Avis de tempête ( Conte merveilleux ? )

 

Le vent soufflait puissamment en ce dimanche matinal du 15 novembre 2020. Des rafales de pluie s’abattaient sur la vitre de ma lucarne, si fort qu’elles me réveillaient d’un bond. Que se passait-il ? Etait-ce la fin du monde ? Le déluge annoncé? Je n’avais point de luge pour échapper à mon destin ni à l’apocalypse. Je consultais l’actualité sur mon smartphone : tempêtes annoncées sur la pointe bretonne. Ma première pensée allait aux skippers du Vendée Globe. Qu’allaient donc faire ces solitaires dans cette galère ? A croire qu’ils aimaient jouer avec l’enfer. Je me réfugiais sous mon paradis, une couette blanche. Le dimanche, tout était permis. Je pouvais rester là des heures à écrire, à lire, à penser, à m’instruire. Une parenthèse entre deux emplois. Je pensais aux premières lignes, je pensais aux malades, je pensais à la Terre, à cette planète flottant dans l’univers. L’avais-je oublié , qu’elle flottait dans l’univers, notre planète ? Elle avait sa vie, sa force, sa fragilité. Tout n’était qu’éphémère. Le vent la chahutait, la secouait, l’ébranlait. Rien qu’un tour de Merlin L’Enchanteur ? Je m’étais rendu, un jour, au coeur de sa forêt, à Brocéliande, là, au pied de la Fontaine Barenton. Quelques gouttes de son eau jetées par le Magicien sur le perron suffisaient à déclencher d’effroyables tempêtes. Les contes se nourrissaient de ces tempêtes. La douceur du début d’une histoire ne durait jamais. Il y avait une menace, soudain, qui surgissait, puis la peur qui rôdait, s’immisçait dans nos maisons, dans nos coeurs, dans nos rues, dans nos bois. Il était question alors de fuir, de trouver mille stratagèmes pour survivre. Mille épreuves qui nous apprendraient la vie, qui nous feraient grandir. Un chemin initiatique dont nous avions toujours une leçon à retenir. Au final, nous nous en sortions toujours grâce à l’intervention d’un pouvoir magique. C’est ce qu’ils avaient de « merveilleux » ces contes, au fond, tragiques, qui racontaient la vie quotidienne avec son flot de joies et de malheurs.

Ma seule sortie du jour était ce rendez-vous que j’avais pu obtenir à 14 heures pour rendre visite à mon Papa. Des inscriptions à l’entrée de l’Ehpad me replongeaient dans les contes d’autrefois, les contes qui faisaient très peur, pour de bonnes raisons sans doute, pour nous éviter le pire, pour nous aider à vivre. « Circulation DANGER pour les résidents ». Il y avait des plus, plus, plus à n’en plus finir. « Respect incontournable des gestes barrières sous peine d’ ARRET DES VISITES ». Les mots en grandes lettres ressortaient. La suite, en petites lettres, je la connaissais par coeur: « Garder son masque ». « Pas de selfie, pas d’embrassade ». « Ne pas partager une collation ». Gel et masque étaient à ma disposition. J’en faisais bon usage. J’avais bien appris mes leçons. J’étais un élève consciencieux. A aucun moment, je n’aurais voulu transmettre ce virus à mon Papa ou à d’autres personnes âgées, nos anciens si précieux, dépositaires de la sagesse. D’ailleurs, où était-il ce virus ? Il circulait si vite que je ne pouvais point l’attraper. J’aurais pu le saisir, m’entretenir avec lui, les yeux dans les yeux. « Dis-moi, qui t’a envoyé ici ? Merlin ? ». Non, Merlin n’y était pour rien. Ce conte n’avait rien de merveilleux. Les pouvoirs magiques avaient disparu de nos raisons. Notre relation sacrée au vivant avait été remplacée par l’argent. Brûler des forêts, encore et encore, vendre sur le marché des pangolins, tuer les contes merveilleux. Les humains s’étaient attribué des pouvoirs qui ne leur appartenaient guère. La tempête s’apaisait. Le ciel était bleu. Mon Papa écrivait pour nous. Que pouvait-il bien écrire ? Un marin solidaire dans sa chambre. Les humains construisaient leurs barrières, l’une après l’autre, pour se protéger, pour s’aimer. La peur rôdait. A tout moment, les visites pouvaient être suspendues. La porte, fermée. C’était pour le bien de chacun. La solitude était notre compagne. J’appliquais un geste barrière avec ma solitude, au cas où… Je ne comprenais plus rien à tout ça, tout circulait trop vite dans ce monde, il était temps de nous poser. Nous asseoir sur le talus d’un chemin, le long d’un ruisseau. Fermer les yeux. Ne plus rien dire. Ecouter le vent. Les oiseaux, Ecouter un murmure de l’eau. Merlin l’Enchanteur enchantait mon coeur. J’aurais voulu m’appeler  « Petit coeur malade » pour slamer aussi bien que les grands. Les mots et l’élixir des petits lutins apaisaient mes maux.

Thierry Rousse,

Nantes,

Dimanche 15 novembre 2020.

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