Cinq minutes de soleil et plus

C’est vous qui toussiez dans la rue

Me demandait la secrétaire d’accueil

La secrétaire d’accueil

De la jolie maison du quartier

Toute verte

Moi

Est-ce que c’était moi qui toussait dans la rue

Je jetais un oeil dans l’entrebâillement de la porte

La rue était déserte

Je me tournais vers elle

L’interrogeais du regard

Dans son étroit bureau

Madeleine

Ainsi je la nommais

Craignait les inconnus qui toussaient dans la rue

Je me présentais à elle

Lui demandais s’il y avait à tout hasard une salle disponible pour répéter la semaine prochaine

Je lui expliquais tout du pourquoi

L’objet de cette affaire urgente

Lui déclinais

Mon matricule

Mon pedigree

Mes origines

Je ne venais pourtant pas d’une maison du quartier

D’ailleurs

Que n’avais-je pas demander là

La Lune à Madeleine

Je sentais sa confusion sa gêne

Et ses réponses déjà toutes faites

Avez-vous contacté le service de location des salles

Oui naturellement

Et bien

Écrivez-nous un mail

Je n’avais pas la réponse à ma question

Madeleine

Une salle était-elle disponible oui ou non

Mystère et boule de gomme

Dans le secret des maisons

Je repartais avec ma question en l’air

Heureusement le ciel était d’un bleu limpide ce mardi

Un film se tournait dans la rue

L’homme qui toussait

Il y avait longtemps que je n’avais pas vu si bleu si grand le ciel

Dissimulé sous ces innombrables cotons de pluie

Barbara acquiesçait

Elle et moi marchions

D’un commun accord

Sur la ligne verte

Je longeais avec son ombre le quai de l’île Feydeau

L’ancien port des armateurs trafiquants d’esclaves

Des milliers de corps noirs soumis

A qui ces visages blancs bouffis de graisse et de barbe

Devaient leur fortune

Je traversais le potager qui se réveillait de son long sommeil

En face dans le jardin de Jean-Baptiste

Il y avait deux silhouettes assises sur un banc

Deux parmi le vide

Un jardin déserté

Des migrants relogés

Square Daviais

Où ces deux jeunes colombes s’étaient posées

Et se nourrissaient de baisers

Je grimpais la colline

Rue Jean-Jacques Rousseau

A son sommet m’attendait la nouvelle caisse de mon petit écureuil

Ce gentil petit écureuil me remettrait ma nouvelle carte bleue

Bleue

La matinée était vraiment d’un bleu parfait

Place Graslin face à l’Opéra

Je nageais

Je sonnais

La porte transparente

Au bout d’un long moment

Finissait par glisser

J’entrais comme un prince royal

Le vent en poupe

La sensation soudaine d’être un homme riche et respectable

Le tapis rouge amortissait mon atterrisage

Les employé.es exquis des deux sexes

Jeunes, élégant.es, belles et beaux me souriaient

Luxe

Calme

Et volupté de cette banque

Trésors d’argent

Tapis rouge volant

Nouvelle vie

Au-dessus des lignes de flottaison

La cargaison s’offrait à moi

Dans la cour du roi Soleil

Et de son prestigieux hôtel

Je relevais la tête

Cinq minutes de soleil et plus

Je me faufilais dans les ruelles

Direction la médiathèque

Un homme dont il ne restait que la tête

Se cognait à un cube immense décidé à ne pas bouger

Triste sort face à lui-même

Quand il n’avait qu’à contourner l’obstacle

Pour entrer

Prendre la clé des champs

Ce que je fis aussitôt

Par l’emprunt de ces livres

Dernière évasion possible

« Dans l’univers de Bonnard »

« Le livre des beautés minuscules »

« L’arbre m’a dit »

« Trente poèmes pour célébrer le monde »

Cinq minutes de soleil et plus

Chercher mon Bob

Entre les jets d’eau

Les arbres roses en fleurs

Le trouver

Dans les musiques du monde

Un reggae éternel

Mon Bob était en vie

Je repartais avec lui

Une dernière escale au pays basque

Un plat du jour exquis pour douze euros

Le bon plan des routards

Je n’ai pas dit un pétard

Cinq minutes de soleil et plus

Faire durer l’instant

Douze douceurs

Toi et moi Barbara

Et tant pis pour Madeleine

Et tant pis pour Madeleine

Aujourd’hui brillait le soleil

Thierry Rousse
Nantes, mardi 27 février 2024
"Une vie parmi des milliards"
Titres cités : "Dans l'univers de Bonnard", Sophie Comte-Surcin et Caroline Justin, Belem - "Le livre des beautés minuscules" Carl Norac et Julie Bernard, Rue du monde - "L'arbre m'a dit" Jean-Pierre Siméon et Zaü, Rue du monde - "30 poèmes pour célébrer le monde", Belin

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