Le lait des vaches résistantes

 

J’y étais, les pieds dans la nouvelle année ! Le passage s’était fait en douceur, lumineux et chaleureux, au coeur des fougères secrètes de Guérande, tout au bout d’un chemin, comme perdu, tout au bout du monde, d’un certain monde. Dans l’obscurité, un feu de joie flambloyant d’espérance m’attendait. Etre attendu quelque part sur la Terre, sous les Etoiles, par des Anges. Le changement ne pouvait venir que du fond de nos coeurs, étincelants au milieu des flammes qui se rassemblaient.

Je l’écoutais au coucher de Soeur Lune, au réveil de Frère Soleil, je l’écoutais se reposer, marcher et danser, mon coeur encore vivant, bientôt au champ des balles livré. Un ping-pong d’Omicron qui déréglerait toute une société, toute une Planète, de la Chine à l’Amérique, de la vieille Europe à l’Afrique, d’après ce qu’en disaient les journalistes. Pouvais-je me fier véritablement à tout ce qui se racontait sur les ondes, tout ce qui s’écrivait dans les journaux ? Certains répandaient cette rumeur : Omicron était notre chance, l’espoir d’en sortir. L’attraper, c’était devenir invincible. Invincible si on en sortait vivant. Apparemment, il n’était pas si méchant, Omicron le Mignon. Moins méchant que son grand frère Delta et sa grande soeur La Covid. Alors, Omicron ou Vaccin ? La Cour de Monsieur Julon s’excitait, tapait du poing pour imposer le Passe vaccinal. Pour une fois, des voix résistantes au sein de l’Assemblée protestaient, les voix des futurs prétendants au Trône du Roi. Qui voterait pour moi, pour toi, pour nous, pour vous, pour eux, pour elles, divines fées de mes rêves ?

Le ciel bleu se répandait après le déluge d’une apocalypse programmée. Des oiseaux blancs tranquilles dormaient, en ce mercredi de trêve, au bout des branches, ou, flottaient sur les prés inondés de la Sèvre. Animaux paisibles qui seraient enfin débarrassés des Hommes, un jour, peut-être, de ces Hommes qui avaient cru bon devoir dominer la nature pour exister. Hommes gonflés d’orgueil. Hommes misérables qui n’avaient pas su respecter la Terre qui les accueillait. Hommes insultant un virus qu’ils avaient, eux-mêmes, fabriquer, par leurs ivresses de pouvoirs. Hommes fous, ignorant le trésor de leur coeur. Etrangement, la Chaussée des Moines m’apparaissait, aujourd’hui, comme une carte postale, un souvenir figé du bonheur. Là sans être là. N’être plus. Déjà ailleurs, enlacer l’infini, l’infini d’une étoile si lointaine et si proche, le sourire d’un ange dans son berceau. Le fleuve emportait son écume, ses désirs et ses pleurs, vers l’océan. Les Hommes avaient cru encore bon devoir abattre des arbres pour développer leur tourisme fluvial. Hommes de demain, Hommes de la fin. Ports de leurs solitudes. Asphyxiés. Irradiés. Confinés dans leurs absurdités.

J’y avais cru à leurs absurdités : « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ». J’en avais bu, oui, j’en avais bu du lait pour grandir, quand je n’étais qu’un enfant, qu’un adolescent. Grandir. J’avais cru à ces Hommes de la science, du progrès, du bien-être . A cinquante quatre ans, je découvrais la vérité. Je privais les veaux de leur nourriture, ce lait que les vaches produisaient pour leurs enfants chéris. Je buvais leur nourriture. Je buvais leur nourriture pour grandir. Les Hommes séparaient les vaches de leurs veaux, les gavaient de céréales fermentées, de farines animales, elles qui étaient par nature herbivores. Les Hommes progressaient dans leurs cruautés, dans leurs folies, administraient aux vaches des hormones de croissance, des antibiotiques, des anxiolytiques pour les rendre encore plus résistantes aux conditions de vie atroces qu’ils leur imposaient. Produire, toujours produire encore plus de lait, développer l’économie. L’espérance de vie des vaches était devenu le tiers de leurs ainées. Qui se souciait des vaches, de la ferme des animaux ? Jones buvait, tuait les veaux, et nous les mangions.  » Que va-t-on faire de tout ce lait ? « (°) . Je buvais un lait empoisonné en croyant grandir.

Ces Hommes étaient laids, menteurs. J’étais une vache à leurs yeux. Je broutais mes dernières herbes, les pieds dans l’eau. L’oiseau blanc m’appelait sur sa branche. L’Ange se réveillait tout au fond de mon coeur. Je renaissais au monde dans l’année des deux deux chevaux, crinières au vent.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 5 janvier 2022

« A la quête du bonheur »

(°) George Orwell, « La ferme des animaux ».

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