Le jour d’après le jour d’après

 

« Le Jour d’Après » sortirait le lundi 11 mai 2020 pour le Festival de Cannes.

Un fourgon de paparazzis en pagaille avaient été conviés la nuit en catimini et pyjama party pour une avant-première au Gaumont-Elysée-Muraille.

C’était le plus grand film de tous les films, la production la plus coûteuse de toutes les productions de l’histoire du cinéma, muette et parlante, une distribution hors pair, le must en la matière, des héros par centaines, des figurants par millions.

On déroulerait le tapis rouge forcément sur la Croisette rachetée par les Chinois, forcément, et, il serait long le tapis rouge, long le tapis rouge, long…

Dans les couloirs du Gaumont-Elysée-Muraille, voici ce que le fourgon de paparazzis se racontaient de bouche à bouche. Une souris m’a tout répété ce soir, à 19h44, dans le creux de l’oreille.

Le jour d’après,  les enfants retourneraient à l’école. « Ce n’est pas ce que ma maman m’apprenait ! – Je ne suis pas ta maman ! » . Les enfants manifesteraient, mécontents, à chaque récréation, ils empileraient chaises et tables, et,  avec les craies, dessineraient un baobab au milieu de la cour. « Nous voulons retourner à la maison ! C’était mieux l’école à la maison avec maman ! ». Le Gouvernement finirait par céder. Dès lors, les mamans feraient l’école à la maison.

Le jour d’après, les gens se précipiteraient dans les grands temples de la consommation, rempliraient leur caddy d’ailes de poulets, de saucisses, de steak saignants, grilleraient toutes ces bidoches sur des barbecues géants pour fêter la libération. Les abattoirs reprendraient de plus bel, les volailles, les cochons, les bœufs hurleraient, mais il fallait bien que l’économie reprenne.

Le jour d’après, les usines de masques chinois implantées sur l’Hexagone se multiplieraient comme des grains de riz. « Vous le voulez en quelle taille, Mademoiselle ? J’ai du M, L, du X, du XXXL… En dentelle, vous le voulez en dentelle ? Il vous va à ravir, ce masque, Mademoiselle ! Et monsieur ? En cuir ? Avec des clous ? Comme il vous plaira, Monsieur ! « Chez Zorro-Baguettes, tout est beau ! »

Le jour d’après, des robots sensuels à la poitrine généreuse tiendraient la caisse dans les grands temples de la consommation et les files seraient impatientes. « Tu peux toucher, c’est permis, Fiston ! ».

Le jour d’après, d’immenses affiches publicitaires vanteraient les nouvelles voitures, de véritables capsules hermétiques à tout virus. « Bougez tranquille ! Bougez en auto-capsule comme si vous étiez chez vous ! ». Il n’y aurait plus personne dans les trains, les bus, les métros, et bientôt, ils n’existeraient, les trains, les bus, les métros, tous ces lieux de promiscuité et de sueurs froides. La CGT et FO, non plus, n’existeraient plus, et il n’y aurait plus de grève. Les prix du baril flamberaient mais il n’y aurait plus de Gilets Jaunes aux ronds-points, plus de ronds-points, plus de Gilets Jaunes non plus et tout irait bien. « La pollution ? Quelle pollution ! Nous ne craignons rien avec nos masques et nos auto-capsules éjectables! ».

Le jour d’après, il faudrait consommer pour produire, produire pour créer des emplois, créer des emplois pour consommer, consommer pour nourrir les actionnaires.  Ils n’auraient jamais été aussi gros et riches, les actionnaires. Le Gouvernement leur permettrait de placer leurs millions dans des paradis fiscaux où ils vivraient libres et heureux sans masque. « Embrasse-moi, Chéri ! ». En France, les couples apprendraient à s’embrasser par dessins interposés. Les illustrations du Kama Sutra se vendraient à foison, sous le revers des manteaux. « L’Amour  platonique, le point A du désir ! »

Le jour d’après, il ne serait plus nécessaire d’ouvrir les théâtres. Une nouvelle forme d’art était née. Grâce aux webcams et aux tablettes, les spectateurs recevraient le show de leur choix à la maison, bien au chaud sous la couette, à l’heure désirée. « Chanson, clown, poésie, humour… rien que pour nous, rien que pour nous ! Plus aucun risque de rencontrer l’autre dans la rue,  l’étranger et devoir lui parler ».

Le jour d’après, plus personne ne jugerait utile d’aller au restaurant ou en vacances.  Chacun pourrait trouver les plats des plus grands chefs dans les congélateurs des grands temples de la consommation, et, manger en hiver une choucroute alsacienne au Kenya. « Grâce aux lunettes 3 D, partez où vous voulez, assis dans votre canapé ! ».

Le jour d’après, chacun serait suivi à la trace, grâce à une puce introduite dans un suppositoire obligatoire. « N’ayez crainte, vous ne sentirez rien ! Grand Frère vous protège et vous aime ! ».

Le jour d’après, chacun serait testé et détesté positif, aussitôt expédié en quarantaine, pris en charge par la Brigade Spéciale des Urgences. « Maman, tu as des nouvelles de Papa ? – La BSU ne répond pas, mon Chéri, dors ! – Maman, tu as des nouvelles de Papa ?- La BSU est débordée de cas, mon Chéri, dors !  – Maman, quand est-ce qu’il reviendra, Papa ? – Le jour d’après, mon Chéri, dors et fais de beaux rêves ! » .

Le jour d’après,  les frontières resteraient fermées jusqu’au nouvel ordre proclamé du monde. Il n’y aurait plus d’immigrés à nourrir, plus de guerre, plus de famine puisque nul ne serait rien de ce qui se passe en dehors puisqu’il n’y aurait plus de journalistes en dehors puisque les frontières seraient fermées et que les journalistes seraient enfermés au-dedans.

Le jour d’après, toutes les forêts d’Amazonie, d’Australie, d’Indonésie et d’ailleurs seraient brûlées pour exterminer les pangolins et autres singes et tigres porteurs de virus. « Et les peuples natifs ? – Désolé, on n’a pas pu trier la marchandise».

Le jour d’après, tous les vieux, tous les éclopés, les édentés, les souffreteux de maladies chroniques ne sortiraient plus de leur isoloir, ils auraient la télé, jour et nuit, un casque sur les oreilles et une bonne dose de somnifère.

Le jour d’après ne serait pas comme le jour d’avant.

« Alors… que pensez-vous de mon scénario, Adjudant ? – Appelez Pétula pour qu’elle corrige les fautes, Chef ! »

Après : (Le Petit Larousse de Poche) Marque la postérité. 1- Dans le temps : après dîner.  2- Dans un ordre : se classer après lui. 3- Dans l’espace : la rue après le carrefour. D’après : suivant : le jour d’après. Et après ! : Qu’est-ce que ça peut faire ?

Après : ( Le Petit Rousse de Poche) C’était mieux avant.

Le jour d’après, j’écouterais Hubert-Félix Thiéfaine pour me distraire, quelques mots dessineraient les murs de ma prison dorée, qu’est-ce que ça peut faire? : « Dans la ruelle des morts…Dix milliards de lépreux qui cherchent la pitance…  Je rêve d’avoir été… ».

Le jour d’avant du jour d’après, une dame âgée, venant du chemin interdit, s’arrêtait au Carrefour du Séquoia et me demandait: « Vous l’avez-vu, l’Oiseau ? ».

Thierry Rousse, Nantes, mercredi 15 avril 2020.

7ème récit, 31ème Jour de ConfiNez

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