D’un QR Code périmé

 

J’avais l’air d’une cloche, l’air d’une cloche avec ma quête du bonheur quand j’ouvrais la page six du « Monde » ce mardi dix août. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat livrait son sixième rapport. Le premier volet comptait mille trois cents pages. Trente ans de collaboration entre scientifiques et politiques. Leur collaboration semblait peu efficace. Qui était au service de l’autre ? Qui prenait en considération la parole de son voisin? Trente années à éplucher chaque mot pour se mettre d’accord sur quoi ? D’accord sur la corde raide qu’un bourreau passerait, l’heure venue, à notre cou ?

L’été deux mille vingt et un nous donnait un avant-goût de ce qui nous pendait au nez. Les catastrophes se multipliaient, s’intensifiaient de tous côtés de la planète, et il était à présent vérifié que des petits hommes épris de la démence des grandeurs en était la cause. Je n’allais pas jusqu’à dire qu’ils étaient bons ces petits hommes. Ils avaient juste saccagé un magnifique jardin qui leur était offert, des roses et des épines, que déjà, ils lorgnaient les déserts de la Lune, de Mars ou de Vénus. D’adorables petits aventuriers destructeurs.

Je me regardais ce soir devant la glace. Je ne voulais plus leur ressembler à ces petits hommes maîtres de la Terre. Terre à terre. Je brisais ma glace. Des morceaux de lames. Je criais par delà les glaciers : « Je ne suis pas un QR Code, regardez-moi dans les larmes. Vous pouvez me sourire, me parler, m’embrasser, m’aimer si vous le désirez. Mon existence ne se résume pas à ces carrés que vous scannez parfaitement. Non, je n’irai plus mettre les mains dans la folie de votre jeu qui s’écroule, menteurs ».

Jeu de canicule. La plus torride que la Grèce n’avait jamais connue. Fonte accélérée de la calotte glaciaire au Groenland. Crues meurtrières en Allemage et en Belgique. Deux cent vingt quatre morts. La Russie s’enflammait. Las Vegas avait la fièvre. Le château de cartes tournait au drame. Des centaines de morts au Canada. Les éventails étaient dérisoires. Le Maroc transpirait. Cinquante degrés. L’Espagne la rivalisait. Qui avait cassé le bouton du radiateur? Même punition en Turquie. Déluge en Chine. Déluge en Inde. Déluge au Japon. Les morts s’additionnaient. Des lambeaux d’êtres. Le monde glissait sur les corps. Effet papillon. Un air d’apocalypse. Alors Noé disait vrai ? L’Arche n’était pas qu’un roman pour enfants ? Qui seraient les derniers vivants? Les âmes pures ? J’en doutais. On tuait bien des mères. Les innocentes trinquaient, emportées par le sang versé des petits hommes. Les oiseaux s’envolaient.

Il me restait l’amitié. La revue « Philosophie » y consacrait un numéro spécial. Cinq jours de festin, du jardin extraordinaire à l’île de Noirmoutier, les derniers repas, les derniers verres. « Attention, on tourne ! ». Immortaliser l’instant éphémère sur le bord d’une rivière pendant que d’autres escaladaient les falaises de leur chute. Lointains souvenirs sans frontière. Thé au jasmin, main délicate d’une serveuse. Baignade défendue. Route qui fendait l’océan, route de l’exode. Exil des âmes libres qui se perdaient pour mieux se retrouver. A quoi songeait le poète ? A l’utopie ? Ce lieu qui n’était, que lui seul pouvait habiter de ses désirs ?

Mon QR Code était périmé. J’avais épuisé mes droits de liberté. Soixante douze heures avec le vieux monde. Il me restait à vivre une nouvelle vie, affranchi des mensonges. Songes bien plus vrais, plus élevés, plus sincères. QR Code à la poubelle.

Belle nuit d’étoiles, toiles d’araignées scintillantes, tissant mes rêves.

Thierry Rousse

Mardi 17 août 2021

« A la quête du bonheur ».

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