Sur la route de Soi

 

« Six mois pour créer un autre monde ».

J’écrivais cette phrase en entrant dans cet hangar planté au milieu du vignoble.

Un hangar pas comme les autres.

Un hangar qui se composait d’un atelier, d’un théâtre, et d’un espace de convivialité.

Les vignes au dehors ressemblaient à des barbelés, à un vaste cimetière, ou encore à un champ de guerre traversé par un sanglier perdu, traqué par les Hommes de la société.

Je pensais soudain à la guerre en Ukraine.

La paix était un bien précieux.

En avais-je vraiment conscience ?

Le vent du nord soufflait fort sur cette colline et le froid de l’hiver se faisait encore ressentir.

Avril portait à merveille son dicton : « En avril, ne te découvre pas d’un fil ».

Après un repas festif et une visite des lieux, je rassemblais mes amis dans le salon autour du poêle.

Les propositions jaillissaient.

Créer un autre monde échauffait les esprits.

Et après ?

Après les six mois ?

Déjà, l’un d’entre nous songeait à l’après avant d’accueillir ce qui s’offrait à nos âmes.

Etait-ce de sa part un signe de sagesse ?

Penser à l’après avant de nous préoccuper du présent comme si « l’après » lui donnait sens ?

L’ivresse des vignes pouvait certes égarer les esprits.

Quelques visites se succédaient, quelques moments de partage, et de longues plages de solitude, car, sans doute, pour créer un autre monde, il me fallait prendre ce chemin qui me mènerait au fond de moi-même. Sur la route de Soi. L’intimité d’une naissance.

Quel sens désirais-je donner à ma vie ?

Que voulais-je faire de mon esprit, de mon âme, de mon coeur, de mon corps ?

Créer un nouveau monde commençait déjà par là, contempler ce paysage qui se donnait à mes yeux, m’en émerveiller un peu plus chaque fois, chaque matin, chaque soir, le voir verdir et grandir.

La mort des ceps n’était qu’apparente.

La vie était latente et n’attendait que la chaleur qui la ferait éclore, la chaleur du soleil ou la chaleur d’un amour.

L’amour donnait la vie. Je le savais.

Ce chat me l’enseignait chaque jour, lui, qui m’attendait toujours à mon retour, fidèle compagnon.

Six mois pour créer un autre monde paraissaient peu, ridicule, grotesque, absurde, ironique, et, pourtant, en un fragment de seconde, cet autre monde se manifestait à ma conscience, cet autre monde était ici, ronronnant, simple au fond, comme un regard, une caresse, un sourire, comme la Lune qui pouvait éclairer mes nuits.

La lumière jaillissante ne se voyait-elle donc pas que dans l’obscurité d’un monde absent ?

Thierry Rousse

Vertou, dimanche 15 mai 2022

Au coeur des vignes

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