Une vie sous contrôle

Vendredi six août deux mille vingt et un.  Je sortais en cette matinée de ma maison. Etrange sensation. Pour la première fois de ma vie, j’éprouvais la sensation de marcher dans un pays où la dictature venait d’être proclamée. Jusque là, la dictature d’une pensée unique était latente. Des lois passées en force habilement  durant l’été pendant que mes pensées étaient occupées à se détendre. Là, mes pensées étaient concentrées sur le verdict des Sages. La sentence était tombée sans aucun dialogue. Pass obligatoire. Je me dirigeais vers mon cinquième test PCR, je crois. J’avais pu obtenir un rendez-vous à dix heures à la Manufacture. Oui, je savais ce qu’on allait me dire. « Tu ne sais pas ce que c’est la dictature, tu ne l’as pas connue, tu serais déjà en prison ». C’est vrai, jusqu’à présent, je n’étais pas arrêté pour mes paroles oumes pensées. Je serais juste arrêté si je n’avais pas mon pass. « Désolé, monsieur, vous ne pouvez pas entrer ». Juste cela et ce « cela » n’était pas anodin. Pour la première fois de ma vie, les Sages me dictaient ce que je devais imposer à mon corps. Cela représentait bien plus que le fait de devoir passer une ceinture de sécurité. Cette loi visait mon propre corps, pour mon bien et pour le bien des autres. Qu’en savais-je réellement si c’était pour mon bien et pour le bien des autres ?

J’arrivais à mon arrêt. Un panneau publicitaire m’informait : « Aujourd’hui, 3500 personnes vont mourir sur la route ». En dessous, je pouvais voir la photographie de Yohan Blake prêt à s’élancer sur la piste, champion olympique du quatre fois cent mètres, champion du monde. Quel était le rapport? Je prenais le bus. Il aurait pu écraser un hérisson et se piquer. Les nuages noirs menaçants, à l’horizon, étaient toujours présents, toujours aussi pesants. Parvenu à ma Duchesse, je glissais de mon Busway à mon Tram. « Manufacture ». Une voix bienveillante me rappelait mon devoir: « Avant de descendre, assurez-vous de ne rien avoir oublié à bord ». Qu’avais-je oublié à bord? Mon étrange sensation de ce matin? Mes soucis ? Mes amours ? Mes désirs et mes rêves de liberté ? Des blouses blanches de la tête aux pieds m’accueillaient.  Où étais-je ? Dans une centrale nucléaire hautement radioactive ? « Mouchez-vous, lavez-vous les mains, baissez votre masque sous le nez, respirez, comptez un, deux, trois » et le tour était joué. La jolie blouse blanche avait introduit avec finesse sa coton-tige au fond de mon narine pour recueillir le subtil nectar. Je pouvais m’en aller habité de mon nouveau suspens. Serais-je positif ou négatif? Je positivais, vagabondant à travers les allées du jardin des Plantes. De drôles de bonhommes distrayaient mes pensées. un arroseur, un siesteur, un passeur, un ratisseur… Tout semblait paisible, hormis un hélicoptère qui ne cessait de tournoyer au-dessus de ma tête. Je me remettais de mon cauchemar. La France était encore un pays libre. Une lecture au coeur du jardin s’offrait à moi. Les « Heures d’été » sous un ciel automnal.  Des barrières encerclaient la lectrice et le public. Je m’apprêtais à pénétrer dans cette clairière en plein air sous haute sécurité.  » -Vous pouvez me le présenter?  » me demandait une seconde charmante jeune femme dans une combinaison d’astronaute. « -Quoi? »  lui répondais-je. « -Votre pass ! « . Cela paraissait déjà banal, une habitude, un réflexe. Je sortais un vieux pass de mon smartphone, le pass du mardi qui fit l’affaire. J’étais autorisé à entrer dans l’espace protégé d’un jardin  écouter une lectrice. Quelle chance ! Je rendais grâce aux Sages pour leur bonté. Citoyen soumis à la nouvelle démocratie. Je n’en demeurais pas moins pensif et profondément mal à l’aise. J’écoutais des extraits de textes de Christian Bobin, de Wajdi Mouawad lus par la comédienne Romane Pénet, des textes qui évoquaient des souvenirs d’enfance, des textes qui pouvaient évoquer la liberté ou le désir de liberté dans l’espace d’un jardin, où, pour être autorisé à écouter ces textes, je devais me soumettre à l’obligation des Sages. La culture,  logeait, dès lors, dans une belle cage à oiseaux. Le paradoxe était là. Je ne me sentais plus à ma place, plus en cohérence avec moi-même et le sens de tout « cela », de tous ces mots. J’attendais la fin.

Un soleil avait été brisé. L’arc-en-ciel le consolait. La résistance se formait. Je la rejoignais. Je sentais déjà les flèches des reproches me transpercer.

 

Thierry Rousse

Samedi 7 août 2021

« A la quête du bonheur »

Tour de passe passe partout le vol d’un oiseau

 

Les « Sages du Conseil constitutionnel » avaient validé « en partie » le projet de loi sur l’extension du pass sanitaire. « En partie ». Quelle était l’autre partie ? De quoi tenaient-ils leur sagesse, ces « Sages du Conseil institutionnel » ? De ces secrets de couloirs? De ces tours habiles de magiciens ? De cette autre partie inconnue qui se jouait dans mon dos ? Paris, ville de tous les paris, ne me faisait plus, depuis longtemps, rire. Je l’avais quittée pour l’océan et le ciel.

En France, l’étoile sanitaire serait obligatoire quasiment partout, le neuf août deux mille vingt et un, partout où je pouvais me retrouver avec d’autres gens, m’amuser, manger, boire un verre, écouter un concert, voir un spectacle… Et tout cela pour mon bien. Tour de passe passe adroit des Sages-hommes qui enfantaient une nouvelle ère de soumission obligatoire. Répétition maladroite des erreurs de l’Histoire.

Les vaccins déjà s’écoulaient sur les places devant les églises comme des petits pains. Ces petits pains croustillants qui m’empêchaient de contracter une forme grave de la maladie, Ces petits pains dorés tout mignons qui ne m’empêchaient pas d’attraper la maladie et de la transmettre à mon voisin. La maladie. Maladie d’amour et de toujours. Goût amer de ces petits pains soldés. Etaient-ils vraiment bons pour mes intestins ? Pouvais-je seulement en parler à mon médecin ? Ou au boulanger qui les avait fabriqués ? Quel boulanger ? Pas de réponse. Mon médecin était une femme en vacances injoignable à cette heure décisive.

Fatalité d’une histoire dont la fin était déjà écrite. Mes maux de tête s’agitaient dans leur bocal. Résister, combien de temps encore ? Ces coton-tiges finissaient par remonter dans mes naseaux de cheval errant, troublant mes pensées, les épuisant. Il me restait pour m’en délivrer qu’une piqûre, le vaccin du paradis injecté dans mes veines. Pénétrer le museau incliné dans le troupeau des Sages-hommes. La peur avait raison de tout. Mon cheval serait apprivoisé, une selle sur les reins, l’air de rien. Les harnais le protégeaient de sa chute finale.

Je le savais. Mes mots, mes faits et gestes étaient contrôlés dans ce drôle de cirque. Ce que je gagnais, ce que je dépensais, ce que j’écrivais, à quelles offres d’emploi je répondais, qui je connaissais, qui j’aimais. Toutes les cartes, de ma carte vitale à ma carte bancaire, tous les réseaux sociaux de mon ordinateur à mon smartphone étaient des toiles d’araignées qui m’encerclaient. Je n’étais pas dupe, je n’étais qu’une mouche. Big Brother m’épiait et je devais marcher dans son rang d’or pillé et d’argent factice bien sagement. La liberté m’était offerte sous la condition de m’y soumettre.

J’étais soumis. Je le criais, je le placardais. Soumis. Enfant docile. Le robot souriait de sa victoire, tenant ma crinière. Je ne sortais plus guère de ma maison. Le temps passait. Je lisais. J’actualisais mes données. Je préparais mes nouvelles lettres de candidature. J’étais le nouveau-né sage obéissant. Tous mes mots-clés étaient décryptés et je recevais aussitôt sur mon fil d’actualités une tonne d’informations sur les maisons, les emplois, les enfants, la sagesse, l’obéissance, la naissance. Je m’amusais à perdre les robots dans le labyrinthe de mes mots codés, croisés, enlacés. Ce mot qui en cachait un autre. Souvenirs de mes camarades résistants sous l’occupation. Je préparais mon exode. Mon exil à travers des plaines sauvages. Ma valise serait remplie de mes rêves. Ainsi, je quitterais la Terre comme j’y étais entré. Invisible à l’oeil nu. Indésirable du monde de chocs.

Voyage sur la ligne verte.

A Nantes, devant l’Opéra Graslin, nous étions conviés à tourner en rond ou à observer les autres tourner en rond. Une paire de patins à roulettes était gentiment offerte à la passante ou au passant pour un voyage sans fin. Tout tournait bien rond. Aucune issue possible. Cercle vicieux. Je n’avais plus faim de ces petits pains rassis. La pluie dégringolait, redoublait de puissance. La canicule n’était pas loin. La fin du monde approchait à grands pas. J’affrontais, seul, ce désastre titanesque. Inspiration de ces architectes contemporains. J’aurais préféré un jardin, une source où nous rencontrer, puiser des mots, des caresses et des baisers devant ce monumental théâtre aux colonnes antiques, inaccessible et fermé à double tours. Juste la maison d’un paysan au bord d’une rivière. Et des oiseaux. Et toi, et le vent. Aucun train, que la vie qui nous regarderait. Correspondance des sentiments et des souffrances dissimulées. Désirs inavoués de deux oiseaux sur un toit.

Je me taisais maintenant. Silence de la solitude et du temps. La pluie avait cessé. La nuit se vêtissait de sa plus belle robe.

« Où es-tu ? Quelle a été ton existence paisible… » (*)

Thierry Rousse

Nantes, Jeudi 5 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Francis Jammes, « Elégie onzième » in « Le deuil des primevères », Poésie / Gallimard.

Le livre d’un arbre

 

De nouveau, il avait plu. Ces gouttes d’eau cognant à ma vitre me réveillaient doucement. Il y avait quelque chose de plaisant à entendre la pluie, une chose tendre qui m’invitait à rester sous ma couette blanche. Un message sans doute des anges. Une chose lointaine. Fallait bien que toute cette eau évaporée par les fortes chaleurs d’ailleurs retombent quelque part ici. Le ciel ne gardait pas ses larmes, il les laissait couler pour guérir.

La pluie me retenait à la maison. La pluie était le repos de mon corps, le repaire de mon âme. Pour sa grâce fragile, je savais l’apprécier, l’entourer de ma chaleur, l’embrasser avec tant de délicatesse. Je la regardais tomber sans la toucher. Le ciel était blanc. La végétation exaltait. J’écoutais les petits bruits qui jaillissaient du silence. Les plus infimes choses prenaient leur importance, me racontaient une histoire. Leur histoire. J’imaginais son passé et son avenir. Le bruit d’une moto ou le bruit d’un marteau. Le bruit des pas sur un plancher. Un ronronnement continu. Quel était donc ce bruit ? Sa voix au bout du fil? Ou des ondes qui nous traversaient chaque jour? Peut-être tout simplement le moteur de mon réfrigérateur ? Ces bruits étaient fort étranges. Le suspens s’installait dans ma chaumière. Ma pipe menait l’enquête. Des volutes de questions. Deux corps enlacés derrière une cloison. Un amour nu confiné. Les moindres bruits menaient à des rêves au-moins exquis, aux jeux de doigts et de pouce-pouce, aux jeux de mots noctambules de savon. Plus rien n’existait de la société, tout s’était arrêté. Le balancier d’une horloge suspendue à mes pieds de nez à nez de clowneries aux éclaboussures de soi-même pas peureux et heureux. Il était temps de sortir. Le miroir d’eau des drapeaux blancs au pied du château de ma Duchesse. L’un m’était offert pour marcher jusqu’à la Place Royale. Marcher contre cette étoile sanitaire que les Chefs, dès lors, nous obligeaient à porter. L’étoile sanitaire qui nous donnait accès maintenant aux concerts, aux spectacles, aux restaurants, aux cafés, et, bientôt, à la vie. Je quittais mon drapeau blanc pour un nuage blanc quand j’appris qu’on assimilait les drapeaux blancs aux militants d’extrême droite. Triste époque des rumeurs, d’un monde qui ne cessait de se diviser, de s’affronter, de se déchirer et d’imposer ses règles, balloté entre des extrêmes qui se rejoignaient.

Une nouvelle fois, je devais reporter mon atelier « Fabriquer son théâtre miniature ». La Guinguette Rêver Sèvre était déserte. Ce marécage automnal m’invitait aussi à reporter ma vie. Après m’être enfilé une baguette entière de chocolat à tartiner dans le corps, je me blotissais dans les lettres qu’un poète avait écrit pour sa muse. Sylvain Bernel jouait avec ses lèvres, deux langues qui se confondaient. De la française à l’anglaise, de l’anglaise à la française. « Mirror Effect, Effet Miroir ». Qu’il était beau de lui offrir ses mots. Emma. Je ne comprenais pas tout à ta poésie et mon incompréhension attisait mon désir de te revoir, savourer ta musique et tes images, tout ce que je pouvais entendre et voir, chaque jour, nouveau, te découvrir te dévoiler à mon coeur. Sensuelle et platonique à la fois.

La technique, de l’autre côté, se rebellait contre moi. Je m’avouais vaincu. Le livre me consolait de ses pages. Passage de l’autre côté du miroir.

Je songeais au castor, seul, au bout de cet arbre couché, déraciné, couché sur le socle d’une tour disparue, la porte Sauvetout. Où irait-il à présent, le castor isolé, depuis que sa rivière était enfouie sous les pavés? Qui le sauverait ? Nous ne pouvions que nous sauver par nous-mêmes. Cela n’avait aucun rapport. Jadis. Le livre d’un arbre. Esclave des hommes. Parenthèse d’amour.

Il me restait la légèreté d’une nuit étoilée de désirs matinaux.

« Tout devient limpide

Le café du jardin

Un soleil dans une tasse

Sur les planches du matin » (*)

Thierry Rousse

Mercredi 4 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Sylvain Bernel « Mirror Effect, Effet Miroir »

La pluie d’Amphitrite

Il pleuvait. Encore. Il pleuvait au milieu de l’été. Sur Nantes comme ailleurs. Des larmes de ciel bleu. Chaleur écrasante. Vent. Nuages noirs. Pluie. Fraîcheur. Nuages gris. Nuages blancs. Nuit. Quelques bribes de nouvelles apparues sur l’écran de mon smartphone. L’actualité me rattrapait. Je courrais. Pas suffisamment vite peut-être. Dans d’autres contrées, des forêts  s’embrasaient du fait de la canicule. Les mots m’encerclaient. On me parlait de la Grèce, de la Tunisie, avant, du Canada. Et encore ? Deux villes où il n’était plus possible de vivre. J’avais oublié leurs noms. L’oubli. Fallait-il oublier?  Tout oublier? Ou tout retenir ? Le monde me submergeait, couche après couche, entre le réchauffement climatique, l’arrivée du Delta Plane, les menaces terroristes, le « Pass » sanitaire, ce protocole dernier-né, dernier cri, nous contraignant peu à peu à nous faire piquer. La couche était pleine. Le bébé hurlait. Qui voulait bien s’occuper de lui ? Quelle sage-femme ? Quel sage-homme ? Un dieu peut-être ? Ou, une déesse ?

J’enquêtais sur les bienfaits et les dangers du vaccin. Les témoignages abondaient dans un sens comme dans un autre. J’étais stupéfait de constater avec quelle virulence, quel mépris, certains vaccinés convaincus par les bienfaits du vaccin s’en prenaient aux hésitants ou aux convaincus des dangers de celui-ci. Stupéfaction et tristesse au milieu d’un champ de guerre. Je regardais la Lune. La Lune à portée de mes mains, la Lune à portée de mon coeur avait toujours au fond de mes yeux ce charme secret, la tendresse d’une caresse que je désirais atteindre. Sitôt sur la Lune à la vitesse Lumière des déceptions et des désillusions, je contemplais avec nostalgie la Terre. Qu’elle était belle cette Terre, abondante de vie, qu’en avons-nous fait ? Je retournais sur ce globe, l’orange bleue des poétesses. Quel était mon rôle de père ? Quelle était ma mission? Petit être éphémère entre deux roses trémières qui pouvait à tout instant disparaître comme un escargot écrasé sous le poids de l’ignorance ?

Marcher encore un pied devant l’autre sur la ligne verte des hommes et des femmes. La revue « Kaizen » me redonnait quelque espoir en l’humanité. Des femmes et des hommes. Des femmes. Des mères. Car, il nous fallait bien encore un peu d’espoir pour nous enlacer et enfanter la vie. Un peu d’espoir sous la pluie qui se brisait sur ma vitre. Et encore ?

Hugo Schiavi sur la Place Royale soudait la ruine, vestiges d’une civilisation victime de ses désirs inassouvis, infinis. Une civilisation rouillée de sa croissance industrielle qui se fracassait contre les corps robustes et sveltes des dieux. Amphitrite, déesse de la mer, avait le dernier mot de ces marins perdus, ivres de conquête, de pouvoir et d’argent. L’eau reprenait sa place. L’eau, mère de la vie, traversait ces lambeaux de ferraille.

Je marchais sur une plage et je me sentais revivre. Un ciel bleu de douceurs. Caresses des grains de sable et de l’écume des vagues. J’en oubliais la laideur du béton pour ne songer qu’à tes yeux. Un reflet d’étoiles. Je tombais d’envies. Une envie de glaces. Regarder la beauté. La savourer. La beauté pure d’une goutte d’eau. L’étoile de mer me souriait. « Pour toi, je suis tombée du ciel ». Déluge d’amour. Port de deux mains réunies.

Il pleuvait. Il pleuvait. Tout ce que la Terre avait à nous dire. « Homme fou, qu’as-tu fait de ce que je t’ai offert, l’alliance de mon baiser? ». J’embrassais les pieds nus d’Amphitrite. « Pardonne-moi, ô, ma mer, toi qui m’as bercé, dorloté, nourri, abreuvé de ton sein délicieux ! ».

Un nouveau test PCR pour être en règle, un goût amer, en règle avec une société dérèglée. Je retournais à mes rêves, la Lune, qui fut jadis une Terre.

Voyage dans le lit d’Amphitrite. Retour aux songes antiques.

Et encore?

A la quête du bonheur…

 

Thierry Rousse

Nantes, mardi 3 août 2021

« A la quête du bonheur »

L’été d’un sourire

 

L’été. J’y étais. Au milieu de l’été. Mes pieds. Ce temps aurait pu être l’été. Un trente et un juillet deux mille vingt et un. Mes yeux. Un goût d’été. Une plage de vacances. Mes lèvres. Tout lâcher et vivre. Mes mains. Vivre et aimer. Mes doigts. Aimer et être libre. Etre libre et voyager. Mon corps. Voyager et danser. Une danse irlandaise ou une tarentelle. Ou une samba. Ou une danse infinie. Une danse que je ne connaissais pas.

Et pourtant ce temps n’avait rien d’un été, ce ciel bleu qui avait peine à durer. Tantôt ce vent de mer, tantôt ce vent de terre agitaient mon âme en friche. De gros nuages noirs pointaient leur nez chargé de larmes entre mes dunes. La menace revenait. Pesante. Flottant au-dessus de ma tête. Quelques dinosaures au-dessus des pins. Sous son nouveau visage. Cette menace au nom enchanteur, Delta. Plane mon âme. Des voix m’annonçaient, chaque heure, une nouvelle hausse des hospitalisations, une « épidémie qui gagnait du terrain ». Les Chefs démocratiques nous imposaient le pass sanitaire, l’arme décisive pour faire reculer l’ennemi. Je devais contrôler dès lors mon semblable ou être contrôlé par mon semblable. Mon semblable était devenu l’autre que je suspectais ou l’autre qui me suspectait. Distanciation sociale. Toi et moi. Nous nous susceptions l’un et l’autre d’être complices de l’ennemi. « Quel ennemi ? Tu le connais? – Non.  » . Plus aucun baiser, plus aucune caresse sur le champ de cette occupation. Chaque corps lentement mourait d’absence de tendresse, tombé dans les tranchées de la méfiance, de l’ignorance, l’indifférence. Il restait le plancher d’une guinguette pour espérer encore une rencontre. Ou un poème. Ou une forêt. Ou une rivière sauvage.

Je regardais mes semblables derrière cette grille. Mes semblables n’avaient pu entrer dans ce théâtre de verdure à Notre-Dame des Monts pour assister au concert d’Abel Chéret. Quelques uns de mes semblables étaient dépourvus du pass obligatoire. Rejetés. Exclus au festin. J’avais obtenu le mien après des heures d’attente, une file interminable devant un minable garage rempli de cartons. Entre deux cartons, une chaise et un coton-tige. Test PCR négatif. J’étais sauvé. Jusqu’à quand ? Sauvé pour quarante huit heures. Sauvé jusqu’au jour où je devrais accepter ce vaccin. Etre obligé. Etait-ce pour mon bien? Qui pouvait me certifier que ce vaccin était bon pour mon corps?

Qui ?

Je regardais l’océan. L’île d’Yeu. Je rêvais de retourner sur l’île d’Yeu. Les bateaux se croisaient au loin. Souvenirs d’une eau transparente. Il me restait mes souvenirs. Les souvenirs d’un temps libre. Je songeais aux êtres sur le fil de la vie. Ces êtres que des experts disaient condamnés. Ces êtres, pourtant, qui prenaient soin d’eux-mêmes, de leurs proches, des objets qui leur étaient chers. Ces êtres qui savouraient chaque instant du temps, chaque instant de vacances.

Je cherchais dans mon dictionnaire « Vacance : situation d’une charge, d’une place, d’un poste momentanément dépourvus de titulaire ».

Mon poste dans la société était vacant. Je retournais à l’existence universelle.

L’été, j’y étais.

J’avais été. J’avais aimé. J’avais été aimé. J’avais vécu. Je vivais maintenant sur le fil de la vie. J’avais tout à apprendre. Tout à apprendre d’un été. Un sourire. Rien qu’un sourire.

Thierry Rousse,

Nantes, samedi 31 juillet 2021

« A la quête du bonheur »

Les vacances

Des perles de pluie, au milieu de la nuit, s’invitaient. à nouveau, sur Nantes, pendant que s’embrasait l’île idyllique de Chypre. Drôle de début d’été. Si cette pluie insatiable avait pu au moins éteindre le grand incendie d’une pure merveille…

Ce que j’apprenais dès lors du monde n’était que pur hasard, au détour d’une conversation, d’une interrogation: « Comment vont la Terre et l’humanité ? ». Rien de réjouissant.  Notre Chef de la Santé faisait planer une nouvelle menace sur nos têtes, un variant nommé Delta annoncé pour le mois d’août.

Quelle misère, quel chaos, je me disais. Si encore, ce Delta était  celui du Nil, un air de croisière touristique… Ces Chefs, décidément, ne me faisaient plus rêver. Jamais, ils n’avaient su nous donner l’élan d’une nouvelle vie fondée sur la sobriété et le respect de la nature. Ils voyaient encore la relance de l’économie par une consommation inassouvie. Ils en étaient restés à l’ère capitaliste qui menait l’humanité à sa perte fatale et à l’enrichissement d’une grappe d’idiots égoïstes.

Cet élan de survie, je l’avais trouvé par moi-même. Je n’attendais rien de leurs discours vide de sens. Tout ne pouvait être que désolation de leurs mots  car rien en leur programme politique n’était animé de l’essentiel, de ce qui nous faisait vivre, l’amour.

J’étais dans ce monde mais je n’étais plus de ce monde.

J’étais parti. Absent. En vacances. Nul ne savait où j’étais. Etre invisible. Qui me regrettait ? Qui m’aimait ? Qui se souciait de moi ?

Un ange passait.

Ses ailes étaient douces et fragiles, hurlantes comme un rock métallique devant Le Ferrailleur, facétieuses comme une comedia dell arte, Tutti Quanti, sur les berges de la Sèvre. Je retrouvais ce fameux Pantalone qui pouvait encore me faire rire de son avarice.

Tout était urgent et tragique.

Je me réfugiais sous une caresse, un baiser, disparus tous deux. Envolés vers les cieux. J’étais amoureux des étoiles qui m’avaient donné ce souffle. Le paisible village des pêcheurs de tendresse. De l’autre côté du fleuve sauvage.

Le linguiste, lui, disséquait les mots de Diamanka et je n’y comprenais plus rien. La poésie parlait au coeur, non à la raison.

Les vacances m’étaient vraiment nécessaires. De très longues vacances. Des vacances éternelles…

 

Thierry Rousse,

Nantes, dimanche 4 juillet 2021

« A la quête du bonheur »

 

 

 

 

 

 

Une halte salutaire

Je ne savais plus ce qui se disait là-haut. Depuis un bon moment, je n’avais ni acheté les journaux ni écouté les actualités à la radio. Etais-je devenu une autruche, la tête enfouie dans le sable?  Ce qui se racontait sur les autruches. La tête dans le sable. Dans le sable. Château de sage.

Je posais ma tête sur ma table de chevet parsemée de grains de sable invisibles.

Mon corps avait besoin de silences infinis. Simplement n’écouter que les chants des oiseaux ou les voix des poètes. Simplement, n’écouter que la douceur des coeurs dans leurs joies comme dans leurs peines qui se dévoilaient à travers une beauté délicate qui les élevait.

L’horizontalité était dès lors mon horizon quotidien. Dans ce nouveau monde, tout prenait sens à mes yeux, simplicité, profondeur et générosité.

Un jardin partagé, une guinguette, une scène ouverte, un chemin au bord de l’eau, un marché local coopératif, une rencontre avec Souleymane Diamanka, l’adoration à l’intérieur d’une église, La Madelaine, en face du Bar de l’Isle.

« Laissez le soleil sécher vos larmes… » (*)

Tout cela était bon, tout cela était vie.

La verticalité appartenait à un vieux monde voué à disparaître de ses inepties, de son orgueil et de sa folie.

Les sourires, peu à peu, rejaillissaient dans les rues.

Les masques tombaient de lassitude.

Certains se réfugiaient encore derrière eux avec une peur qui les assaillait, les tourmentait, les tiraillait.

Les vaccins épuisaient certains corps redoutant la seconde injection.

Mes mains, elles, résistantes et militantes, semblaient n’aspirer qu’à une seule chose,  tenir la main à l’éternité.

Danser sur les ailes des oiseaux.

Combien de mots improvisés, chuchotés s’étaient envolés ? Seul, le ciel connaissait nos jardins secrets.

Une halte salutaire., une ronde dans l’univers.

 

Thierry Rousse,

Nantes, Mercredi 30 juin 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Souleymane Diamanka, « Habitant de nulle part, originaire de partout », édition Points Poésie.

 

 

 

Douceurs des soirs d’été

 

J’entendais depuis les fenêtres ouvertes des cris d’exclamation, des commentaires, puis des « oh » de désolation. Que se passait-il en ce mardi soir , le 15 juin 2021 ? Qu’avais-je râté dans la vie de ma Nation ? De retour de ma promenade sur les bords de la Sèvre à cueillir les éclats du soleil, j’interrogeais ma voisine dans l’obscurité de sa maison. J’étais rassuré. Rien de grave. Rien qu’une coupe d’Europe de football. La France résistait contre l’Allemagne. Les Gaulois, unis, avaient retrouvé, fiers, leur coq victorieux.

Nous étions déconfinés, libérés de notre maître. La chaleur estivale avait définitivement chassé la froideur d’une distanciation sociale que nos Chefs, sous couvert de leurs experts, nous avaient imposée. Toutes nos habitudes ou presque, avaient rejailli, hormis se déplacer sans cet épouvantable masque qui m’étouffait et que je détestais. Les terrasses des cafés et des restaurants, de nouveau accessibles, m’apparaissaient comme des oassis de liesse. J’avais hâte d’y accoster. Echoué à une table, je pouvais enfin ôter mon masque et contempler le monde qui me dévoilait ses beautés cachées. Mille et un sourires.

La distanciation sociale avait accompli avec soin son travail dévastateur. Ma Muse avait disparu au loin parmi les étoiles, entre la Grande Ours et la Petite Casserole, et je causais avec ma nouvelle compagne, tantôt brune, tantôt rousse, tantôt blonde, une jolie bière artisanale, l’un de ces doux péchés qui enlaçait nantaises et nantais. Cette bière me semblait fidèle, toujours au rendez-vous. Je savourais ses lèvres avec lenteur. Une joie trop rapide pouvait se laisser envahir par une brume nostalgique. La prudence était la sagesse du bonheur. Je suivais, loyal, ma ligne verte.

Des retrouvailles avec les guinguettes de la Loire, La Cantine et Quarante Pieds… Un retour au Petit Café de Rezé avec ses chaleureuses tablées autour d’un groupe de musique. De nouvelles rencontres aussi. Cette guinguette sur les bords de la Sèvre, un rêve qui devenait réalité. Ou encore, La Station Nuage sur l’île Forget, ou la péniche de La Folle Barge jouant avec candeur dans son bassin. Nantes était la ville de tous les plaisirs. Cette femme, étonnante et séduisante, regagnait, jour après jour, soir après soir, une à une, les marches de son arc-en-ciel.

Mon livre à la main, j’aimais m’asseoir à l’une de ces terrasses, lieux uniques et multiples, ou, m’allonger sur l’herbe au bord de l’eau pour lire Brel. Le grand Jacques était cet homme de tous les plaisirs à la quête d’un bonheur absolu. Je me délectais de ces mots et de sa vie trépidante. Ce fou d’amour, peut-être, parfois trop exigeant.

Les Gaulois, eux, étaient soulagés, la France s’était imposée.

J’avais gagné mon île de quiétude. Toute solitude invitait à un cheminement spirituel. Au fond, c’était quoi le bonheur ? L’amour ? L’amitié ? La vie? La mort ?

La poésie d’un paysage ouvrait le coeur de l’âme, l’éblouissement d’un visage invisible à l’oeil nu.

Je n’avais pas marqué de but. J’étais sur la touche à observer la vie.

« Une île au large de l’espoir, où les hommes n’auraient pas peur… » (*)

Thierry Rousse,

Mardi 15 juin 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Jacques Brel « Une île »

Une folle journée

 

Venait ce calme de la fin de journée. Ce silence. Un silence qu’il ne fallait pas fuire. Pas remplir de musiques ou de voix. Accueillir ce silence. Plus j’accueillais ce silence, plus je pouvais l’entendre. Ce silence avait beaucoup de choses à me dire. Ce silence, au fond, était très bavard. Il me racontait ma journée. Il en gardait le meilleur, ce qui m’avait rendu heureux. Il en oubliait le reste, ou, peut-être, il en riait. Ce silence me disait que je devais considérer les vicissitudes de la vie comme un grand jeu d’énigmes à résoudre, de défis à relever, ou encore, comme un chemin initiatique qui me permettait de grandir. Je songeais à ces bottes de géant que j’avais vues, en ce lundi de Pentecôte, au milieu d’un potager urbain près de la Cantine.

Mobi m’avait pris la moitié de ma matinée à renouveler sa carte, sans aucune certitude de sa part que je l’obtienne. Tout dépendait de Paul Emploi. Paul m’avait occupé la seconde moitié de la matinée. Paul me réclamait des attestations d’employeurs que ceux-ci n’avaient pas complétées et adressées. Ces indispensables attestations qui permettaient à l’identifiant de prétendre à une maigre indemnisation.

Mes droits s’effilochaient et mes devoirs s’épaississaient. J’avais à justifier de mes recherches d’emplois du premier novembre 2020 au premier mars 2021. Mon emploi d’animateur dans les écoles et mes activités liées au théâtre ne semblaient pas exister aux yeux de Paul. Paul s’obstinait à me caser là où il devait me caser. Paul obéissait aux ordres du Grand Chef qui l’employait et l’évaluait sur ses résultats. « – Alors, mon Paulo, combien as-tu casé d’identifiants aujourd’hui pour faire tourner ma société de consommation ? ». La consommation entraînait la croissance comme une machine infernale qui nous liait. Le Grand Chef aux manches blanches retroussées ne voyait que par elle et ses folies. La fin de l’humanité n’était pas un sujet qui le concernait.

M’aider à vivre de ma passion n’était pas dans les attributions de Paul. Ma passion ne l’intéressait pas. Si je voulais vivre de ce qui m’animait, cela me regardait. Je devais me débrouiller seul comme je pouvais dans la durée qui m’était impartie. Quand la fin de partie retentissait, il me restait à décrocher des petits boulots mal rémunérés et aux conditions de travail laissant à désirer pour espérer, dans le temps disponible qu’il me restait, vivre de ma passion. Marquer un but et attirer vers moi l’attention des autres. Leurs félicitations, leurs encouragements, leurs recommandations. Dans la cour de récréation, je semais et cueillais des petits cailloux comme le petit poucet sur son chemin. Les bottes du jardinier étaient encore trop grandes pour moi.

Au coeur de ce silence, à chaque fin de journée, je savourais ces petits cailloux. Cette belle salle qui avait été mise à ma disposition gracieusement, en ce mercredi 26 mai 2021 après-midi, pour répéter « Mon Pot’Agé » avec un chanteur-accordéoniste. Autre petit caillou du jour, cette réponse de la directrice d’un théâtre à ma demande de résidence de création pour « Le p’tit grain de sable ». Quel bonheur ! Il me restait ça, ces petits cailloux de soleil qui brillaient sur le chemin de mon coeur.

Paul avait fini sa journée et appelait son épouse : « J’ai besoin de me divertir ! On sort, chérie ? » .

Paul m’avait ignoré, jeté à la poubelle, rangé dans sa case. Paul, maintenant, voulait voir un spectacle dans un théâtre. Je lui offrirais le spectacle de ma vie. Un bol de riz qui me souriait.

Comme chaque soir, dès lors, du silence jaillissait le chant des oiseaux. J’avais droit à ce sublime concert que m’offrait la nature. Ces notes étaient si douces, si apaisantes comme des doigts sur les fils du temps. Mes derniers espoirs d’une folle journée. Quelques mots imparfaits sur mon clavier, juste pour laisser une place au possible.

Ce nouveau livre m’attendait: « Dévotion » de Patti Smith.

« J’écris les arbres, une succession de huit enchaînés, l’attrait magnétique de l’amour ». (*)

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 26 mai 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Patti Smith, « Dévotion », Folio Gallimard.

Le souffle du jardinier

 

Pas après pas, il me semblait, de nouveau, goûter à la vie d’avant. Une vie d’avant qui ne serait pas tout à fait comme avant puisqu’elle était présente. Une vie qui avait perdu sur le champ de guerre quelques unes de ses couleurs, qui en retrouvait d’anciennes, qui en découvrait de nouvelles.

Depuis plusieurs jours, le vent soufflait avec force sur cette renaissance, amenant dans un même quart d’heure, gros nuages noirs, pluie abondante, fraîcheur, ciel bleu, soleil, douceur. L’humeur du ciel était décidément perturbée. J’en ignorais la cause véritable. Etait-il en colère? Triste? Amer, le ciel ? Ou désirait-il une bonne fois pour toutes chasser ces tourments, ces souvenirs éprouvants? Le temps d’un grand ménage. Les dieux avaient peine à s’accorder. Il y avait de la querelle dans l’air. « Atmosphère, atmosphère…  » Faire face au vent était épuisant. Le vent me rendait fou. Je préférais être poussé, entraîné par lui à marcher, qui sait, à m’envoler:

Je laissais au repos ma voiture pour emprunter mes pieds et me laisser transporter par eux à travers les allées, les trottoirs, les escaliers, les trains, les bus, les tramway, les bateaux.

Je goûtais au premier concert de la ré-ouverture du Petit Café de Rezé avec Marcovitch, l’accordéoniste, et ses airs des Balkans, dans une ambiance conviviale.

Je goûtais à la première rencontre organisée par la Maison des Correspondances poétiques que j’avais la joie de co-animer. Bambou nous avait gentiment accueilli sur la terrasse de son magnifique jardin. Nous étions dix, réunis en cercle, à partager des mots et des sourires. Dix à sauver le monde !

Je goûtais à mes retrouvailles avec le Lieu Unique à travers l’exposition, enfin, accessible et visible sans écran interposé: « Université des Futurs Africains ». Le jeune homme à l’accueil me renseignait sur le programme. Les propos des artistes me paraissaient alléchants. « L’exposition invite une vingtaine d’artistes du continent africain et de sa diaspora qui remontent dans le temps pour déconstruire les clichés sur le rapport de l’Afrique au futur et se demandent de quels savoirs et de quelles histoires nous avons besoin pour comprendre et imaginer les mondes de demain ». J’étais impatient d’entrer et de découvrir cette Afrique de demain. Les plantes disposées à l’entrée me laissaient présager le meilleur. Hélas, j’allais de déception en déception. Une multitudes d’écrans, d’images juxtaposées, d’ondes brouillées, de zapping, de propos incompréhensibles dans un brouhaha continu d’où ressortaient quelques éléments issus de notre monde, des pierres disposées en cercle évoquant les menhirs de Carnac et le culte des morts, des poutrelles agencées les unes aux autres pour former des cabanes hexagonales aux murs de fils, un monticule d’ordinateurs désossés, des câbles qui pendent, un individu, affublé de drôles de lunettes, vivant dans une réalité virtuelle… Dans ce chaos ici présent, où se trouvait le Futur de l’Afrique ? Une Afrique que je voyais comme la décharge d’une société occidentale dépendante de sa surconsommation de mots, d’images, de concepts ésotériques, d’informations, de messages, une société obsolète qui avait perdu toute sa beauté, toute sa simplicité. Une société bruyante, incapable de s’entendre et de s’exprimer avec clarté. Dans le Futur de l’Afrique, je ne percevais plus l’Afrique, si ce n’est une Afrique avec des masques traditionnels, des pierres, deux cabanes et quelques plantes. L’Afrique m’était nouvelle, inconnue, également tourmentée par un vent qui soufflait avec force. La folie semblait guetter l’avenir, de la Terre jusqu’au ciel. Où trouver un chemin paisible ? Je sortais déçu, frustré. Ma joie était retombée.

Je marchais le long de la Loire. « 40 pieds ». Le temps d’une pause à cette guinguette ré-ouverte à son tour, parmi des visages d’arbres, face à un vieux escorteur militaire accosté jusqu’à la fin de ses jours au Quai de la Fosse. Le Musée de la guerre. Existait-il un musée de la Paix ?

Je rejoignais à quelques pieds la Gare maritime. Une longue fil d’attente. Du jamais vu. Pour attendre un Batobus qui se faisait tant désirer sous un vent glacial. J’apprenais la patience. L’espérance. Bientôt, je serais au port des pêcheurs, sur l’île du passé, de ces bonheurs qu’on aimait revivre. Juste un triangle à effacer, d’un commerce peu éthique ni équitable.

Il me restait ce Lundi de Pentecôte à ré-inventer. Le vent agitait encore le ciel. Pas de repos pour l’Homme nouveau. Et la Femme ? La Femme connaissait la valeur de la vie. Le jardinier avait disparu. Il restait ses bottes. L’esprit soufflait. Faire de nos vies une caresse, un sourire, une prière. La Cantine retrouvait vie. La Brasserie, aussi, de l’autre côté du fleuve. Imposante. Vue imprenable sur les flots mouvementés. Suivre la ligne verte. Une Lune. Bondir comme un enfant sur les rêves. L’éléphant s’était caché, endormi. Avait-il retrouvé son pays? Ses racines ? Le Grand Manège tournait. Quelques gens traversaient le vent avec détermination. D’autres, sous les Nefs, dansaient la capoiera. La danse du combat. Une libération. Il en était, ainsi, de tant de vies, qui, pas après pas, ré-apprenaient, comme elles pouvaient, à exister, entre nuages noirs et ciel bleu.

Thierry Rousse

Lundi de Pentecôte, le 24 mai 2020, Nantes

« A la quête du bonheur ».