Les résultats sont bons ( « mais tout peut repartir… »)

 

En ce lundi 16 novembre 2020, le Chef de la Santé annonçait derrière son masque noir : « Nous reprenons le contrôle, on tient bon, mais ne lâchons rien, tout peut repartir ! ». Sur Fip, Neil Young chantait une chanson de son album « Harvest », un album fétiche de ma jeunesse. Tout pouvait donc repartir. Nous tenions bon la barre. Gestes barrières. Distanciation. Masques. Savons. Gel. Les résultats étaient bons. Quelques indisciplinés pouvaient suffire à faire repartir les chiffres à la hausse. On avait repéré quelques fêtards dans le quartier. Qui les dénoncerait aux Brigades des Mille pas ? Le petit virus sans abri continuait à se faufiler entre nous, discret, en quête d’une maison et de nourriture pour survivre. Deux entreprises revendiquaient avoir trouvé le vaccin. Elles s’affrontaient sur le ring du fric. Qui aurait la belle part du gâteau pour protéger la population mondiale ? Qui serait le libérateur officiel de nos vies ? Les Gaulois étaient méfiants. « Je suis en bonne santé et on va m’injecter ce virus pour en être protégé ? ». Les vaccins, ce n’étaient pas, à vrai dire, mes meilleurs copains. J’avais des doutes sur l’intégrité de ces Romains à la conquête de ma santé. Etais-je l’un de ces irréductibles Gaulois à la pointe bretonne? J’aimais les crêpes. Y-avait-il un rapport ? « Tu seras vacciné de gré ou de force , tel est ton destin !». Une attachée commerciale finirait par me convaincre, de ses lèvres pulpeuses mâchant du chewing-gum, que c’était pour mon bien, appuyant sur ma corde sensible, la « peur de mourir », ou, me culpabilisant : « Vous pouvez tuer les autres si vous ne vous faites pas vacciner » . Avais-je le choix ? Les non-vaccinés seraient montrés du doigt comme des pestiférés ou des assassins. Je me rassurais, ce déferlement de vaccins n’était pas pour demain. Peut-être pour le sur-lendemain. Une journée de répit pour réfléchir. J’attendais mes résultats, ceux prescrits par la docteure : cancer, diabète, cholestérol, sida… Non, pas le Covid, « pas besoin » m’avait-elle répondu. Chaque jour, mourraient des gens à l’hôpital. C’était curieux, le Chef de la Santé ne parlait que de ceux qui mourraient du Covid. Pas de chance pour les autres. Ils mourraient dans la plus totale indifférence médiatique. Les petits commerçants fermés n’en pouvaient plus de ces grands supermarchés ouverts. Ils revendiquaient leur « Black Friday ». La ruée vers l’or commencerait le 27 novembre, piétinant tous ces virus indésirables. Mes pensées se brouillaient, comme un nuage qui en chassait un autre. J’étais tombé dans la toile de la génération « Zapping ». J’avais la sensation que tout tournait autour de la santé et de l’argent. Il me restait à construire un récit cohérent, une suite logique à mes mots, la douceur d’un chalet en montagne, loin du monde, un feu de bois peut-être, des brebis, peut-être aussi, l’ombre d’Emma, une vie, une vie simple, peut-être.

Les résultats étaient bons ce matin, Tout était présent dans mon assiette : le café, la pomme, la tartine beurré, le fromage blanc. Tout pour commencer la journée en bonne santé. Mais, tout pouvait repartir, je ne devais rien lâcher. J’avais de bons compagnons, mais tout pouvait repartir. Tout. Repartir. Le Chef de la Santé me rappelait cette précarité du bonheur. cette fragilité de la vie. Ma vigilance était de mise, me tenir à chaque petite chose. Coeur fidèle. Continuer mon rangement. Trier, structurer, organiser, répartir toutes ces paperasses par dossiers. Je commençais à y voir plus clair. En bas, l’emploi, d’un coté, à gauche, la santé, de l’autre, à droite. Sur l’étagère du haut, le théâtre. En repos. Juste en dessous les chaussettes et les caleçons. Il fallait bien leur faire une place, aux chaussettes et aux caleçons. Les livres avaient envahi presque toutes mes étagères. Je devais porter une autre définition de l’essentiel. Je savais que tout pouvait repartir, s’écrouler sous la tornade du temps. Mon corps n’était qu’éphémère, comme une vieille voiture. Je passais en révision, depuis 2015, tous les deux ans. Mes pièces tenaient bon. Certes, je n’étais plus la « Formule Un » que j’étais. L’avais-je vraiment été ? Certaines fois. Les autres fois, j’étais plutôt hérisson ou escargot, avançant lentement mais sûrement sur le chemin de la vie. Je rêvais d’une mort vers cent vingt ans environ, à l’ombre d’un olivier, histoire de me convaincre que j’avais toujours vingt ans. Mourir tranquillement en dormant, la plus belle mort, disait-on. Une cigale se poserait sur ma joue. Pour l’heure, il était question de mes dents, et cela me prit bien tout l’après-midi en appels téléphoniques. Ces fameux implants, le must en la matière, n’étaient ni remboursés par la mutuelle, ni par la CPAM, à croire qu’il fallait un compte en banque dodu pour être doté de jolies dents. Aux autres, les dentiers des sans-dents. Y-aurait-il des bons et des moins bons vaccins ? Tout pouvait repartir, je ne lâchais rien. Plutôt le désir de vivre que la peur de mourir. Je m’endormirais en vivant. Les résultats seraient bons. Un nuage en chasserait un autre.Le ciel serait bleu d’étoiles, cette nuit. Un aviateur sèmerait ses roses au-dessus de la baie de Cassis…

Thierry Rousse,

Nantes,

Lundi 16 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine ».

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