De quoi je me souviens

De quoi je me souviens au fond ?

Avais-je envie de me souvenir par cette belle journée ensoleillée ?

Me souvenir des rires ou des larmes ?

Oublier les larmes pour les rires ?

Oublier les mots qui ne sont pas beaux

Oublier « rachitique », ce mot que j’avais découvert, enfant, écrit sur mon carnet de santé

Oublier ce qui me rendait différent des autres

Oublier « crevette », ce mot dont certains copains m’habillaient en riant

Oublier la différence qui m’enfermait dans mes silences

Oublier ce coin de la cour où je me réfugiais

Seul dans mes pensées

En lisant « La Nausée »

Oublier la timidité qui m’empêchait de m’exprimer

Oublier mes perpétuelles réponses

Tête baissée

A la professeure de musique

« Je n’ai pas appris ma chanson »

Simplement pour ne pas me retrouver seul au tableau devant la classe

Oublier tous ces « zéros » que j’additionnais aux épreuves orales

Paralysé par la honte d’être regardé de tous

Me souvenir des mots que j’écrivais à l’abri sur mon journal intime

Des mots qui m’accompagnaient dans ma chambre

Quand j’entendais derrière la porte les cris de mes parents se déchirer

Me souvenir de ce qui me faisait vivre

De ce qui me reliait à la Bien-Aimée de mes rêves

A la Muse de mes poèmes

Me souvenir du théâtre qui m’a sauvé

Me souvenir de toi qui m’as souri

Toi qui m’as aimé un beau matin

Me souvenir de ton amour auquel j’ai cru

Et oublier ce maudit soir où tu m’as dit :

« Désolé si je t’ai fait croire à autre chose, mais je ne t’aime que comme un frère »

Oublier les pleurs du frère en moi espérant être le prince d’une princesse

Me souvenir de mon départ

Un 31 décembre 2013

Tout quitter pour commencer une nouvelle vie

Un soleil naissant sur l’océan compatissant

M’accueillait de son regard

Me souvenir de ces arbres à nuages sur l’île de Versailles

Pourquoi l’île de Versailles ?

J’étais bien arrivé à Nantes

Sur une île au Japon

Enjambant le pont de mes souvenirs

C’est là

Bondissant d’un rocher à l’autre

Dans un instant d’oubli

Que toute ma vie, dès lors, s’écrivait

Peut-être plus belle

Peut-être plus heureuse

Qu’en savais-je ?

Rien

Sinon que j’étais la tête remplie de vide

Perchée à la cime d’un arbre lointain

Sur le bord

D’un fleuve

Du Gange

Je posais un pied devant l’autre pour avancer

Comme on pose un mot devant l’autre

Sentir les mots comme des parfums d’Orient

Croire au temps éternel

Croire à l’Amazonie au coin de ma rue

Et me souvenir d’avoir oublié pour exister

D’avoir oublié pour exister

Une tendre journée ensoleillée

Entre café et Petits Lus

D’avoir bu ma vie

D’avoir lu ma vie

Comme des mots arc-en-ciel

Un mélange de larmes et de rire

Thierry Rousse
"Une vie parmi des milliards"
Nantes, Malakoff, 2023, Texte écrit au cours des ateliers d'écriture animés par Tom-Tom, texte publié dans le recueil collectif "Poésie sans chaînes" – Cultures du Coeur Pays de La Loire – Les Budgets Participatifs Ville de Nantes – Ambitions Jeunesse – La Libre Usine du Lieu Unique, lieu de création artistique

Douze rêves de Play Mobile

1

Un

Tu étais assis

Au milieu d’un cube blanc

Seul au milieu d’un cube blanc

Play Mobile

Un

Cube

L’absolue solitude apparente

Là où rien ne pouvait divertir ton regard

Qu’un vide blanc

Là où rien ne semblait t’attendre

Play Mobile

Que d’être assis là dans un vide blanc

Play Mobile

Sur une île

Un

Sous une Lune absente

Une

Indifférente

2

Deux

Deux yeux perdus inoffensifs

Quand

Dans un instant inattendu

Tes oreilles entendirent

Le crissement

D’un ruban adhésif qu’on arrachait

Sur tes murs

Play Mobile

Un à un tes quatre murs blancs s’ouvraient lentement

Une main doucement s’approchait de tes cils

Et te prenait délicatement la main

Deux

Histoires de mains

3

Trois

Guidé par la douce main de cette inconnue

Tu parcourais le premier mur à découvert

Play Mobile

Des images découpées que tu devais recomposer

Trouver la partie manquante

L’autre moitié

La passerelle qui te mènerait de l’une à l’autre

Ce jeu t’amusait

Play Mobile

4

Quatre mains

Sur un piano transparent

Curieusement

Ton premier habitat était le monde

Un monde inhospitalier

Là où toute vie ne semblait pas désirée

Hostilité des paysages

Traits graves des visages

Comme la froideur d’un vent d’avril

Perçant le ciel de tes pas fragiles

Riant de tes fausses notes

Pouvais-tu vivre ici

Play Mobile

Habiter pleinement la profondeur des océans

L’infini espace d’un ciel sans frontières

Gravir les cimes des plus hautes montagnes

Suivre les bonnes pistes dans le désert

Et pourtant

5

Cinq

Cinq doigts

En émoi

Transis

Et pourtant

La vie était là aussi

Play Mobile

Qui t’attendait

Dans l’étonnement d’un regard

La traversée d’un oiseau migrateur

Le surgissement d’un poisson-clown

Le monde était beau

Et tu découvrais enfin sa douce chaleur

Presque trop tard

Presque trop

Presque

6

Six

Scie ta branche

Sans doute le roi

N’avait aucune envie que tu la vois

Sans doute le roi

Te préférait

Enfermé

Les yeux clos

Entre les quatre murs de ton cube blanc

A ne rien voir des beautés de la vivante

A ne rien sentir

A ne rien entendre

Que les tremblements du monde

Quand la vivante au fond

Était

Bras ouverts

Ton premier habitat

7

Sept

Sète

Port de Brassens

De cette première rencontre

La douce main t’accompagnait dans un jardin

Là où tout poussait parfaitement dans une intelligence collective

Là où tu n’avais de tes longues journées

Qu’à prendre soin de ses plus infimes graines

Là où tu n’avais de tes longues journées

Qu’à récolter l’abondance de ses naissances

Là où tu n’avais de tes longues journées

Qu’à te délecter des fruits des abeilles

De cette rencontre inouïe

La douce main t’accompagnait à ton éveil

Play Mobile

Tu apprenais à cuisiner avec elle

Dans une Cocotte Solidaire

Tu donnais à ton corps

La saine nourriture

Qui élevait sa chair jusqu’au ciel

8

Play Mobile

Ton cube blanc avait pris des couleurs

L’absolue solitude apparente

Là où rien ne pouvait divertir ton regard

Qu’un vide blanc

Là où rien ne semblait t’attendre

Play Mobile

Tu riais à présent aux éclaboussures du temps

Et les salades

Et les poireaux

Et les choux

Dansaient

Maintenant

Sur un fil

9

Neuf

Comme tout neuf

Play Mobile

Par la douce main

A toi

Qui s’était offerte

Ouverte au printemps

Comme une fleur sacrée

Play Mobile

Avec elle

Tu te faufilais entre les interminables fumées d’usines

A la quête de l’essentiel

10

Dix avait cessé d’être un collectif factice

Deux mains sur une colline maintenant enlacées dans la vie

N’étaient pas prêtes à se séparer

Play Mobile

Le jeu quittait les écrans

Pour embrasser les vivantes

11

Onze

On se bougeait à Nantes

On aplanissait les tours

A chaque détour

De la Perle à Wattignies

Du Live Bar à Marguerite

De nouveaux mondes fleurissaient

Des habitats humanistes

Occupaient de rêves les espaces publics

Et pas que

Tout bonnement leur donnaient vie

Affranchis des hautes têtes

Qui croyaient tout savoir

Affranchis des hautes têtes

Qui pensaient détenir les pouvoirs

Affranchis des hautes têtes

Qui pensaient récupérer nos semences

Affranchis des hautes têtes

Qui pensaient cultiver l’art hors du sol

Notre zone à défendre était toute une planète

Notre zone à défendre était tout notre cœur

12

Douze rêves de Play Mobile avec elle

A gratter du bout des doigts une guitare

A chanter à deux voix

A bouger nos cordes

Et nos corps

A marcher

Dans l’espace infini

A nager

Dans un cube blanc déployé

A dessiner à deux mains nos lignes

Play Mobile

Tu rêvais à quatorze ans de monter un groupe de musique

Tu t’enivrais des Beatles, des Rolling Stones, des Pink Floyd, de Bob Dylan, de Téléphone et des Doors

Tu écrivais des chansons seul dans ta chambre pour ne plus entendre les cris

Tu t’évadais dans des allées de maisons

Imaginais le bonheur à l’intérieur

Tu dansais sur les murs de tes rêves

Des mots aujourd’hui disparus

Play Mobile

Tu t’enfoncais dans la forêt obscure

Tu rêvais d’être grand

Pour parler aux oiseaux

Ton toit était invisible

Pour inviter chez toi

Tout l’univers

Play Mobile

Riz

Paille

On

Avait presque tout

Pour être heureux

Presque tout pour nous envoler jusqu’aux cieux

Et ne plus jamais être vieux

Play Mobile

Toi l’enfant

Au coeur fragile

Tu étais assis

Au milieu d’un cube blanc

Seul au milieu d’un cube blanc

Dans l’hôpital des pas de l’espérance

Play

Mobile

Thierry Rousse
Nantes, mardi 22 avril 2024
D'après « L'habitat interactif », création artistique de Thierry Rousse

Les petits riens du vide

Samedi vingt avril deux mille vingt quatre

Départ de Nantes

Un train

Bondé

Un air de

Vacances

De ciel bleu

Direction

Le sud

La

Belle Vie

L’échappée belle

Souvenirs d’un autre Marcel

Marcel Pagnol

« Le château de ma mère »

Une voix féminine

Douce et sensuelle

Te souhaitait un agréable voyage

Dans ce train bondé

Elle nous rappelait

Toi et moi

Que nous étions

Tous responsables

Que nous devions

Étiqueter nos bagages

Ton sac à dos ne portait en effet pas de nom

Elle l’avait vu

Elle voyait tout

Ton sac à dos revendiquait sa liberté de voyageur insoumis

Un sac à dos objecteur de conscience

Qui contenait :

Essentiellement des livres

Toujours deux ou trois pour alterner les plaisirs

Des cahiers

Des stylos

Des mouchoirs

Un chargeur de téléphone

La précieuse sacoche avec toutes les cartes d’identité, d’assurance, de réduction nécessaires

Sans oublier

L’indispensable carte bleue

Et ton téléphone chinois

Ton téléphone chinois était devenu ton compagnon de route inséparable

Entre une paire de chaussettes

Et unetrousse de toilette

Avec un déodorant

Une brosse à dents

Deux gants

Un savon de Marseille

Un peigne pour tes derniers cheveux rebelles

Une crème de karité pour ton éternelle jeunesse

Et un dentifrice bio

Tout ça à l’intérieur

Tous responsables en train

Tu étais responsable de

Ta voisine

T’assurer qu’elle irait bien à destination

Savais-tu

Seulement au-moins où elle allait

Ta

Voisine

Et

Toi

Qui était responsable de

Toi

Marcel

Dans ce train bondé

Qui savait où

Tu

Allais

Qui s’en souciait à

Dire vrai

Depuis longtemps on ne se parlait plus dans les

Trains

Depuis la disparition des wagons à compartiments

Depuis

Nous avions les yeux rivés

Sur nos écrans

Ou plus rarement sur la page d’un livre

Interrogation

Qui regardait encore les paysages

Ces déserts entre deux villes

Qui laissait son regard

Suspendu

Se perdre

Dans le rituel des vaches sacrées

Tes copines les vaches

Broutant le temps

Entre le dehors

Et le dedans

Quelles histoires secrètes se racontaient dans ces trains bondés

Quelles sensations défilaient

Quels regards se croisaient

Se parlaient

Se souriaient

S’unissaient

S’embrassaient

Contrôle des billets

Contrôle des billets

Tu étais soudainement

Marcel

Extirpé de

Tes rêveries

Comme un petit poisson pris à l’hameçon d’une enjoleuse cajoleuse contrôleuse

Contrôle des billets

Contrôle des billets

Ton billet

Depuis longtemps

N’était plus qu’un petit ticket

Ou qu’un QR code sur l’écran de ton martphone

Tu lui tendais ton billet doux

Comme une déclaration

Avec ta carte de réduction

Elle te souriait par compassion

Tu étais en règle

L’exemple même du passager modèle

Discret

Qui lisait et écrivait

Sur son siège

Dans le train bondé

Tes yeux saluaient au passage

Tes copines d’Irlande

Ou d’Ecosse

Ou de Normandie

Tu finissais par ne plus savoir dans ce monde qui était qui

Dimanche vingt et un avril deux mille vingt quatre

Retour à Nantes

Train bondé

Retour de

Vacances

Des valises sur les sièges posées

Ligne blanche franchie

Nantes pour toi

Un ciel tout gris

Pour d’autres Paris

La course était loin d’être finie

Effervescence d’une ville qui faisait son marathon

Quelle était l’utilité d’un marathon

Courir pour quoi

Pour un point de côté

Pour la gloire à l’arrivée

Pour un sentiment d’exister

D’être différent

Au-dessus de la mêlée

Ou tout simplement comme les autres

Comme les autres

Courir

Courir pour rien

Pour le plaisir d’être arrivé ensemble

D’avoir joui

D’avoir souffert

Pour une médaille autour du cou

L’avoir fait jusqu’au bout

Le marathon des Grecs

Renouer avec la civilisation ancienne

Quand toi

Quand toi

Tu prenais du monde

Ta retraite

Sous ta couette

Tu

Prolongeais

Ta lecture de Kerouac

Dans le train de ta vie

Tu prenais tes cliques et tes claques

Reposais

Ton

Corps

Dans la lenteur d’un temps étiré

C’était l’heure de ta sieste sous ce vieil olivier

Tu lisais “L’océan est mon frère” (1) sur une plage de Saint-Nazaire

« Un homme doit-il être hors du temps et patient, ou doit-il être un pion du temps ?

Quel profit pourrait espérer un homme qui plante des racines profondes dans une société qui est à tous égards insensée et changeante ? (…) Changer de vie lui donnerait peut-être la bonne perspective ? »

Changer de vie

Pouvais-tu seulement changer de vie tout seul

Et

Étais-tu

Vraiment tout seul

Étais-tu vraiment tout seul

Dans ta tête

Dans tes mains

Dans ton cœur

Étais-tu

Étais-tu vraiment tout seul au monde

Coupé du monde

Ou relié au monde

A quel monde

A quels mondes

Au singulier

Au pluriel

Étais-tu

Connecté

A toutes les vaches sacrées du Népal

Au passé

Au présent

Aux fragments d’une fête

A l’avenir des Apaches

A tous les temps mélangés

Confondus et sages

Tu posais ta raison sur l’oreiller

Un instant soulagé

Par les petits riens du vide

Sans vouloir vraiment y rester

Les vides étaient inconfortables sans parachute

Tu n’étais pas à l’abri d’une mauvaise chute

Tu te rappelais qu’il y avait des jeux mongols

Dans la cour du château de ta Duchesse

Tu bravais les vents vifs des steppes

Sous les champs bleus d’un ciel livide

Tu tentais ta chance

Le tir à l’osselet

L’arc ou la lutte

Etaient les loisirs des chasseurs

Les guerres formaient donc l’homme

Séduisaient la femme

Muscles d’acier d’une puissance invicible

La yourte t’attendrait bien

Pour une nuit méritée

Tu finirais par la poésie

Un marathon de mots

Souvenirs des exilé.es

Qui avaient dû fuir leur terre

Madame

Vous êtes arrivée

Mes bras sont nés

Pour vous

Rien que pour vous

Je suis responsable

Descendez

Je vous attends

Madame

Sur le quai

Au bout

Tout au bout

Vit une fleur sacrée

Thierry Rousse
Nantes, lundi 22 avril 2024
(1) Jack Kerouac, « L'océan est mon frère »

Douze rêves de maison

1

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a un Play Mobil

Solitaire

Immobile

Des murs tout blancs

Imparfaits

Qui laissent traverser la lumière

2

Dans l’habitat de mes rêves

Le Play Mobil occupe ses journées

A reconstituer les images et les mots

Les nuages de pensées qui le traversent

3

Dans l’habitat de mes rêves

Pénètre l’éclat d’une lune ou d’un soleiL

4

Dans l’habitat de mes rêves

Peu à peu

Les murs s’ouvrent

Et se racontent

Le jour et la nuit

5

Dans l’habitat de mes rêves

Le silence est habité

De toutes ces images dans ma tête

6

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a

Une grande fenêtre ouverte sur le monde

L’envie de déployer mes ailes

Ce que je peux découvrir

Apprendre

Partager

Au milieu du désert

Au fond des océans

Ou

A la cime des montagnes

La vie existe

Même là

Où tu la crois absente

Indifférente

7

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a les fleurs du soleil pour les abeilles

Et pour mes yeux aussi

Il y a des légumes

Il y a des fruits

Que nous cultiverons ensemble

8

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a une jolie cuisine

Où nous aimerons cuisiner

Les récoltes du jardin

9

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a plein d’ami.es

Nous aimerons jouer ensemble de la musique, chanter, écrire, nous promener

Nous délasser, nous rencontrer, nous parler, nous écouter

Créer nos plus folles idées

10

Dans l’habitat de mes rêves

Le beau toit triangle

En tuiles de Provence

Est invisible

Juste pour contempler les étoiles

Et les toucher du bout des doigts

11

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a l’humanisme

Un coeur à coeur

Qui t’attend et te sourit

12

Dans l’habitat de mes rêves

Il y a l’autre que j’ai envie de rencontrer

Et

Peut-être aussi une face ignorée de moi-même

Un corps

Une maison pour une âme

Où respire mon coeur

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 21 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Apaches de l’histoire populaire

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

De réalités avec un grand H

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

Parce qu’il y avait toujours partout

Un shérif comme un vautour un peu fou

Qui voulait exterminer les apaches

Parce que l’histoire au singulier

N’était qu’un regard particulier

Parce qu’il y avait autant d’histoires

Que de paroles que de visions

Parce qu’il y avait autant d’histoires

Que d’ambitions que d’opinions

Parce qu’il y avait autant d’histoires

De journaux de contes que de grimoires

Parce nous pouvions aussi écrire

Des chapitres plutôt que les subir

Des faits maudits qu’on nous servait au soir

Plutôt écrire de belles histoires

Plutôt inventer nos propres miroirs

Qui regonfleraient notre coeur d’espoir

Plutôt nous approprier notre histoire

Être apache de notre territoire

Qu’être l’objet de vos ambitions

Et le sujet de vos opinions

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

De réalités avec un grand H

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

Parce qu’il y avait toujours partout

Un shérif comme un vautour un peu fou

Qui voulait nous couper de nos attaches

Cette histoire tu l’écris au présent

Quand je parle ici avec tous ces gens

C’est l’histoire populaire qu’les rois

Ont voulu taire pour demeurer rois

Aujourd’hui nous la chantons si fort

Que s’écroulent tous leurs beaux châteaux morts

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

De réalités avec un grand H

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

Parce qu’il y avait toujours partout

Un crayon comme un oiseau un peu fou

Qui voulait ressusciter les apaches

Que celui qui veut nous conquérir

Court ! Notre vie est histoire de rire

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

De réalités avec un grand H

Parce qu’il n’y avait aucune histoire

Nous en étions toujours les apaches

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 19 avril 2024
Texte écrit à la suite du Café L'Huma, rencontre avec Alain Croix, écrivain, auteur de « Une Histoire populaire de Nantes », Le Lieu Unique, Nantes , 19 avril 2024

Temps entre deux

Ciel bleu soleil vent pluie chaleur

Grisaille froid bourrasque pâleur

Les dessins animés de ta journée

Nous pouvions avoir tout ça mixé

Temps entre deux ce genre bipolaire

Temps entre deux ne savais plus quoi faire

Hiver ou été comment te vêtir

Tu ne savais plus à quoi t’en tenir

Quoi ? Ce que tu ferais aujourd’hui

Bronzette sur l’île ou lecture au lit ?

Ciel bleu soleil vent pluie chaleur

Grisaille froid bourrasque pâleur

Les dessins animés de ta journée

Nous pouvions avoir tout ça créé

Temps entre deux ce genre bipolaire

Temps entre deux vraiment quelle galère

Tu trimballais partout ton sac à dos

Plein à craquer les degrés au plus haut

Parce qu’une heure après, ça pouvait être

Vent d’hiver et ton pull over à mettre

Dingue il te manquait plus que le verglas

Qui avait déréglé le thermostat

Qui, toi au nord, toi au sud, toi à l’est

Non le coupable c’est toi à l’ouest

Au centre à l’abri on s’mouille pas

J’vais pas réparer c’foutu thermostat

Ce dragon serpentant dans l’océan

Crachant son sel brûlant dans les courants

Ciel bleu soleil vent pluie chaleur

Grisaille froid bourrasque pâleur

Les dessins animés de ta journée

Nous pouvions revoir tout ça brûler

Temps entre deux ce genre bipolaire

Temps entre deux tu voulais changer d’air

Malins nous inventions les dieux

Et des vents, et de la terre, et des mers

Pour nous laver les mains et les yeux

De nos guerres et nos égos amers

C’était plus facile de nous en prendre

A l’autre qu’à nous-mêmes, pas nous rendre

A l’évidence : poursuivre ainsi

N’avait plus de sens pour notre survie

Ciel bleu soleil vent pluie chaleur

Grisaille froid bourrasque pâleur

Les dessins animés de ta journée

Nous pouvions vouloir tout ça jeter

Temps entre deux ce genre bipolaire

Temps entre deux terminer cette affaire

Désirons l’éternité,  NO soucis

Cessons d’éventrer l’ventre de la vie

Sur les scènes de Nantes au Québec

Nous ouvrirons, et haut, et fort, nos becs

Cessons de consommer sans fin la terre

Slamons au naturel à découvert

Ciel bleu soleil vent pluie chaleur

Grisaille froid bourrasque pâleur

Les dessins animés de ta journée

Nous pouvions avoir tout ça réglé .

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 19 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

C’est gratuit

C’était le grand soir

Le soir de la panne

Fallait bien que ça arrive

Ton stylo tarissait de désolation dans son miroir

De l’autre côté sur l’autre rive

S’étaient fermées les vannes

Toujours garder le rythme

Tu t’étais lancé ce défi

Un texte par jour écrit

Guetter dès l’aube l’inspiration

Ou au soleil couchant les constellations

Prendre de l’avance plein de mots dans ton sac

Pour une journée paisible dans ton hamac

T’avais tout pioché ces derniers jours le moindre rebond

Jusqu’aux textes les plus courts

Et cette fois-ci tu t’retrouvais à tourner en rond

Enfermé dans une cour

Rien qui venait dans tes pensées

Pas un mot qui glissait qu’une idée qui frappait dans la butée

L’heure n’était pas à compter tes pieds

Tu voulais juste être de ce trou noir délivré

Mais rien pas un chat

Rien qu’un long tralala

Juste rester serein ou pâlir

Juste la vie ordinaire l’accueillir

Partir au Badeya

Pêcher un amour fraternel

Sur la Côte d ‘Ivoire

La vie ordinaire finirait bien à toi par s’offrir

Quelques mots qui te feraient repartir

Un SMS reçu sur ton écran

Et ce noeud qui te tordait au dedans

Et cette envie de l’écrire

Pour le dénouer

Ne plus avoir à en souffrir

Qu’importaient les rimes faciles

Entre elles embrassées

L’écriture était un bien fragile

Bien sûr

C’est gratuit

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit mon loyer

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit l’acte de me nourrir

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit l’abonnement

A ma téléphonie

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit l’abonnement

A mon internet qui nous relie

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit

L’assurance de ma Peugeot

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit le coût du gazoil ou d’un billet de train

Bien sûr

C’est gratuit

C’est gratuit

C’est gratuit

C’est gratuit

Comme est gratuit un café ou une bière dans un café ou dans une bière

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit un pain ou un croissant chez un boulanger

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit un poulet frites au snack frites du quartier

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit un livre dans une librairie

Bien sûr

C’est gratuit

Comme est gratuit un pantalon dans une boutique de prêt à porter

Bien sûr

C’est gratuit

Bien sûr

Tout est gratuit

Tout est gratuit

Et c’est dans ce monde tout gratuit où tu vis

Dis-moi

Toi l’homme du nouveau monde

Quand tu réponds par SMS

A ma proposition d’atelier clown

Intéressant

Mais rassure-moi

Bien sûr

C’est gratuit

J’aurais bien dit oui à ton point d’interrogation

Si tout ce que je payais était gratuit

Je t’aurais bien dit oui à ton envie

Si je n’avais pas fait ce choix depuis douze ans

Vivre essentiellement de l’enseignement et de la création artistique

Je savais

J’avais donné

Nombre de prophètes comme toi

Avaient à cœur de rassembler

D’innover

De promouvoir

De sensibiliser

De faire connaître leur nouveau monde

Par le biais d’animations gratuites

Un portail fort attrayant qui attirait tous ces êtres en quête de sens

Ces prophètes s’étaient-ils vraiment posés la question de la gratuité

Le monde de la gratuité était envisageable sous la condition où tout était gratuit, où tout reposait sur un mode d’échanges de savoir-faire, de biens, de services équitables …

Cette faisabilité était complexe, et l’argent matériel puis numérique était venu résoudre la complexité voire l’impossibilité de la chose

Alors

Ce soir

Tout était gratuit

Point d’interrogation

Ou de suspension

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 18 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Un Kerouac et quoi d’autre

Est-ce qu’il y avait en

Chacun de nos êtres

Un Kerouac

L’appel à partir presque disparaître

Partir pour vivre une nouvelle vie

Déployer nos ailes d’oiseaux insoumis

L’appel de l’ouest

Le grand jour

Qui vient toujours

Des froideurs de l’est

Un Kerouac sans même l’avoir vu

Un Kerouac et l’avoir toujours entendu

Un Kerouac

Un breton

Un américain pour de bon

Qu’en savais tu

Pas vu

Dans tes leçons

Un Inconnu au bataillon

Que son nom

Attendre cinquante sept ans

Sur un étagère

Un soir de pluie chez Marguerite

La tête en l’air

Près des vieux bouquins interdits

Pour découvrir

La Beat génération

Totale libération

Quelque part en apesanteur dans l’univers

Croiser

Enfin

Kerouac l’alcoolique

Qu’avait-il de si puissant

Emblématique

Ce Kerouac

Ce rouquin

L’air d’une relique sacrée

Ou d’un paumé vraiment paumé

Son corps et son âme ne faisaient-ils qu’un

Errant jusqu’au bout du monde

De ses précipices amers

Explorées par ses sondes

Tu avais ton Kerouac

Ton petit Kerouac

Et ton Dead depuis longtemps

Sans le savoir vraiment pourtant

Quelques temps après

Ton plus grand des regrets

La disparition de ta maman

Vers l’âge de vingt sept ans

Dean était Lolo dans ton roman

Lolo le lorrain avait déjà bien trinqué dans sa vie

Un beau père complètement indifférent à lui

Et sa petite amie qui venait d’avorter à Nancy

Lolo n’aurait pas d’elle son enfant désiré

Lolo s’accrochait au bar de Melun seul et paumé

Il entrait à la nuit tombée dans un pub irlandais

Et t’entraînait dans les paradis des trains sans arrêt

Wagons des coeurs brisés

Esseulés

En quête de tendresse

Et d’ivresse

Un p’tit tour

Et tant d’autres pour oublier le jour

Des tourbillons de verres vaste palette

Jusqu’au retentissement de la clochette

Du White Horse

Le dernier verre

Triplette

Et pipelette

Dernière heure

D’un cheval blanc achevé les quatre fers en l’air

Un jet 27 cul sec

Pour tourbillonner dans le précipice des étoiles

Crinière au vent

Far west

Des billards

Des flippers

Les yeux flippés égarés dans le brouillard du petit matin même pas peur

Le vieux cheval titubant

Partait

Fuyait

Ses larmes salées d’épouvantes

Dame blanche

De Meule de foin

A

Souppes-sur-Loing

Un p’tit tour les copains

A travers la forêt

Les sombres marais

Un cubi de vie sanguinolente

Et tant d’autres

Jusqu’à l’ivresse assommante

Le dernier verre ballon d’argent

Le cheval vert du Pmu gagnant

Qui des deux toquards emporterait la course des obstacles

La folle course de l’oubli

Toi Marcel la tête dans le ciel

Ou Lolo le lorrain

Le coeur encore à Nancy

Pouvais-tu échapper à

Ta tristesse

Pensais-tu trouver la perle rare sur un chemin d’errances

De la soupe à l’oignon

Au p’tit matin

A

Château-Landon

Au lendemain

Qu’un pas pour les victorieux

Encore debout

Leurs désirs titubants

Sur la rage

Écorchée vive

De Marlène

Les cœurs qui saignent

Dans un Whisky coca glaçons

Une Vodka

A l’herbe de bison

Appels des pieds sous une table

Partir

Partir vers l’ouest

L’ouest était toujours au sud

Dans la brume des nuits blanches

Des indiens

Après ton Dean

Il y avait Joe

Il y avait Marlène

Kerouac se multipliait à l’infini

Miroirs des fêtes foraines

Labyrinthe du Palais des Glaces

Qui disait

Nous rêvions tous dans nos solitudes

Du grand huit de l’ouest

La ruée du Désordre

Goûter à tous les plaisirs défendus

Jusqu’au bâton

Lécher le nectar de l’envie

Woodstock again

Marcher de travers

Chanter dans les rues

Dégainer vos fous rires

Clamer que ces rues sont à nous

Et que les voitures cabossées

Avaient bien assez des trottoirs

Pour s’éteindre dans le noir

Que les lumières étaient en nous

Des réverbères sur la lune

Des petits princes et des roses

O Paname des amoureux

Virées mémorables

Dans les recoins obscurs de la Bastille

Sous les pavés

Encore la plage

Qui nous tient

Vous réveiller sur les falaises d’Étretat

Au p’tit matin

De vos lendemains

D’errances

Fin du manège

Tu entendais les cris des mouettes

La mer était en fête

Un ciel si bleu

Presque pur

Allez

Ton copain t’appelle

Un dernier p’tit tour

Un Muscadet pour les huîtres

Une chope de bière pour les moules-frites

Ultimes aventures

Du Luxembourg

A la

Descente de l’Ardèche

Canoë de la grande chevauchée

Les plus beaux hôtels

Les plus grands restaurants

Caviar et champagne

Au guide Michelin

Ne plus compter

Claquer ce qu’il te restait

La grande vie des vauriens

Le commencement de la dèche

Des interdits bancaires

Oublier l’absence

Ramer dans la galère

Escalader à mains nues les falaises écorchées

Te restait-t-il encore de l’essence au-moins

Ton cœur était en panne d’amour à sec

Perdu dans les tourbillons ascentionnels

De la jouissance

De la souffrance

Derniers espoirs

Avec Kerouac

Cap sur Barcelone

Changer de langue

Changer d’auberge

Tu gambergeais

Marcel

De cet amour à trois inattendu

Qui serait le roi et la reine

Élixir de la grande Chartreuse monastique

Lolo rigolait de ce trio infernal Joe Marlène et leurs chimères

Un p’tit tour

Et les cœurs saignent

A l’enseigne des Noir Désir

Dans les taxis

Ou

Brillent les yeux de la nuit

Sous les tangos argentins

Pas chassés enlacés endiablés

Serais-tu un brin libertin

Dans les bains romains

Ou pèlerin

Tu chantonnes

Sur la route de Barcelone

Erreur de trajectoire

Ce n’était pas François

C’etait finalement Capdevielle

Qui vous accompagnait dans la traversée des Pyrénées

Et faisait causette

Le politiquement incorrect

Disparu brutalement du show-biz

Il te restait ses mots sur une cassette audio-

Y a toujours un carillon qui résonne (1)

Au-dessus du port de Barcelone

Même si son air est monotone

Il peut pas chanter pour personne”

Filer dans l’espoir de ce carillon

La femme rêvée au bout qui t’attend

Dans le port de Barcelone

A fond le poste

Vous saouler de musiques et paroles

Faire le plein de Whisky détaxé

Et franchir à toute allure les Pyrénées

Traverser les combats de la liberté

Franco était ratatiné

Cracher sur les dictatures

Et vous poser

Dans un dernier hôtel

Sur la baie de la Méditerranée

Le bout d’une route

De lacets

Derniers sous de vos poches percées

Longue plage de sable doré

Et drôle de cathédrale jamais finie

Dressée désespérément vers les anges du ciel

Soudain

Tu as la dalle

Tapas à toute heure

T’as pas un peu de monnaie copain

Maintenant

Boire

Et

Danser

Sous les étoiles tombées

Au fond d’un bar louche

Qui faisait discothèque

Les plus grands musiciens

Dans l’une de ces ruelles

S’ y étaient cachés

Dans les lueurs de Barcelone

Des carillons qui résonnent

Trop fiers pour faire la quête

On a tous un p’tit Kerouac en nous

Qui dure le temps d’un deuil

Le temps d’une liberté

Jusqu’à l’épuisement

L’effondrement

La fin d’un livre

Déchiré

D’accord

Rien à voir avec la traversée de l’Amérique

Juste une traversée de toi-même

Du nord au sud de la France

Juste ce que tu avais désiré

Une simple expérience

Pour perdre ta peine

Mais oublie-t-on vraiment le passé

Dans le fond du gouffre

A découvert

Au bout d’un fil coupé

Tout serait à reconstruire

A ton retour vidé

Reconstituer le puzzle d’une jeunesse morcelée abîmée éventrée

Passent l’été et ses liesses

Le début d’un hiver solitaire

Paradis et enfer

Définitivement fermer ta porte

A toutes ces errances qui rimaient avec déchéance

Que te restait-t-il de cette aventure

Comment dépenser en un mois

Tout ton héritage

Des vaille que vaille

Qui te menaient sur la paille

Que te restait-t-il de Kerouac

“Sur la route” sinueuse des pages jaunies

L’alcool et les filles

A consommer au comptoir

La Beat génération

L’espoir du désespoir

La Beat génération celle qui écrit avec sa bitte

Et quelques brefs éclairs de poésie

La traversée d’une Amérique colonisée

D’est en ouest

D’ouest en est

Était-ce une vie

Toujours repartir

A la quête de quoi

Vivre

Ou fuire ton ennui

Vivre

Ou suivre

Ce frère maudit l’esprit alerte

Qui t’attirait vers sa perte

Le quitter

Comme Kerouac avait quitté un beau matin Dean

Alors

Un Kerouac et quoi d’autre

Te mettre à l’eau pure des montagnes

Renaître à ton esprit libre

Serais-tu au fond un brin écolo mon ami Kerouac

Plutôt qu’un alcoolo

Toi qui rêvais de quitter New-York

A l’appel du printemps

Irrésistiblement attiré vers les terres du New Jersey

Tu espérais cette fin

En cette quatrième partie de billard

Une autre Amérique

La vérité au Mexique

Dean ne t’avait pas au fond lâché

Ni toi

Tu diras

Quoi

Au mets

Final

Qui comprendra ce que nous avons vécu

Du désastre de nos idéaux

Du fracas de nos mots

Qui verra le coin déchiré de nos photos

Existera-t-il encore des théâtres

Des lieux uniques

Pour porter la force de nos mots

Tu verras à la fin de ton périple

Une autre humanité

Celle qui nous précédait

Celle qu’on avait violée

Vidée

Délogée

Déracinée

Expulsée

Enfermée

Tu voyais

Dans une révélation

Sur ta route

Les indiens fellahs

La ligne équatoriale de l’univers

Tous leurs visages

Toutes leurs terres traverser ton âme

Malaisie

Bali

Inde

Arabie

Maroc

Mexique

Polynésie

Qu’avions-nous fait de leurs vies

Le sang des colons impunément répandu

Coulait encore sur les doigts de notre orgueil imbu

Le rêve indien de Kerouac n’avait été qu’éphémère

Les filles revenaient aussitôt sur le tapis

Allons se faire des filles dans les bordels du Mexique ou d’Afrique

Tu lançais à Dean

Rien que l’expression

Se faire des filles

Ferait bondir aujourd’hui

La plupart des féministes

La Beat génération portait décidément bien son nom hélas

Une génération d’hommes dépravés

Qui ne voyaient qu’en la femme l’objet de leur jouissance

L’accomplissement de leurs fantasmes

L’assouvissement de leurs besoins

Le territoire de leurs conquêtes

Ces cow-boy au revolver en manque

Ne considéraient les femmes qu’au seul rang de simples corps apaisant leurs pulsions sexuelles

Des putes

Des poules

Et un peu plus romantiques

Des filles

Des gamines

Des mignonnes

Des courtisanes

Des copines

Le but au final

Était semblable

Les quelques préliminaires d’usage accomplis

Les allonger aussitôt sur un lit propre ou sali

Et les pénétrer de tous les coups dans tous les sens

De leur phallus tout-puissant

Qui des deux corps pénétrés prenait vraiment du plaisir

Le cow-boy

Ou l’indienne

La musique couvrait leurs cris

Au Mexique

Rue Saint-Denis et partout ailleurs

Rue du commerce des filles

De la chaleur de la sueur et des pleurs

Le narrateur jouissant librement de ses corps à peine majeurs osait exprimer son entière compassion

Quinze ans

Seize ans

Dix huit ans

Le choix était offert aux clients

Comme un menu alléchant

Un pur divertissement

Tu osais alors lui dire

Pauvre fille du Venezuela

En arriver là dans mes bras

Pour quelques billets

Que puis-je pour toi

Le mal était déjà fait

Cow-boy

Tu avais souillé de ton plaisir son jeune corps innocent

Elle avait beau le frotter encore et encore

Les blessures de son coeur resteraient gravés

Comme un tatouage pour l’éternité

Elle se noyait dans l’alcool et la drogue pour oublier son corps

Elle flottait à sa surface comme un ange

Avait pitié de toi ou te haïssait

L’ivresse la faisait basculer dans ton monde superficiel

Toi le cow-boy du Farwest

Qui ne pensais décidément jusqu’à la fin du voyage qu’au sexe

Remontant dans son catalogue jusqu’au plus jeune âge

Visitant toutes les cabines du monde pour te satisfaire

Ton « tu » à peine s’était confondu d’excuses

Keyrouac et quoi d’autre

Écrivain

De tous ces moments où l’autre n’était presque rien

Que le prolongement de tes pensées

Tu t’étais perdu dans un bain de jouvence

Entre âmes

Délivrées

Eprouvées

Y prônais-tu la totale liberté du sexe fort

Ou voulais-tu en montrer là toute sa déchéance

Une histoire de pesos

Une histoire de dollars

De monnaie faible

De monnaie forte

Les bourses

Où tout s’achète

Où tout se vend

Le libéralisme dans toute sa splendeur

Tous ces isme

Tous ces schismes du marché

Mettant l’amour de côté

Action

Inflation

Consommation

Production

C’est combien

L’amour

Dans une chambre

Une voiture

Une cabine

Ou

Derrière les cactus

Les fougères

Les pins

Les montagnes

En pleine nature

Serais-tu vraiment un brin écolo mon ami Kerouac

Ou complètement accro

De l’autre côté de la frontière

Au Mexique

Cow-boy new-yorkais

Là où tous tes sens t’excitent

Ferais-tu de la misère ta fortune

Caressant toutes les lunes

Des plus belles au plus moches

Seulement guidé par ton instinct bestial

Flairant la proie facile et fragile

Que tu séduirais par ta voix agile

Cow-boy

Ton âme était servie

Entre

Ceux qui te louaient des filles

Ceux qui te vendaient des crucifix

Du haschisch de l’héroïne ou de la coke

Bienvenue au Mexique

L’amour en stock

Tu connaissais la musique

Tu t’élevais ravi au septième ciel

En de sempiternelles chapelles

Génération des viandards

De bons rosbeefs saignants

Tout était consommé

Consumé

Avais-tu fait partie Marcel de cette génération

Qui se justifiait en disant

C’était une époque où tout était permis

La littérature passait avant la morale

La vie n’était qu’une expérience

L’expérience était-elle vraiment finie

Depuis Hiroshima mon amour

Comment décimer les derniers survivants de Gaïa

Tourner le bouton du radiateur

Laisser monter la température

Décapiter les arbres

Apprivoiser les pangolins

Répandre les épidémies

Comme une armée de Mongolie

Comme une menace redoutable

On s’amusait bien sous les tables

Mexico

Tu n’etais jamais descendu si haut .

Cinquième partie

Pour te tendre une main

Bohémien

Rien

Qu’une fin

Qui ressemblait au début

Est-ce qu’il y avait en

Chacun de nos êtres

Un Kerouac

L’appel à partir presque disparaître

Partir pour vivre une nouvelle vie

Déployer nos ailes d’oiseaux insoumis

Je compris que j’étais mort et revenu à la vie un nombre indéterminé de fois” (2).

Thierry Rousse
Nantes, mardi 16 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) Jean-Patrick Capdevielle, " Barcelone"– (2) Jack Kerouac, "Sur la route", Gallimard

Je ne suis pas donc je suis

Au début haut débit

Ce poème au fond toute ma vie

M’avait toujours accompagné

Même au long de ces calmes soirs

Peut-être où j’avais perdu tout espoir

Où je me sentais vraiment vraiment fatigué

Te dire à cette heure ici qui je ne suis pas

Pour te dire au présent qui je suis là

Je ne suis pas une vie logique (1)

Je ne suis pas une table arithmétique

Je suis le fruit d’un mystère

Je suis né de la terre

Je ne suis pas tendance, évidence

Je suis temps, danse, errance

Je ne suis pas pressé, calibré, policier

Je suis monde, vagabond, liberté

Je ne suis pas une parodie

Je suis le cri de la vie

Je ne suis pas une certitude

Je suis, j’écris ma solitude

Je suis devenu un mythe

Je suis un sens illogique

Je suis la naissance de la mort

Je suis l’oeil qui s’endort

Je suis mon dernier repos face à la mer

Je ne suis pas infidèle, je retourne à la terre.

Je ne suis pas

Donc

Je suis.

Thierry Rousse
Nantes, lundi 15 avril 2024
(1) Poème "Je ne suis pas" paru dans l'ouvrage collectif "O Débu" ( Atelier d'écriture animé par Stéphanie Fouquet ), 2002.

Un été en avril

Cinq mois de pluie

Quasiment sans répit

Cinq mois de tempêtes à répétitions

Et là

Soudain

Un samedi treize avril deux mille vingt quatre

Une chaleur estivale

Te tombait sur le crâne

Chance ou malchance

D’un réchauffement climatique

Chance ou malchance

D’un dérèglement mondial

Chance ou malchance

D’une zone désertique

Ou d’un oassis

Autour de la cabane

Aux cornets de glace fondue

Les corps un à un épanouis

Se dévêtissaient

Enfin délivrés

De leur prison

Leurs doigts de pied pouvaient tranquillement se délasser

Faire causette

S’enlacer au soleil

Sur les terrasses de la ville

Boire leurs pintes de bière

Jusqu’à s’aimer sur l’herbe tendre d’un printemps

Le coq tout excité chantait pour leurs orteils

Quelques airs de liberté

C’était le retour des amours

Des parterres de pâquerettes

Et tu avais envie d’écrire ce jour

Sur ton cahier

Rien qu’à l’oreille

A l’ombre

Au bord de l’eau

Sous les séquoïa

Ces quelques mots

On va au champ de tirs

Non pas aujourd’hui

Pas aujourd’hui

Pas aujourd’hui envie de faire la guerre

Pas aujourd’hui juste la sieste

Juste faire la sieste aujourd’hui

Juste écouter le chant des oiseaux

Juste ça aujourd’hui

Le chant des oiseaux

Ou le chant de l’eau

Juste écouter entre deux rochers

Le chant de l’eau

Comment isoler le chant de l’eau

Juste l’isoler du monde

Et ne plus entendre que le chant des oiseaux qui batifolent au-dessus de l’eau

Ne plus entendre le reste

Tout le fracas strident du monde

Ne plus l’entendre

Qu’être éblouis par les oiseaux qui batifolent au-dessus de l’eau

Que les oiseaux libres de toute frontière

Qui batifolent d’un arbre à l’autre

Qui s’envolent d’un nuage à l’autre

Sur les branches de leurs pensées

Ne plus penser

Qu’écouter

Que te remplir de cette beauté

Cinq mois de pluie

Quasiment sans répit

Cinq mois de tempêtes à répétitions

Et là

Soudain

Une chaleur estivale

Le bonheur

Te tombait sur le cœur

Chance ou pas de chance

Un samedi treize avril deux mille vingt quatre

Un été en avril

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 14 avril 2024
Incluant un texte écrit lors de l'Atelier d'écriture animé par Francis Lempérière et Marie-Frédérique Rhabiller à La Cocotte Solidaire, samedi 13 avril 2024.