Quelques notes confinées

 

Jeudi 23 avril 2020, Nantes, 39ème jour de ConfiNez.

Une matinée tranquille, une matinée sourire. Elles me souriaient. Toutes. Presque toutes à la future Ferme du super, super, super, Super U.  J’ignorais pourquoi. Etais-je connu ? L’homme à la casquette blanche, aux bretelles et aux sandales. Etais-je connu, ou, était-ce pour ma tronche, qu’elles souriaient, les femmes qui me croisaient au détour d’une allée ? Etais-je connu, ou était-ce pour les tronches de clowns peints sur mon chariot que les femmes souriaient au détour d’une absence ? Etais-je connu, ou, était-ce pour cette phrase dessinée par une plume légère m’accompagnant , « J’ai décidé d’être heureux, c’est bon pour la santé » que les femmes souriaient au détour d’un nouveau monde ?  Je répondais poliment par un sourire et notais le prix de chaque produit que je glissais dans mon chariot. Ne pas dépasser 53 euros 85. C’était mon défi de la matinée. Les défis, il y en avait tous les jours sur Facebook. Le mien, c’était la Caisse d’Epargne qui me l’avait imposé en situation réelle. « Voici ton défi, petit homme de rien ! ». Étais-je connu de la Caisse d’Epargne ? L’écureuil, seul, me connaissait. Les chasseurs m’ignoraient. Les banques, les chefs, les caméras m’ignoraient. « Vous êtes connu ? Vous êtes connu ?». C’était cette question répétitive que les gens de la Culture me posaient quand je leur parlais de mes spectacles. Et, aussitôt après, ils croyaient bon ajouter : « On ne vous connaît pas ». Il fallait du temps, oui, du temps, oui,  pour se connaître, surtout quand on ne venait pas du même milieu que ces élites qui avaient clôturé les champs de l’imagination à quelques noms d’écoles et titres prestigieux. « Vous êtes connu ? ». Oui, j’étais connu d’un écureuil et de jolis sourires. Dans l’entrée de la future Ferme du Méga Super U, des dessins d’enfants étaient exposés : une maison, un arbre, une fleur. Je glissais sur le tapis roulant de mes pensées champêtres vers la sortie, tels des nuages se chevauchant, éblouissants de sourires. Un champ de liberté. La comédie appartenait à la cité, aux chœurs des oiseaux. Un jour, les élites tomberaient de leurs échelles et les arts vivants renaîtraient. Le déconfinement se préparait à vue de nez. « – Les cotons tiges, les charlottes, les lunettes, les blouses, Adjudant ! – Avec les masques, Grand Chef ! – Où sont les masques ? – Dans le bassin du Pouliguen, Grand Chef, vous m’aviez dit que je pouvais en faire des petits bateaux… – Je plaisantais, Adjudant ! C’est à cause de Raoul le Marseillais qui nous mène en bateau dans son port…– Comment ? – Rien. Débouchez-vous les oreilles, Adjudant, ça vaut mieux. Tenez, un coton-tige ! ». Etais-je prêt à me faire déboucher les oreilles par le Grand Chef ? Il me restait 89 métiers favoris à étudier. Aurais-je le temps ? Aide-cuisinier, crêpier, agent hospitalier, accompagnateur de voyages, fermier, troubadour… ?

Je tirais sa fermeture-éclair. Elle respirait. Si longtemps, je l’avais confinée. Je rêvais d’elle quand j’étais au collège, puis au lycée. Je rêvais de la prendre dans mes bras, m’amuser avec elle. Puis, un soir, vingt ans après, je l’ai vue dans la rue. La veille de la Fête de la Musique. A Fontainebleau. Un coup d’arc en ciel. Elle était seule. Seule et en solde sur le trottoir humide d’une ville royale. « C’est combien ? ». Elle n’avait pas de prix. Je l’ai prise par la main. Elle m’a aussitôt suivi. Elle était belle, douce, élégante. Je m’asseyais sur le bord de mon lit et la serrais fort contre moi. En posant mes doigts sur elle, très vite, je sentis ma douleur. Une question de temps. Le temps que ma chair se durcisse.  La corne des guitaristes. Je rêvais d’une mélodie et c’était une dure réalité qui s’imposait à mes rêves. Gratter ne suffisait point à trouver le bonheur d’une ballade. Il fallait apprendre les accords. Le rythme, on l’avait, ou, on ne l’avait pas, le rythme. Les cours particuliers étaient onéreux et ma corne ne venait point. Je renonçais à ma douleur et l’enfermais pour une période indéterminée au fond de sa housse. Aujourd’hui, ce vendredi 24 avril 2020, jour de la Saint-Fidèle, j’avais décidé de son déconfinement, sans en dire mot au Grand Chef.

Au même moment, pour la première fois, j’entendais sur les réseaux sociaux l’un de mes textes, que j’avais oublié, lu avec tant de douceur par un comédien talentueux. Jean-Luc me ravivait à l’aube de ce souvenir. « La solitude de Genève ». « Je peux accompagner tes mots de mes notes » me murmurait ma guitare. « Je trouverai l’air, t’en fais pas !  ». Respirer, et me lancer.  Je serais connu, je serais le Bob Dylan de mon quartier, et il n’y aurait plus d’élites pour me connaître. « Connais-toi toi-même » restait le plus beau des chemins.

Confiner (Le Petit Larousse de Poche) : Etre très proche de : cet acte confine à la folie. Tenir enfermé dans un espace étroit. Se confiner : 1- s’isoler, se retirer. 2 – Se limiter à : se confiner dans une activité

Confiner (Le Petit Rousse de Poche) : Tenir à l’abri un joyau qui aspire à la Vie

Quelques notes confinées,

quelques notes oubliées,

quelques notes retrouvées

au soir d’une ballade promise.

 

Thierry Rousse, Nantes, Jeudi 24 avril 2020.

16ème récit, 40ème Jour de ConfiNez

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