Sous les flocons de neige de nos enfances

 

Le froid s’invitait en ce mardi 9 février 2021. La neige au matin dansait sur Nantes. Un goût de vacances d’hiver, rien qu’un goût. Je n’aurais point cette joie de contempler les toits de ma ville enneigés. Je ne sortirais ni ma luge ni mes raquettes. Je ne verrais ni les cerfs ni les renards. Ca tombait bien, je n’avais ni luge, ni raquettes, et il n’y avait ni cerfs ni renards dans les rues de ma ville. Une journée banale somme toute. Des heures de pluie torrentielle dégoulinant sur le bitume. Le ciel en avait du chagrin. Ses larmes étaient glaciales. A la radio, des voix se faisaient entendre pour la réouverture des musées. Entrer au chaud dans le passé d’oeuvres exposées au regard. Réconforter notre coeur. J’aimais l’ambiance feutrée des musées, une façon comme une autre de m’extraire du présent ou de le savourer en contemplant un tableau de Monet parmi tant d’autres. Je n’étais pas le seul individu solitaire dans ce cas. Nous battre contre un ennemi invisible finissait par nous lasser. Une envie de nous réunir à un mètre de distance les uns des autres se faisait ressentir. La règle était respectée, et nous pouvions, de nouveau, dans l’intimité d’une maison, chanter, jouer de la musique, raconter des histoires, lire des poèmes au coin du feu. Un dimanche flamboyant d’humanité autour de délicieuses crêpes. En temps de guerre, nous retrouvions la simplicité du bonheur en l’attente de la réouverture des musées. Notre cas n’avait rien d’anormal.

Entre deux week-end, deux écoles, je retrouvais mon cher Diderot à la médiathèque de Rezé. Quel livre lirais-je les jours suivants aux enfants? Je préparais avec soin mes séances. Le bonheur se logeait dans l’attention que nous portions à chaque chose. Prévoir, organiser tout en accueillant l’imprévisible. Nous étions des soldats pacifistes et riches de bonnes intentions envers nos semblables. L’ennemi pouvait rôder sans que nous le sachions. Le masque était notre seul bouclier. Comment dire à un enfant de maternelle qui me tendait ses mains : « Tu restes à un mètre de moi »? Je remerciais mon masque de Zorro tout en le maudissant. « O toi, masque qui me protèges et m’étouffes ! « . Je m’efforçais de l’oublier. Diderot guidait mon regard: « Je serai cet humain qui aime et qui navigue ». La pêche de ce jour était bonne : un grand livre illustré de Franck Prévot et Stéphane Girel s’offrait à mes yeux.

Un pêcheur avec sa casquette de pêcheur, et son polo rayé de pêcheur avec de gros biscoteaux de pêcheur au premier plan. Derrière, l’océan, des rochers dans l’océan, des mouettes dans le ciel, un bout de terre, une maison et trois arbres sur le bout de terre. Au loin, un enfant avec une épuisette se penchait. Il semblait avoir découvert un trésor. Au bout de la plage, un phare. Le décor du bonheur était planté. Je tournais la page suivante.

L’enfant rapportait au vieux pêcheur son trésor : un magnifique coquillage d’où jaillissait un sublime arc-en-ciel. L’enfant portait de larges bottes, trop larges pour ses guibolles, et le vieux pêcheur des petits souliers, bien trop petits. Comment pareils biscoteaux pouvaient tenir sur de tels souliers ? Anomalie d’un dessin, fidélité d’un destin ? Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant se faisaient dos sur ce bout de terre. L’enfant contemplait son coquillage. Le vieux pêcheur contemplait, pensif, l’océan. Deux solitudes tournées vers leur joie ou leur tristesse respective ? Je tournais la page suivante.

L’enfant montrait le coquillage au vieux pêcheur qui ne le regardait que d’un oeil sous sa caquette bleue de vieux pêcheur. Sur la nacre du coquillage, étaient inscrits ces mots: « Ecoute-moi ». Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur grimpait sur une dune où était échoué un bateau. L’enfant le suivait. Une large distance les séparait l’un de l’autre. L’enfant tenait en ses mains son coquillage. L’enfant se détournait pour regarder son coquillage. L’enfant ne regardait pas devant lui, mais derrière lui. Ce coquillage appartenait-il au passé ? Je tournais la page suivante.

L’enfant avait ôté ses larges bottes et était confortablement assis dans un fauteuil avec son ami le coquillage. Le vieux pêcheur portait un tablier et tenait, d’une main, un fouet, de l’autre main, un torchon. Préparait-il des crêpes ? Tout laissait à le supposer étant donné que nous étions dans une cuisine. Sur une table, se trouvaient deux bols et au milieu une théière. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur venait s’asseoir sur le fauteuil, juste en face de l’enfant. Un joli coeur était dessiné entre eux deux. Un monde imaginaire les entourait. Je tournais la page suivante.

Le monde imaginaire s’enrichissait de lanternes chinoises, de fleurs et plantes aquatiques. Le vieux pêcheur se penchait vers le coquillage. Commençait-il à y prêter attention? Je tournais la page suivante.

Toujours ce bateau échoué sur la dune et dans le ciel de la nuit, les lanternes chinoises. Le vent avait sculpté la dune qui ressemblait à une vague géante. Des traces de pas nous menaient au bateau. Je tournais la page suivante.

Deux ancres, leurs flèches dirigées l’une vers l’autre comme formant un coeur d’acier. Dans ce coeur, le bateau de la dune, sa voile blanche hissée, rencontrait un voilier tout blanc sur un chemin de lanternes au milieu de l’océan émeraude. Je tournais la page suivante.

L’enfant était agenouillé sur un tabouret. Le vieux pêcheur était allongé dans son lit, sous sa couverture. Un bonnet avait pris la place de sa casquette. L’enfant lisait une lettre au vieux pêcheur. Le coquillage était à présent entre les mains du vieux pêcheur. Le vieux pêcheur avait le regard pensif. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant, chacun dans leur lit respectif, dormaient. Le coquillage était posé près de l’enfant. Les rayons de l’arc-en-ciel traversant le hublot de sa chambre les baignaient tout deux d’une lumière si douce et apaisante. Sur le bord du lit, des livres, un avion miniature et une mappemonde. (*)

Le mystère demeurait. Que disait cette lettre? Quel histoire racontait-elle? Une page du passé échouée sur la plage d’un musée ?

Je contemplais cette page blanche qui me consolait sous les flocons de neige de mon enfance.

L’intimité des chambres me touchait tout autant que les ambiances feutrées des musées.

« Je serai cet humain qui aime et qui navigue ».

Le confinement tenait bien au chaud tous nos petits bonheurs du passé, tous les flocons de neige de nos enfances, toute l’écume de nos icebergs sous les ponts qui nous reliaient.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 9 février 2021

« A la quête du bonheur »

(*) d’après les illustrations de « Je serai cet humain qui aime et qui navigue » de Franck Prévot et Stéphane Girel, Edition Hongfei

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *