Une fleur sur un mur

Lundi 20 avril 2020. Un soleil en larmes se levait sur Nantes. Le Chef de l’Intérieur avait parlé, ce dimanche, alors que je dansais les bras en l’air avec Emma, était-ce bien raisonnable, tout ça ? Je n’avais rien entendu, j’ignorais qu’il prendrait le micro, le Chef de l’Intérieur. «  Le micro ! Était-il bien amplifié, le micro? – Le micro, Adjudant ! » . C’était une surprise, le micro ? « Une bonne ? ». Le Chef de l’Intérieur aimait nous prendre par surprise. Un solo de près de deux heures. On savait. On savait tout, enfin. Le jour d’après ne serait pas comme le jour d’avant, décidément pas, on le savait déjà. Ce qu’on ne savait pas arriverait, le Chef de l’Intérieur l’avait dit. L’ennemi n’avait pas été vaincu. Un pacte d’occupation serait signé le 11 mai 2020. Dépistage rapide et massif. Toute personne reconnue, abritant chez elle, clandestinement, l’ennemi, serait arrêtée et aurait à choisir devant la Cour suprême son destin : retourner auprès de son épouse ou de son époux, de toute manière auprès de ses enfants et les contaminer, tous, tous ses enfants, ou, être mise à l’écart de la société, dans un hôtel particulier. « Isolement volontaire ». La journée, la victime jouerait aux échecs en attendant son score. Gagné ! Perdu ! Echec et mat. Elle reviendrait ou ne reviendrait pas de ses vacances prolongées sur la Côte d’usure, très mauvais jeu de mots, ce n’était pas drôle. L’enjeu était sérieux. Rien qui n’existait pour la soigner que la chance de survivre. Il faudrait apprendre à vivre avec l’ennemi, apprendre à lui sourire, à s’en faire un allié pour le conquérir. Port du masque obligatoire dans tous les transports. Un kit explicatif nous dirait tout sur la façon élégante d’enfiler son ustensile et d’appliquer les gestes barrières. Kung Fu Panda était démodé. Distanciation, sourcils froncés, « Toi, tu m’approches pas, tu baves pas sur mon ustensile, compris ? ». Les amants de Vérone attendraient pour se rouler une galoche, elle à son balcon, lui, dans son palace cinq étoiles. « Vous reprendrez bien un petit masque ?… Et, en dessert, une bouffée d’oxygène ? ». Lavage des mains toutes les dix minutes. Une peau lisse et transparente, si douce qu’il était défendu de la caresser. Les enfants voyous des cités iraient s’enfermer sous les bancs pour qu’on leur réapprenne à parler. Pendant ce temps utile à la Nation, le Pôle Sécurité enverrait leurs abrutis de parents trimer. « Fainéants, qu’avez-vous fait durant tout ce temps ? Allez coudre des masques contre l’ennemi qui vous guette ! ». Les chômeurs auraient bientôt les yeux ridés. Ils mangeraient leur poire avec des baguettes et tout irait bien. Deux années, peut-être, à vivre avec l’ennemi. Une bonne éducation pour le peuple français ! La France en Marche aurait rassemblé tous les Partis en un seul, plus besoin d’élection. Rien de tel qu’un retour à Versailles, le Roi Soleil protégerait ses sujets de l’Ennemi mondial numéro un. « Il y en aura un deuxième, Chef ? – Si vous n’êtes pas sage, Adjudant ! ».

Je prenais de l’avance en marche sur ce lundi pluvieux. Mes yeux se sentaient dorlotés. Mes mains apprenaient à vivre avec leur ennemi. Mon coeur choisissait son hôtel. Une pension familiale face à la mer, près du Croisic. J’aurais plein d’amis. « A qui le tour ?… Une partie de billard ? ». Mon corps se reposerait de ses mots déversés sur des carnets roses. Je le promènerais le long des rochers, mon corps. Il verrait les mouettes, les bulles de savon et les mâts des marins solitaires crier au milieu des vagues déferlantes : « Ho hé ! Ho hé ! –  Désolé les moussaillons, je suis confiné dans mon corps. – Vous avez fumé ? – Non, pris de l’oxygène à l’hôtel ! ». « Il faut que tu respires… » chantait, dans l’écume du temps, une sirène.

Je me souvenais d’un temps lointain. Un ciel bleu. Sur le chemin de Beautour, j’avais vu cette fleur sur un mur. Comment avait-elle pu pousser là ? De quoi se nourrissait-elle ? Où trouvait-elle la terre ? L’eau ? Drôle de position, la tête en bas… Elle devait se sentir bien seule, là, cette fleur sur ce mur. Elle cherchait à grandir. Pousser les parois de ce mur, peut-être ? Peine perdue, une caméra la surveillait nuit et jour. J’aurais aimé lui écrire des poèmes. J’avais perdu ma plume depuis 2013. Quand retrouverais-je les rimes, du séquoia grimperais-je à sa cime ? La nature se résumait en un mur, une fleur au milieu de ce mur. Les mots m’étaient comptés. Mes carnets roses se rétrécissaient. La fleur grandissait. Je pourrais un jour partager ses pétales, vous les offrir, vous, chacun des pavés de mon impasse, une nouvelle fleur, lasse du béton, naîtrait. L’Amie était là dans notre cœur, invisible, discrète, silencieuse comme un souffle d’air. « Tu renaîtras de l’écume de la mer ». Je cherchais un mât pour lui tendre mon amour. « Bois, l’Amie, l’eau est fraîche et pure. Je t’inventerai une terre légère, parfumée comme des grains de semoule. Du désert de ce mur, tu en seras Reine, Fleur de mon cœur, jardin clos de mon âme. Dans les fissures du mur, je glisserai mes mains pour te rejoindre. Tu es si belle, belle de courage à vouloir vivre ici, à persévérer dans ce que tu sais être le véritable jour d’après ». Je reposais mes mots. Je regardais une fleur sur un mur. Bientôt, on pourrait se rendre dans les Ehpad, regarder nos parents, regarder nos parents derrière des vitres, regarder, c’est tout… Le Chef de l’Intérieur l’avait dit : « On dit beaucoup de mots avec les yeux ». Le Chef de l’Intérieur devenait poète à ses heures perdues, Christophe, du ciel, lui avait insufflé ses mots bleus qu’on dit avec les yeux. Christophe, mort dans les tranchées du silence, un 17 avril 2020. 19 heures, l’heure du Chef de la Santé ! Le Chef de la Santé annoncerait sur BFMTV le nombre de morts, de cas déclarés, de cas sauvés, des Hôpitaux, des Ehpad… A la maison, à l’hôtel, on ne comptait pas. Existait-il un Chef de l’Extérieur ?

Mur (Le petit Larousse de Poche) : 1- Ouvrage de maçonnerie ou d’une autre matière pour enclore un espace, constituer les côtés ou les divisions d’un bâtiment, etc. 2 FIG. Ce qui constitue un obstacle : se heurter à un mur ; un mur d’incompréhension. FAM. Aller dans le mur : courir à l’échec, au désastre. Etre au pied du mur : face à ses responsabilités. FAM Faire le mur : sortir sans permission. Mur du son : ensemble de phénomènes aérodynamiques se produisant à la vitesse voisine du son. Murs : Limites d’une ville, d’un immeuble ; lieu circonscrit par ces limites.

Mur : (Le petit Rousse de Poche) : En sable pour les fleurs.

Le Chef de la Santé n’avait pas parlé, on ne comptait plus. Je venais de rendre mon test Schein, « Ancrages de carrière ». C’était à 19h30 qu’il parlait, maintenant, sur BFMTV, le Chef de la Santé. Il avait résumé son discours, le Chef de la Santé : « Vaccinez vos enfants ! ». J’écrivais en conclusion de mon test Schein « Ancrages de carrière » : « Dans les grandes lignes, je souhaite trouver un emploi ou des emplois qui me permettent de m’assurer une sécurité, une stabilité tout en m’épanouissant dans des activités au service des autres. Je ne souhaite pas être dirigeant. J’aime créer, tout en étant salarié d’une structure, et en faisant partie d’une équipe dans un esprit chaleureux, coopératif. A l’esprit de compétitivité, je préfère l’esprit de coopération ». Je décrochais l’ancre. Ma barque voguait sur les flots de mes pensées, j’avais une Amie, une fleur sur un mur, et, peut-être, demain, un emploi, peut-être…

Thierry Rousse, Nantes, Lundi 20 avril 2020.

12ème récit, 36ème Jour de ConfiNez

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