Les montagnes russes et bretonnes

 

C’était un mercredi « 13 », un mercredi 13 octobre 2021. Un début. Un milieu. Une fin.

« 13 », ce chiffre « 13 » pouvait porter chance. Chance ou malheur. Trêve de plaisanterie. Ridicule. Jeu de mots.

Le vent soufflait. Il soufflait vraiment fort le vent en cette nuit. A croire que les dieux étaient en colère, qu’ils se disputaient un trésor sur leur lit de noces enflammé. Une simple scène de ménage entre Mars et Vénus qui se renvoyaient la balle, la vulgaire planète Terre. Avis de tempête. Alerte rouge. Qui voulait en assurer la garde depuis que l’humanité en avait pris le contrôle?

La Cour du Roi Soleil l’avait une nouvelle fois emporté à la majorité, une nuit où la plupart de ses sujets étaient assoupis. Quelques voix opposées, fatiguées, qu’on avait fait taire de bâillements. Les chiffres depuis des jours étaient en baisse. Curieusement, cette nuit, les chiffres grimpaient à nouveau au rideau d’un théâtre grotesque. La menace était de retour, la vigilance était de mise. Notre bon Roi Sauveur veillait sur nos âmes avec son bâton de gendarme. Les trois coups du glas avaient sonné. Les pleins pouvoirs de sa Cour soumise à son charme seraient reconduits au delà du 15 novembre jusqu’au 31 juillet 2022. Versailles pourrait continuer à édicter ses lois sans l’avis du Parlement. Les Médecins n’avaient guère droit au chapitre, ni Guignol. Le Roi Soleil était devenu notre unique Médecin.

Le provisoire s’installait jusqu’à ce que nous finissions par nous y habituer. L’extraordinaire deviendrait notre ordinaire. Il y aurait un rhinocéros dans ma maison et il ferait partie de mon quotidien, aussi banal qu’un chien. J’en serais rendu à ma mille et unième piqûre.

Que pouvais-je faire contre tout ça, contre la fatalité des dieux, contre la tragédie de l’apocalypse ? Transi sur le pic de ma montagne entre deux descentes vertigineuses, la peur de mourir d’un virus d’un côté, la peur de mourir d’un vaccin de l’autre, il restait peu de place à ma vie. Je me hâtais à rejoindre mon repaire sous le toit de l’univers. Dormir, m’extraire de cette fête foraine morbide. Rêves, cauchemars, insomnies, pensées ressassées. Lire. Ecrire. Ecrire juste pour laisser une trace de cette brève quand mon corps se métamorphoserait en parcelle de terre. Une trace de résistance, une trace de liberté. Que deviendraient mes pages ? Boules de papier froissé jetées au feu par notre Roi ? Sujet inconnu. Epoque révolue. Je demandais juste qu’un petit olivier soit planté sur ma simple tombe de terre au milieu des landes au bord de l’océan. Un temple en plein air où s’émerveiller de la beauté de l’univers.

Il manquait, certes, à cette nuit de tempête mille et une mélodies romantiques. J’allumais mon transistor. Alter Nantes FM. FIP avait disparu mystérieusement de mes ondes. Les notes d’un piano, d’un violoncelle tombaient du ciel, doux flocons caressant mes lèvres. J’oubliais déjà le « 13 ». La chance, je me l’offrais. Mars se réconciliait avec Vénus. Tous deux, ils viraient l’humanité pour n’en garder que sa beauté, l’enfant chéri de leur vie, un renard, un petit prince et une rose. Vénus brûlait la couronne du Roi. Mars renvoyait la Cour à sa campagne pour lui apprendre à observer les étoiles. Au-moins, là, sans la soif du pouvoir, elle se tiendrait sage.

Une Fest Noz aux accents orientaux m’attendait à présent au milieu de mes rêves. Je remerciais mon transistor. Les montagnes de la Bretagne étaient si belles. Les fées de Brocéliande charmaient mon coeur guéri. 

« Béranger:

Ils sont tous devenus fous. Le monde est malade. Ils sont tous malades ». (1)

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 22 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) Eugène Ionesco, « Rhinocéros », édition Gallimard

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