L’agenda et la disparition

Deux mots qui n’avaient rien à voir.

Agenda.

Disparition.

Le premier : agenda.

Ainsi commençait ma journée.

La liste de mes tâches à accomplir pour la journée.

C’était une répétition.

Rayer ce mot.

Noter mes tâches, sur un grand cahier

inséparable de mon agenda

bien trop petit pour tout écrire.

Je l’avais choisi jaune comme le soleil.

Lisse

Agréable à toucher

comme la peau d’une orange

mon agenda.

Une case vide devant chaque tâche

attendait d’être remplie

par la fameuse croix.

Fait.

La joie de tracer cette croix.

Fait.

La tâche était faite.

Je notais la durée passée pour chaque tâche

souvent

bien plus longue que prévue.

Il pleuvait

toute la journée

il pleuvait.

Et face à ma large baie vitrée

j’accomplissais sutudieusement

mes tâches

comme un élève sage.

Les tâches étaient variées.

Elles allaient d’une réponse à donner

pour un spectacle demandé

puis pour un autre

à

des appels reçus

questions au sujet de mon métier

nouvelles d’un ami de longue date

point administratif

point financier

réunion à câler

à

mon actualisation

à

mes mises à jour

à

le classement de mes bulletins de salaire

Quand

venait l’heure fatidique

préparer le repas

manger

un couscous en boîte

ne pas perdre de temps

ne pas regarder en l’air

avaler une pomme

boire un jus d’orange

et reprendre

comptes

budget

tentative de virement refusé, une fois, deux fois, trois fois

appel de nouveau reçu

attente d’un paiement

trouver une solution au problème

dialoguer

expliquer

écrire la trame du spectacle pour des enfants auprès desquels j’intervenais dans une école

« Sindab sur l’île Plastic »

noter les prochains ateliers clown

écrire un message de remerciement

à la personne qui m’avait permis

d’en être là aujourd’hui

Quand

venait l’heure fatidique

préparer le repas

manger

oeufs

carottes

petits pois

en écoutant France Culture

Et après…

Le message reçu d’un autre ami

« Ma maman est décédée »

Disparition

Le temps s’arrêtait

Un vide

Retrouvée inanimée

chez elle

au lendemain des fêtes

Ce n’était pas écrit sur mon agenda

ce mot que je n’osais prononcer

la fin de la vie

Une case vide

qui attendait sa croix

tâche faite

vie accomplie

Je refermais mon agenda

J’écrivais un mot à mon ami

Que dire

sinon que je pensais très fort à lui ?

Quels autres mots trouver ?

Je me sentais bien idiot avec mon agenda

mes tâches, mes cases et mes croix.

Il en aurait fallu d’autres

d’autres

de nombreuses cases

toutes les cases pour mes proches

toutes les cases pour mes amis

à appeler

pour leur dire

combien je les aimais

avant notre disparition

avant notre disparition

avant notre …

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 4 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

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