Il avait fallu…

 

Vingt mille pas autour de chez moi.

Demain, s’élargirait mon cercle.

Je respirais.

Une sensation de liberté.

Une porte s’ouvrirait à minuit. Je serais sans doute encore éveillé.

Ce deuxième confinement avait été plus difficile à vivre que le premier.

Il avait fallu un sursaut, des mots croisés, un feu allumé, une famille réunie, des gestes d’attention, des présents inattendus.

Il avait fallu ces belles et douces chansons de Fip qui m’accompagnaient le soir, ces lectures, ce sentiment d’exister pour un autre.

Il avait fallu ces échanges téléphoniques, ces messages si touchants.

Il avait fallu tous ces partages.

Il avait fallu ce bilan de santé, ces cinq fruits et légumes, ce lait, ce bon fromage frais, ce tendre pain, ces féculents, ces huîtres, et s’y tenir.

Il avait fallu cette joie de retrouver ma forme d’athlète. J’étais un peu de Marseille bien que mes origines étaient de Franche-Comté.

Il avait fallu ces bons souvenirs, me les rappeler, les écrire.

Il avait fallu ces projets, les concrétiser pas après pas : l’Amap artistique, la réédition de mon livre « Le grain de sable et la perle magique » et ma première commande. Les graines semées commençaient à porter leurs fruits. Des emplois, des contrats étaient en vue.

Il avait fallu un déclic, un papier, une allumette, une brindille, une branche, une bûche.

Il avait fallu ce bois mort qui donnait la vie.

Il avait fallu un pudding, un gâteau au chocolat, une crêpe, un poème.

Il avait fallu une plancha.

Il avait fallu ces marches toniques.

Il avait fallu noter le nom des rues.

Il avait fallu des jeux, des défis, des buts.

Il avait fallu le sourire de mon papa.

Il avait fallu un marché à Vertou.

Il avait fallu les vaches écossaises et nantaises. Toujours là.

Il avait fallu le rangement de ma maison presque parvenu à son terme.

Il avait fallu de nouveaux arbres miniatures dans ma maison, un if, un palmier, un avocatier.

Il avait fallu la lecture de ce roman « Cupidon a des ailes en carton ».

Il avait fallu écrire pour tenir. Tous ces instants légers, mélancoliques, joyeux, ces instants de doutes, d’interrogations, d’apaisement, de confiance.

Il avait fallu passer de l’ombre à la lumière, du froid à la chaleur.

Il avait fallu fermer le journal et ouvrir les yeux.

Il avait fallu une bonne étoile.

Il avait fallu renouer avec l’essentiel.

Il avait fallu toi, et toi, et toi… et moi.

Il avait fallu serrer un arbre, sentir sa force me consoler.

Il avait fallu des pleurs et des rires.

Il avait fallu la vie. Un puits et une source.

Il avait fallu l’automne. Le ciel bleu et la pluie.

Il avait fallu tes larmes et mes larmes pour engendrer ce fleuve si beau.

Il avait fallu cette barque si paisible.

Il avait fallu Roméo, il avait fallu Juliette pour oublier la guerre.

Demain les librairies ouvriraient. Demain, des livres m’attendraient. Demain, je partirais à l’aventure dans mon nouveau cercle. Vingt mille pas. Je découvrirais en explorateur la forêt de Touffou. Je caresserais les arbres, je les aimerais, ces arbres, ces arbres qui me protégeaient. Je laisserais l’écureuil vivre libre et heureux. Je laisserais l’Amour renaître tranquillement de ses cendres. Les dessins d’enfants étaient les plus beaux. Je laisserais mon masque et je t’embrasserais. Je n’aurais plus peur, je sauterais les océans pour rejoindre cette île parsemée de braises.

Vingt mille pas.

Les mots s’étaient libérés.

Ils étaient venus comme ils avaient choisi de venir, les mots.

Je leur avais juste permis de se poser sur l’écran de mon clavier.

Telle une sage-femme, je prenais le chemin du Sage-homme.

Il avait fallu ce deuxième confinement pour tracer un cercle qui nous rassemblait.

Un cercle infini.

Il avait fallu la tisane des petits lutins.

Il avait fallu l’imaginaire.

Il avait fallu…

Thierry Rousse

Nantes

Vendredi 27 novembre 2020

« De retour chez Mémé ZaninE »

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