Une envie d’être au Vert

 

Jeudi 30 avril 2020, Nantes, J-11

A J moins onze, le ciel était perturbé, et, la pandémie des voitures, sous le pont des coquelicots, retrouvait son cher circuit des 24 heures de Nantes. Les nuages noirs océaniques en avaient gros sur le cœur, un gros chagrin d’enfant. « Vous n’avez donc pas compris, petits bonhommes de terre ? ». Apparemment les petits bonhommes de terre, dans leur capsule de ferraille, n’avaient rien entendu des maux du ciel. Le vent soufflait, des rafales de colère, et, de tendresse, séchant les larmes des nuages noirs. Les dieux du ciel étaient partagés. Le ciel voulait encore y croire, le ciel, à l’intelligence du cœur. Le soleil et le ciel bleu, par intermittence, jaillissaient. De mon cœur à mon âme, la météo de mon esprit était également perturbée, vacillant de l’espérance à une fatalité désespérante. J’ouvrais, je fermais, j’ouvrais, je fermais ma fenêtre toute la journée. Je descendais, je montais,  je descendais, je montais, de ma mezzanine à ma mezzanine, toute la journée, une longue journée, j’étais à pied…  « Notre économie repose sur l’industrie automobile », avait proclamé le Premier Chef. Des voitures électriques seraient bientôt construites. Nous étions sauvés ! Et combien de centrales nucléaires ? Un silence se fit.  A 19 heures, le Premier Chef, ou peut-être, le Chef de l’Intérieur parlerait. Le Grand Chef ne parlait plus. Où était-il le Grand Chef, en vacances à Hawaï ? Il méritait son repos, le Grand Chef. Un Grand Chef héroïque. A 19 heures, tout nous serait dévoilé par les Petits Chefs : nous saurions où nous serions, « to be in to be ! ».  Dans le rouge ou dans le vert. Coco, ou, écolo. Non, je me trompais : en colère, ou, dans les champs.  Non plus : enfermés ou libres. Masqués ou nus. Zone occupée, ou, zone libre. Bref, tout nous serait dit, nous serions, enfin, rassurés, sur notre destin. Et, j’en étais rendu à mon soixante-seizième métier étudié : « … Professeur d’éducation socioculturelle, Organisateur d’événements, Organiseur de spectacles, il n’y en avait plus, Moniteur en maison familiale et rurale, Moniteur-éducateur, Médiateur social, Médiateur culturel, Médiateur familial, Educateur spécialisé, Marionnettiste, Libraire, Journaliste en ligne ». Journaliste en ligne ? Journaliste en ligne ! Journaliste en ligne… « -Ca mord à l’hameçon ? – Tiens, un bon sujet : Le Raoul du vieux port… ».  J’hésitais. Je le gardais au chaud, pour plus tard, notre vieux pote Raoul aux cheveux longs, notre savon marseillais qui lavait nos doutes.

Le Web exigeait des brèves à sensations, une peur permanente qui nourrissait notre état d’anxiété, des inventions à n’en plus finir, des coups d’éclats, des miracles, du suspens, une intrigue, des héros, des victimes, des sauvés, un fil d’actualités du coq à l’âne, car nous aimions zapper entre le coq et l’âne. Le spectacle était là, il avait remplacé celui de nos théâtres. BFMTV et ses complices !  Ce zapping était notre nouvelle ADN.  Le zapping tuait l’ennui. Il suffisait de poser notre pouce sur l’écran et nous laisser glisser du haut vers le bas. Un jeu fort amusant. Nous laisser glisser, lâcher, prendre le téléphérique, et de nouveau nous laisser glisser sur les vagues des mots, nos yeux émerveillés. La publicité était notre déesse, objet de désirs inavoués : « Les chefs d’entreprises sont les soignants de l’économie. Vos frais de santé sont pris en charge du début du confinement à la fin de l’été. Avec Camping Car, vous êtes partout chez vous en sécurité et en liberté.  Maintenant, vous pouvez acheter votre voiture en ligne. Elle vous sera livrée en kit dans votre boite aux lettres par une sauvage amazone. Des repas à base d’insectes, naturels et fabriqués en France, seront servis à vos animaux. Nous sommes la France qui travaille. Même si nous avons dû ralentir, nous sommes prêts à redémarrer à tout jamais. La sécurité passe avant tout, nous sommes à vos côtés. Il faut se retrousser les manches. Le muguet vous sera vendu demain. Le travail reprend le premier mai. Le masque est obligatoire au Val d’Isère. La montagne est votre ressourcement. Nous vous attendons pour les vacances ! Mettez votre masque et respirez le bon air de nos montagnes ! ».

Le Chef de la Santé, après cette page de publicité, avait parlé. Une nouvelle météo était née. La couleur Orange s’était glissée entre le Rouge et le Vert pour adoucir les frontières. Une zone tampon, de mélanges, de rencontres, celle où on ne savait pas trop bien, si on appartenait aux Verts ou aux Rouges. « Tu reprendras bien un p’tit Vert, Léon ! ». Léon était rouge comme une pivoine. C’est qu’il en avait bu des verres avec les Verts, Léon !  Et ça chantait dans le bistrot du Trou du Fût : « Allez les Verts ! ». Les Rouges étaient les perdants, toujours les perdants. Les Oranges attendaient, impatients, sur le banc de la touche. « Tu veux quel maillot ? Le rouge ou le vert ? – Le vert ! – Tiens, prends le rouge ! ». Les Verts n’étaient pas tendres avec les Rouges. Les Rouges, on les voyait pointer leur nez à vue de nez, les Rouges. On fermait nos volets et nos portes. Bientôt, les Rouges portaient des clochettes à leurs chevilles. Le Carnaval était né. On leur jetait des oranges. Il était 20 heures 30 et le bon vieux Raoul allait parler sur BFMTV…

Envie (Le Petit Larousse de Poche) : 1- Convoitise à la vue du bonheur ou des avantages d’autres. 2- Désir, souhait. 3- Besoin organique soudain. 4- Tâche naturelle sur la peau : les tâches de vin

Envie (Le Petit Rousse de Poche) : d’être en vie

« Le Rouge et le Vert », mon nouveau livre de chevet. Je m’endormais avec cette envie d’être au Vert, demain matin au réveil, ouvrir ma fenêtre et prendre l’air…

Thierry Rousse, Nantes, jeudi 30 avril 2020.

22ème récit, J- 11 de ConfiNez

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