Omicron, 69ème dose et cocotte solidaire

 

Ca picotait. Ca picotait sur le bout de mes doigts. Sensation de fourmillements désagréables. Comme une partie de moi-même qui se détachait de moi. Ruptures. Un mal incisif qui gagnait du terrain. Morcellement. Mon corps m’alertait. Je ne pouvais plus guère laisser glisser le bout de mes doigts sur l’écran de mon smartphone à consulter les vagues des actualités mondiales, tous les messages reçus par Sms, Mails, sur Messenger ou sur WhatsApp. Plus je persistais à toucher les touches tactiles de ma fenêtre, plus mes picotements s’intensifiaient et prenaient du temps à disparaître. Je me déclarais vaincu. Je désactivais la Wifi et les données mobiles, me déconnectais de la planète Internet, rassemblant les parties de mon corps encore vivantes. La douleur peu à peu s’apaisait. Je retrouvais une certaine unité, un être pacifié.

Plus je diminuais mon temps passé sur les réseaux sociaux, plus je pouvais me consacrer à la lecture et aux moments de la vraie vie, celle des rencontres physiques, comme ces repas les mercredi midi à la Cocotte Solidaire, ou, ces « ça me dit de la poésie ensemble ». Instants précieux. Je remerciais au fond ces picotements. En temps de guerre, nous nous cachions comme nous pouvions dans les derniers lieux où il faisait encore bon vivre.

Je savais pourtant qu’Omicron me regardait, m’épiait, m’écoutait, qu’un jour, il me dénoncerait, m’exilerait au fin fond des zones oubliées. Je ne serais plus qu’une page blanche, des mots effacés pour toujours. Micro, O, avait les crocs de ses ondes, ondes de micros dissimulés, cro-magnon gnon gnon, non, non, Omi n’était pas mon ami, Omi grognon, ogre de Micron, ordre nouveau d’une guerre intergalactique, 69ème dose de ces plaisirs interdits. Un corps parcouru de piqûres qui ne pouvait plus exister sans elles. Un corps qu’on avait transpercé, cloué sur des croix abandonnées. Un corps qui ne pouvait plus vivre par lui-même, un corps qu’on avait su rendre dépendant de la Haute Autorité Mondiale. Un corps, des corps déchus, délaissés. Regards croisés, perdus, enlacés de larmes. Etincelles d’espoirs au firmament de l’eau. Tourbillons. A la quête d’un bonheur que nous touchions du bout de nos coeurs. Ile de calligraphies d’amour. Danse, vertige d’un désir défendu. Vague de caresses à travers le monde. Cas contacts. Négatifs. Positifs. Mis à l’écart. En attente. Tentes d’exilés. Fuir. S’enfuir. Sans fuir. Vivre. Vivre encore et malgré tout.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 8 décembre 2021

« A la quête du bonheur »

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