Tout va trop vite, Marcel !

 

Une farce? Non, ce n’était pas une farce. C’était la veille. Mercredi 31 mars 2021. Notre Grand Chef avait pris la parole. Quel bon comédien, notre Grand Chef ! Le solo, une nouvelle fois, avait été écrit à la perfection. Un solo en trois actes. Nous attendions avec impatience ce spectacle. Chose amusante, les journalistes de BFMTV savaient déjà ce que le Grand Chef allait jouer. A leur manière, ils interprétaient en première partie le solo qui serait joué à vingt heures. Une sorte de grande répétition sans l’acteur principal.

Acte I.

Le « nous ». Le Grand Chef se rangeait dans nos rangs. « Nous sommes entrés dans une course de vitesse ». Sans le vouloir, je me retrouvais engagé dans cette compétition. Il y avait pourtant bien longtemps que les courses de vitesse ne me fascinaient plus. Je leur préférais la marche lente, en pleine conscience, la marche contemplative. De quel droit le Grand Chef m’incluait dans cette course? De son ton persuasif, il agitait une nouvelle fois le drapeau de la peur. Faire peur pour nous rassembler. Faire peur pour ne pas nous faire voir le reste comme le manque de lits dans les hôpitaux ou la déforestation massive en Amazonie. Faire peur pour nous laisser nous aveugler par notre propre peur. Faire peur pour ne plus nous donner à réfléchir. Faire peur pour nous faire tout accepter. Même le pire. Même ce qui ne nous était pas dit. »La propagation du virus dans toute l’Europe… Un virus plus dangereux et plus meurtrier ».

Acte II.

Après ce constat effrayant, glacial, exposé par le Grand Chef, nous en arrivions au comportement qui en découlait naturellement. Un comportement que nous devions tous adopter. Une évidence. Un comportement logique qui allait de soi. Comportement. Conditionnement. Mon cerveau était habitué à présent. Il ne me restait plus qu’à le programmer, à moins que le Grand Chef ne l’eut déjà programmé pour moi grâce à son solo hypnotique. « Protéger la vie, au présent, nos malades, au futur, nos enfants ». Pour eux, nous devions fournir un « effort supplémentaire ». Ce qui me rassurait, ce qui me consolait était que je n’étais pas le seul dans le cas. Je me sentais appartenir à une grande famille de combattants. Toute résistance était balayée. Il me fallait courir plus vite que le virus pour gagner la course. Couvre-feu à 19 heures maintenu. Télétravail vivement encouragé. Commerces, fermés. Contrôles renforcés sur la voie publique pour interdire et sanctionner tout rassemblement au-delà de six personnes. Les manifestations étaient de ce fait prohibées. Attestation obligatoire au-delà de dix kilomètres à partir de samedi 3 avril. L’objectif était de limiter les réunions privées, les fêtes. Notre Grand Chef nous expliquait que c’était lors de ces occasions que nous nous contaminions. L’école, quant à elle, n’était pas négociale. Il y aurait cependant trois semaines de vacances à partir du lundi de Pâques pour tout le monde, ou, presque. De quoi digérer les chocolats que nous ne mangerions pas. La course au vaccin serait accélérée. Deux équipes s’affronteraient donc. L’équipe Virus contre l’équipe Vaccin. Ces Jeux Olympiques promettaient d’être passionnants. C’était la « clé pour renouer avec la vie ». La formule était jolie. Notre Grand Chef se lançait dans la poésie pour sauver l’humanité. Sa langue, néanmoins, avait fourché. « Vaccinements ». Un lapsus, aurait dit Freud. Que signifiait cet acte manqué ? Tout ce discours n’était-il que mensonge pour dissimuler l’état déplorable dans lequel se trouvaient nos hôpitaux ?

Acte III.

L’empathie et la délivrance promise. Notre Grand Chef se retirait soudain de notre groupe pour compatir sur notre sort. « Je sais votre lassitude ». Il se confessait même, en nous associant cette fois-ci à son mea culpa: « Nous avons commis des erreurs ». Tout juste après, il reprenait la barre, victorieux. Un Grand Chef n’était jamais vaincu car il était Grand Chef. « Mais nous nous sommes améliorés ». Notre Grand Chef nous montrait la lumière divine après cette longue route rectiligne d’un mortel ennui. A la mi-mai, théâtres, restaurants, cafés seraient progressivement ouverts. Nos efforts seraient récompensés. Je voyais déjà cette belle brune que je savourerais à la terrasse du Café du Port de Trentemoult face aux voiliers enlisés à marée basse. La vie était belle. Notre Grand Chef terminait, comme à son habitude, son solo en apothéose: « Nous tiendrons unis et déterminés, vive la République, vive la France ! « . Aucun applaudissement pourtant. J’oubliais, les théâtres ne laissaient plus entrer le public.

Et Marcel ?

Marcel, je ne l’avais toujours pas retrouvé, mon Marcel, avec sa moustache si élégante, qui fabriquait des savons à Marseille, des savons qui sentaient bon les cigales, les olives et la mer.

En ces temps de restrictions, je rêvais de vacances. Flâner au fil du temps. Jouer dans les jardins. Aimer. Vivre, tout simplement.

« Dis, comment on fabrique des savons, Marcel ? « .

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 1er avril 2021

« A la quête du bonheur ».

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