Le livre d’un arbre

 

De nouveau, il avait plu. Ces gouttes d’eau cognant à ma vitre me réveillaient doucement. Il y avait quelque chose de plaisant à entendre la pluie, une chose tendre qui m’invitait à rester sous ma couette blanche. Un message sans doute des anges. Une chose lointaine. Fallait bien que toute cette eau évaporée par les fortes chaleurs d’ailleurs retombent quelque part ici. Le ciel ne gardait pas ses larmes, il les laissait couler pour guérir.

La pluie me retenait à la maison. La pluie était le repos de mon corps, le repaire de mon âme. Pour sa grâce fragile, je savais l’apprécier, l’entourer de ma chaleur, l’embrasser avec tant de délicatesse. Je la regardais tomber sans la toucher. Le ciel était blanc. La végétation exaltait. J’écoutais les petits bruits qui jaillissaient du silence. Les plus infimes choses prenaient leur importance, me racontaient une histoire. Leur histoire. J’imaginais son passé et son avenir. Le bruit d’une moto ou le bruit d’un marteau. Le bruit des pas sur un plancher. Un ronronnement continu. Quel était donc ce bruit ? Sa voix au bout du fil? Ou des ondes qui nous traversaient chaque jour? Peut-être tout simplement le moteur de mon réfrigérateur ? Ces bruits étaient fort étranges. Le suspens s’installait dans ma chaumière. Ma pipe menait l’enquête. Des volutes de questions. Deux corps enlacés derrière une cloison. Un amour nu confiné. Les moindres bruits menaient à des rêves au-moins exquis, aux jeux de doigts et de pouce-pouce, aux jeux de mots noctambules de savon. Plus rien n’existait de la société, tout s’était arrêté. Le balancier d’une horloge suspendue à mes pieds de nez à nez de clowneries aux éclaboussures de soi-même pas peureux et heureux. Il était temps de sortir. Le miroir d’eau des drapeaux blancs au pied du château de ma Duchesse. L’un m’était offert pour marcher jusqu’à la Place Royale. Marcher contre cette étoile sanitaire que les Chefs, dès lors, nous obligeaient à porter. L’étoile sanitaire qui nous donnait accès maintenant aux concerts, aux spectacles, aux restaurants, aux cafés, et, bientôt, à la vie. Je quittais mon drapeau blanc pour un nuage blanc quand j’appris qu’on assimilait les drapeaux blancs aux militants d’extrême droite. Triste époque des rumeurs, d’un monde qui ne cessait de se diviser, de s’affronter, de se déchirer et d’imposer ses règles, balloté entre des extrêmes qui se rejoignaient.

Une nouvelle fois, je devais reporter mon atelier « Fabriquer son théâtre miniature ». La Guinguette Rêver Sèvre était déserte. Ce marécage automnal m’invitait aussi à reporter ma vie. Après m’être enfilé une baguette entière de chocolat à tartiner dans le corps, je me blotissais dans les lettres qu’un poète avait écrit pour sa muse. Sylvain Bernel jouait avec ses lèvres, deux langues qui se confondaient. De la française à l’anglaise, de l’anglaise à la française. « Mirror Effect, Effet Miroir ». Qu’il était beau de lui offrir ses mots. Emma. Je ne comprenais pas tout à ta poésie et mon incompréhension attisait mon désir de te revoir, savourer ta musique et tes images, tout ce que je pouvais entendre et voir, chaque jour, nouveau, te découvrir te dévoiler à mon coeur. Sensuelle et platonique à la fois.

La technique, de l’autre côté, se rebellait contre moi. Je m’avouais vaincu. Le livre me consolait de ses pages. Passage de l’autre côté du miroir.

Je songeais au castor, seul, au bout de cet arbre couché, déraciné, couché sur le socle d’une tour disparue, la porte Sauvetout. Où irait-il à présent, le castor isolé, depuis que sa rivière était enfouie sous les pavés? Qui le sauverait ? Nous ne pouvions que nous sauver par nous-mêmes. Cela n’avait aucun rapport. Jadis. Le livre d’un arbre. Esclave des hommes. Parenthèse d’amour.

Il me restait la légèreté d’une nuit étoilée de désirs matinaux.

« Tout devient limpide

Le café du jardin

Un soleil dans une tasse

Sur les planches du matin » (*)

Thierry Rousse

Mercredi 4 août 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Sylvain Bernel « Mirror Effect, Effet Miroir »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *