Vers la beauté divine

Descente

Dans les gouffres des tourments

O toi l’âme du poète

Écartelée

Entre paradis et enfer

Toi qui avais pour muse

Une adolescente de quinze ans

Cassandre

Pour laquelle tu nourrissais

Le ravissement de sa perfection

Tes mots à ce jour

T’enfermeraient

Ou

Te pardonneraient

Sanction

Infraction

Ou

Permission

Prescription

Quel âge avais-tu quand tu fus saisi de son regard

Quinze ans toi aussi

Vingt ans

Ou plus

Dis

Quand

Elle t’a plu

Cassandre

Les Amours de ta vie resteront dans tes songes

Resteront là dans tes mots tendres

Ton cœur n’était qu’une éponge

Tes rimes ballerines

Attrapaient les vallons

Cueillaient les tétons

Des corps sculptés

De tes sons brassés

Tu rêvais de son corps

Fantasmes

Sous les étoiles

En dessinait sa danse

Et la dévoilait

De tous tes sens

De tes vaillants efforts

A trouver le bon accord

O

Toi

Ronsard

Toi qui ne cessais de peindre

Par tes mots

Dans les moindres détails

La femme que tu idéalisais

En chacune de tes muses

Toi

Qui la fardais

De tes désirs

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou l’idéal que tu t’inventais d’elle

Dans la chambre de ta plume

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou le poème que tu faisais d’elle

Etait-ce cette femme que tu aimais

Ou tout simplement toi qui te regardais

Dans ses yeux

O

Toi

Ronsard

Tu les contemplais dans le musée de tes curiosités antiques et bucoliques

O

Toi

Ronsard

Aimais-tu vraiment cette femme

Cassandre

Sa douceur

Sa candeur

Ou la passion qu’elle réveillait en toi

L’impossible amour sur Terre

Pour mieux viser le ciel

Faire de ses déchirures

L’éclat d’une écriture

Les héros de tes livres

Les avais-tu au-moins acquittées

Poète

De tout ce qu’elles t’avaient donné

Leurs yeux

Comme dieux

Uniques

O

Toi

Ronsard

Qui ne cessais de chanter l’impossible amour

Pourquoi m’avoir fait par la beauté de tes vers

Prendre ce chemin tortueux qui m’abîmait depuis ce jour sous terre

Poésie si belle

Et si cruelle

J’avais décidé de te quitter un matin

Et vivre de toutes mes ailes enfin

Quand aujourd’hui

Dans la solitude l’amère pauvreté

Vers toi

Brisé

Je revenais les poings liés

Pour essuyer mon âme

Élever mes larmes

O

Toi

Ronsard

Surpris par la colère

D’un coup de foudre

Accablerais-tu à présent la femme aimée de tous tes maux

Cassandre serait-elle à ce point si altière

T’offrant dans le creux de tes mains

Les fleurs fanées de son dédain

Lui ferais-tu porter la lourdeur de ton fardeau

La douleur de t’être laissé emporter

Aveugler par les mots trompeurs

Des mathématiques poétiques

O

Moi

Face à toi

Je n’avais pas compté mes pieds

Ni les palpitations de mon cœur

Que par ton flot fougueux

Je m’étais laissé emporter

A la nuit tombée

O

Toi

Ronsard

Plus tu écrivais ta douleur

Plus tu t’enfonçais dans ton malheur

Attisant le feu de ses yeux

Révoltés

O

Toi

Ronsard

Je t’avais trop suivi

Jusqu’au seuil de ta prison

Me perdant au cœur du Morvan

Sans Caroline je n’étais plus

Et toi non plus sans Cassandre

Pareil à toi

Tout mon être je lui avais donné

Quand elle m’avait quitté

J’étais une lune sans soleil

Qui étais-je au coeur de ce sombre été sans ma lumière de sourires

Qu’un vide errant

N’espérant qu’une unique chose

La retrouver pour me retrouver

Je voulais tout quitter

Déchirer l’océan de mes lettres

Et me jeter dans les tourments de ses vagues

Caroline prit d’autant peur

Cette nuit d’artifices

Et creusa entre nous

Un abîme fatal

O

Toi

Ronsard

Criblé de balles

De ta révolte

Te plairais-tu à souffrir

Jusqu’à faire de ta peine

La source de ton plaisir

O

Toi

Mon

Ami

J’avais dépassé le temps des confidences

Toi aussi largement

Pour espérer slamer sur une scène d’applaudissements

J’étais disqualifié

Hors jeu

Dans le jeu de l’amour

Toute une vie

A cultiver les amours impossibles

Un champ retourné

Stérile

Truffé de stèles

Si j’avais su

Si j’avais bu

D’autres vers que les tiens

Un autre vin plus doux

Sans doute je serais moins saoul

De regrets

Le coeur en paix

Cherchant son visage

Dans chaque beauté du paysage

La nature consolait l’âme perdue

Disait-on

Et lentement au passage des nuages

S’effaçait discrètement

Son nom

A la surface des nénuphars

Cassandre et Caroline

Se dévoilaient

Innocentes

D’un frémissement de feuilles

Surgissait

Le corsage de Marie

O

Toi

Ronsard

Au lit seul

Il te restait l’idée de ton amour

Allongée à côté de toi

Une écorce de corps

Vide

Tu finissais par t’avouer vaincu

Et m’interrogeais au grand soir venu

« Qu’est-ce que parler d’Amour sans point faire l’amour,

Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumière ? »

Que pouvais-je te répondre

Qu’est-ce que parler d’Amour sans point être l’Amour

Sinon aimer la lumière sans être son Soleil

Disparaitrais-tu

Dans ton mirage

Ronsard

Comme un paladin

Traversant le paysage

D’un corps absent

Tant loué

La communion de deux êtres qui s’aimaient

Ne füt-elle qu’illusion

Que la pure invention de la poésie

O

Toi

Mon ami

Trouverais-tu consolation

Au crépuscule de ta vie

À l’aurore de ton vieil âge

Dans les songes érotiques

De tes personnages mythiques

O

Toi

Mon ami

En rien

Je ne te blâmais

Les roses

Tu les avais aimées jusqu’à leurs épines

Les corps jusqu’à leur âme divine

Toi

Pierre

Lunaire

Toi

Qui éclairais

Mes nuits

« Vivre sans volupté, c’est vivre sous la terre »

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 29 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
Ronsard, « Les Amours », Gallimard

Douze autres instants fragiles

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

L’arbre

Sais-tu pourquoi je grandis

L’homme

Pour atteindre le soleil pardi

L’arbre rit de toutes ses feuilles

Tu es bien un homme

Je grandis pour accueillir

simplement

Plus d’oiseaux

Sur mes branches

A l’abri du vent

2

L’homme a oublié d’être un arbre

Marcel y avait pensé

Chloé l’a dessiné

Avec ses racines

Et ses cheveux

Comme des brindilles

3

Marcel est-il un sequoïa

Ou un magnolia

Marcel dernier vivant

A l’abri du vent

4

A l’abri du vent

Il y a des marguerites

5

Au jardin des plantes

Où sont les marguerites

A l’abri du vent

6

Tu me dis que tu les aimes

Et tu arraches leurs pétales

7

Sur les étagères

C’est pas des livres

C’est quoi

Des marguerites

Que j’aime

A la folie

8

On n’arrache pas les pages d’un livre

9

On n’attache pas des branches à la terre

Ni des livres

Ni des marguerites

Ni toi

Ni moi

10

On est une vie parmi des milliards

Un arbre parmi des milliards

Un

Une

Un livre

Une marguerite

A l’abri du vent

11

On est

Toi

Moi

Toi et moi

A l’abri du temps

12

On est une forêt de séquoïa et de magnolia

Et douze autres instants fragiles

Thierry Rousse
Mercredi 28 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Douze instants fragiles

une vie parmi des milliards

1

Tu ne marches pas

L’arbre

Crois-tu

Je marche vers le ciel

Je marche vers la terre

2

L’air

Est un nid pour toi

Le savais-tu

3

Embrasse cette aire

D’air qui t’enlace

C’est par elle que tu vis

4

Elle est

Si légère

Invisible

Je l’oublie

5

Fais un noeud à ton foulard

6

Revêts ton manteau d’elle

Et ton foulard au vent

Tu auras l’air

Invisible

Et

Légère

Princesse du désert

7

J’ai vu

Ma Princesse du désert

L’éclat de tes yeux

Grimpant l’escalier de mes rêves

Et de la guerre des dieux

J’ai fait une trêve

8

Je suis ton jardinier

Tu es mon ange

Banalité

Et beauté

Avalanche

De sentiments

9

N’oublie pas un passage

Aussi large soit-il

Laisse-moi respirer

Dans ton paysage

Tendrement dessiné

De bons sentiments

10

Économise ta batterie

Avant que nos mots ne s’éteignent

11

J’ai rechargé

Mes pensées de toi

Ma sage princesse

Je ne ferai plus que t’écrire et t’aimer

Au coucher du soleil

Tu es mon unique voix

Dans le désert

12

Au coucher du soleil

Tout comme l’air

Pense que sans l’être qui luit

Nous remplit

Nous sommes

Que poussières

D’étoiles

Dans le désert

Voix

Silencieuses

Dans la nuit

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 28 février 2024
"Une vie parmi des milliards"

One Love encore

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Bob

Avais-tu vraiment disparu

Bob

And the Wailers

Ton cœur brûlait encore

Brillait

Encore

Transperçait la pluie qui dansait maintenant Bob

Ce dimanche

Intarissable

Océan de coquillages

Je te connaissais

Comme on connaissait le jour

Des traces de mains sur le sable

One love

Mais te connaissais-je vraiment

Bob

Qui veut te connaître qu’il attende la nuit

Le départ d’un père

Les larmes et le courage d’une mère

La détermination d’un enfant qui grandissait

La rencontre de sa belle fidèle au port

One love

Quand le corps danse ce qu’il désire

Déhanchement de vies

Quand le chaman voit le ciel dans la terre

Quand tu entends vibrer vivre

Tous ces mots qui appellent au réveil des esprits

Dieu aussi était noir

Bob

Qui l’avait enfermé dans une image d’Epinal

Qui rêvait de pouvoir

Entraînant les uns contre les autres

Raisons crédules

One love

Mes semblables

Jusqu’à quelle heure prendrons-nous les armes

Quand percevrons-nous les yeux qui nous regardent

One love

En tirant sur ton frère sur ta soeur

Tu assassines la pureté qui est en toi

One love

Tu avais compris

Bob

L’humanité n’était pas prête

Tu avait vu les yeux de l’âme perdue dans les tiens

Ton peuple déchiré

Ces traces de sang sur tes lèvres

Tu avais fui parce qu’il te fallait ce repaire

Pour mieux revenir

Réconcilier les tiens

One love

T’a guidé

T’a tenu la main jusqu’au dernier souffle

De l’Exode

One love

Des yeux dans la nuit

Jamaïque

Afrique

Éclairaient

De tes chants

Nos pas

Désarmés

One love

Suspends

La course

Des balles

Ignorantes

Dévoile

L’île

Dessiné

De ton cœur

L’unique bonheur

One love

Bob

Marley

Tu n’avais pas disparu

Bob

And the Wailers

Ton cœur brûlait encore

Brillait

encore

Transperçait la pluie qui dansait maintenant Bob

Qui dansait maintenant

One love

Encore

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 28 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Film « One Love » de Reinaldo Marcus Green

Cinq minutes de soleil et plus

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

C’est vous qui toussiez dans la rue

Me demandait la secrétaire d’accueil

La secrétaire d’accueil

De la jolie maison du quartier

Toute verte

Moi

Est-ce que c’était moi qui toussait dans la rue

Je jetais un oeil dans l’entrebâillement de la porte

La rue était déserte

Je me tournais vers elle

L’interrogeais du regard

Dans son étroit bureau

Madeleine

Ainsi je la nommais

Craignait les inconnus qui toussaient dans la rue

Je me présentais à elle

Lui demandais s’il y avait à tout hasard une salle disponible pour répéter la semaine prochaine

Je lui expliquais tout du pourquoi

L’objet de cette affaire urgente

Lui déclinais

Mon matricule

Mon pedigree

Mes origines

Je ne venais pourtant pas d’une maison du quartier

D’ailleurs

Que n’avais-je pas demander là

La Lune à Madeleine

Je sentais sa confusion sa gêne

Et ses réponses déjà toutes faites

Avez-vous contacté le service de location des salles

Oui naturellement

Et bien

Écrivez-nous un mail

Je n’avais pas la réponse à ma question

Madeleine

Une salle était-elle disponible oui ou non

Mystère et boule de gomme

Dans le secret des maisons

Je repartais avec ma question en l’air

Heureusement le ciel était d’un bleu limpide ce mardi

Un film se tournait dans la rue

L’homme qui toussait

Il y avait longtemps que je n’avais pas vu si bleu si grand le ciel

Dissimulé sous ces innombrables cotons de pluie

Barbara acquiesçait

Elle et moi marchions

D’un commun accord

Sur la ligne verte

Je longeais avec son ombre le quai de l’île Feydeau

L’ancien port des armateurs trafiquants d’esclaves

Des milliers de corps noirs soumis

A qui ces visages blancs bouffis de graisse et de barbe

Devaient leur fortune

Je traversais le potager qui se réveillait de son long sommeil

En face dans le jardin de Jean-Baptiste

Il y avait deux silhouettes assises sur un banc

Deux parmi le vide

Un jardin déserté

Des migrants relogés

Square Daviais

Où ces deux jeunes colombes s’étaient posées

Et se nourrissaient de baisers

Je grimpais la colline

Rue Jean-Jacques Rousseau

A son sommet m’attendait la nouvelle caisse de mon petit écureuil

Ce gentil petit écureuil me remettrait ma nouvelle carte bleue

Bleue

La matinée était vraiment d’un bleu parfait

Place Graslin face à l’Opéra

Je nageais

Je sonnais

La porte transparente

Au bout d’un long moment

Finissait par glisser

J’entrais comme un prince royal

Le vent en poupe

La sensation soudaine d’être un homme riche et respectable

Le tapis rouge amortissait mon atterrisage

Les employé.es exquis des deux sexes

Jeunes, élégant.es, belles et beaux me souriaient

Luxe

Calme

Et volupté de cette banque

Trésors d’argent

Tapis rouge volant

Nouvelle vie

Au-dessus des lignes de flottaison

La cargaison s’offrait à moi

Dans la cour du roi Soleil

Et de son prestigieux hôtel

Je relevais la tête

Cinq minutes de soleil et plus

Je me faufilais dans les ruelles

Direction la médiathèque

Un homme dont il ne restait que la tête

Se cognait à un cube immense décidé à ne pas bouger

Triste sort face à lui-même

Quand il n’avait qu’à contourner l’obstacle

Pour entrer

Prendre la clé des champs

Ce que je fis aussitôt

Par l’emprunt de ces livres

Dernière évasion possible

« Dans l’univers de Bonnard »

« Le livre des beautés minuscules »

« L’arbre m’a dit »

« Trente poèmes pour célébrer le monde »

Cinq minutes de soleil et plus

Chercher mon Bob

Entre les jets d’eau

Les arbres roses en fleurs

Le trouver

Dans les musiques du monde

Un reggae éternel

Mon Bob était en vie

Je repartais avec lui

Une dernière escale au pays basque

Un plat du jour exquis pour douze euros

Le bon plan des routards

Je n’ai pas dit un pétard

Cinq minutes de soleil et plus

Faire durer l’instant

Douze douceurs

Toi et moi Barbara

Et tant pis pour Madeleine

Et tant pis pour Madeleine

Aujourd’hui brillait le soleil

Thierry Rousse
Nantes, mardi 27 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Titres cités : "Dans l'univers de Bonnard", Sophie Comte-Surcin et Caroline Justin, Belem - "Le livre des beautés minuscules" Carl Norac et Julie Bernard, Rue du monde - "L'arbre m'a dit" Jean-Pierre Siméon et Zaü, Rue du monde - "30 poèmes pour célébrer le monde", Belin

Choisir l’amour

une vie parmi des milliards

Choisir le bien

Aimer

Parce qu’il n’y a que cette force-la qui peut sauver ton monde

Reste à savoir ce que tu entends par aimer

D’ailleurs

Petit sondage

C’est quoi pour toi aimer

Dis-moi

Raconte-moi

Marcel

Toi qui me disais

Il y a bien des expositions aujourd’hui à organiser

A montrer

D’autres visages

Bien des expositions plus utiles que celle-là

Juste de l’autre côté du pont-levis de ta Duchesse

Comment les Mongols ont changé le monde

Bien une autre exposition que tu aimerais voir

Comment l’amour a changé le monde

Oui

Comment l’amour a changé notre monde

Marcel

Existe-t-il un musée de l’amour

Une histoire de l’amour

Un patrimoine de l’amour

Des trésors de l’amour

Je sais

Tu vois déjà

Tous ces tableaux du kamasutra exposés sous tes yeux malicieux

Envieux

Alors

C’est ça l’amour

Rien que ça l’amour

Des positions audacieuses

Le but ultime de toutes les romances

Non

Évidemment non

Tu vois juste à côté cette peinture à l’huile

L’amour d’une mère pour son enfant

D’un père aussi peut-être

Oui

Rassure-moi

Dis-moi qu’il y a des pères qui savent aimer

Non

Tu ne sais plus

Des pères

Des mères

Qu’est-ce c’est

Les pères et les mères

Uniquement les géniteurs

En fais-tu partie

Non

Tu me dis

Un enfant a plusieurs mères

Plusieurs pères

Plusieurs vies

Forcément

L’amour est bien plus grand que tu ne l’imagines

Et tu n’as pas encore répondu à ma question à cette heure

C’est quoi l’amour

Marcel

Te faut-il toute une vie

Pour parvenir enfin à me le dire

Au dernier soupir

Fin d’un cycle

Tu es bien embarassé

Je vois

Marcel

Pour me répondre

Cette évidence

Le bon sens

Perdu

Oublié

Dans ton cœur blessé

Aux deux ailes brisées

Je te voir ressortir cette nuit tous tes livres

Tous tes livres où il y a le mot aimer dedans ou à la surface

Au final il y en a une bonne collection

Presque la totalité

Presque

J’exagère

Non

Sans parler des films et des chansons

Des ballades romantiques sur la place publique

Aimer s’emploie dans toutes les langues

Tu débutes tes fouilles

Tu remontes tes manches

Le but ultime de ta vie

Tu creuses dans tes étagères

Les livres bien exposés devant

Les autres habilement cachés derrière

Ou sous une pile

Une tour de Pise

Il est presque minuit

C’est quoi l’amour

Réponds-moi

Où je m’en vais

Réponds-moi

Marcel

Avec un L

Ou deux ailes

L’amour

C’est quoi

C’est Don Juan

L’homme qui n’a de cesse de séduire

Te conquérir de l’éclat de son verbe

Te dévêtir toute crue sur l’herbe

Et se lasser de toi sous sa main conquise

T’abandonnant pour une autre promise

Jeune et jolie

Et puis

Quand elle aura vieilli

Il restera

Lui

Un

Dom Juan

Dégarni

Lui

L’homme qui n’a fait que fuire

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Hiroshima mon amour

Explosion des désirs

Passion des sentiments

Possession

Jalousie

Soumission

De ton corps

Déchiré

Captif

Dévasté

Radioactif

Vaste champ des néants

Abîmes vertigineuses

Dans laquelle tu t’abimes

Dégringoles de ta cime

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est la symphonie de la vie

Celle qui te fait revivre

De l’éblouissement des fleurs

Des feuilles fragiles sous l’éclat du soleil

De tous les animaux qui s’étirent au réveil

S’élancent à travers le désert

Jusqu’aux oassis fertiles

Jusqu’aux cabanes des nomades

Jusqu’aux fleuves sauvages de l’équateur

Aime et tu vivras

L’étonnement d’un amour

Qui jaillit en toi

La force de la lionne

Genèse de ton coeur

Cri primitif

Viscéral

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est ce qui compte

Plus que tout

Ce qui compte c’est d’aimer

Aimer les bras ouverts

A accueillir tous ses yeux pour toi

Tous ses yeux pas pour toi

Tous ses yeux de passage

Tous ses yeux pas sages

Au comptoir d’un bar

Errant à travers les rues noires

Ou

Dans la salle des pas perdus

D’une gare

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est la tendresse d’un regard

La douceur d’un baiser

L’avenir est à la tendresse

Une éternelle jeunesse

Des jours et de nuits de liesse

Des mots chuchotés enlacés

Un oreiller de coton

Toi et ton chaton

Un marathon de caresses

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est toi

Aventurière de l’amour

Toi

La femme

La guerrière

Tu as la double force de l’homme

Que tu mets au monde

Tu mènes ton combat

Entre les préjugés et les cases

Où des yeux désireux voudraient te mettre

Nul devant toi n’est maître

Tu es debout

Et tiens les deux bouts

Du monde

Dans ton sein

Fécond

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est la joie du don

Et du pardon

Ne pas répéter les stupides guerres

Du sexe faible déshonoré des mâles

L’amour c’est répondre par le bien au mal

Un feu ne s’éteint pas avec le feu

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est remplacer ton rêve

Par ce vide occupé

Une présence

Pour combler ton manque

Trouver le grand amour sur internet

Ou sur une autre planète

Plus verte

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est des histoires d’amour

Parce qu’une seule ne te suffit pas

Des pages de brouillon

Des ébauches

Des ratures

Des redites

Avant l’œuvre géniale

Quand ton oeuvre au final

N’est faite que de toutes ces pages

Froissées

Effacées

Publiées

Encadrées

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est une recette de cuisine

Un kit de bricolage

Un mode d’emploi Ikéa

Des schémas trop compliqués pour toi

Il te demande

Par quel numéro commencer

Comment bien faire l’amour ensemble

Tu lui réponds

Oublie la technique et regarde les étoiles

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est ce que veulent les hommes

Séduire une femme à coup sûr

Séduire tes yeux verts

Savoir ce qui te plaît

Tout apprendre de toi de A à Z

Jusqu’à ton azur

Être reçu à l’examen définitif

Décrocher les honneurs

La couronne des bons conducteurs

Des hommes mûrs

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est ce que veulent les hommes

Tout ou presque tout d’une femme

La copine

L’initiatrice

L’épouse

L’amante

La mère

La fille

L’élève

L’apprentie

La stagiaire

L’assistante

L’infirmière

La cuisinière

La gouvernante

La protectrice

La muse

La grand-mère

La sage-femme

Toi

Tout de toi

L’amour

C’est quoi

Marcel

Ce que veulent les hommes

Est-ce vraiment toi

Qui tu es

Ce que tu désires

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est des mots encore des mots

A trop bavarder sans s’arrêter

Tu n’entends même plus les palpitations de son cœur

C’est vrai

Ou je mens

Comment peux-tu entendre l’amour te parler

Si tu n’entends plus cette vie qui vibre en toi

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Amour et silence

Vider ce qui remplit ta tête

Pour laisser enfin une place à l’autre

Dans le nid de ta vie

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est le temps des amours

Des cigales qui chantent

Douce Provence

Tes yeux se balancent

Penses-tu qu’il ne dure qu’un temps

L’amour

Avant l’interminable traversée du désert

Avant la fin des temps

Le temps où tu n’aimeras plus

Le temps où tu ne seras plus aimée

Fourmi à creuser ta galerie infinie

Papier déchiré

Exiguïte d’une chambre

Où lentement ce qui te faisait encore vivre t’abandonne

Volets définitivement clos sur ton jardin

Entends-tu l’oiseau qui chante au matin

Transi sur une branche gelée

Hiver d’un amour désiré

Au crépuscule des feuilles jaunies

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est ensemble c’est tout

Les cinq doigts d’une main ouverte

Solidaire

Montre pour voir

Ils tiennent bien tes doigts ensemble

Je le savais

Cinq doigts pour enlacer cinq autres doigts

Vas-y

C’est le moment

Deux mains qui se tiennent là

Deux mains et l’audace d’y croire

Aimer c’est possible

Juste

Ensemble

Toi et moi

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est la nuit du coeur

As-tu déjà vu ce qui brille en plein jour

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Louise Amour

Un nom donné à ton prénom

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est l’amour

Simplement

Être ou faire l’amour

Ou les deux à la fois

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est être adulte en amour

Ne pas manger l’être aimé

De tous tes yeux gourmands

Le laisser exister

Le regarder s’épanouir

Dans un sourire béant

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est la force de l’amour dans la communication créative

Lance donc un mot

En l’air

Que je le saisisse au vol

Et trouve la bonne rime

Toi

Mon aigle royal au-dessus des cimes

Descends

De tes cieux

D’azur

Et

Bois entre mes fissures

Dans le creux de mes mains

Cette eau

De la terre

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est l’art de la gentillesse

Non

Ce n’est pas une tare

Pas un handicap

Être gentil

C’est juste

Pourquoi tu vis

Tu l’oublies parfois

Pris dans la course effrénée des rues

De cette foule qui te crie

Sois la plus forte

Louise

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Mars et Venus se rencontrent

Tout est nouveau

Tout est beau

Tout reste à découvrir en l’autre

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Mars et Venus sous la couette

Déjà

Cinq minutes ont suffi

Un éclat de rire

Une pirouette

Pour les faire chavirer

Cacahuètes

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est l’intelligence du coeur

Juste déplacer nos idées

Les descendre

Ou les monter

Trouver le bon point de vue

Entre toi et moi

Être en harmonie

Juste

Accordés

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est l’art de se faire des amis

Tout un livre pour apprendre l’amitié

Bonjour

Tu t’appelles comment

Attends

Je grave ton prénom sur mes veines

Tes mots coulent maintenant en moi

Comme les fleurs d’un ruisseau

Tu es née aujourd’hui dans mes yeux

Et c’est toi mon dieu

Mon amie

Attends

Tu me dis

Tu es allé bien trop vite

Marcel

Et tu a pris tes jambes à ton cou

Et tu as fui

A grandes enjambées

Tu as crié

A moi la liberté

Et je t’ai perdue Louise

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est des histoires d’amour

Des histoire d’aimer

Des histoires qui ont commencé tout petit dans ton berceau

Et ont grandi

A l’assaut de tes désirs

A travers la pluie

Les cris

Le soleil

Les brouillards

Les gelées

Les nausées

Les envolés

Et retombées

En amour

Toujours

Cette envie d’exister

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Mars et Venus en harmonie

Presque une histoire finie

L’amour

C’est quoi

Marcel

C’est Les Paroles d’Amour

Du souffle

Tout vient

A point

A pitre

Te faire rire

Une moitié de toi

Gagnée

L’autre à t’aimer

Te servir

T’éblouir

Te consoler

L’amour

C’est quoi

Penses-tu avoir fait le tour de la question

Marcel

Non

Louise

Je ne t’ai lu qu’un échantillon d’amour

Combien de livres encore

Sans l’afficher ouvertement

En sont remplis à chaque page

Chaque visage devant toi

Arcadie

L’Acte

Le consentement

La note sensible

Lettres à Nour

Amours heureux

Amours espérés

Amours contrariés

Amours fendus

Semblants d’amours

Amours déçus

Amours nus

Trahis

Invisibles

Je n’aurai de cesse de fouiller pour toi

Jusqu’aux derniers balbutiements de mon souffle

Jusqu’aux dernières pages de ton visage

Pour te dire

L’amour c’est quoi

C’est Les lumières d’Oujda

Et toi

Louise

Et toi Louise

Thierry Rousse
Nantes, samedi 24 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Titres cités :
Dom Juan, Molière, Larousse – Hiroshima mon amour, Marguerite Duras, Gallimard – La symphonie de la vie, Pierre Rabhi, Le Livre de Poche – Aime et tu vivras, Stan Rougier, Cana – Etonnement d'un amour, Frère Roger, Les Presses de Taizé – Ce qui compte c'est d'aimer, Carlo Carreto, Médiaspaul – L'avenir est à la tendresse, Stan Rougier, Salvator – Aventurier de l'amour, Guy Gilbert, Le Livre de Poche – La joie du don, Mère Teresa de Calcutta, Le Seuil – Trouver le grand amour sur internet, Frédéric Ploton, First – Histoires d'amour, Julia Kristeva, Gallimatd – Comment bien faire l'amour ensemble, Alexandra Pennay, Marabout – Ce que veulent les hommes, Christopher Pizza et Rich Seldes, Marabout – Séduire une femme à coup sür, Odile Lamourère, Le Seuil – Amour et silence, un chartreux, Le Seuil – Le temps des amours, Marcel Pagnol, Fallois – Ensemble c'est tout, Anna Gavalda, Le Dilettante – La nuit du cœur, Christian Bobin, Gallimard – Louise Amour, Christian Bobin, Gallimard - L'amour, Marguerite Duras, Gallimard – Etre adulte en amour, David Richo, Payot – La force de l'amour dans la communication créative, Yvon Delvoye, Jouvence – L'art de la gentillesse, Piero Ferruci, Pocket – Mars et Vénus se rencontrent, John Gray, J'ai Lu – Mars et Vénus sous la couette, John Gray, J'ai Lu – L'intelligence du cœur, Isabelle Fillozat, Marabout – L'art de se faire des amis, Roger et Sally Horchow, Pocket – Histoires d'amour, histoire d'aimer, Catherine Bensaïd, Pocket – Mars et Vénus en harmonie, John Gray, Le Livre de Poche – Les Paroles d'Amour, Jacques Salomé, Albin Michel – L'Acte, Sophie Lambert, Commun – Le consentement, Vanessa Springora, Le Livre de Poche – La note sensible, Valentine Goby, Gallimard – Lettres à Nour, Rachid Benzine, Points – Les lumières d'Oudja, Marc Alexandre Oho Bambe, Calmann-Lévy

Un froid de canard grappe d’été 1987

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Ouvrir tes cartons

C’était aussi retrouver tes vieux textes

Ta fierté à vingt ans d’être publié

Dans la revue d’expression poétique

La grappe

Le titre était un froid de canard

Et tu écrivais

Comme ça sur le bref

Dire quelque chose

A cette heure tardive vers minuit comme les grands écrivains

Lâcher une bouffée de chaleur dans ce froid de canard

Sans ne plus vraiment maîtriser les mots

Prendre un peu son marteau de poète comme une pelle

Et creuser un peu pour voir si le fil de nos idées serait à même de nous confectionner un pull pour l’hiver qu’on déposerait sur notre joue pour bien dormir et sous nos yeux pour mieux rêver

Oh quel drôle d’ouvrier-écrivain je ferais à ma chaîne à m’embrouiller de ma liberté, à patauger dans un bocal à l’eau bleue comme un poisson rouge, un monde à part, songe d’une nuit d’été, où des éclats de rires viendraient peindre les murs maussades de mon usine, et d’une main, une tendre caresse, refaire la réalité

Grappe d’été 1987

Mots du bout de ta langue balbutiés

Maladresses de ta jeunesse

Initiée

Confinée

Avais-tu changé

Evolué

Régressé

Trente six ans après

Quelle partie de toi était restée intacte

On dit que seuls les yeux ne vieillissent pas

Tu écrivais à la suite ces mots

Jaillis sans réflexion

De ton cerveau

Alors moi écrivain créerais mon syndicat pour me mettre en grève

Je n’écrirais plus

Je n’écris plus

Avais-tu raison

L’absence de tes mots te ferait-elle exister aux yeux du monde

Qui s’apercevrait de leur disparition

Comptais-tu vraiment

Aux yeux de qui

Aux yeux de qui

Je n’écris plus

Tous les journaux en parlent, vous savez, j’embête tout le monde

L’Etat est bien embarassé

Tant que je griffonnais des bouts de mots sur des bouts de papier

Il était bien tranquille

Mais maintenant que je n’écris plus, il ne sait plus ce qui l’attend

Toute la comptabilité nationale en parle

Elle se demande si sa production va encore tenir debout

Si je ne vais pas racheter l’économie toute entière

Oh, qu’elle se rassure, je ne lui volerai pas sa lente agonie de chiffres

Oh, qu’elle se rassure, je ne lui volerai pas sa lente agonie de chiffres

Tu posais ton stylo

Tu passais à l’action

Tu disais

Non

Non

Je reste silencieux

Je reste silencieux

Tu savais tenir le non

J’ai fermé les volets de ma chambre pour ne plus voir la neige qui devenait grise

Je reste silencieux, assis devant une montagne de journaux

Je reste silencieux et j’ai mis une musique pour les rendre silencieux

Etait-ce vraiment la solution

Ou une option

Peu à peu j’ai fait taire toutes les choses de ma chambre

Les images, les photos sur le mur ne veulent plus rien dire

On ne voit plus que des images, des photos sur le mur

La nuit s’épaissit

Je suis assis devant mon bureau et je ne veux plus rien dire

Mutisme

Schisme

Je ne veux plus rien dire

Je suis un corps assis

Le jardin devant mes yeux est rempli d’évènements assis sur des bancs

Il y a l’évènement

Grève des étudiants

L’évènement

Grève des marins

L’évènement

Grève des cheminots

Toute l’histoire en sorte jusqu’à l’électricité qui l’éclaire

Toute l’histoire en sorte jusqu’à l’électricité qui l’éclaire

Arrêt d’un monde

Non

Ne plus continuer ainsi

Grappe d’été 1987

Centre d’animation

361 avenue du Vercors

Résistance

Prise de conscience

Tout ça me donne des frissons

Savoir que nos pas deviennent des empreintes

C’est trop bête, trop bête, il faut bouger

Il faut se réchauffer dans ce froid de canard

Au risque de devenir un bonhomme de neige

Raillé par des enfants bien plus vivants que nous

Raillé par des enfants bien plus vivants que nous

Trente six après tous ces mots

Tous ces cris

Tu avais des comptes à rendre

Aux nouvelles générations

Qu’avais-tu fait de toutes ces années

Qu’avais-tu fait de toutes tes vies

Un parapluie

Un arc-en-ciel

Une trouée dans le ciel

Grappe d’été 1987

Tu lirais la suite

Un peu plus tard

A Théophile

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 23 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Extraits de "Un froid de canard", La grappe numéro 19, été 1987

Il pleut sur Nantes Barbara

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Ce n’était pas une légende

Barbara

La grange aux loups

Les moutons étaient bien rentrés

Les douves inondées

Il pleuvait sur Nantes

Depuis des jours

Des semaines

Des mois

Un interminable hiver

Entre tiède et glacial

Ciel blafard

Arbres agités

A la sortie d’une gare

Où aller

Le soleil en avait de la peine

A voir

De sa constellation

Toutes ces guerres

La belle orange bleue tachée de sang

Consternation

Éclats de vies

Irradiées

Éclatements des coeurs

Pris pour cibles

Tu avais de quoi avoir le cœur chagrin

Barbara

Les rois des cieux

Les dieux

Etaient fâchés

Contrariés

Jaloux

Conquérants

Fous

Résistants

Déterminés

Il pleuvait sur Nantes

Une giclée d’écume

Un gros chagrin du ciel

Des vagues d’amertume

Déferlements de lames

Tranchantes

Barbara

Toi qui rêvais de tendresse

Présence aimante d’un père

Une autre histoire était à écrire

Ta nouvelle histoire

Il pleut sur Nantes

Ton père

Un marin perdu au milieu des fleurs du malt

Toi

Sa fille

Sur une île

Barbara

Dernier îlot de ton repos

Pour ton corps fragile

Ton père n’avait pu t’offrir ici

Le château doré des fées

Qu’une mousson bretonne

Qu’un radiateur déréglé

Les degrés des montagnes russes

Pas de quoi rêver

Tu était partie

Sur le quai d’une gare

Seule

Sans lui dire que tu ne reviendrais plus

Barbara

Et c’était mieux pour toi

Ton père souriait

Une larme de pluie

Arc-en-ciel

Vers le soleil couchant

Vers le soleil levant

Tu nageais parmi les poissons et les tortues

C’était mieux que toutes ces voitures et ces bus dans les rues

Ton père

Une île perdue comme toi

Se réfugiait chez Marguerite

Où un café chaud

Serré

Tout au fond l’attendait

Le vieux bouquin était là

Dans cette vieille armoire

Près des livres interdits

Comme s’il l’avait toujours attendu

Kerouac

Voile au vent sur la route des mers

Marin solitaire

Il ne quitterait pas cette terre inondée

Sans t’avoir revu

Toi sa fille

Barbara

Toi

De l’autre côté du monde

Il te dira

Donne-moi la main

Ce qui est passé est passé

Je veux t’offrir un nouveau jour

Un nouveau soleil

Barbara

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 22 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Il pleut sur Nantes, Barbara

Vivre sous le seuil de pauvreté

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Vivre sous le seuil de pauvreté

Finissait par t’épuiser

Au fil de ces années

Marcel

A toujours compter

A toujours espérer

Pouvoir vivre

Un peu plus serein

Le mois prochain

Être un peu plus libre

Juste un peu

Juste

Vivre sous le seuil de pauvreté

Réduisait quoiqu’on disait tes possibilités

De relations

De sorties

De moments partagés

De rencontres idylliques

Venise engloutie rêvait toujours de palais

Et de gondoles romantiques

Bien sûr

Il te restait un petit noyau d’amis

Marcel

Tes camarades

Tes sœurs

Tes frères

Qui luttaient comme toi

Pour sortir leur tête à la surface

D’autres s’accomodaient de leur pauvreté, en faisaient une alliée, déployant de formidables kits de survie et de plongée en apnée

D’autres voyaient en la sobriété l’hymne du nouveau monde

Ces adeptes semblaient vivre de peu

Peut-être d’une rente

D’un héritage

D’autres avaient vécu ou avaient connu une certaine expérience de la pauvreté

Et voulaient vraiment t’aider

T’encourager

Ces petits noyaux étaient des perles

Des oasis dans ton désert

Marcel

Vivre sous le seuil de pauvreté

Peu à peu te cantonnait

A des lieux précis

Voire conçus pour accueillir les pauvres

Collecter leurs soucis

Des lieux où il y avait toujours une fin solidaire

Restaurant solidaire

Épicerie solidaire

Café solidaire

Friperie solidaire

Garage solidaire

Vie solidaire

Solitaire

Au soir venu

Vivre sous le seuil de pauvreté

T’apprenait à vivre dans une société parallèle

Composée d’allocations

De primes d’activités

D’aides coups de pouces

De micro-crédits

De mobicartes

De cartes blanches

De transports solidaires

De Cmu

De chèques vacances

Vivre sous le seuil de pauvreté

T’apprenait ou t’incitait à rester

Juste au seuil sous la limite de ton coefficient

Au risque de perdre tous tes avantages acquis

Au risque de voir chaque dépense passer à son prix fort

Chose Impossible à assumer

Si tu passais tout juste au-dessus du coefficient

Vivre sous le seuil de pauvreté

Te marginalisait peu à peu

Atteignait ton sommeil

Tes habitudes alimentaires

Ta santé mentale

Ta santé physique

Ta confiance

Ta légitimité à être aimé

Embrassé

Cajeolé

Vivre sous le seuil de pauvreté

Était un cercle vicieux dont tu ne voyais plus la sortie

Cage dorée

Brume nébuleuse

Caste privée

Où tu te retrouvais

Piégé

Vivre sous le seuil de pauvreté

Te faisait fuir ceux que tu voyais se détruire

Des loques ambulantes

Puantes

Étalées dans la rue

Dans la pluie

Dans le froid

A quémander de quoi manger

Une cannette de bière à leurs pieds

Comment ces êtes déchus en étaient arrivés là

Encore plus bas

Enfants pourtant ils avaient été

Tu en venais

Adultes

A les juger

Les rejeter

Dans leur errance

Leur apparence

Leur souffrance

« Dans la dèche de Paris à Londres »

Pour rien au monde

Tu ne voulais devenir Orwell

Connaître la misère pour l’écrire

Marcel

Vivre sous le seuil de pauvreté

Et travailler pourtant

Travailler auprès d’enfants

Dans les écoles publiques

Connaître ces semaines gruyère

L’impression d’être toujours au travail

Dans les transports

Dans les préparations d’activités

Pour au final gagner une maigre pitance

A peine sept cents euros par mois

Pour les plus bons mois

Quand tu n’étais pas malade

Quand tu remplissais bien ton agenda

Vivre sous le seuil de pauvreté

Questions et réflexions entre deux strophes presque poétiques

Presque

Éthiques

Était-ce permis

Comment l’institution française n’était pas en capacité

De combler les trous du gruyère

D’assurer un minimum de trente heures hebdomadaires

Et un digne revenu

A celles et ceux qui contribuaient dans leur discipline artistique au bien-être et à l’éducation des enfants dans les écoles

Tu te demandais

Marcel

Macaron avait-t-il la réponse dans son château d’argent

Prince charmant

Et saltimbanques

Bulle de savon

Champagne

Et puis j’oublie

Vivre sous le seuil de pauvreté

Et faire semblant de ne pas être pauvre

Faire semblant d’appartenir au monde normal

La tête haute

Défendre ce qu’il te restait de dignité

Marcel

Tout était dans le vêtement

Propre

Irréprochable

D’une couleur unie

Noire

L’attitude

La parole

Le

Je vais bien

De rigueur

Avec le sourire qui va bien

Tout allait bien

Sous le seuil des tabous

Tout allait bien

Vivre sous le seuil de pauvreté

Quand l’heure était venue de refuser

La misère

De tout ton être

Vivre sous le seuil de pauvreté

Juste indécent

Ce consentement

A quand la prochaine révolte

D’un peuple insoumis

Rien à l’horizon

Que des promesses et matraques

Contente-toi de ce que tu as

Et sois heureux

Marcel

Proverbe des sages

Vraiment

Vraiment

Vivre sous le seuil de pauvreté

Les lèvres de la lune sont beauté

Et l’éclat du soleil majesté

Majesté

Thierry Rousse
Nantes, samedi 17 février 2024
"Une vie parmi des milliards"