Un monde entre parenthèses

 

Un monde entre parenthèses

Parenthèse.

Etait-ce une parenthèse ?

Vivais-je entre parenthèses ?

Une vie entre parenthèses ?

Peut-être.

Je n’achetais plus le journal depuis quelques temps.

Combien de temps ?

Je ne savais.

Je ne comptais plus les heures ni les minutes.

Je ne lisais plus aucune actualité du monde.

Je n’écoutais plus que le chant des oiseaux, et, au soir couché, le cri d’une tôle chahutée par le vent.

Rien que cela du monde ou presque.

Une « remarque incidente insérée dans une phrase ».

Un besoin de m’extraire de tout ce qui se racontait sur le monde, de ses guerres, son chaos, sa fin imminente.

Un besoin de m’extraire de tous ces conflits, de toutes ces maladies qui n’en finissaient pas d’exister, de toutes ces brisures qui commençaient en soi et se prolongeaient chez l’autre.

Parenthèse.

Juste aimer.

Contempler les collines au lointain.

La cime d’un clocher silencieux.

Les tuiles rouges des maisons.

Les arbres et les champs de vigne.

Juste ça, peut-être, pour oublier tous ces maux.

Un signe de la main.

Des moulins qui n’avaient plus d’ailes.

« Signe qui indique l’intercalation d’un élément dans une phrase ».

Aimer.

Juste aimer.

Entre parenthèses.

Faire le tri de mes pensées.

Laisser place à l’amour.

Toute la place à l’amour.

Rien que ça pour donner sens à ma vie.

Attendre la visite d’une amie qui ne viendra pas.

Lui pardonner son absence.

Un lundi de Pentecôte sous la pluie.

M’extraire du monde.

Composer une comédie.

Un « potager des contes » pour le plaisir de jouer.

Rien que pour le plaisir de jouer ensemble.

Ensemble.

Je vous voyais déjà sourire.

D’une pelouse, faire naître un jardin extraordinaire.

La tôle cependant au milieu de la nuit continuait à gémir comme une baleine harponnée.

Comme pour me rappeler à ses yeux au fond des abysses éteints.

T’aimer, c’était écouter tes rires comme tes cris profonds.

Même, entre parenthèses, je ne pouvais être indifférent au malheur, à tes pleurs comme à mes propres larmes qui ne pouvaient plus couler.

Le chat miaulait derrière la porte coulissante du grenier. Il parvenait enfin à l’ouvrir, bondissait, trempé, sur mon lit, réclamant une caresse.

Juste une caresse.

Les animaux avaient besoin de nous comme nous avions besoin d’eux.

Ensemble, nous pouvions cohabiter intelligemment.

L’intelligence du coeur sommeillait entre nous, entre parenthèses.

O Muse de mes nuits, Emma, je me pelotonnais en toi, tu te pelotonnais en moi, à l’abri des bombes.

Le monde était ce que nous en faisions tous les deux, notre monde.

Une couette pour nuage.

Notre monde, naïf et ravi, chantait, dansait entre parenthèses.

Les mots de Victor Hugo, immortels, nous enlaçaient à l’infini : « Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée, un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour. La contemplation m’emplit le coeur d’amour ».

Thierry Rousse

Vertou, lundi 6 juin 2022

« Au coeur des vignes ».

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