Marche tranquille

 

Le Premier Chef du Grand Chef parlerait à 18 heures. Les nouvelles seraient-elles bonnes ? Serions-nous libérés le 1er décembre ? Les commerces seraient-ils ouverts ? Noël aurait-il lieu ? Avions-nous été bien sages ? Avions-nous bien respecté les mesures de distanciation sociale ? Serions-nous récompensés de nos efforts ? Une bonne fois pour toutes ?

7 heures. J’avais programmé le réveil de mon smartphone à 7 heures. Je m’autorisais cinq minutes de prolongation. Cinq minutes de trop. Mon corps replongeait dans les bras de Morphée. 10 heures. A 10 heures, mon corps se réveilla. Une catastrophe. Que faire ? Gronder mon corps ? Lui faire la tête ? Le bouder ? Le punir ? Me séparer de lui ? Prendre mes distances avec lui ? Le comprendre ? Accepter qu’il ait besoin de se reposer ? Une dispute entre mon corps et ma conscience aurait gâché toute ma journée, et, surtout, n’aurait servi à rien. Le temps écoulé ne se rattrapait pas. Ma colère aurait été strictement inutile.

Autour d’une tasse de café, je me réconciliais avec mon corps et lui proposais de marcher main dans la main pour aller poster une lettre de toute importance. Une belle occasion de revenir par les chemins buissonniers. Le soleil brillait. La température était douce. Les feuilles resplendissantes. Nous traversions les jardins partagés de La Crapaudine avant de rejoindre les bords de la Sèvre. Nous étions presque heureux, mon corps et moi. Nous songions à ces prairies bucoliques d’Ecosse ou d’Irlande. J’aimais tant les jardins à l’anglaise, ces jardins où le jardinier laissait pousser la nature, composait avec elle. Nous saluions nos Highlands qui faisaient la sieste à cette heure, digérant l’herbe fraîche des prés inondables. Je me sentais juste triste de piétiner les feuilles tombées à nos pieds. Comment les éviter ? Cela était encore possible sur les larges allées balayées par le vent. Tout se compliquait dans les passages étroits. Elles étaient si nombreuses sur les sentiers des sous-bois. L’arbre se séparait de ses feuilles pour survivre au froid des nuits hivernales à venir. Une à une, elles tombaient après avoir offert à l’arbre qui les portait ses plus belles couleurs. La feuille allait mourir, se décomposer, être la terre qui nourrirait son arbre. Chaque automne rendait mon coeur mélancolique. Une marche tonique aurait peut-être fait du bien à mon corps. Les joggeurs, montre en main, casque sur les oreilles, me doublaient. Mon âme préférait la marche romantique. Tenir la main à mon corps et regarder tous deux vers l’avenir. Ralentir. Apprécier l’instant présent. L’avenir était là. Accomplir du mieux possible chaque chose. Prendre le temps d’aimer.

Le Premier Chef parlait. 42 500 décès depuis le début de la pandémie .Un décès sur quatre dû au virus. Une hospitalisation toutes les trois secondes. 1360 lits supplémentaires. Le Premier Chef maîtrisait les chiffres. L’objectif était que les malades n’arrivent pas à l’hôpital et que l’économie et l’emploi soient sauvés. Le confinement était moins dur que celui du printemps. Le taux de reproduction du virus était passé sous le seuil fatidique, mais la prudence était de mise. Le Premier Chef en appelait à notre responsabilité, notre civisme, notre solidarité, à la plus grande fermeté. Les contrôles seraient accrus. Tout corps désobéissant aux règles énoncées serait puni. Si tout se passait bien, le pic serait atteint en fin de semaine. Il nous restait à continuer à être sages et Noël aurait lieu. Pas de grands rassemblements festifs. Un Noël en famille, juste ce qu’il fallait. Les autres Chefs de la Santé, de l’Education, du Travail, de l’Economie, de la Finance et de la Relance, tour à tour, s’exprimaient. J’en gardais un peu pour demain. Je n’avais pas vu le Chef de la Culture. Où était le Chef de la Culture ? Y-avait-il encore un Chef de la Culture au Grand Palais de l’Elysée ?

J’avais publié en ce jour le sixième épisode de « Mon Pote Agé », plus douce était la vie… Mon corps et moi allions souper, à la lueur d’une bougie, en écoutant Jazz à Fip. Cette idée d’Amap suivait son chemin. J’imaginais de tendres contées au coin du feu. Et si la vie, la vraie, nous attendait quelque part ?

Thierry Rousse

Nantes

Jeudi 12 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

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