Les irrésistibles villages gaulois

 

Forcément, si les chiffres augmentaient, c’était à cause des non-vaccinés. C’était eux, eux, aujourd’hui, les gladiateurs dans la fosse aux lions que César et ses légions pointaient du doigt. Euh… Forcément, ce n’était surtout pas ceux qui détruisaient les forêts ni ceux qui menaient des recherches secrètes dans les laboratoires. Surtout pas. Forcément, c’était ces gaulois, ces insensés, ces rebelles qui étaient devenus l’ennemi que les gens sensés devaient combattre, exclure de la société. On avait bien crucifier ce Sage, Jésus, un être de vérité et d’amour. Forcément. Forcément, l’accès à la chambre de mon père à l’Ehpad m’était défendue. Forcément. Auparavant, je pouvais lui rendre visite en étant masqué ou derrière une vitre. Forcément, le masque et la vitre n’étaient plus suffisants. Forcément, il y avait les vaccins à présent. Forcément. Forcément, la seringue m’attendait et sa douce substance, inconnue. Je demandais qu’on puisse lui donner au-moins son téléphone. Forcément, son téléphone était toujours posé loin de lui si bien qu’il ne pouvait jamais l’attraper. J’appelais mon père dans le hall d’accueil. Mon père se trouvait à peine à vingt mètres de moi dans sa chambre. Vingt mètres qui nous séparaient l’un de l’autre. L’hôtesse d’accueil m’indiquait un salon à l’abri de tout regard où je pourrais poursuivre ma conversation téléphonique. Plus personne ne me voyait. Je pouvais pleurer loin du monde. Isolé de tout. Forcément, tout cela était dans la norme. Forcément, tout le monde ne faisait qu’obéir à César, forcément. Le mensonge était la vérité. Forcément.

Les chiffres nous gouvernaient. Enfin, certains chiffres qui arrangeaient bien César. Des victimes de la malnutrition ou du cancer, nul n’en parlait. Ce sujet n’intéressait guère César.

César n’était rien d’autre qu’un Ubu cynique et charmeur. César était notre bon Père de la Patrie, le protecteur, le sauveur qu’on vénérait. Enfin, qu’une majorité vénérait. Une minorité résistait encore par amour du vivant. Rien n’était plus naturel que les plantes. Qui croyait encore aux Sages ? Nombre de connaissances ancestrales nous avaient été cachées au cours de notre éducation, de notre conditionnement à cette société pensée par César. Forcément, le dentifrice, c’était dans une tube en plastique. Forcément, la mousse à raser, c’était dans une bombe, forcément, jusqu’au jour où je découvris que le dentifrice solide existait et que je pouvais me raser avec un savon et un rasoir jetable qui me durait des mois si j’en prenais soin en le passant aussitôt sous l’eau. Forcément, les tribuns de César m’avaient coupé de toute connaissance technique pour me rendre dépendant de leur marché économique. Forcément, ils ne m’avaient pas dit que c’était simple de me procurer de l’énergie grâce au soleil et au vent qui ne coûtaient rien, que je pouvais boire aisément l’eau du ciel, ou encore, que je pouvais construire moi-même ma maison à base d’éléments naturels peu coûteux. Forcément, cela n’entrait pas dans la logique de César. Forcément, cela ne rapportait rien dans ses caisses. Forcément, la cité de César n’avait rien de naturel, d’honnête et de pacifique. Forcément, ses jeux de cirque étaient cruels. Ses mensonges ne menaient qu’à des songes sanglants.

Il restait quelques îlots de réfractaires. Forcément, les légions obéissaient aux ordres de César pour les encercler, les appauvrir, les rendre impuissants. Forcément, il était de plus en plus ardu aux résistants de trouver une parcelle de terre et d’obtenir un permis de construire pour s’affranchir de la folie de ce pouvoir conquérant. Forcément, les gens qui aimaient la nature, la simplicité d’une vie heureuse représentaient une menace pour l’ordre établi. Forcément. Ces gaulois puisaient dans une plante leur pouvoir d’être en vie et de résister à leur oppresseur.

A quoi pouvait donc ressembler une vie simple et heureuse ? N’était-ce point une vie où j’assumais tout ce que je vivais, où je me sentais reconnaissant des êtres qui m’avaient aimé, où je me sentais heureux de les avoir aimé, une vie où nos instants de joie et de tendresse partagés restaient pour toujours gravés dans mon coeur comme autant de joyaux qui l’illuminaient et l’ouvraient au monde. Une vie parsemée de bougies où toute fausse note n’avait d’autre dessein que de m’élever vers la beauté d’une flamme. Rien qu’une flamme.

Mes forces, au soir, lentement diminuaient. Il me restait ça de la vie, cette force vraie, palpitante, d’un Amour infini.

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 18 novembre 2021

« A la quête du bonheur »

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