L’intemporel nez rouge

 

Cinquante quatre ans. Pour la première fois, j’assumais le poids de mes années.

Des années qui ne voulaient plus dire, à mes yeux, grand chose, j’appartenais déjà à l’éternité si légère. Le monde était devenu si compliqué, je l’avais quitté. Même mon chauffage, je n’y comprenais plus rien. Tantôt, bourrasque du pôle nord, tantôt bourrasque du désert. Un bruit assourdissant. A souffler ainsi, n’était-il jamais fatigué ? Quand pourrais-je m’endormir ? Je rêvais du silence. Entendre les étoiles briller.

Pas encore fini. Tous mes papiers à refaire. Le labyrinthe de la galère. Tout ce temps que j’aurais pu utiliser autrement. Ainsi était cette vie en société que j’abordais, aujourd’hui, comme un grand jeu, histoire de la rendre plus attrayante. Faire de ma vie un théâtre. Croire en la comédie de la vie même si au fond elle n’était qu’une tragédie. J’avais appris sa fin alors que je n’étais qu’un enfant. Un jour, je serais mort. Un mot qu’on m’avait enseigné. Ce mot qui faisait peur. Ce mot qu’on évitait de prononcer. Montaigne n’avait-il pas écrit: « Vivre, c’est apprendre à mourir »? A partir d’un certain âge, l’on devenait sage. L’on savourait chaque instant pour suspendre le temps, ou, tout au moins, le ralentir. Goûter encore un peu à cette joie de l’existence. Puis, commencer à rassembler mes affaires, me préparer pour le grand jour de mon départ. J’en ignorais la date. Je voulais être prêt. Mon costume serait-il propre ? Sans tâche ? Mon coeur et mon âme, élégants ? Ma voix, limpide et claire, douce à entendre ? Que je puisse au moins laisser derrière moi un bon souvenir, quelque utilité à l’humanité, quelque tendresse, quelque beauté. Un nez rouge. Quelques baisers, quelques rires. Un sourire.

Vivre l’instant. Poser ma tête. Jouer, jouer comme un enfant. Toujours prêt. Accueillir. Prêt à jouer. Dire oui. Oui à la joie. A la liberté de penser. Etre capable de tout. De ces règles, m’en amuser. Je n’étais jamais seul. Regarder mon pied, j’avais déjà un partenaire de jeu infini. Ou le trait d’un carrelage. Ou une chaise, ou, toi. La brise ou le chant d’un oiseau pour m’évader. Les fondamentaux d’un nez rouge. Creuser, toujours creuser. D’un trésor à un autre trésor. Fouilles inépuisables. L’archéologie des clowns. Mimétisme et surenchère. Crescendo et decrescendo. Dos à dos. Nez à nez. Naître à l’enfant que j’étais. Un coquillage sur une plage. Collioure, un soir d’été. Des pleurs salés comme l’océan. L’appel d’une sirène. Le visage d’une reine.

« Les murs, ça n’effraie que ceux qui restent plantés devant ». (1)

Je lisais les « Lettres d’Amour d’un soldat de vingt ans ». Je retournais prendre des cours de théâtre. Tout simplement, pour retrouver ma jeunesse, un dernier élan vers le ciel. Entre ce qui était prévu et l’inattendu. Des livres. Trente mille livres sur des étagères. Une Maison de la Poésie au coeur de la ville. Discrète derrière ses colombages. Jusque là inconnue à mon âme. Il me restait quelque chose à apprendre, des choses qui me retenaient à la vie, à vous et à moi-même. La branche d’un arbre centenaire. Des racines qui parlaient aux murs. J’appuyais sur la touche « Arrêt » et j’écoutais les étoiles briller entre les fissures. Enfin.

Thierry Rousse,

Nantes, mercredi 13 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) « Lettres d’Amour d’un soldat de vingt ans », Jacques Higelin, Edition Le livre de poche

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