L’été d’un sourire

 

L’été. J’y étais. Au milieu de l’été. Mes pieds. Ce temps aurait pu être l’été. Un trente et un juillet deux mille vingt et un. Mes yeux. Un goût d’été. Une plage de vacances. Mes lèvres. Tout lâcher et vivre. Mes mains. Vivre et aimer. Mes doigts. Aimer et être libre. Etre libre et voyager. Mon corps. Voyager et danser. Une danse irlandaise ou une tarentelle. Ou une samba. Ou une danse infinie. Une danse que je ne connaissais pas.

Et pourtant ce temps n’avait rien d’un été, ce ciel bleu qui avait peine à durer. Tantôt ce vent de mer, tantôt ce vent de terre agitaient mon âme en friche. De gros nuages noirs pointaient leur nez chargé de larmes entre mes dunes. La menace revenait. Pesante. Flottant au-dessus de ma tête. Quelques dinosaures au-dessus des pins. Sous son nouveau visage. Cette menace au nom enchanteur, Delta. Plane mon âme. Des voix m’annonçaient, chaque heure, une nouvelle hausse des hospitalisations, une « épidémie qui gagnait du terrain ». Les Chefs démocratiques nous imposaient le pass sanitaire, l’arme décisive pour faire reculer l’ennemi. Je devais contrôler dès lors mon semblable ou être contrôlé par mon semblable. Mon semblable était devenu l’autre que je suspectais ou l’autre qui me suspectait. Distanciation sociale. Toi et moi. Nous nous susceptions l’un et l’autre d’être complices de l’ennemi. « Quel ennemi ? Tu le connais? – Non.  » . Plus aucun baiser, plus aucune caresse sur le champ de cette occupation. Chaque corps lentement mourait d’absence de tendresse, tombé dans les tranchées de la méfiance, de l’ignorance, l’indifférence. Il restait le plancher d’une guinguette pour espérer encore une rencontre. Ou un poème. Ou une forêt. Ou une rivière sauvage.

Je regardais mes semblables derrière cette grille. Mes semblables n’avaient pu entrer dans ce théâtre de verdure à Notre-Dame des Monts pour assister au concert d’Abel Chéret. Quelques uns de mes semblables étaient dépourvus du pass obligatoire. Rejetés. Exclus au festin. J’avais obtenu le mien après des heures d’attente, une file interminable devant un minable garage rempli de cartons. Entre deux cartons, une chaise et un coton-tige. Test PCR négatif. J’étais sauvé. Jusqu’à quand ? Sauvé pour quarante huit heures. Sauvé jusqu’au jour où je devrais accepter ce vaccin. Etre obligé. Etait-ce pour mon bien? Qui pouvait me certifier que ce vaccin était bon pour mon corps?

Qui ?

Je regardais l’océan. L’île d’Yeu. Je rêvais de retourner sur l’île d’Yeu. Les bateaux se croisaient au loin. Souvenirs d’une eau transparente. Il me restait mes souvenirs. Les souvenirs d’un temps libre. Je songeais aux êtres sur le fil de la vie. Ces êtres que des experts disaient condamnés. Ces êtres, pourtant, qui prenaient soin d’eux-mêmes, de leurs proches, des objets qui leur étaient chers. Ces êtres qui savouraient chaque instant du temps, chaque instant de vacances.

Je cherchais dans mon dictionnaire « Vacance : situation d’une charge, d’une place, d’un poste momentanément dépourvus de titulaire ».

Mon poste dans la société était vacant. Je retournais à l’existence universelle.

L’été, j’y étais.

J’avais été. J’avais aimé. J’avais été aimé. J’avais vécu. Je vivais maintenant sur le fil de la vie. J’avais tout à apprendre. Tout à apprendre d’un été. Un sourire. Rien qu’un sourire.

Thierry Rousse,

Nantes, samedi 31 juillet 2021

« A la quête du bonheur »

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