Y’a quelqu’un.e

Tu te promènes avec toi-même

Un vendredi

Une fin d’après-midi

Une faim de reconnaissance

Qui te regardera

Avec élégance

Qui te dira que tu es belle

Que tu es beau

Bohême

Echoué.e au bout d’une avenue

Qui n’en finit pas de descendre

Quarante pieds au bord d’un fleuve agité

Quai de la Fosse

Croisière de guerre

Trêve

Port d’attache

Instant de repos

Tes kilos d’os, de chair et de muscles

Sur le comptoir pesés d’un rhum arrangé

Parenthèse d’un routard

Lève-toi et marche avant qu’il ne soit déjà trop tard

Prends ce tramway qui t’élève sur sa butte terminus

Scintillement d’un lac

Apprécie cette belle vue

Après la chevauchée des monticules de poubelles

Et des longues cités emmurées d’errances

Respire sur un autre monde bienvenu

Opulence d’un regard plein sud

Calligraphie sur ta peau de soie

Pluies de lettres qui dansent

Entre tes courbes sensuelles

L’amour enlace ton corps d’émoi

Souvenir d’un dernier éclat d’étoiles

Avant le crépuscule du cube noir

ONYX

L’autre planète

« Là, quelqu’un » (1)

Qui aura besoin de toi

Et te laissera

Quand il n’aura plus besoin de toi

Qui te photographiera

Qui disposera ton portrait

Sur sa table de chevet

Son travail achevé

L’être seul te renvoie à ta solitude

Théâtre de la vie et des fictions

Une femme de l’autre côté

De l’autre côté de la vitre

Du temple moderne de la consommation

Juste parce que derrière les frigos il fait chaud

Juste ça pour exister encore

Allongée

Des kilos de larmes blotties

Et cachées à l’oeil des caddy qui roulent

Frénétiquement vers les marchandises

Accumulées

Là, quelqu’une

Une boîte métallique vide qui résonne

Qui sait d’où elle vient

Ce qu’elle a vécu cette femme

L’origine de sa présence ici

Des enfants interrogatifs l’observent derrière la vitre

S’approcher ou s’en méfier

L’accueillir

L’inviter

La connaître

Dormir à ses pieds

Tu te promènes avec toi-même

Un samedi

Juste avant le lever du soleil

Tu partiras

Discrètement

Juste avant de souffrir

Une nouvelle séparation

Un nouveau déchirement du coeur

Juste avant ça

De ces ruptures qui déchirent les abîmes de l’âme

De ces mots durs

Ta dernière consolation fut

Y a quelqu’un.e

Thierry Rousse

Samedi 8 avril 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) « Là, quelqu’un » d’Eddy Pallaro, L’Atelier des fictions, Théâtre ONYX, Saint-Herblain, le 7 avril 2023

L’expertise aux pieds d’argile

Qui te dira qui tu es

Ce que tu vaux

Ta légitimité

A qui tu la dois

A qui te la donnera

Des pieds d’expertise

Une liste de noms

Tes références

Ton pedigree

T’accoler à ces faire-valoir

Juste pour paraître

C’est bien peu pour ton être

Tu as attendu tout ce temps pour écrire

Une vie parmi des milliards

Le temps de vivre

D’additionner

De débiter

D’argumenter

Tu feras comme eux

Juste pour exister

Juste un peu

Consommation d’appelations

Des pieds d’expertise te diront

Ce qu’est le conte

Ce qu’est le clown

Et qui tu es

Des pieds d’argile façonnés

Qui te dira ce qu’est le souffle

L’innomable

L’innombrable masse inconnue

Au musée des castes des soumis

Petit tu resteras petit

Au bout d’une longue tablée d’été

Au Wattignie

Tu jetteras ces derniers mots juste avant l’oubli

Pieds de nez aux pieds modelés

Beaux-Arts des vivants

Corps dénudés

Exercices d’articulations

Apogée de notoriétés

Des coupes d’élégance

Quels mots t’écraseront de leur apparence

Chapeau pointu

Fourmi des rues

Dans la rue

Vis-la

Villa

De tes lilas

Lis la vie

Lie-la à ta vie

La vie

Tu n’as besoin de personne qui te dises qui tu es

D’aucune excellence

Que la jouvence de ton être nu

Tu n’as besoin de personne qui te façonne

Juste à laisser passer la lumière

Juste à laisser passer la lumière

Invisible

Vider la corbeille de ta tête

Les spam inutiles

Et sourire

Au monde

Jardin des délices

Fleuve des tranquillités

Sobriété essentielle

Regarder dans tes yeux

Le ciel

Que ce qui compte

Les rires des enfants

Que ce qui compte

Les rires des enfants.

Thierry Rousse

Jeudi 6 avril 2023

« Une vie parmi des milliards »

Lettre à mon clown ToTTi

Te dire

Prendre le temps d’écrire

Prendre le temps

Où est le temps

Prendre l’invisible entre mes mains

Et te l’offrir ToTTi

Laisser mes mots à l’état brut

Sortir de leur coquille

ToTTi

J’aimerais tant que tu reviennes, oui, dans ma vie

ToTTi

Tant te laisser le temps de renaître

Dans cette précipation des jours

Des tâches qui s’additionnent

Où entre deux

Je ne trouve plus même le temps pour toi

Que l’épuisement de mon corps

Te dire

Que tu m’as surpris en Avignon

Par ton audace

Ta détermination

Un jour

Et un autre jour encore

En deux mille dix

Te dire que tu m’as aidé à grandir

Peut-être à être libre

Peut-être à laisser mes larmes couler

Peut-être à laisser sortir de mes trippes

Toute l’agressivité du monde

Et son amour aussi

ToTTi

A danser sur toi-même

A tracer des ronds

Dans un rectangle

A n’avoir plus peur de rien

Pas même de Richard III ni de la cour des Papes et des jardins des Rois

A jouer tout ce que tu désirais jouer et plus encore à être

Sous les cieux

ToTTi

Ton écharpe livrée au mistral

A regonfler la vie de ton souffle

A l’essuyer de ses blessures

Ballons perdus

Crevés

Sous les cigales

A savoir que seul nul ne peut briser un mur

A savoir qu’à plusieurs ce mur peut s’effondrer

ToTTi

Les frontières des quartiers

Aussi

Que tout peut s’embrasser

La mixité des différences

Aussi

De Paris à Marseille

Aussi

De Nantes à la Vendée

Aussi

Des vents de liberté et de beauté

Des nez de la rue

A trop s’être pris de portes fermées

De réflexions

Désobligeantes

ToTTi

Ton premier jour sur la Terre

Cris de peur ou de joie

ToTTi

Quel monde je vois à travers toi

Curieux et passionnant

Je veux te donner ce temps essentiel

Pour que tu puisses exister

Pas au Paradis du ciel blanc

Mais ici

Gris ou bleu

Bien ici

Sur le bitume des villes

ToTTi

Tu relèves la tête

Et c’est toi que je suis

ToTTi

Toi mon soleil

Toi l’éveil de mes nuits

ToTTi

Ce n’est qu’un début

Entre toi et moi

Un perpétuel début

Poème présent

Insaisissable

ToTTi

Lâcher de sable

Falaise

Sur le comptoir d’un bar

Lieu Unique

Strip-tizz pour deux

Chaises flottant sur l’océan

Deux chaussures qui se rencontrent

Sur un chemin improbable

ToTTi

Tu sais à qui tu dois la vie

Et je te la dois aussi

Allée

De silence

Ce vide

Est bien pour toi

ToTTi

Qui sais rire de tous les bides

Toi l’alchimiste

De l’imperfection des mots

C’est à toi maintenant

Jette-toi à l’eau

Et nage jusqu’à moi

Pour nous sauver

Loin du sol

Dans les collines du Lubéron

Et bien encore

Sur les monts de Pagnol

ToTTi.

Thierry Rousse

Mercredi 5 avril 2023

« Une vie parmi des milliards »

Refuge pour la fin d’un monde

Samedi premier avril

Deux mille vingt trois

Fin d’un après-midi

Je quittais Malakoff

Et sa Libre Usine

Je me dirigeais

Vers la Maison des Utopies Magnifiques

Rien que cela

La Maison des Utopies Magnifiques

J’avais bien l’étoffe d’un voyageur

Qui embarquait à Haubans

Et regardais dans la grisaille du temps

Les arrêts défiler

Je franchissais la frontière

Sans le savoir

Sous le pont d’un Chemin de Fer

Et surgissais à Berlin

Les arrêts continuaient à défiler sans arrêt

Gare Sud

Lieu Unique

Monteil

Hôtel Dieu

Commerce

Je descendais à Commerce

Déjà un long périple de noms

Et filais comme un petit poisson

Jusqu’à Gare maritime

Mes nageoires aussitôt prenaient le large

A l’avant d’un bateau

Et je traversais

Encore une autre frontière bien agitée

Entre la terre et la mer

Tel un exilé

Je m’enfuyais

Je quittais un monde bruyant

Dans le silence

Du regard des amoureux

Qui s’embrasent

Etincelles de joie

De sourires

J’avais l’étoffe d’un roi

Maintenant

Qui accostait fièrement à Trentemoult

Et cherchait la Maison des Utopies Magnifiques

Rien que cela

La Maison des Utopies Magnifiques

Parmi les cours des pêcheurs

Dédale de coeurs

Serpentant les heures

J’osais poser mes mots

Au seuil de cette maison

Et trouver un bon réseau

Qui ferait écho

A ses images et ses sons

Petit Poucet

Refais tes lacets

Dans quel terreau

Les mots que je semais

Avaient-ils une chance de naître

Dans quel repaire

Quel refuge

Pour la fin d’un monde annoncé ?

Mes mots n’avaient-ils d’autre but

Que de plaire

Echouer sur la rive d’une oreille attentive

D’autre but que de se briser ou se perdre

Interroger

Provoquer

Se répandre dans l’air

Tout simplement s’extraire

D’une bouche ou d’une âme

Peut-être d’un esprit inconnu

Venu de la rue

D’autre but que de consoler

Réchauffer

Soigner les blessures

Et doucement être aimés

Farah quittait son utopie à regrets

Les vies se croisaient

Parfois se rencontraient

Et les mots continuaient à résonner

Dans les coeurs

A l’extérieur de cette utopie

Je courrais

Montais dans le dernier bus

Qui m’attendait à la croisée des chemins

Un livre entre les mains

« Arcadie »

« Nous nous sommes refugiés à Liberty House parce que le désastre était imminent . . . » (1)

Thierry Rousse

Nantes, 2 avril 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) « Arcadie » d’Emmanuelle Bayamack-Tam, éditeur POL

En avril découvre-toi d’un fil

Un jour

Le mercredi vingt neuf mars deux mille vingt trois

Ainsi défini sur mon calendrier

Me dire que dans quarante six minutes

Ce jour sera fini

M’interroger

Ai-je bien vécu ce jour ?

Ai-je fait ce que j’avais à faire en ce jour d’essentiel ?

Et si c’était là mon dernier jour de vie

En serais-je satisfait ?

Qu’aurais-je pu faire de mieux ?

Qu’avais-je râté

Ce mercredi vingt neuf mars deux mille vingt trois ?

Aurais-je pu vivre autrement cette journée

Comme un roi ?

Partager un repas convivial entre résidents

Plutôt que de me retrouver seul devant un écran ?

Parfois dans la vie

Il y avait ces râtés, ces oublis

Ces « j’aurais dû choisir ceci plutôt que cela »

« Faire ceci plutôt que cela »

Ecrire, téléphoner, rendre visite à …

Travailler moins ou travailler plus

Ou mieux définir mon travail

L’axe de mes rails

Choisir, faire, définir

Des actions qui, inlassablement, se répétaient

Au carrefour de mes chemins

Apprendre avec le temps

Sentir les chemins qui me mèneraient vers la lumière

Et les autres qui me perdraient dans l’incertitude

La spirale d’une chute vertigineuse

Compter mes heures et le sens de chaque heure

Chaque minute, chaque seconde

De souffle

Et de vie

Mercredi vingt neuf mars deux mille vingt trois

Interroger chaque seconde

Chaque minute

Chaque heure

Chaque souffle

Des kilos de soi d’errance

Sur la balance d’un temps fragile

Plus que vingt minutes

A vouloir rattrapper ce jour

A croire à l’utilité de chaque instant accompli

De la main invisible qui me guidait

Si je parvenais seulement à l’écouter

Regarder la couleur du ciel

Des années qu’il et elle ne s’étaient pas retrouvés

Le hasard faisait parfois bien les choses

« El color del cielo » (1)

Un palace au bord de l’eau

Lointain souvenir d’un passé

Deux mille vingt trois

Plus que dix sept minutes

Le temps de me relire

Trouver des rimes

Un jour d’amour

Le mercredi d’une vie

Entre des sacs éventrés

Et des déchets brûlés

Ville miroir d’un monde en péril

Déclassé

Plus que neuf minutes

De violence et de cris

Me blottir dans ma hutte

Et puis zut

Me dire que ce jour sera fini

Et puis tant pis

Avais-je bien vécu

Vingt neuf mars ?

Me consoler

Sur mon calendrier

J’ai fait ce que j’ai pu

Vers ta source je pars

De toute l’eau que j’ai bue

Des beautés de tes images

Radieux paysages de montagnes

Une gare de nulle part

Une minute dans une bulle

Minuit l’âme déambule

J’écris à Dieu

Au-dessus de mes rues

Quelque graffiti

En avril

Découvre-toi d’un fil

Infini

Thierry Rousse

Nantes, Mercredi 30 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) « El color del cielo » film de Joan-Marc Zapata

Festival du film espagnol, Le Katorza, Nantes

La boucle infinie

Finir ma vie

Presque là où je l’avais commencée

Presque

Presque à l’affirmation de mon existence

Presque au printemps de l’adolescence

Presque à travers la poésie, la littérature, le théâtre, la philosophie

Presque là

Dans la résonnance des sons

Les bords pluvieux d’une Loire

Tourbillonnant entre marées et courants

Presque là

Le jeu des correspondances

Du bassin Saint-Félix au stade Marcel Saupin

Jeu des miroirs teintés

Qui te font voir les paysages autrement

Presque par des récits de voyage

De l’Italie à la Colombie

Presque

De la Provence à Barcelone

Presque

Franchir la frontière de la voie ferrée

Ilôt d’indépendance

Ilôt de solitude

Cinq balles à bout portant

Devant les yeux des enfants

Presque

Carnets de reportage

Où sensations, souvenirs et faits s’entremêlent

Presque

Désir d’être journaliste

Rien qu’un désir

Eric Blair ou George Orwell ?

Changer de nom, de destinée

Où étais-je né ?

Quel âge avais-je ?

Quelles vies avaient composé ma vie ?

Une vie parmi des milliards

Je ne savais que répondre

Je me perdais dans les soustractions

Enlacements d’une presqu’île

« J’ai un doute, as-tu soixante ans, es-tu encore en âge de travailler ? »

Je calculais

A quelles années-lumière étais-je de l’âge de la retraite

De l’âge fatidique qui me ferait basculer dans la catégorie des séniors

Des grabataires déjà un pied sous Terre ?

Presque

Et pourtant il en existait des rebelles encore vaillants avec toutes leurs dents

Jeunes d’esprit, amoureux de la vie qui la croquaient à pleines mains

Presque

Je veux des noms, je veux des bouches

Au zénith de ma finitude

Au hasard ou par Providence ?

Hubert-Félix Thiéfaine

Soixante quinze ans déjà et encore à chanter ses longs poèmes

Avec l’éloquence des premières fois

Sa voie me redonnait aisance

Vingt ans se dessinaient devant moi

A dix-sept ans, je rêvais d’en avoir vingt sept

A cinquante cinq, trente cinq

« On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans » (1)

Tout recommencer de ma vie en mieux

Les quarante neuf trois ne m’arrêteraient pas dans mon élan

Qui déciderait de la fin de mon expédition terrestre ?

Quel roi aurait pouvoir sur ma vie de palfrenier ?

Je descendais de mon grenier

J’abandonnais l’écorce de mon corps

Pour la sève de mon âme

« As-tu des enfants ? As-tu une femme ? » me demandait cette petite fille de sept ans

Là non plus je ne savais que répondre

Que possédais-je de la vie

Rien sinon son souffle

Que laisserais-je derrière mon ombre

Qu’une tombe abandonnée ?

Qui viendrait me voir

Les herbes folles du Père Lachaise

Le vol d’une hirondelle

L’éclat du soleil

L’impétuosité d’un vent glacial

Les larmes du ciel ?

J’étais au fond peu de choses

Qu’une poignée de terre entre tes mains invisibles

J’énumérais les sons juste par passion

Sans compter les pieds

Juste un mouvement de pas maladroits

Sur le parquet de l’oubli

Des « i », des « é », des « ions », des « en » de balbutiements, d’éjections verbales

« ale » s’ajoutait à la fête des mots

« o » triomphait

Hôtel silencieux

Partir sans faire de bruit

Dans le tumulte du monde

Regarder par le trou de la serrure

Génération ascensionnelle

Tous genres confondus

Embrasaient les rues

Brûlaient les poubelles de la consommation

Dans les ruelles pavées des colons

Et légionnaires affolés

Le capitalisme n’avait laissé derrière ses idéaux

Qu’un vaste chaos

Juste la fin de l’humanité

Sans sommation

Tout était possible à présent

L’imaginaire nous était rendu

Entre chaque groupe de mots des espaces à inventer

Tout était à écrire des doigts d’une femme

Ou presque

« L’amour viendra, et il aura tes yeux » (2)

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 26 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Arthur Rimbaud
  2. Emmanuelle Bayamack-tam, « Arcadie », édition P.O.L.

Le printemps de la démocratie

49.3

49.4

49.5

49.6

49.7

49.8

49.9

49.10

Qui disait mieux ?

Ces nombres en devenaient ridicules

Comme ce roi devenu fou

Qui ne savait plus écouter

49.11

Ce roi qui professait sa litanie

Derrière son pupitre

49.12

Ame désemparée qui tenait à son pouvoir bien plus qu’à nos désirs

49.13

Roi qui se protégeait derrière son armée de légionnaires

Autant de corps soumis à ses ordres

49.14

Songeaient-ils seulement à une autre campagne ?

49.15

Pour qui obéissait-ils le roi et ses légionnaires ?

49.16

Je ne pouvais rester ainsi

A observer debout derrière ma fenêtre

Le peuple à bout pris au piège

Rassemblé sur un miroir d’eau brisé

49.17

Le théâtre avait toujours été le lieu du dialogue

De la confrontation qui faisait naître un monde nouveau

Epris de liberté et de fraternité

49.18

Les poètes avaient toujours été des voix

Qui proclamaient la justice

49.19

Des mots qui descendaient dans la rue

Des feux d’artifices de baisers et de caresses

Des arcs-en-ciel d’étoiles

Pour croire encore à l’enfance

49.20

Je descendais

Un parmi des milliers

A refuser ce fatalisme

N’être qu’un sujet soumis

Obéissant

A la folie des temps

49.21

Je défendais ma liberté de penser

De réfléchir, d’analyser

De me relier à l’essentiel

49.22

Un nuage piquait nos coeurs

Cette grenade à nos pieds

Lancée par un légionnaire

Avait-il seulement aperçu cette dame

Sur son fauteuil roulant

Passant à l’instant devant ses yeux ?

49.23

Ce roi dans sa tour s’obstinait à avoir raison

Méprisant la saison

Déplaçant de case en case ses pions

Comme des morpions

49.24

Où était la braise de cette violence

Qui enflammait le ciel

Et nos rêves ?

49.25

Le printemps jaillissait

Des éclairs

Nul besoin de lunettes

Pour me transporter dans un autre monde

La beauté de tes fleurs

Leur parfum me guidait

M’enivrait

Je te restais pour toujours fidèle

Non pas toi

49.26

Sur le tableau noir

De ton roi Napoléon

J’effaçais tous tes nombres

Et j’écrivais

Avec le sang de nos vies

Fièrement

Ton nom

Démocratie.

Thierry Rousse

Mercredi 22 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

Le 49.3 de la poésie/sortir de nos hivers

Et là

Un samedi

Je traversais

Des poubelles entassées

Et là

Un samedi

J’escaladais

Des sacs bleus et jaunes éventrés

Et là

Un samedi

Je ne voyais qu’un abîme noir de l’autre côté des sacs

Qu’une chute vertigineuse

Des rues qui s’enflammaient

Des fleuves de cendres

D’immondices

D’éclats de cette société de consommation

Parvenue à sa fin ultime

Une société gouvernée par trop de vices

Vices de toutes sortes de sévices

Pillant en toute impunité la Terre

Les rats eux dansaient d’allégresse

Reprenant possession de la ville

Quand

Tout là-haut

Dans son château

Le Roi ne savait plus ni écouter ni dialoguer

Il faisait régner

A coups de 49.3

En toute impudence

Sa démocratie

Dans un silence

Imposé

Dans la plus camouflée des violences

A coups de renforts

De fourgons blindés

De matraques et de cuirasses

A coups de chevaliers

Qu’il faisait avancer sur son échiquier

Echecs et décadences de son royaume

Qui était le fou du roi dans cette histoire

Où se cachait sa dame

En haut de sa tour emmurée ?

Changer d’air

Entrer dans une boîte obscure

Et ne plus voir la réalité

Que par écran interposé

Charlie s’empiffrait jusqu’à en mourir (1)

Traînant derrière lui son chagrin d’amour

Sa culpabilité d’avoir abandonné sa fille

Devait-il toujours se tourner vers son passé

S’interdire de vivre

Porter la mort de son compagnon comme une croix

Telle une baleine échouée qui ne sentait même plus

Sur sa peau lisse l’harpon qui le retenait ?

Devait-il s’inventer une maladie comme nouvelle amie pour survivre

Pour juste qu’une âme charitable soigne un peu son coeur

Espérer un « je t’aime » qui ne lui sera jamais dit ?

Charlie se cachera pour ne pas être vu des gens

Pour passer inaperçu

Et disparaître discrètement de ce monde

Avant que la lumière du printemps ne le ramène au jour

Dans une autre salle de cette boîte obscure

Emily rêvait de liberté (2)

Cette liberté de penser et d’aimer

Ses proches la jugeaient « bizarre »

Elle était juste elle-même

Sincère avec ses sentiments

Avec ses sensations

Juste dans la vérité

Juste elle

D’Emily je retiendrais ces mots

« Il n’y a qu’un seul bonheur dans la vie : aimer et être aimé »

Il était temps, oui, de sortir de nos hivers

Accueillir ce présent

Déposer notre croix sur le chemin

Nous sentir enfin légers

Prêts à aimer et à être aimés

Retrouver le véritable sens de la vie

A quoi me sert d’être né

Et là

Ce samedi

A la cime de ces sacs enchevêtrés

Jaunes et bleus

Je préférais

Au 49.3 de notre roi

Celui qui nous rendait libres

Le 49.3 de la poésie.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 18 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

( 1 ) The Whale de Darren Aronofsky

( 2 ) Emily de Frances O’Connor

Les années en marche

Quel âge as-tu ?

A cette question, je ne savais plus quoi répondre

J’avais oublié mon âge depuis mes trente ans

Je n’en avais qu’un vague souvenir

Une naissance

Du néanmoins ce qui m’avait été rapporté

Par mes parents

Du peu que j’en savais

Et de ce que j’en avais cru

De ma mise au monde

Un trois octobre mille neuf cent soixante sept

A la Garenne Colombes

Le nombre m’allait bien

François rejoignait le ciel

Précisément le trois octobre mille deux cent vingt six

A Assise

Et me laissait ce présent

Me sentir bien jeune par rapport à lui

Traversé par un vol d’hirondelle

Alors je comptais pour toi

Comme un poète compte ses pieds

Comme une poètesse compte ses doigts

Alors je cherchais à soustraire

Deux mille vingt trois de mille neuf cent soixante sept

Et déjà je me perdais

A cet exercice d’articulation

Rien qu’un vague souvenir d’alexandrins

Douze syllabes et puis des rimes

A m’efforcer à les croiser, à les embrasser

Piètre poète que j’étais imitant mes maîtres

Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Corneille et Racine

Contemplant au-dessus des toits la cime de mes rêves

Déjà une

Au

Et de deux

Dessus

Des toits

Bien cinq

La

Six

Cime

Sept ou huit

Plus muet grâce à de

Neuf

Mes Rêves

O désespoir !

Onze syllabes !

Je n’avais pas mon alexandrin

Ma Muse m’avait quitté un beau matin sur le chemin

Et je pleurais au fond de mes poches percées

Délaissant le coeur amer de mes alexandrins à peine nés

Et tout ce cher baragouin de baratin

Vingt trois ans et trente trois ans m’allaient à merveille

Pour ne pas m’avouer devant la glace embuée

Que j’avais bien cinquante six ans selon les règles de l’arithmétique

Je délaissais aussitôt les chiffres pour les mots du coeur

Le temps sur moi n’avait aucune emprise

Il glissait comme un vide arbitraire

Que des horloges avait conçu

Je me sentais éternel sous la douche

A l’intérieur d’un corps nu

Qui chaque nuit renaissait

Les botanistes m’examinaient dans leur aquarium

Greffaient sur mes feuilles des micros

Afin d’écouter le son de mes amours

J’avais vingt ans

Et la moitié de mes dents

Et la fougue palpitante d’un Théophile

Poète fou de son art d’aligner les sons à l’état brut

Plus tard Christian Bobin m’allait bien

Sur le bord du chemin

Le printemps des amoureux

De ces petits vieux qui se tenaient la main

Auprès de toi je rejoindrai le ciel

Comme une colombe qui se posera sur ton sein

« La nature est une guérison en marche » ( 1 )

Cette dernière phrase, je te l’avais volée pour m’envoler

Quelques lettres pour me faire aimer

Les autres, tu les avais oubliées, supprimées de l’écran de tes yeux

Ainsi était la vie

Des perles de pluie

De ces royaumes dont on rêvait toujours

Dans le désert de nos nuits

Quel âge avais-je ?

De pierre, de fer, de sang et de désir

L’âge d’une plume légère

Qui cherchait dans un jardin à être utile

Rien ne serait plus terrible

Que de passer à côté d’une vie

L’écrire sans la vivre

Je posais mon crayon

Qui déjà n’existait plus

Ni mon buvard ni mon encre

Je songeais à chacune de toi

J’aurais aimé tout relire

De toutes ces correspondances disparues de ma vie

Que faisais-je au milieu de ce match de foot-ballon anglais

A observer un jeu dont je ne comprenais plus les règles ?

Défilé de drapeaux d’années en marche

L’océan de tes yeux étaient au bout

Qui m’attendait.

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 9 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Christian Bobin, « La grande vie », édition Gallimard

L’être invisible

Qui t’a vu ?

Qui a parlé de toi ?

Qui a dit ton nom ?

Qui t’a regardé en face ?

Qui t’a embrassé ?

Qui a aimé le son de ta voix ?

Qui t’a dit au fond

Que tu étais belle

Que tu étais beau ?

Qui ?

Qui a dit aujourd’hui que c’était ta journée

Au fond de cette menue blibliothèque

L’air de rien

Oublié.e

Confondu.e à la couleur de ses livres

L’expression muette de ton désir retenu contre un mur ?

Qui ?

Qui a dit

Je veux te voir, te toucher

Qui ?

Qui t’attend sur le quai de la gare de Nantes

Cette Rousse au chocolat

Qui te sourit au matin

Qui t’offre son bouquet de pâquerettes

Qui

Son parfum du ciel

Ses mots n’ont ni notes ni menottes

De son slam

L’âme te délivre de sa compétition

Le coeur n’a qu’une ambition

Aimer

Qui t’écrit chaque jour les mots doux

Qui réconfortent tes heures vides ?

Qui dit de toi du bien

Qui parle de toi en bien-être

Une chaise ?

Tu cherches encore tes mots

A travers le tumulte des rues

Un fauteuil de cuir t’offre ses bras

Café et caramba

Encore tu te perds

Tu t’en vas

Qui te remercie

Le sourire des anges ?

Qui te voit autre qu’un simple outil de travail

Une dernière cotisation avant de prendre ta retraite ?

Qui te voit autre qu’une roue de secours

En attendant mieux, la princesse idéale ou le prince charmant ?

Qui te voit autre qu’une plus value dans sa vie

Qu’un intérêt sur son compte en Suisse ?

Qui ?

Qu’une marche de plus à gravir ?

Toi

L’être invisible sous la Terre

Quelque part

Sur la cime d’un arc-en-ciel

Qui accompagnera tes mots de notes

Au dernier soir de ta vie

Alité.e à tes rêves ?

Qui s’envolera sur ton dernier souffle ?

Qui t’aimera enfin ?

Une plume d’ange

L’oeil de la nuit étincelant

Toi, le géant des océans

Toi, le goëland

L’enfant t’emportera sur son cerf-volant

et t’offrira son plus beau dessin

Du silence

D’un cri

Du tronc noué des hêtres

Tu es né.e, être invisible

Tu as regardé un visage

Et tu l’as aimé pour la vie

Ce bourgeon de ton coeur.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 8 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »