Le réveil chinois

 

Il était là. Tout bleu. Tout rond. Là sur ma table basse rectangulaire, un cercle presque parfait devant les yeux de mon canapé rouge. Las, fatigué peut-être. Ce réveil ou ce regard. Ce réveil des yeux éteints, épuisés, allongés, rougis par les larmes. Qui l’avait fabriqué ? Quels doigts habiles ou contraints ? Oppressés ? Juvéniles ? A peine, un jour. Pourquoi être allé si loin ? Si loin pour un réveil chinois ? Une muraille de vent. Et déjà, arrêté. Effondré. Plus de temps. A peine remonté. Le mécanisme s’était grippé. Signe des temps ? Pour quelle économie d’argent, quelle dépense de temps ?

La raison. Une nuit à la Fête de l’Humanité. Mon sac fouillé. Tout près de moi. Endormi. Rien entendu. Qui m’avait volé, cette nuit, mon identité ? Quel inconnu désirait prendre ma place dans ce vaste monde ? Je n’avais plus rien que mon corps égaré, que ma tête éperdue dans ces allées au matin d’une fête gâchée. L’Humanité était au rendez-vous dans ce qu’elle avait de plus beau et de plus laid. Qui appellerais-je maintenant ? Mon téléphone était, dès lors, entre les mains de cet inconnu. Une part de ma vie envolée, de mes messages reçus et envoyés, de mes photographies, vidéos et contacts… Heureusement Google possédait quelques qualités. A mon plus grand bonheur, je découvrais, quelques jours après, que ce Grand Frère avait sauvegardé une partie de mes souvenirs, de ces visages et paysages que j’aimais tant. Instants de vie qui constituaient mon patrimoine vivant. Bien sûr, j’étais destiné à vivre au présent, à me projeter dans l’avenir. Il m’était pourtant si doux de revisiter tout ce que j’avais apprécié de cette vie, de ces désirs accomplis, de ces moments partagés. Tout présent était éphémère et déjà pierre de mon royaume éternel.

Enfin, fin de la pluie. A présent. Soleil au coeur de la nuit. Le Grand Chef, notre Roi Soleil se plaisait à régner sur ses sujets. Jour après jour, il rétrécissait l’espace de nos libertés. Sans Pass sanitaire, où pouvais-je encore aller ? Dans quelle rue ? Quel théâtre ? Que m’était-il encore permis de vivre ? Rouler sur l’autoroute, dépenser ce qu’il me restait dans un vaste supermarché ou contempler la nature ? Savourer simplement l’amitié. Les baisers de l’amour. Sa sagesse. Ses graines de folie. Ses grains de mots. Lire. Ecrire. Parler à une fleur. L’écouter. Elle avait tant de choses à me dire du bonheur, cette rose trémière à ma porte qui me souriait quand je rentrais. Fidèle réveil matinal d’une tendresse infinie. Entre les mains de ce bonheur inouï, hors du temps, oubliant mon réveil chinois, je déposais, silencieusement, ma vie.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 19 septembre 2021

« A la quête du bonheur »

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