Avocat de la Vie, Gardien d’un phare (« Ring them Bells »)

 

Ca se compliquait pour Meredith. Une nuit d’ivresse, une nuit de désir, une nuit de folie, dans un pub de Londres. Trop longtemps séparée de l’homme qu’elle aimait, Antoine, resté à Paris, Meredith succomba aux charmes exquis de Nick. «  Je n’ai tellement pas réalisé ce que j’étais en train de faire. Je me suis laissée emporter par mes sens, par une pulsion incontrôlable… Oui, je le reconnais. J’ai désiré Nick. Pire. J’ai pris du plaisir avec lui. Avais-je le droit pour autant de céder à cette tentation ? Quel genre de femme suis-je pour ne pas même être capable de résister à mes instincts ? » (*). Une telle chose aurait pu aussi bien arriver à un homme. Aurait-il eu le même courage pour se l’avouer, se regarder, nu, dans le miroir ? Meredith regrettait cette nuit d’égarement. Elle se voyait déjà perdre l’homme qu’elle aimait si profondément, Antoine. « Nick. N’avais-je pas joué avec lui, me servant malgré moi de lui pour assouvir mes désirs ? Il ne mérite pas ça. Je vais le perdre, c’est certain ». (*). Rose, son amie, racontait tout, cette folle nuit, à Antoine, de retour à Paris. Trois cent quarante sixième page d’un « Love Tour » pour vérifier ses sentiments envers Antoine et en arriver là. Une nuit où les sentiments s’étaient envolés dans les brumes d’une piste de danse. La musique était trop forte, sans doute. Nick, trop beau, ce soir-là. Antoine, trop absent. Invisible. Qui plaiderait la cause de Meredith ? Sa meilleure amie, Rose, l’avait déjà condamnée à perpétuité. « Trahir un homme qui t’aime tant ! ». Meredith ressassait son crime. « Je comprends que ce n’est pas à Antoine que j’ai été infidèle, mais à moi-même… » (*). J’avais commencé la lecture de ce roman au début de ce deuxième confinement. Je n’étais pas encore rendu à la dernière page. Que faisais-je ? Pourquoi étais-je si lent à lire ce roman ? D’autres livres m’attendaient, impatients, une tour de Pise sur ma table de chevet prête à s’écrouler. Je m’arrêtais à chaque paragraphe, je réfléchissais. Parfois, à chaque phrase, à chaque mot. Chaque silence, Chaque vide. Je suivais pas à pas Meredith dans son « Love Tour ».Depuis un mois, je vivais avec elle. J’étais un peu son ange gardien, à Meredith. Les livres offraient tellement de vies. Les chansons aussi. J’aurais aimé savoir parler anglais, comprendre ce que Bob Dylan chantait. Ses mélodies étaient si belles, si douces, que racontaient-elles ? L’arc-en-ciel traversant la Lune ? Une neige scintillante sur deux billets d’un spectacle ? La danse d’un envol ? Litz ? Chopin ? Je songeais à devenir avocat. Peut-être parce que j’étais né un trois octobre sous le signe de la Balance. Un trois octobre mille neuf cent soixante sept, un an avant mai soixante huit. J’étais fier. Sous les pavés, la plage. Un désir de justice. Cette affaire de radiation tournait en boucle dans ma tête et venait s’ajouter aux problèmes de Meredith. Deux vies et plus s’entremêlaient dans ma tête confuse. J’en fis part à mon assistante sociale, car j’avais une assistante sociale maintenant dans ma vie. Mon réseau social s’élargissait. Une période était une période d’essai. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais été radié de mes droits d’avoir essayé un emploi dont les conditions de travail ne me convenaient pas du tout. Mes motifs étaient pourtant légitimes. Cette rupture restait en travers de ma gorge comme un noyau d’avocat avalé avec la chair tendre. J’avais soif de justice, de justice sociale. Une égalité de pouvoir entre l’employeur et le salarié. Le Grand Chef ne nous avait-il promis un « Jour d’après » différent du « Jour d’avant » ? J’enfilais mon gilet jaune. Il n’y avait plus un seul gilet jaune dans la rue, que des masques, des voix étouffées par les règles de la distanciation sociale. Un gilet jaune, et t’embrasser, Dame de la Justice ! Mon assistante sociale m’orientait vers la Maison de la Justice et du Droit à Nantes. Des consultations gratuites. J’appelais. J’expliquais mon cas. « – Venez-en au fait, Madame ! – Je suis un Monsieur … ». J’abrégeais. Je sentais que cette brave dame n’avait point le temps de m’écouter. « – C’est un avocat du droit du Travail que vous voulez ? – Oui, c’est exactement cela, un avocat du Travail ! -Désolé, Ma… Monsieur, nous n’avons pas d’avocat du Travail en décembre . Demandez un bon derrière le Tribunal pour rencontrer un avocat à la Maison de l’Avocat ». Ma voix pouvait être légère. Je devais travailler ma voix. Une grosse voix. Pas une voix d’ange ou d’enfant. La voix de l’homme qui s’affirmait. La voix traçait la voie. J’aurais aimé avoir la voix nasillarde de Dylan, cette voix qui nous baladait des creux aux cimes des vagues. Je pris une voix grave. J’appelais la Maison de l’Avocat. « – Il faut écrire… En ce moment, nous n’avons plus de place… Si c’est urgent, prenez un avocat… – C’est payant ? – Oui. – Je n’ai pas d’argent, c’est justement pour cette raison que je souhaite rencontrer un avocat. – Alors, ce n’est pas possible, Monsieur ». Il m’avait appelé « Monsieur ». Ma voix d’homme des cavernes avait marché. J’étais content. Ma première victoire de la journée. A coups sûrs, je séduirais ma Belle des Bois aux yeux bleus qui me faisait chavirer. Je m’égarais sur le trottoir de mes rêves. Il neigeait et la vie était belle. Un lit de tendresse, des étoiles de baisers, des mots qui vous embrassaient, juste pour le plaisir de vous faire plaisir. Je n’étais pas sorti de mon affaire. Dylan chantait et mes doigts jouaient du clavier suisse. « La Solitude de Genève », un texte que j’avais écrit il y a si longtemps, et que mon professeur, Jean-Luc, éveilleur du Clown qui vit en chacun de nous, avait si bien lu lors du premier confinement. Les flots des mots qui ne cessaient de couler. Un besoin. Une libération. La parole de l’avocat. Existait-il encore un avocat ? Je cherchais dans L’Humanité Dimanche. « Que se passera-t-il lorsque, à la faveur du déconfinement généralisé, toutes les problématiques sociales accumulées émergeront de nouveau ? » (**) s’interrogeait Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme. Toutes les manifestations depuis quatre ans avaient en commun de « se poser la question du monde que l’on veut ». (**). Le sirop des injustices. Le sirop d’un sens à notre vie. Je sirotais les paroles de Stéphane. Bobby commençait à s’agiter. Il avait troqué sa guitare acoustique pour une guitare électrique. Les puristes du folk lui en voulaient. Dire, écrire, chanter la vie des petits gens. Jean était mon second prénom. Thierry, « homme fort » en grec, le premier. Le premier soutenait le second. Un vieux réflexe d’éducateur militant. J’apprenais qu’il était nécessaire d’être un ami pour moi-même. Que ferais-je pour Jean, pour le secourir ? Je serais son meilleur ami. Je me battrais pour rétablir la justice, pour lui, et pour tous les autres gens. « Il y a trop de pour » me fit remarquer ma fidèle correctrice attentive à chaque oubli, à chaque errance. Dylan se calmait. Mes maux s’apaisaient. Je regardais l’océan. Il y avait toujours un phare quelque part. Une forêt et un phare. Un oiseau qui chantait dans mon coeur. Une fenêtre ouverte. Une rose. Un olivier. Un banc au bord d’une rivière. Et, toujours, un soleil dans le phare. La vie était belle, une nuit, à La Chaussée des Moines. Je songeais à devenir moine au milieu des oiseaux et des bois. Confiné dans la plus belle des natures qui soit. Un univers infini d’amour. Emma brillait, de son sourire, au milieu des brebis, et dansait à la lueur d’une étoile filante.

« Dans la vie tribale, on est contraint de ralentir, de vivre l’instant présent et de communier avec la terre et la nature. La patience est un impératif, personne ne semble comprendre le sens de se dépêcher » (***).

Rose avait tout dit à Antoine. Antoine avait appelé à Meredith. Antoine n’avait rien dit à Meredith, rien dit de ce que Rose lui avait dit. Antoine lui avait juste dit : « Je t’aime ». « Celui qui penserait qu’une relation d’amour ou d’amitié ne connaîtrait jamais de difficultés se tromperait lourdement » (*). Meredith continuait de s’interroger sur le sentiment amoureux. L’amour pour la vie existait-il vraiment ? N’était-il pas qu’un conte de Brocéliande ?

Il me restait à lire le dernier chapitre, les retrouvailles de Meredith et d’Antoine à Paris.

A la quête du bonheur, je me disais qu’être « avocat de la Vie » ou « Gardien d’un phare » , c’était peut-être bien après tout…

Le chocolat du soir était la pantoufle du Père Noël. Il me restait à trouver la seconde pour marcher dans la neige jusqu’à l’étoile du Nord, ce phare qui éclairait mes doutes. Ouvrir une autre fenêtre demain.

« Fais sonner ces cloches,

Toi le païen,

Depuis la ville rêveuse,

Fais sonner ces cloches

Depuis les sanctuaires,

A travers les vallées et les fleuves,

Parce qu’ils sont vastes et profonds… » (****)

Thierry Rousse

Nantes

Mercredi 9 décembre 2020

« A la quête du bonheur ».

(*) Raphaëlle Giordano, « Cupidon a des ailes en carton », Editions Pocket

(**) Stéphane Sirot, « L’Humanité Dimanche du 3 au 9 décembre 2020 »

(***) Sobonfu Somé, « Origines, 365 pensées de sages africains », Editions de la Martinière

(****) Bob Dylan, « Ring them bells »

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