Tant que nous étions en vie

Une piscine

Des bains bouillonnants

Nous dire qu’il y avait d’autres mondes

Dans ce monde

Des calanques

Des dauphins

Des oliviers

Des bananiers

Des champs de vignes

Des astronautes

Le parfum d’un biscuit Lu

La saveur d’un grand vin

Une lune

Brillante

Des îlots de richesse

De luxe, de beauté et de calme

Sans doute mérités

A la sueur d’un front

Nous goûtions

Nous autres

Pauvres que nous étions

A ces mets de bonheurs

Et puis

Tant qu’il y avait une morale

Un savoir-vivre

Tant qu’il n’y avait pas la possession

L’emprise

Les fantasmes

Un miroir à deux faces

Tantôt gentil

Tantôt méchant

Tant qu’il n’y avait pas derrière une main tendue

Une autre qui exigeait son dû

Tant qu’il n’y avait pas de domination ni de soumission

Tant que c’était beau

Pureté et tendresse

Tant que c’était l’ivresse d’un sourire

Tant que nous pouvions encore survivre

A la chaleur qui pesait sur nos têtes

Tant que nous nous offrions des parenthèses de répit

Tant que nous persévérions à lire

Tant que nous espérions guérir

Tant que nous désirions l’âme soeur

Tant et tant

Etangs de nos temps stagnants

Tant que nous prenions le courant de nos plumes

Afin de soulager nos âmes encombrées

Et nos coeurs meurtris

Tant que nous nous répétions

« J’ai le droit à l’amour

Le droit d’exister

Le droit d’être qui je suis

Le droit d’aimer

Et d’être aimé »

Tant que nous n’obligions personne à se soumettre à nos envies

Tant que nous étions honnêtes

Tant que nous étions en vie

Tant que nous étions en vie

Tant que nous étions en vie

Il nous restait à vivre

Thierry Rousse

Nantes, le 28 septembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

Les petits pas de Marcel

C’était l’automne

Et peut-être pouvions-nous maintenant respirer

Peut-être un peu

Ouvrir le couvercle de la marmitte

Peut-être un peu

En avions-nous fini de ce réchauffement interminable

Peut-être un peu

Qui oserait parmi nous tirer la sonnette d’alarme

D’ici peu

Parmi nous

D’ici peu

Etions-nous si peureux

Rien que des minables

Habitués maintenant

A ne rien dire

Planqués sous des tables

A nous laisser faire

Brûler dans les flammes de leur enfer

Les pieds sur un tremblement de Terre

Bien trop terre à terre

Hiroshima

Mon amour

Marcel à cette heure avait opté pour la philosophie des petits pas

Petits pas à peine perceptibles pour changer de vie

Changer de rôle

Glisser son esprit dans un autre corps

Kaizen

Une philosophie importée des Etats-Unis

Qui avait permis à cette île de se reconstruire

Fleurs du Japon

Petits pas zen sur un pont

Changer de chaussures

De pantalon

De chemise

Et de chapeau

Changer d’allure

Trop à l’étroit dans ces murs

Marcel

Marcel

Contemplait une fissure d’eau dans un autre ciel

A petits pas

A petits pas

A peine visibles

A peines visibles

Des actionnaires

Thierry Rousse

Nantes, 26 septembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

Il fallait bien

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Il fallait bien une fin

A cette chaleur pesante

Etouffante

Il fallait bien un terminus

A cet été bien trop chaud

Accablant

Il fallait bien quitter la cloche de notre serre

Et trouver une alternative aux guerres

Il fallait bien cette pluie pour respirer

Et vivre un peu

Retrouver nos pensées

Il fallait bien que ça s’arrête

Que tout ça s’arrête

Les cris et les coups

Cinq heures que cette femme attendait

Dans la salle d’attente d’un commissariat

Pour déposer ses maux

Enfin déposer ses maux

Au fond d’un couloir

Il fallait bien qu’on l’écoute un jour cette femme

Sortir de son enfer et parler

Et oser parler

Oser simplement sortir de ses murs

Il fallait bien qu’on l’accueille sans arrière-pensées

Cette femme

Et qu’on prenne soin de son coeur

Qu’on prenne soin de son coeur

A la sortie de ses larmes

Il fallait bien un oassis pour elle dans ce désert

Pour croire encore en la lune

Il fallait bien qu’elle brille

Dans la nuit de Belleville

Cette femme égarée

Et qu’on la regarde dignement

Comme une étoile filante

Il fallait bien une fête de l’humanité

Pour croire encore en l’humanité

Des enfants pour replanter un jardin

Et fabriquer des oiseaux

Dans la cour d’une école

Il fallait bien être utile

Donner un sens à tous ces mots républicains

Il fallait bien un début

Juste un début

Pour raconter la fin d’un monde

Et son ultime but

Il fallait bien au crépuscule ces paroles de Lao-Tseu

Pour nous mettre en marche

Nous mettre en marche

« Un voyage de mille lieux commence toujours par un premier pas ».

Toujours par un premier pas

Il fallait bien

Thierry Rousse

Nantes, le 22 septembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

LA RENTREE DES PLANTES

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

La rentrée

C’était la rentrée

Rentrer dans quoi

Rentrer chez moi

Tout était là

A sa place

Comme je l’avais quitté

Mon chez moi

Etagères

Livres

Objets

Cartes

Vêtements

Documents

Feuilles

Stylo

Table

Chaises

Lit

Assiettes

Verres

Couverts

Des simples couverts

Tout était à sa place

Les plantes avaient survécu à la canicule

Les plantes m’avaient attendu

Patiemment

Dans ce désert

Mon premier geste

Délicatement

En rentrant

Etait de les arroser

Mes plantes

Leur dire un mot

Juste un mot

Je suis là

Je suis revenu de mon périple

Descendu d’un estuaire

D’un Massif de montagnes jusqu’à vous

Mes plantes

Vertes

Toutes vertes

Toutes

Vertes

Elle, elle me souriait

Je lui souriais

Je respirais son air

Nous nous attendions l’un et l’autre

Google pourtant m’indiquait que l’air était mauvais

Que le maximun avait été enregistré

Une chaleur étouffante

Humide

Même ici

Une serre

Tout au sud de la Bretagne

A Nantes

Comment mes plantes pouvaient encore survivre à la fin d’un monde ?

Etre là chez moi et sourire

Sourire pour ne pas mourir

Sourire pour ne pas mourir

Sur un fil

Tendu

Savais-je encore écrire

Ecrire pour toi

Pour ta vie

Suspendue ?

Un mois sans toucher à mon stylo

Ou presque

Etait-ce vraiment comme le vélo

Ecrire ?

Reprendre aussitôt le rythme

La cadence

Une place dans la société

Sur le trottoir

Dans la rue

Le siège d’un tramway

La cour d’une école

Cette cadence que la société nous dictait

Ses heures de colle

Entièrement

Pédaler dans sa machine tropicale

Sans avoir le temps de réfléchir

Au sens de la vie

Au sens de la vie

Au milieu des travaux

D’une humanité en déroute

Taper dans un ballon

Au-dessus d’un grillage

Echappé du monde

Je regardais ma plante

Son paysage

Elle me ramenait à cet instant d’hier

Cette goutte d’eau

Cette rivière

Cette montagne

Et puis

L’océan

Et puis

L’océan

Toute l’eau du ciel renversé

Avec ses étoiles dedans

Avec ses étoiles dedans

Dis-moi qu’elles n’étaient pas des satellites

Dis-moi qu’elles n’étaient pas des satellites

Pas les étoiles

Dis-moi qu’il y a encore un espoir

Un infime espoir

Même bancal

Dans cette rentrée

Entre les classes

Un couloir de lumière

De liberté

Et de joie

Une plante

Dis-moi qu’il y a encore une plante

Mon Amie

Ma soeur

Mon frère

Encore une plante

A arroser

Sur cette Terre

Pour les enfants

Thierry Rousse

Nantes, le 7 septembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

Testament

une vie parmi des milliards

Le « r » de trop

Pour ce mot

« Mort »

Le « r » que personne

Ou presque

N’aimait dire

Ou n’osait dire

Ou presque

De crainte

De l’appeler bien trop

Vite

« r »

Qu’on expulsait en vain

De ce mot

Penser la vie

La cultiver

L’entretenir

La prolonger

Presque à l’infini

Presque à l’infini

Presque

A l’infini

Reculer l’instant fatal

Du départ

Irréversible

La loi d’attraction

M’incitait

A diriger mes pensées

Vers ce souffle de vie

Ouvrant ma voile

A sa puissance

Divine

Je visais fièrement les cent ans

D’Edgar Morin

Contemplant les cinq doigts de ma main gauche

J’avais déjà bien vécu un demi-siècle

Suivi ses lignes brisées

J’étais à l’aube du second

A l’orée d’une autre main

Plus adroite

Sans doute

Pourtant

L’imprévisible

Pouvait interrompre à chaque seconde mon élan

A tout moment

Un étouffement

Face contre terre

Et je serais là

Corps inanimé

L’âme flottante

D’un bateau sans sa voile

Sans sa voile

Et sans toi

Gisant

Que faire de mon corps maquillé

Raide et glacial

Juste le regarder un instant

Et te dire que mon âme est là

Auprès de ton coeur

Chaque instant à présent

Partout en fait

Parfum d’une rose rare

Dans l’air que tu respires

Comme un baume de tendresse

Comme un baume de tendresse

Roseraie de l’amour

Aux alentours

Regarder les photographies de nos souvenirs

Sur cet écran du crématorium

Les regarder et sourire

Peut-être pleurer

Libérer la peine

De ne plus nous revoir

Du moins comme avant

Nous voir autrement

Maintenant nous ressentir

Nous deviner

Etre à l’affût du moindre signe

Du moindre signe

Entre nous

Secrètement

Aller répandre mes cendres dans ce joli jardin

Que tu auras choisi

Brûler avec tous mes carnets intimes

Entreposer mes livres

Mes musiques

Mes films

Dans cette maison des correspondances poétiques

Et rire

Partager un bon repas

Lire des poèmes

Chanter

Danser

Ecrire

Je serais tellement heureux de te voir être ainsi avec moi en pensée

Vivre cette aventure dont j’ai toujours rêvée

Par moments fugaces

Réalisée

Voici

Un bout de mon testament

Mes spectacles

Des moments de vie ensemble

Une brume enveloppant la vallée

D’un fleuve dessinant ses courbes

Jusqu’à l’océan

Jusqu’à l’océan

Des gouttes de pluie

Ensoleillée

De ton amitié

Tout cet air libre

Libre

Pour nous relier

Thierry Rousse

Lundi 24 juillet 2023

« Une vie parmi des milliards »

Le petit sapin

Je me souviens

Je me souviens de ces Noël

J’achetais toujours des petits sapins avec leurs racines

Je les décorais d’étoiles filantes

De boules de neige

Et de lutins farceurs

Et après ces jours de fête

D’orgies gustatives

Et de bonheurs

Je les plantais dans ton jardin

Tous nos Noël étaient là qui grandissaient

Devant nos yeux

Au fil des saisons

Et des petits riens

Car il y avait encore des saisons

Et des petits riens

A cette époque

Et des cadeaux

Et des cadeaux

Et ce petit sapin

De quelle année déjà

Avait bien grandi

Il était fort

Resplendissant

De son étoile filante

Caressant le ciel

Je le regardais

Et tu n’étais plus là

Partie discrètement

Un dimanche de juillet

Sans rien dire

Sans rien dire

A personne

Silencieusement

Dans ta solitude

Laissant derrière toi

Une maison si bien rangée

Comme je l’avais connue

Rien n’avait bougé

Les épines n’étaient pas tombées

Cet arbre me parlait de toi

De ce que tu avais vécu

Tes joies

Tes déceptions

Tes profondes tristesses

Ta souffrance

Ta force

Ce qui te reliait encore à la vie

Je t’avais quittée

Un trente et un décembre

Deux mille treize

J’étais loin

Au bord d’un océan

Je venais te rendre visite

Quand le temps

Et l’argent me le permettaient

Trop peu

Je t’appelais aussi

Dix années écoulées

Que j’avais salué

Notre Rocamadour du Gâtinais

Et récemment

Tu m’avais dit

Ne m’appelle plus

Je t’appellerai

Envisageais-tu déjà ton envol

A la cime d’un autre voyage

Ou peut-être pas

Ou peut-être pas

Je me souviens

Je me souviens

Reviens

Reviens

Pas après pas

Et contemplons ce petit sapin

Toi et moi

Au bord de cette rivière

Au bord de cette rivière

Les larmes coulent

Si doucement

Si doucement

Aux heures d’été

Face aux arbres

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 20 juillet 2023

« Une vie parmi des milliards »

Neha

une vie parmi des milliards

Marcel

Au bord de ce fleuve

Ressemblait à un lac

Un lac si paisible

A cette heure

Ensoleillée

C’était la fin de sa journée

Marcel contemplait

Les légères ondulations

D’un temps suspendu

Les perles d’un astre

Dansant sur les rochers

Marcel jaillissait de la terre

Un pas après l’autre

Les ongles noircis

Marcel

Comme un déraciné

Marchait

S’arrêtait

Marchait

S’asseyait sur un banc

Se levait

Marchait

S’arrêtait

S’asseyait sur un autre banc

Toujours un peu plus longtemps

A quoi songeait l’esprit de Marcel

A ces châteaux

Dans leur écrin

De joyeuses folies

A ces vies qu’il avait connues

A ces vies pour toujours disparues

A cette barque

Qui se laissait doucement flotter

Vers une rive inattendue

Marcel songeait

A ces tambours au lointain

Exil d’une armée napoléonienne

En déroute

Rendant ses armes

Sur l’ïle des beautés

Marcel songeait aux djembés d’une fête secrète

A la terrasse d’un restaurant gastronomique

Aux lampions d’une guinguette mirifique

Aux piques niques entre amis

Aux baisers des amoureux enlacés

Au bout du monde

Au bout du monde

Tout au bout du monde

Effleuré

Lodève

Ville cachée

Marcel

Au bord de ses rêveries poétiques

Ressemblait à mille yeux nostalgiques

Marcel

Pas après pas

T’écoutait te parler des autres

De ceux que tu trouvais beaux

Et toi

Marcel

Au bord de l’eau

Ombre absente

Sur un banc

Qui t’avait dit un jour

Que tu étais beau

Qui

La maman des poissons

Sautant à la surface des vagues

Qu’avais-tu fait de son amour

L’avais-tu avalé

A Pezenas

Oublié

Des voix t’appelaient

Du Lubéron

Des voix de Slovaquie

Tendresse aux pieds des murailles

Un vendredi

Aux heures d’été

Neha

Neha

Neha

Neha était partie

Bien trop vite

Bien trop vite

Tu auras dû l’appeler

Lui écrire

Plus souvent

C’était trop tard

Marcel

Au bord de tes regrets

Au bout du temps

Au bout du monde

Tout au bout du monde

Tout au bout

Poignée de cendres

Neha n’était plus qu’une poignée de cendres

Et ces roses

Seraient bientôt mortes aussi

Ne resterait que le parfum de leur âme

Légères ondulations

D’un temps suspendu

Perles d’un astre

Dansant

Sur les champs

De lavande

Sur les champs

De lavande

Rien que des champs de lavande

Où tu sèmeras mon corps

Thierry Rousse

Mardi 18 juillet 2023

« Une vie parmi des milliards »

La roseraie vagabonde

une vie parmi des milliards

Acheter le journal

Quand même

Parce qu’il fallait bien s’informer

Quand même

Depuis combien de jours

Depuis combien de mois

Marcel n’avait pas acheté le journal

Depuis qu’il avait décidé de vivre

Marcel

Vivre

Tout simplement vivre

Ecouter le vent

Caresser les pages des arbres

Lire sous leurs écorces

La douceur du monde

La douceur du monde

La douceur du monde

Et pourtant

Marcel se disait bien

Qu’il faudrait

Un jour

Qu’il rachète le journal

Au-moins savoir

Ce qu’on racontait sur le monde

Ce que des regards voulaient y voir

Sur le monde

Et nous inciter à voir

Sur le monde

Voir ce qu’ils voyaient sur le monde

Regarder ce qu’ils observaient

Sur le monde

Ce qu’ils observaient

Ce qu’ils observaient

Dans le trou de la serrure

Du monde

Du monde

Du monde

Tout autour

Marcel entendait parler d’émeutes

Immondes

Ou justifiées

Ou justifiées

Ou immondes

Tout autour de son arbre

Marcel

Explosions de vitres

Criant au meutre

Fumées noires

Vie déracinée

A bout portant

Marcel

Marcel

Marcel

Alors

Il fit le pas

Marcel

Entra dans la gare du Nord

Dans l’une de ces boutiques

Où l’on trouvait un peu de tout

Quelques souvenirs d’une ligne verte

Entre les petits biscuits Lu

Et les livres à la Une

Il y avait la presse

Les revues de papier glacé

Et les journaux de papier recyclé

Et déjà il avait envie de sortir

Dans la rue

Marcel

Etouffant

A la vue de ces titres

Plus effrayants les uns que les autres

Des guerres qui n’en finissaient pas de finir

Crises et menaces

Pénuries d’eau

Réchauffement climatique

Cataclysme d’un capitalisme obsolète

Fin de l’humanité en quête de vie

Emeutes

Emeutes

Emeutes

Prendre le journal

Ou le laisser

Trois fois

Prendre

Laisser

Prendre

Laisser

Prendre

Laisser

Quel journal

Hésitations

Feuilleter

Lire en diagonale

Repartir

Revenir

L’Humanité

Le Monde

Libération

La Croix

Revenir

Choisir le moins pire

Le moins pire des mondes

Avoir bonne conscience

Acheter

Acheter

Acheter au-moins un journal

Aujourd’hui

Un journal avec une lueur d’espoir

Que tout n’était pas fini

Non pas à cette heure de l’apéritif

Du Ricard et des olives

Pas à cette fin anticipée du trafic

Pas à cette fin anticipée du bonheur

Pas encore

Trams et bus venaient de cesser de relier les gens entre eux

Les quartiers du nord au sud

Les quartiers de l’est à l’ouest

Couvre-feu

Se séparer

S’isoler

Et Marcher

Et marcher

Et marcher

Une France en marche

Un casque sur les oreilles

Une Croix sous le bras

Il ne restait plus qu’à marcher

A Marcel

A marcher

A Marcel

C’était bon pour sa santé

Marcel

Bon pour rester vivant

Marcel

Pour prolonger un peu sa vie

Juste avant le ciel

Juste avant le ciel

Juste

Escalier roulant

Marcel emportait sa Croix

Tout près du bassin Saint-Félix

Un vendredi soir

Trente juin deux mille vingt trois

Marcel avait fini par choisir

Ce journal

Porter sa croix

Une colère qui venait de loin

Peut-être tout simplement d’un besoin d’amour

D’être reconnu

Ou connu dans un quartier

Comprendre Jérusalem, ville-monde

Qui devait payer la transition écologique ?

Au-dessus des lois

Entre le coq et l’âne

Marcel ouvrirait son journal

Sur le comptoir d’un bar

En buvant un Ricard

Histoire d’oublier ce qu’il lisait

Et de songer aux cigales

Des olives qu’il aurait désiré cueillir

Ces festins qu’il célébrait avec elle

Sa Fanfan

De délicieux banquets

Face à un jardin fleuri de roses

Au bord d’une rivière

Bucolique

Le bon vieux temps

Le bon vieux temps

Le bon vieux temps

Lieu unique d’un banc

Les guerres pourtant avaient toujours existé

Les crises

Les menaces

Les pénuries

Les cris

Les nasses

Et toutes les peines

Et toutes les peines

Tout avait existé

Toutes les maladies

Toutes les fins du monde

Tous les dieux décapités

Toute l’horreur

Et l’eau tarie

Sur sa banquise

Fondue

Tout avait existé

Déjà

De ces histoires ressassées

De ces histoires ressassées

De ces histoires

Marcel avait laissé le passé

Il écoutait cette voix

A présent

Cette voix lui parler

Images qui défilaient dans sa tête

Ce qu’était le monde

Côté marée

Côté métal

Ce qu’était le monde

Le plus beau

A chaque instant

L’estuaire de tes yeux

Le plus beau

Du monde

Tes yeux

Qui ne vieillissaient pas

Tes yeux

Et la mer

Regretter de ne pas t’avoir appelée

Plus souvent

Plus souvent

Plus souvent

Regretter de ne pas t’avoir écrit

Une carte postale

Une carte postale

Une carte postale

Pour te dire

Que tu étais là

Que tu étais là

Que tu étais là

Dans mes pensées

Eloignement

Roseraie vagabonde

Parfum de nos souvenirs

Une rivière aussi large qu’un lac

Aussi paisible que le vol d’un oiseau

Aussi paisible qu’une barque sur l’eau

Nos ailes

Traçant leur chemin

Souvenis nomades

Narcisse t’a joué un tour

Narcisse t’a joué un tour

Marcel

Narcisse

Lis le journal

Lis le journal

Tourne les pages des arbres

Sous leurs écorces

Caresse la douceur du monde

Caresse la douceur du monde

Caresse

Vagabonde

Caresse . . .

Thierry Rousse

Lundi 3 juillet 2023

« Une vie parmi des milliards »

Aux heures d’été

une vie parmi des milliards

La chaleur

Enfin

Celle tant attendue

S’installait pour un bon moment

Aux heures d’été

Joie des terrasses convoitées

Des corps qui dévoilaient

Un échantillon de leur beauté

L’amitié était célébrée

Les longues tablées était dressées

Et l’amour que j’espérais

Se cachait toujours

Au bout d’un regard

Silhouette

Attente

Piano

Dans une gare

De verdure

Et puis la chaleur durait

Cette fois-ci se montrait bien trop insistante

Intrusive

Oppressante

Elle envahissait toutes les pièces de mon corps

Chaleur torride

Paradis et Enfer

Que je ne désirais plus

Que je rêvais de chasser

Par la fenêtre

Mais rien n’y faisait

L’heure du coucher était retardée

La fraîcheur était recherchée

Sous les platanes

Au bord de l’eau

Et les appartements désertés

Mon corps se faisait lourd

Mes pensées étaient fatiguées

Aux heures d’été (1)

Les rendez-vous étaient réguliers

Et rythmeraient bientôt mon été

Dans les douves du château

Et dans les jardins de Nantes

J’échapperais un temps

Au réchauffement climatique

Qui me guettait

Sur le bout du nez

Je vivrais mon dernier sursis

Avant la fin des espèces

Humaine

Animale

Et végétale

Juste avant demain

Juste avant demain

La grande marée

Aux heures d’été

Mes pensées vagabondaient

Bulles de rencontres excitantes et pétillantes

De rencontres la plupart rêvées

Quel joli programme reposait entre mes mains

Je me préparais

Comme il était écrit

A partir en roulotte vers l’est

A prendre un petit déj’

Dans le grand Nord finlandais

A côtoyer le Corée

A libérer ma voix en Slovaquie

A me faire mon ciné

A la nuit tombée

Aux heures d’été

J’oubliais le monde en péril

Les notes et les mots m’élevaient

Dans la grâce d’une autre vie

Une arche de Nöé

Pour nous sauver

Entre les flammes

D’un désastre annoncé

Aux heures d’été

Aux heures d’été

Sourire

Encore

Une dernière fois

A l’ultime bonheur

Thierry Rousse

Mercredi 28 juin 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Aux heures d’été, Festival des cultures d’ici et d’ailleurs, Nantes, du 4 juillet au 4 août 2023

La boîte à compliments

une vie parmi des milliards

Une planche

Une scie

Des clous

Un marteau

Et Marcel

Et Marcel à cette heure

Construisait sa boîte

Pas sa boîte de nuit

Ni sa boîte de jour

Pas plus sa boïte de conserve

Ou sa boîte à oeufs

Ou sa boîte à noeuds

Ou sa boîte cranienne

Ou sa dernière boîte

Tout de bois lisse

L’ultime boîte vernie

Que des hommes en noir glisseraient

Au fond d’un trou

Lissée d’un ciment gris

Et enmurée d’un marbre noir

Ou des cendres d’un volcan

Non

Marcel

Au pied de son arbre

Qui construisait sa boîte

A cette heure

Patiemment

N’était pas saoûl

Marcel boîtait juste

Parce qu’il avait une jambe

Plus longue que l’autre

Marcel

Ou plus courte

Marcel ne s’en était

Jamais rendu compte

Jusqu’à ce que la réalité lui fasse remarquer

Les imperfections de son corps

Et de sa boîte

A oisillons

Marcel

Suspendu en équilibre à cette branche

Marcel boitillait sur le chemin de celle-ci

Marcel le boiteux

Marcel le bienheureux

Marcel le boit-sans-soif

A l’orée d’une source d’étoiles

Une planche

Une scie

Des clous

Un marteau

Et Marcel

Construisait simplement

Lentement

Sa boîte

A compliments

Marcel avait fini de se juger

De se lancer des pierres pointues

De se cogner contre des mots trop durs

Marcel

Le coeur tout couvert de bleus

Dans la rue des Sales Gosses

« Je suis un bon à rien

Un amoché

Un tas d’années râtées

Le constat d’un échec

Des astres qui dégringolent

Une météorité échouée

Dans un puits bien trop sec

Sans enfant pour prolonger ma vie »

Marcel glissait maintenant

A la place de ces mots

Des compliments dans sa boîte infinie

Tous ceux qu’on lui adressait

Et tous ceux qu’il s’adressait à lui-même

Chaque matin

Et chaque soir

« Ta voix est belle

Ta voix est douce

Marcel »

Marcel le bohême

Laissait passer les autres mots

Les regardait en souriant

Les retournait avec sa raquette

Vers toutes les bouches qui les prononçait

A quoi bon se nourrir

De ces fruits pourris

Marcel allait dès lors

Vers les âmes qui l’aimaient

Et déployait ainsi ses ailes

Un sourire l’accueillait

L’encourageait

Un habitat

Bien plus que des murs

Un habitat

Qui ressemblait à un arbre

Rempli d’oiseaux

Du monde entier

Bob dans la chambre de son hôtel

Grattait les cordes de sa guitare

Et chantait

« Shot of love »

Marcel voulait comprendre

A quoi pouvait ressembler une dose d’amour

Qui voulait lui glisser des compliments dans sa boïte

Toi et toi et toi

Et moi

Et nous ?

Marcel se disait

« Quittons nos toits

Un vaste ciel nous ouvre ses bras

Les oiseaux réclament juste une dose d’amour

Une coupe de tendresse

Pétillante

Enivrante

Aussi délicieuse qu’une tarte aux abricots »

Marcel prenait de l’eau dans ses mains

Et lavait son visage

De toutes les larmes du passé

Qu’importe ce qui avait échoué

Le présent était là

Le sourire

D’un nouveau

Départ

Une piste de décollage

Pour les mots les plus beaux

Les mots qui se taisent

Et t’écoutent

« Merci

Mer

Si merveilleuse

Tu m’as tendu tes ailes

Cette nuit

Où mon esprit était parti »

Thierry Rousse

Lundi 26 juin 2023

« Une vie parmi des milliards »