L’élan de la dernière

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Dernière sur ton calendrier

Y-aurait-t-il une autre fois

La question revenait à chaque fois

A ce jour

Aucune autre date n’était en vue

L’inquiétude était là

Palpable

La tristesse aussi

Mais ce samedi

L’heure était à la joie

La joie de répéter

La joie de bien préparer toutes tes affaires

La joie de rencontrer le public qui viendrait voir ton spectacle

La joie de jouer avec ton public

Ton public

Le public serait-il au rendez-vous

Sans public

Tu le savais

Pas de spectacle

Tu connaissais la fragilité du spectacle vivant

Celle qui te rappellait

La fragilité de la vie

Sans l’autre qui étais-tu

Pouvais-tu au-moins vivre

Grandir

Révéler toutes les potentialités qui sommeillaient en toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Dans ce petit village de Vendée

Tout près de l’océan

C’était un vrai théâtre

Qui t’attendait

Un vrai théâtre

Avec tout d’un vrai théâtre

Qui s’offrait à toi

En ses moindres détails

Le hall d’accueil

Les rideaux noirs

Les fauteuils rouges

Tu en dénombrais cent cinquante trois

La rampe d’accès pour les décors

Un vaste plateau

Des loges larges et confortables

Et même une douche

Et même une douche

Et à l’étage

La régie lumières et la régie son

Un vrai théâtre

Comme autrefois

Qui te rappellait cette prestigieuse époque

Où tu jouais Le Malade Imaginaire en Avignon

Théâtre des Corps Saints

Ou dans ce joli théâtre à l’italienne de Fontainebleau

Aujourd’hui

Ce dimanche

Tu jouais Le Potager des Contes

Au Théâtre d’Angles

Presque au bord de l’eau

Et ton visage te souriait dans le miroir

Tu revivais

Tu étais toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Tu avais installé tous tes objets

Monter le décor peint

Qu’un ami t’avait prêté

Un magnifique champ de pommes de terre

Tu n’avais plus qu’à manger

Te reposer puis t’échauffer

Avant l’horaire fixé

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Quinze heure

Théâtre d’Angles

La pluie avait dissuadé plus d’un

A affronter les gouttes d’eau pour rejoindre un théâtre

L’écran de la télévision au chaud l’avait peut-être emporté

Mais les enfants qui étaient là

Dans ce théâtre

Avec leurs parents

Etaient bien présents

Attentifs et ravis de jouer avec toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Seize heure trente

Le rideau se fermait

Le public s’en allait

Tous tes objets tu rangeais

Ton champ de pommes de terre

Tu le démontais vers d’autres terres

Cette dernière te donnait un nouveau souffle

Cette braise ravivée

Par ton public

Leurs regards

Leurs sourires

Leur plaisir de monter sur une scène

Ranimait en toi l’espoir

C’était aux enfants que tu le devais

Et aux adultes qui croyaient en toi

Qui étaient sensible à tes créations

Oui

Jouer avait encore un sens

Tu ne pouvais pas t’arrêter comme ça

Parce que tu n’avais plus de date

Tu ne pouvais pas t’y résoudre

Au fond de ton cœur

Cette pièce déchirée

Il te fallait la recoudre

Une petite voix te disait

Une fée peut-être

C’est important que tu continues

A partager ce qui te porte

C’est important

Important pour toutes celles

Pour tous ceux qui aiment jouer avec toi

Important pour la planète

Important pour le vivant

Important pour les générations futures

Un jour amplement

Les portes des autres théâtres

Des autres bibliothèques

Des autres centres de loisirs

S’ouvriraient au Potager des Contes

Il fallait juste y croire

Croire au bouche à oreille

Croire à ces petites graines semées

Croire qu’un jour vraiment

Ça se dise

Que tu existes

Dans l’entre soi des âmes essentielles

Que la culture n’existe qu’à deux

Une cour et un jardin

A tes côtés déjà

Il y avait cette fée qui se démenait pour te faire connaître

Seul on est bien peu devant la cour des rois

Il fallait tant de coktails aujourd’hui

Des fastes au palais des glaces de Versailles

Pour être connu

En ce bas monde

Connu

De tous les élus

Connu

De tous les décideurs

Connu de tous les shérifs

Qui détenaient les clés du magot

Il en fallait également tout un attirail d’indien

Toute la panoplie des photographies

Des vidéos

Des teasers

Des dossiers

Etre dans les lieux où il te fallait être et te montrer

Te frayer un chemin

T’exprimer

T’affirmer

Oser dire

Vous avez besoin de moi

Plutôt que t’agenouiller

Comme un saltimbanque suppliant

J’ai besoin de vous Majesté

Ayez la grâce de me permettre de jouer pour ces enfants qui m’attendent

Tu connaissais

De ta passion

Le prix à payer

Vivre sous le seuil de pauvreté

Depuis plusieurs années

A te serrer la ceinture

Le théâtre était-il un sacerdoce

Un dévouement corps et âme

L’ultime mission

Avec le jardinage

Avec l’artisanat

Pour sauver une humanité à l’asphyxie

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Si ça plaisait à Angles

Pourquoi ça ne plairait pas

A Carré, Rectangle, Triangle

Pourquoi pas

Tu n’avais plus de temps à perdre avec ces êtres insensibles à ce que tu donnais de toi

Plus de temps à perdre avec ces êtres qui ne cessaient de mettre des bâtons dans tes roues

T’empêchant d’avancer

Plus de temps à perdre à t’adapter à ces êtres qui fonctionnaient sur une autre logique

D’autres intérêts

Ces êtres épuisaient ta précieuse énergie

Ton énergie était bien plus utile à offrir

Aux êtres sensibles à ce que tu donnais de toi

Sur la route ce dimanche matin

Tu allais aujourd’hui vers les êtres qui te désiraient

Qui t’aimaient

Qui t’attendaient

Qui t’encourageaient

Ces êtres qui avaient vraiment envie d’être à tes côtés

Ces êtres qui te rendaient la route large douce tendre

Et ton cœur en était apaisé

Soulagé

L’élan de la dernière te poussait à recommencer

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 12 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *