F R O N T I E R E

F r o n t i è r e

Fièrement je te traverse

J’aime tes mille visages sur ton visage

J’aime tes rires

J’aime tes pleurs

J’aime tes doutes

J’aime tes colères

F r o n t i è r e

J’aime tes lumières

J’aime tes nuits

J’enjambe tes fleuves de mots déversés

F r o n t i è r e

Je traverse avec mes jambes de géant tes ponts

Car rien n’existent que tes neuf lettres invisibles

Si je les ai bien comptées

F r o n t i è r e

Que tes neuf lignes arbitraires

D’errances et de guerres

Tracées à la craie noire du sang

Que la première pluie de la Terre effacera

F r o n t i è r e

J’ose ta différence

Les poches percées

Un clair de Lune dans ma besace

Et plein d’étoiles sous mes pas

F r o n t i è r e

J’ose ta rencontre

Comme un aimant qui m’attire

Je m’enivre de tes mille saveurs

Je me remplis de ce qui me manque

F r o n t i è r e

J’aime ce qui me bouscule

Ce qui vient de loin

Des fêlures

Des coeurs mis à nu

Au détour de tes rues

De tes tours

Sous tes étagères

F r o n t i è r e

Je suis un étranger à moi-même

Un lieu unique

Absent

Transparent

Un tas de sales gosses

Une bande de saltimbanques

La part inconnue de mon être

Que je découvre chaque jour

Chaque nuit dans chaque pays

Imaginaire

F r o n t i è r e

Je suis le stylo

Je suis la feuille

Je suis l’encre oubliée

Riche de toi

Un végétal

Un animal

Un enfant

Devant tes yeux

Blessé

F r o n t i è r e

Au soir de mon chaos

« La grande vie »

M’apaise

Ton livre ouvert

Christian Bobin

Tes mots, encore tes mots, toujours tes mots

Je te lis à l’infini

Lié à ton désir

Noué à mon désir

Homme et femme

« J’ai cherche un abri, un lieu humain. Je l’ai trouvé…

C’est une chose bien dangereuse que de lire »(1)

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 3 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Christian Bobin, « La grande vie », édition Gallimard

Espace(s) chuchotés

Par une pluie glaciale

Je traversais les espaces

Les parkings

Les allées

Les ronds-points

J’allais à l’atelier des images

Qui m’attendaient sans étoiles

L’art contemporain

Avait toujours cet art de me renvoyer à rien

Me souvenir de rien

Ne rien comprendre à ce que je voyais

A ce que je lisais

N’être rien

Qu’un regard perdu

Et pourtant

Il me restait peut-être

Une image

Une sensation dans ce rien

Peut-être même deux images ou trois

Une vidéo

Un mot

Peut-être même

Fallait-il tout ce rien autour

Cette incompréhension de ma part

Devant bon nombre d’images

Pour que l’une d’entre elles me touche

Me percute le coeur

Que j’arrête là devant elle mes pas

Un homme nettoyant le carrelage de sa maison

Ce qu’il lui restait de sa maison

Ces carreaux

Soigner le peu oublié pour exister

Aux portes de sa cité

Ce qui lui restait de beau

Ce qu’il aimait

Lui

Cet homme

Hors du temps

Un autre homme sur une scène

Frappant le plancher de ses claquettes

Exister par le bruit que je faisais

Occuper l’espace de mes sons

Le remplir de mes questions

L’espace existait-il sans ma présence

Que devenait-il sans moi

Seul livré à lui-même

Inachevé

En démollition

En construction

En devenir

Une échelle ?

Qu’étais-je dans cet espace

A la fois figé et mouvant ?

Je lisais à présent des lettres minuscules

Un étrange dialogue

L’histoire d’un camion

De ses paysages traversés

Aucun visage

Que deux voix qui se répondaient

Quelques mots là encore qui me percutaient

Une histoire d’amour, de souffrance, d’errance

Une quête infinie

Un exil

Des frontières encore à traverser

Jusqu’à l’océan

Et puis finir

Par un théâtre

Qui s’ouvrait sur une forêt

Profondeur des espaces

Qui m’appelaient

De ce que nous avions construit et démolli

Tout nous ramènait au fond à la nature

Là où tout avait commencé

De ce que nous avions fait de la matière

Un espace

Dont les étoiles étaient tombées sur Terre

Jusque dans nos yeux

Jusque dans nos corps

Nous étions les étoiles gravitant

A travers les espaces

Les parkings

Les allées

Les rond-points

Par une pluie glaciale

Autour d’un point crucial

L’atelier d’une vie

Le désir d’une rencontre.

Thierry Rousse

Nantes, 24 février 2023

 » Une vie parmi des milliards »

Espace(s) par le Centre Claude Cahun, L’Atelier, Nantes – photographies de Claire Chevrier et du Frac des Pays de La Loire

Il était une fois au Chat Noir

Il était une fois

Parce que les histoires commencent toutes

Ou presque

Par « Il était une fois »

Il était une fois

Des flammes incandescentes

Voire presque indécentes

Un nuage de pensées

Flottant

Vaporeux

Au dessus de la foule

Des grands jours

Des cheveux en l’air

Des mèches éméchées

Oscillant entre le rouge et le jaune

Des barrières

Des frontières

Sur les voies de nos tramway

Entre nos Duchesse et Médiathèque

Un air de révolution

Dans la rue du Chat Noir

Des gens bons qui s’enlaçaient

Et buvaient les étoiles

Scintillantes

De la nuit

Et là

Sur un bout de table

Tout au fond d’une cave

En face d’un syndicaliste désespéré

J’écrivais

Ou plutôt

Je griffonnais

Je sortais mes griffes silencieuses

Comme un chat peureux

Du ciel

Une pluie d’obus

Encerclait les gens bons

Collerettes se déchiraient

Larges sourires se décomposaient

Garçons filles

Nez rouges ne riaient plus

Visages étaient blancs

Et ciel bleu

D’un bleu livide

Dégoulinant

Au fond de ma bière

Ambrée

Les gens bons grimpèrent

Au-dessus des montagnes de verres

A clamer au ciel leur infortune

La pâleur des nuages était confuse

Appelant à sa rescousse Frangin Soleil

Qui entonnait ses sempiternels refreins

Presque punk à cette heure

Enfin

Des flonflons des gens bons

Gilets rouges gilets jaunes

C’est la vie qui s’emballe

C’est la vie qui s’amuse

Boutons noirs boutons rouges

C’est la vie qui explose

C’est la vie qui s’embrase

Un chemin de passion

C’est les cris c’est les pleurs

Le malheur le bonheur

Petit Jean qui pleure

Toutes ses larmes de joie

Des flonflons des gens bons

Gilets rouges gilets jaunes

Il était une fois un Chat Noir.

Thierry Rousse

Nantes, 23 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

Le repos de la nuit

Le repos du guerrier

A se battre

Pour rester en vie

A la surface du monde

L’heure de rendre ses armes

A la frontière du jour et de la nuit

Eteindre l’écran de son ordinateur

D’heures de travail accumulées

Préparer les draps de son lit

Et s’y glisser pour une autre vie

Qu’il m’est doux de franchir cette frontière-là

A l’heure où le soleil se couche derrière les toits

Accueillir l’éclat d’une Lune peut-être toi

Comme une lueur qui veillera sur mes rêves

Un regard apaisant

Le baume de tes pensées

Les pages d’un livre

Doucement tournées

De l’autre côté d’un mur

Ta main qui écrit

Les fissures

Et les rires de ton coeur

Les silences de la nuit

Des trains qui s’arrêtent

Des voitures

Puis des pas

Instant fragile

Avant que les réverbères ne s’allument

Dernier repos du guerrier

Les nuits sont courtes

Au coeur des villes

« Nous n’emporterons rien avec nous dans notre ultime voyage » (1)

L’ombre de nos nuits

L’ombre de nous-mêmes

Une sihouette d’âme évanescente

Un peu partout

Un peu ailleurs

Parfum des mimosas

Un peu de ton enfance

Qui danse

Dans l’obscurité

Cette fois mille fois désirée.

Thierry Rousse

Nantes, lundi 20 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Gaëlle Josse, « L’ombre de nos nuits », édition J’ai Lu

La fin du chapeau

La vie

On pouvait dire

Elle était comme un livre

La vie

Ou comme des livres

La vie

On tournait des pages

La différence

Sans doute majeure

Etait qu’on pouvait revenir

A ces pages qu’on avait tournées

Dans un livre

Et pas dans la vie

Non

Pas dans la vie

Un 31 décembre 2013

Ma voiture chargée à bloc

Avec le dernier de mes chats

Je quittais mon village médiéval

Où je demeurais

Château-Landon

Et mon métier d’éducateur spécialisé

Que j’exerçais

A temps partiel

Depuis que j’avais débuté

Celui de comédien professionnel en 2007

Je partais

Pour la Vendée

Direction l’océan

Changer de vie

Changer de temps

Un air de liberté peut-être

Ou les larmes de la déception

Des regrets

Des grains de sable

Ou

La quête du bonheur

La musique des coquillages

Le puits des fous

De nouveaux chemins

Et des allers-retours

Entre La Roche-Sur-Yon et Paris

Pour jouer encore un peu Harpagon ou Le Malade imaginaire

Temps d’illustres comédies

Que je jouais depuis plusieurs années

Dans la cour de châteaux prestigieux

Devant un public nombreux et conquis

Vêtu de costumes comme à l’époque

Vaux-le-Vicomte, Fontainebleau, Chantilly

Là où Molière avait joué

Dans des théâtres de verdure ou des salles à l’italienne

Et là où il n’avait pas joué

Les centres culturels des villes nouvelles

Nostalgique en partance vers Pézénas

Marchant dans ses traces

Sur le parvis du Palais des Papes

Et au Théâtre des Corps Saints

Lors du Festival d’Avignon

Ou, dans les écoles, les collèges

Les festivals

Comme

De Cap et d’Epée à Richelieu

Ou encore les villages de vacances

De Soustons à Courchevel

Du Mont Dore à Chamonix

De Ramatuelle à la Corse

Ou encore chez l’habitant

Et même aux portes du désert

Dans une villa sur les collines d’Essaouia

Partout des applaudissements et des rires

Et pourtant

En 2016

Je tournais une nouvelle page dans ma vie

Je quittais cette compagnie

Qui m’avait hissé

A ses heures glorieuses

Après avoir dû choisir

Entre jouer « Le Roman de Renart » toute l’année à Provins

Contraint de ce fait

A retourner vivre Près de Paris

Ou poursuivre mes projets commencés en Vendée

L’océan, au fond de mon coeur

Au creux et au sommet de ses vagues

M’appelait à rester près de lui

Sonnait alors le glas

De la fin d’une intermittence garantie

Je repartais

Livre livide

Du début

Du tout début

Comme à mes vingt ans ou presque

A créer une compagnie

A monter un spectacle

Adapté du conte « Les Trois oranges »

J’avais à me faire connaître

Dans une région

Où j’étais un inconnu

Où j’étais

Moi le provincial

Descendu d’un petit village de campagne

Tout au sud de la Seine-et-Marne

Considéré aux yeux de certains

Comme un parisien

J’avais tout à recommencer

Jouer sur Le Remblai des Sables d’Olonne

Pour faire connaître notre spectacle

Jouer dans des fêtes, des festivals

Au chapeau

Jusqu’à obtenir un premier contrat

Jusqu’à…

C’était déjà fini

Ma partenaire se recentrait sur ses propres spectacles

Les pairs dans ce milieu n’étaient pas toujours des pères bienveillants

Certains d’entre eux aimaient critiquer, juger pour affirmer leur propre ascension

J’encaissais leurs critiques tout en me souvenant des rires d’enfants

Et des mots touchants du public

Je recommençais

Un nouveau spectacle

Un théâtre miniature

« Pêcheur d’histoires »

En bord de mer

Et toujours ce fameux chapeau

Pour me faire connaître

Avant que n’arrive un contrat

Puis un autre, puis un autre …

Le travail, la détermination, la résilience portaient leurs fruits

Du pêcheur au jardinier

Avec « Barnabé » et « Mon Pot’Agé »

Dans les jardins de Vendée et de Bretagne

Et toujours ce fameux chapeau

Pour me faire connaître

Avant que n’arrive un contrat

Puis un autre, puis un autre …

Jusqu’à ce que mon chapeau

Perde un à un tous ses brins de paille

Nombre de projets n’aboutissaient qu’à quelques dates

Comme ce très bon spectacle

« Hughie » d’Eugène O’Neill

Cinq dates et déjà c’était fini

D’autres projets n’aboutissaient à aucune date

Quand l’un ou l’autre de mes partenaires

Quittait l’aventure avant l’escale

Alors j’ai fini par rendre mon chapeau

Fatigué, épuisé

Quel boulanger

Quel commerçant

Propriétaire

Assureur

Opérateur

Docteur

Restaurateur

Barman

Garagiste

Acceptait d’être payé au chapeau ?

Dès lors

Je serai

Ou

Je ne serai pas

Etre

Ou

Ne pas être

Désiré

Etre

Je choisis d’être

Ici

Devant toi

Sans chapeau

 » Et, Dis-moi ce que je vaux,

Le Vicomte ! »

Thierry Rousse

Nantes, le 13 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

Intermittence et Sens

Compter les heures

Additionner

Chaque mois, additionner

Pour décrocher le fameux Graal

Douze mois

Douze mois pour l’atteindre

Le trésor de Brocéliande

Je me donnais un nouveau départ

Novembre 2022

139 heures à ce jour

Un 8 février 2023

Peut-être rien pour certains

Quelques miettes de pain

Sans beurre salé

Ni radis

Il me restait encore 368 heures à décrocher

Jusqu’à novembre 2023

Date butoir de mes douze mois

Si je n’atteignais pas mes 507 heures

Tout mon calcul se décalait d’un mois

Utopie, pure utopie

J’avais envie d’y croire

Et puis tant pis

Il fallait avoir la foi

Me réjouir de chaque heure gagnée

Qui comptait pour mon intermittence

Mais c’était sans compter

Mes heures d’animation dans le régime général

Qui viendraient pertuber tout mon calcul

Eh oui

Au fond des savants calculs de Paul Emploi

Il était difficile de comprendre quelque chose

Est-ce que Paul y comprenait lui-même quelque chose

Derrière son bureau entre quatre murs ?

J’entretenais ma foi

Et ma forme comme je pouvais

Regardant chaque soir ces gens

Qui savouraient de délicieuses pizzas

Dans le restaurant très chic

Juste en-dessous de ma large baie vitrée

De l’autre côté de la rue

Je me rappelais les paroles de notre Roi

« Il suffit de traverser la rue »

Traverser la rue d’un regard

Me délecter de ces saveurs napolitaines

En attendant

J’additionnais

Toutes mes heures de travail

A préparer

A contacter

A répondre

A élaborer

A créer

A répéter

A diffuser

A communiquer

A additionner

Sur le ring du théâtre

A me prendre des coups

Des sourires

Des déceptions

Des encouragements

Des mots réconfortants

Des victoires

J’aimais regarder les lumières

De la ville

Des phares

Dans le noir

Celles des étoiles qui brillaient

Dans les yeux et les coeurs

Des petits bateaux sur le miroir d’eau

Savoir pourquoi je faisais ça

Savoir

Donner un sens à mon intermittence

Combler les vides de mes rêves

Ouvrir le frigo du désert

Y trouver un oassis rafraichissant

Un lieu de rencontres apaisant

Nourrissant

Passionnant

A mi-parcours de mes cent ans

Extinction de voix

Le temps d’écrire

Poser des mots entre toi et moi

Scène ouverte au coin d’un bar

L’addition garçon

Addiction de lettres ?

Thierry Rousse

Nantes, 8 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

Relire et danser

Relire

Relire les textes que j’avais écrits pendant le confinement

Les relire

Les mettre en forme

Déjà une époque révolue

Des papiers jaunis

Avait-elle existé vraiment cette époque

Certains diraient que nous avions fait un vilain cauchemar

Que nous avions fumé ou fabulé

D’autres, celles et ceux qui avaient perdu un des leurs

Diraient que cette époque tristement avait bien existé

Comme le onze septembre

Et les autres attentats qui l’avaient suivi

Relire des pages qui s’effaçaient dans le temps

Une tragédie en chassait toujours une autre

Relire tout ce que je pouvais relire

Ces notes griffonnées sur des petits carnets

Qui finiraient dans ma tombe

Ma dernière volonté

Partir avec mes mots

Relire les livres

Tous les livres

De ma vie

Les journaux

Les revues

Les bandes dessinées

Je n’aurais pas assez d’une retraite

Pourvu que ma vue

Encore me soit donnée

Relire

Ce que je pouvais relire

Quelques échanges de messages

Quelques mots d’amour

Ou d’amitié

Bien d’autres

Des quantités de mots avaient disparu

Dans l’écran de mes nuits

Des mots

Des mots bleus

Qui prenaient l’eau

Mots indélébiles

Et pourtant

Quelle âme

Qui les avait écrits

Se souvenait-elle encore

Des palpitations de son coeur

Relire le bonheur

Et le malheur

Relire tout ce qui se liait

Tout ce qu’on ignorait

De correspondances universelles

Relire mes répliques

Relire mes rôles

Tant de vies au fond

Réelles ou imaginaires

Qui se confondaient

Pousser la porte d’une annexe

Et écrire les noms de toutes ces rues

Qui accueilleraient

Mes pas

M’y faufiler

Discrètement

Et danser

Relire et danser

Oui, relire et danser

J’avais trouvé une fin provisoire

Un objectif à atteindre

Sur les sommets

Des montagnes de mots

Nantes,

Un vingt quatre janvier

Deux mille vingt trois

Nantes Métropole m’appelait

Au bout du fil

Le début d’une reconnaissance

De nos scènes ouvertes

De nos mots qui se libéraient

Des entrailles de nos chairs

Hommes

Femmes

Tout genre confondu

Au comptoir

De l’éternité

Thierry Rousse

Nantes

Mardi 24 janvier

« Une vie parmi des milliards »

A NOS RETRAITES

Retraite

Me retirer du monde quelques temps

Ce temps m’était nécessaire

Pour observer

Comprendre

Ecouter

Ecouter le silence

Ecouter la petite voix intérieure

Qui me montrait une direction

Là où il m’était bon d’aller

Une évidence

Là où tout s’alignait

Les planètes

Les oiseaux

Prenaient forme

Se correspondaient

Comme les pièces d’un puzzle

Là où ça avait un sens

Une raison d’être

Ce ça qui me remplissait de joie

De paix

De satisfactions

Alors quand le roi

Touchait à nos retraites

Dans nos coeurs

Ca faisait des bonds

Les drapeaux rouges de notre sang s’agitaient

Sous la pluie de l’hiver

Les gens se rassemblaient

Un à un

Convergeaient vers le miroir d’eau

Se comptaient et étaient fiers

Enfin nous étions nombreux et forts

Tout autour des remparts du château

A défendre nos retraites

A les protéger

Ce privilège

Qui n’était autre

Que la part de notre travail

Mise en commun

Notre trésor public

Notre doudou

Nous retirer du monde quelque temps

M’arracher à mon travail

Rejoindre les drapeaux de la colère et de la fête

Les rattrapper

Du dernier au premier

Du tracteur et de sa remorque balai

Au camion sandwichs et petits verres de vin rouge

Cette discrète locomotive en tête

Que nous suivions

Sur des airs de révolutions

Dégoulinant d’eau glaciale

Des siècles d’histoires

De combats, de victoires

De défaites

Marcher pour dire que nous étions là

Que nous méritions le fruit de notre ouvrage

La retraite pour nous reposer de nos efforts

La retraite

Peut-être pour vivre

Pour exister enfin

Alors

Autant que nous soyons jeunes et en pleine santé

Pour en profiter

Le Roi

Avait-il vraiment envie que nous en profitions

Que nous nous retirions du monde

Pour mieux savoir qui nous étions

J’ignorais les intentions du Roi

Moi le saltimbanque

Sur les pavés à marcher

Je rêvais d’un sable fin doré

Etre un Edgar Morin

Né un 8 juillet 1921

101 ans

Philosophe résistant autodidacte

Qui brillait encore de son intelligence

De sa lucidité à voir le monde

Le comprendre, l’analyser

Me dire que j’avais

Le même nombre d’années à vivre que lui

Cinquante ans devant mon nez

De jours et de nuits

Pour vivre tout ce que je n’avais pas vécu encore

Je me voyais écrire

Créer, jouer, transmettre

M’imaginer à son âge

Imaginer que le travail était ma retraite

Que, déjà, je la savourais

A pleines mains

Les yeux et le coeur grand ouverts

Que le Roi ne pouvait pas me la voler

Ma retraite

Que deviendrait-il sans saltimbanque

Pour le distraire

Une sorte de robot

Déconnecté de la vie

Dans un mortel ennui

Alors

Je chantais

En liesse

Vive nos retraites

Dans les repaires de la tendresse !

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 22 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

LA réponse

Treize heures trente en trois jours

A adresser par courriel

Nos plaquettes de spectacles et de stages

Tenir le cap

Tenir le rythme

La campagne de Léon

Ressemblait à une épreuve sportive

Il y avait quelque chose de stimulant

Une sorte de challenge

Qui me rappelait

Le temps

Où je courais

Des semi-marathons

Au-moins la course m’avait appris cela

Garder le cap

Tenir sur la durée

Doser l’effort

Pour éviter le fatal point de côté

Tenir

Cette fois-ci tenir

Même si un bon nombre d’adresses me revenaient

Même si je devais faire des recherches

Actualiser mes fiches

Les étoffer encore et encore de renseignements

De contacts

De noms

De secrets chasse gardée

Garder le cap

Toujours garder le cap

On disait que les efforts finissaient toujours par payer

En attendant c’était pâtes ou pommes de terre

Et de temps en temps salade entre les dents

Quand soudain je reçus cette bonne nouvelle

La bonne nouvelle

Pas une réponse

Mais LA réponse

LA réponse

Non ce n’était pas

Ce que vous pensiez

Ma mutuation à Tahiti

Ma promotion à un haut poste

Genre direction d’un Centre dramatique national

Ou encore la mort de mon vieil oncle d’Amérique

Ou encore l’acceptation de Pénélope

A ma demande en mariage

Que je n’avais jamais formulée

A une Pénélope que je ne connaissais pas

C’était LA réponse d’une charge de programmation

A l’un des innombrables courriels adressés

LA réponse comme un ange tombé sur Terre

Bon d’accord

Ce n’était qu’une demande d’information pour un spectacle

Et pourtant c’était

C’était déjà tout pour moi

Un feu d’artifices de pépites d’or dans le ciel de Nantes

Juste ce qu’il me fallait pour me redonner de l’énergie

Juste la petit rondelle de citron

Qui nous était servie au dixième kilomètre

Pour nous rafraîchir

Nous faire repartir de plus bel

Ragaillardis

Sur les pavés de la Tour Eiffel

Les yeux au paradis

Une once de poésie

Grand félin d’Asie

Qui s’élançait

Il fallait bien ça

En tête à tête

Avec moi-même

A défaut de pouvoir trinquer

Avec ma collègue

Et toute la troupe

Cinq heure du matin

Quand la ville se réveillait à peine

Quelques voitures gelées

Je me levais

De bon pied

J’étais vivant

Phares dans la nuit

Prêt à courir

La course des courriels

Jusqu’à midi

Savourer ma pause

Je m’offrais en présent

Un repas à onze euros quatre vingt

Au restaurant du Lieu Unique

C’était festin

Salade au fromage, au thon

Et aux tomates cerise hors saison

Dont je me serais bien passé

Puis plat du jour

Poulet pâtes champignons

Et sauce à la crème

Et sauce à la crème

Et pain et pain et pain

Et sauce à la crème et sauce à la crème

Et pain et pain et pain

Et manger et grossir

Mon ventre n’était plus habitué

A une telle orgie culinaire

Au bout au coeur d’un brouhaha

Un autre festin

Longue table blanche de convives élégants

Télévision

Discours

C’était Madame la Maire

Madame La Maire de Nantes était là

Et Olivier Faure me disait-on

Qui pouvait être cet Olivier Faure

Fort inconnu à ma campagne

Petite réunion d’association de retraités, pensais-je

« Non, c’est le Parti socialiste ! » Me soufflait-on

Léon n’en revenait pas

Le Parti socialiste était là

Au Lieu Unique

Et Léon n’en savait rien

Et Léon mangeait ses pâtes, son poulet, ses champignons

Indifférent et gourmand

Son pain imbibé de sauce à la crème

Et quand il n’avait plus de pain, Léon

ET bien, il lêchait son assiette Léon

Oui, il lêchait son assiette

Comme un chat ronronnant Léon

Qui avait reçu LA réponse de sa vie

Léon

Les mots m’égaraient

Dans l’Annexe d’un mercredi

Petite marche de la garde

Autour de ma Duchesse

Et Léon gonflé à bloc

Quatorze heures pile pétantes

Au garde à vous

Reprenait sa course

Gardait le cap

Ne se laissait pas distraire

Par un poulet pâtes champignons sauce crème pain

Accompagné d’une carafe d’eau sans bulle

L’abus d’eau était dangereux pour sa santé

Léon pouvait rouiller

Qui dévouillerait Léon

Mes Frères d’Ame

Après une recherche sur internet

J’apprenais qu’Olivier Faure

Etait le Président sortant du Parti Socialiste

En pleine campagne lui aussi

Léon était un peu moins bête ce soir

Dans sa tour d’Ivoire

Juste pour la rime

Dans sa petite tour des Petits Lus

Des grands Arts

De la longue Rue

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 18 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

PRESQU’ILE ENTRE TOTTI ET RICHARD II

Quitter un temps mon travail

J’y passerais bien tout mon temps

Ou presque

Une presqu’île

Etait-ce devenu une drogue

Une envie

Un plaisir

Une nécessité

Un objectif dans ma vie

Les derniers efforts de l’athlète

Dans sa dernière ligne droite

Sa dernière chance

Ou peut-être

Un peu de tout ça à la fois

Pas un poème

Que l’aspect d’une forme vague sans ponctuation

Une forme qui lui ressemblerait vaguement

Entre les lignes du réel

Préparer mes séances d’ateliers-théâtre

Mes stages clown

Réviser

Répéter

Communiquer

Diffuser

Budgétiser

Planifier

Beaucoup de « é »

Comme des airs de liberté

L’avantage était

Qu’aucune femme ne me disait :

« Chéri, arrête de travailler

Et rejoins-moi sous la couette ! »

Je ne risquais aucun conflit

Mais était-ce vraiment un avantage

Faire face à mon âge

Vieillissant

Devant la glace

Que le reflet de moi-même

Qui pouvait me répondre

Arrête de travailler

Pause-toi

Mange

Lis

Vas boire un verre

Ecris des vers

Vas au cinéma

Ou au théâtre

Vas écouter de la musique

Ou des chansons

Ou des airs d’opéras

Quitte surtout tes chaussons

Vas voir une exposition

Ou vas marcher

Prendre l’air

Depuis combien de temps

N’as-tu pas vu Hector et Berlioz

Que devenaient-ils

Sous la pluie glaciale

Tes amis

Hector et Berlioz

Ces deux gardiens robustes

De ta chère Duchesse Anne

Les avais-tu délaissés

Oubliés

Avais-tu fui

Les bras qui s’étaient

Offerts

Un soir

A toi

Craintif

D’oser être aimé

Rien

Il te restait ToTTi (1)

Pour inventer d’autres mondes possibles

Bien qu’envieux

De tenir le glaive de Richard II

Dans la cour glorieuse

A défaut

Un jardin

On dirait « sa planète »

Non pas celle de Richard II

Celle de ToTTi

Murmurait une jeune passante qui se reposait au pied d’un arbre

Une passante qui n’était plus passante

Juste patiente

Contemplative devant le vide

Car il faut aimer son clown

Ou sa clowne

L’aimer sans condition

Même si elle ou il

Nous paraît maladroite

Naïve

Ou niaise


« Il y a un spectacle? » demandait son compagnon musicien


 » Oui, à 21h45″


« Puis-je m’asseoir?

Oui, il reste une place au premier rang »

21h45

ToTTi surgissait

Derrière son banc

Toujours à l’heure

« Vite, ça commence ! « s’écriait la demoiselle patiente

Qui se précipitait devant la piste suivie de son compagnon musicien

La piste, un bien grand mot

Juste un peu de terre

D’un verger disparu

A l’ombre des remparts

ToTTi explorait cette étrange planète

Une lanterne sur son front

Et la lumière fut

Il y eut un matin

Il y eut un soir

1,2,3,4…

Quatre échappés de Richard II

ToTTI les saluait

Echangeait un regard

Une émotion

Une poignée de mains

Le courant passait

Et sa planète Terre

S’éclairait dans la nuit

De quelques habitants rêveurs

Quand Richard II vociférait

C’était quoi sa vie déjà à Richard II ?

Thierry Rousse

Mardi 17 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Les Vacances de Monsieur ToTTi http://monsieurtotti.blogspot.com/