Une folle journée

 

Venait ce calme de la fin de journée. Ce silence. Un silence qu’il ne fallait pas fuire. Pas remplir de musiques ou de voix. Accueillir ce silence. Plus j’accueillais ce silence, plus je pouvais l’entendre. Ce silence avait beaucoup de choses à me dire. Ce silence, au fond, était très bavard. Il me racontait ma journée. Il en gardait le meilleur, ce qui m’avait rendu heureux. Il en oubliait le reste, ou, peut-être, il en riait. Ce silence me disait que je devais considérer les vicissitudes de la vie comme un grand jeu d’énigmes à résoudre, de défis à relever, ou encore, comme un chemin initiatique qui me permettait de grandir. Je songeais à ces bottes de géant que j’avais vues, en ce lundi de Pentecôte, au milieu d’un potager urbain près de la Cantine.

Mobi m’avait pris la moitié de ma matinée à renouveler sa carte, sans aucune certitude de sa part que je l’obtienne. Tout dépendait de Paul Emploi. Paul m’avait occupé la seconde moitié de la matinée. Paul me réclamait des attestations d’employeurs que ceux-ci n’avaient pas complétées et adressées. Ces indispensables attestations qui permettaient à l’identifiant de prétendre à une maigre indemnisation.

Mes droits s’effilochaient et mes devoirs s’épaississaient. J’avais à justifier de mes recherches d’emplois du premier novembre 2020 au premier mars 2021. Mon emploi d’animateur dans les écoles et mes activités liées au théâtre ne semblaient pas exister aux yeux de Paul. Paul s’obstinait à me caser là où il devait me caser. Paul obéissait aux ordres du Grand Chef qui l’employait et l’évaluait sur ses résultats. « – Alors, mon Paulo, combien as-tu casé d’identifiants aujourd’hui pour faire tourner ma société de consommation ? ». La consommation entraînait la croissance comme une machine infernale qui nous liait. Le Grand Chef aux manches blanches retroussées ne voyait que par elle et ses folies. La fin de l’humanité n’était pas un sujet qui le concernait.

M’aider à vivre de ma passion n’était pas dans les attributions de Paul. Ma passion ne l’intéressait pas. Si je voulais vivre de ce qui m’animait, cela me regardait. Je devais me débrouiller seul comme je pouvais dans la durée qui m’était impartie. Quand la fin de partie retentissait, il me restait à décrocher des petits boulots mal rémunérés et aux conditions de travail laissant à désirer pour espérer, dans le temps disponible qu’il me restait, vivre de ma passion. Marquer un but et attirer vers moi l’attention des autres. Leurs félicitations, leurs encouragements, leurs recommandations. Dans la cour de récréation, je semais et cueillais des petits cailloux comme le petit poucet sur son chemin. Les bottes du jardinier étaient encore trop grandes pour moi.

Au coeur de ce silence, à chaque fin de journée, je savourais ces petits cailloux. Cette belle salle qui avait été mise à ma disposition gracieusement, en ce mercredi 26 mai 2021 après-midi, pour répéter « Mon Pot’Agé » avec un chanteur-accordéoniste. Autre petit caillou du jour, cette réponse de la directrice d’un théâtre à ma demande de résidence de création pour « Le p’tit grain de sable ». Quel bonheur ! Il me restait ça, ces petits cailloux de soleil qui brillaient sur le chemin de mon coeur.

Paul avait fini sa journée et appelait son épouse : « J’ai besoin de me divertir ! On sort, chérie ? » .

Paul m’avait ignoré, jeté à la poubelle, rangé dans sa case. Paul, maintenant, voulait voir un spectacle dans un théâtre. Je lui offrirais le spectacle de ma vie. Un bol de riz qui me souriait.

Comme chaque soir, dès lors, du silence jaillissait le chant des oiseaux. J’avais droit à ce sublime concert que m’offrait la nature. Ces notes étaient si douces, si apaisantes comme des doigts sur les fils du temps. Mes derniers espoirs d’une folle journée. Quelques mots imparfaits sur mon clavier, juste pour laisser une place au possible.

Ce nouveau livre m’attendait: « Dévotion » de Patti Smith.

« J’écris les arbres, une succession de huit enchaînés, l’attrait magnétique de l’amour ». (*)

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 26 mai 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Patti Smith, « Dévotion », Folio Gallimard.

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