Fin du vieux monde

La tour de Bretagne

De Nantes

Celle que tu avais vue

Un jour

Affublée à sa cime

D’un nez de clown

Était

Entièrement

Vide

Bouclée et murée

Depuis

Deux mille vingt

Mémorable année du confinement

Le motif

Car il y avait toujours un motif énoncé

Avant une catastrophe mondiale

Etait

Des poussières d’amiante

Ont été retrouvées

Dans certains volets

De désenfumage

Du bâtiment

Terne paysage

Alerte générale

Alerte générale

Évacuation

Évacuation

Sur le champ

Descendre

Tout en bas

Descendre

Fini de regarder le monde d’en haut

Exil du vieux monde

Atterri

Au rang des ruisseaux

Même les oiseaux noctambules

Ne se posaient plus sur la terrasse de son nid

C’est dire

Le vieux monde n’avait plus la côte

L’avait-il eu seulement

Un jour des oiseaux

Le vieux monde

Désillusion d’un voyage

Désillusion d’une machine infernale

Flagrant fiasco d’un phallus dressé

Sorti une nuit des corps pensant

Décor d’un maire et de son architecte

Voulant sans doute rivaliser

Avec les autres têtes d’égos verticaux

Avec tous ces mâles des ces mégas cités

Paris, New York, Londres, Dubaï, Tokyo, Shanghaï, Pékin, Hong Kong…

Attirer les grandes sociétés de ce monde

Ces araignées multinationales

Qui aimaient par-dessus tout dominer

Te considérer de leur piédestal

Cette triste colonne solitaire

Tour d’ivoire de ces hommes d’affaires visant le ciel

Était

Le reflet

De la fin d’un vieux monde obsolète

L’expression d’un clown éperdument triste

Bousculé par un charivari de guerres en pagaille

Économiques

Financières

Des guerres

Déclenchées

Avec l’aval de yeux enfouis dans le sable

Tant d’erreurs

Répétées

Depuis des siècles

Tant de gouvernances qui n’avaient pas su placer le vivant au coeur de leurs projets

Trop concentrés sur leurs calculs stratégiques

Le temps était venu de reprendre racines

Se reconnecter avec l’humus

Retrouver l’odeur de la terre

Multiplier les jardins dans la ville

Élargir les trottoirs et les pistes cyclables

Redonner aux animaux leurs territoires

Apprendre à cohabiter

En toute intelligence

Revoir les moulins les vaches les tulipes

Les riads les dromadaires les oliviers

Goûter au charme d’un oassis oriental en Hollande

Plutôt que garer ses envies inassouvies

Sur le parking d’un vieux monde bétonné

Sur la route du vieux monde

Kerouac

Tu l’avais déjà pressenti

L’homme d’affaires voulait lui aussi exister

Mais il avait “tendance à exister aux dépens des autres” (1)

Le vieux monde des affaires

Qu’était-il au final

Des kilomètres industriels

Bâtis par les oligarchies bien pensantes de la consommation

Qui avaient engendré en toi des frustrations

Ce que ton professeur d’économie et de sociologie

Vous partageait

Quand il faisait cour à ta classe option B

Sur la pelouse du lycée

A l’approche de l’été

Avant que la haute autorité

Ne le sanctionne

D’un laisser-aller

Qu’était le monde exactement

A quoi ressemblait-il

A pied tu ne voyais pas le même monde qu’en voiture

A vélo tu ne voyais pas le même monde qu’en avion

A la nage tu ne voyais pas le même monde qu’en bateau

En bus tu ne voyais pas le même monde qu’en train

Ainsi à tes yeux

Le monde

De là où tu l’observais

Était différent

Plus beau ou plus laid

Plus attirant ou plus repoussant

Parfois tu aimais ralentir

Parfois accélérer

Tracer jusqu’aux confins de nulle part

Voir

Ou ne plus voir

Ou revoir

Ou ne jamais revoir

Ton plus grand cauchemar

Ou ton plus beau rêve disparu

Le nouveau monde sans cesse côtoyait le vieux monde

Depuis des siècles

Et chaque fleur était là pour te montrer le bonheur

Et puis

Comment le regardais-tu ce vieux monde

Avec le temps

Tu avais appris l’art de la distance

Mieux valait en rire

Que t’en rendre malade

Tenir un miroir et lui refléter sa face

Le rouge criard de son maquillage

Ce vieux monde qui

Pas même d’un regard

Daignait

S’approcher de toi

Et t’écouter

Ce vieux monde

Qui passait sans te voir

Et te rangeait dans une case

Cette case était bien plus utile à lui qu’à toi

Ce vieux monde décrépit

Ce vieux monde pourrissait

Tu avais appris toutes ses stratégies

Pour t’influencer vers ses intérêts

Ce vieux monde vaniteux

Ce vieux monde d’envieux

Tu n’étais pas dupe

De son jeu

Ce vieux monde

Ce vieux jeu

Ce vieux je

Les tremblements de terre

Déjà le renversaient

Les incendies

L’encerclaient

Le vieux monde s’embrasait

Les arbres se sacrifiaient

Et combien d’animaux les suivaient

Pour sauver les dernières braises de vie

La mer montait

L’eau

Des grilles et de la terre

Jaillissait

Et les vaniteux

Prétentieux

Finiraient bien par reculer ou s’y noyer

Un nez de clown flottait à la surface des océans comme une bouée

Et la musique enchantait déjà ton âme

Le soleil était de retour

Après cinq mois de pluie

Trop chaud tu le savais

Déréglé le climat

Quand les icebergs fondaient

Le nouveau monde le savait

Et cultivait la terre

Comme sa plus belle amie

D’attentions nobles

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 11 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) Jack Kerouac, « L'océan est mon frère », Gallimard

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