Les derniers jours de l’année

 

 » Tiens, il y a longtemps que je n’ai pas écrit « . Me dire ces mots à moi-même. Me poser cette question :  » Ecrire, mais pour quoi dire ?  » J’avais épuisé, semblait-il, tous mes sujets. Mes Muses avaient disparu quelque part sans rien dire. A peine aperçue, Emma, sur la petite place de mon village. Portait-elle encore son bonnet rouge, Emma ? Emma n’était qu’une statue blanche qui reposait là au milieu d’un jardin en hiver. Alors, me fallait-il encore raconter tous ses jours ? Reporter de guerre, jusqu’au bout ? Une guerre dont je ne voyais guère la fin. Monsieur Julon, Monsieur Casse-Tête et Monsieur Verquoi nous faisaient part une fois de plus des nouvelles menaces qui planaient au-dessus de nos rêves en ces jours de fêtes. Histoire de ne pas nous faire oublier l’ennemi et de convaincre les derniers anarchistes de l’utilité des doses qui enrichissaient Monsieur Blizer. Bientôt cent milliards de chiffre d’affaires. Un record en si peu de temps pour un produit pharmaceutique expérimental. La vie avait-elle un prix ?

Las, j’abandonnais le sujet du prix de la vie.

Les déclarations officielles de notre trio de choc étaient décidément consternantes. Pas question de repousser la rentrée scolaire dans ces lieux considérés comme des hauts lieux de contamination. Nous attendions, simples soldats, de repartir au front avec notre casque de doses et nos masques à gaz. Telle était notre destinée. Les trois Messieurs dans leur palais avaient bien préparé leur discours persuasif. Monsieur Blizer les saluait en coulisses :  » Bon travail, les p’tits gars !  » . Les derniers anarchistes seraient matés.

Il me restait encore ces derniers jours de vacances pour respirer. Qu’il m’était bon de rendre visite à une amie de soixante quinze ans qui rayonnait toujours de sa jeunesse d’esprit et de corps. Prendre le temps d’échanger, de m’émerveiller devant toutes ces décorations de Noël qu’elle avait pris soin d’installer un peu partout, sur chaque meuble. Des maisons, des lumières, des animaux et des enfants heureux. Partager de délicieux repas avec elle. Marcher à ses côtés, sur les chemins d’une campagne vallonnée, si paisible et déserte. Regarder Arte et ces reportages passionnants sur les chanteuses, les chanteurs, les actrices, les acteurs qui avaient marqué toute une époque : Mireille Matthieu, Edith Piaf, Yves Montand, Maurice Chevalier, Ava Gardner. Nous interroger sur  » La Princesse aux pieds nus « . Avait-elle véritablement connu le bonheur ? « . Revoir  » Les Choristes « , rire et pleurer, pleurer et rire. Tout se finissait bien. J’aimais les vies qui se finissaient bien. Franchir les tempêtes jusqu’au ciel bleu. L’enfant ne serait pas seul.

Je retrouvais Emma, fidèle à ses arbres. Un nouveau livre m’attendait :  » Nourrir la Vie « . Je découvrais enfin la vérité, presque, toute la vérité. Durant combien d’années avais-je empoisonné mon corps de caféine, de gluten, d’alcaloïdes, de métaux lourds, d’O.G.M., de mano-particules, de toxines de produits morts, en fermentation ou en décomposition, d’aliments dénaturés, cuits, trop cuits, brûlés, grillés, frits, d’aliments irradiés. . . ? Monsieur Julon, Monsieur Casse-Tête et Monsieur Verquoi s’étaient bien gardé de m’en parler. Bouches cousues sur les ennemis de mon corps. Toutes les maladies étaient le fond de commerce de leur ami, Monsieur Blizer. Les bien-portants seraient traqués. Je hissais mon drapeau, une dernière fois.

« Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !

Feuillages jaunissants sur les gazons épars !

Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature

Convient à la douleur et plaît à mes regards ! » (°)

Thierry Rousse

Nantes, mardi 28 décembre 2021

 » A la quête du bonheur « 

(°)  » L’automne « , Lamartine in  » Méditations poétiques « , Poésie / Gallimard.

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