Voyage de l’autre côté du pont

J-16. Vue dans ce sens, la chose était plus ambitieuse. Le temps se rétrécissait. Mes quarante jours dans le désert étaient révolus. Je préparais activement la sortie de mon ermitage. Où irais-je ? En cette fin de journée d’un samedi estival ? Je m’autorisais à une courte promenade autour de chez moi. Une des deux filles et ses cinq gars étaient revenus dans l’impasse, avec les bières, les palets nantais, la joie, et de délicieuses odeurs d’une cuisine qui se préparait. Au bout des allées, les enfants jouaient avec leurs parents. Les voisins se causaient. Une grande course était organisée autour d’un splendide pavillon : le petit garçon marchait devant sa maman courant devant son mari pédalant. L’enfant était rattrapé par sa maman qui était rattrapée par son mari et tout le monde riait. Le long d’un charmant sentier, une femme en robe d’été semait ses couleurs. Le confinement avait rapproché les cœurs dans un quartier en fête. La libération était pour bientôt. L’ouverture des  restaurants, on apprendrait la bonne nouvelle fin mai. Le Grand Chef parlerait. Des spectacles, on n’en parlait point. Reprendraient-ils, un jour, les spectacles ? Je m’imaginais, masqué, contant mes petites histoires de jardins aux poissons. Des bulles d’air. Pas un applaudissement. J’envisageais  de jouer Zorro, Fantomas, ou Spiderman. Mes études de métiers se poursuivaient : agriculteur biologique, aide à domicile, aide-soignant, animateur de la prévention des déchets… Les plages seraient propres cet été. Les vacances étaient reportées en septembre pour la saison des vendanges. Je retrouvais mes Guides du Routard enfouis sous une pile d’ « Humanité ». Je les dépoussiérais un à un : Maroc, Italie du Nord, Normandie, Pays de la Loire, Paris, Lorraine, Suisse, Midi-Pyrénées, Ardèche-Drôme tous les deux côte à côte, Banlieues de Paris, Paris de nouveau en plus vieux, Languedoc-Roussillon tout attachés, Espagne-Portugal même combat, Week-ends autour de Paris capitale du monde, Provence, Pays Basque (France-Espagne) deux pays à lui tout seul, Marseille et Raoul, Bretagne Nord les vrais Bretons, Italie du Sud les pauvres, Auvergne, Malte, Barcelone, Alpes, Corse, et tout ce qu’il me restait à découvrir, Berlin, Andalousie, Croatie, Norvège, Suède, Danemark, Colombie…  J’espérais travailler, « en mai, fais ce qu’il te plait ». De voyage, je me contentais d’un pont, le pont de Sèvre.

J’avais rejoint sa berge autorisée durant la matinée. Mille pas à vol d’oiseau. Mes pieds longeaient le quai Léon Sécher jusqu’au Port de la Morinière. Ma tête s’instruisait d’une époque oubliée. C’était au XIXème siècle. La Véro venait de sa cambrousse. Sur sa barque, se laissant glisser par le courant de la Sèvre, luttant contre la marée montante de la Loire, la Véro portait sa farine, son foin et son vin au port de Nantes. La Véro y avait trouvé logis jusqu’au jour où elle ne pouvait plus payer sa chambre mansardée. Monsieur Alphonse avait encore augmenté le loyer. Vivre dans les murs de Nantes devenait chose impossible. Alors, la Véro s’est retrouvée dans les faubourgs. Au Port de la Morinière, elle y pêchait ses poissons, quand, un matin, avec quelques planches, elle construisit une guinguette. Elle chantait et dansait si bien, la Véro, que les bourgeois de la ville affluaient, remontant la Sèvre sur leurs hirondelles à vapeur. Monsieur Alphonse s’y rendait tous les dimanches à la guinguette, il buvait, il jouait à la belotte et pinçait les fesses de la Véro. C’est qu’il en pinçait pour elle, Alphonse, La Véro ! L’avait-il reconnu ? « Embrasse-moi ! Embrasse-moi ! ». Jamais, elle n’a voulu, la Véro, embrasser sa moustache. Monsieur Alphonse était le plus malheureux des hommes. Il pouvait lui promettre tous les voyages du monde, à la Véro, la Véro, ce qu’elle aimait, c’était sa guinguette du Port de la Morinière, chanter et danser, amuser le peuple des ouvriers et des ouvrières, les moins que rien des faubourgs de l’amour. Monsieur Alphonse s’est enfoncé dans son chagrin, regrettant de ne pas être un moins que rien.

Voyage (Le Petit Larousse de Poche) : 1- Fait de se déplacer hors de sa région, de sa ville, ou de son pays : partir en voyage ; voyage d’affaires. 2- Trajet, allée et venue d’un lieu dans un autre : faire de nombreux voyages pour déménager une pièce. Les gens du voyage : les artistes de cirque. Voyage de noces : que l’on fait traditionnellement après le mariage. Voyage organisé : voyage en groupe organisé par une agence.

Voyage (Le Petit Rousse de Poche) : des pensées

Ce soir, j’avais pu parler à mon Papa au bout du fil. Dans sa chambre, toujours enfermé à l’Ehpad Beauséjour, entouré d’un personnel soignant si courageux, mon Papa écrivait pour nous des voyages…

 

Thierry Rousse, Nantes, Samedi 25 avril 2020.

17ème récit, J- 16 de ConfiNez

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