Pourquoi Gengis Khan (1)

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Pourquoi lui

Qu’avait-il de si beau sous son armure

Grand

Trapu

Le regard et la barbichette d’un vainqueur

Celui qui te disait

A cette heure

Tu ne passeras

Les mains bien campées sur ses hanches

La robe large élégante de l’homme

Au sexe puissant qui s’étale sur les murs blancs

Pourquoi lui

Pourquoi

Honorer

L’éclat de son glaive brandi

Le sang de ses conquêtes viriles

La folie de son empire sans limites

Les armes des riches combattants

Jamais les âmes des pauvres errants

Jamais les âmes des pauvres errants

Pourquoi lui

Pourquoi

Toutes ces pièces d’un château offertes à son pouvoir

A ses traits noirs dans le miroir

Pourquoi tant de mécènes privés et publics

Pour célébrer sa destinée

Pourquoi lui

Pourquoi

Gengis Khan

Gengis Khan

L’enfant gourmand addict

Et pas Gandhi

La force de l’épée serait-elle plus séduisante

Que la force d’aimer

Gengis Khan

Gengis Khan

Couronnement d’un conquérant

Pièces à conviction sous nos yeux

Apothéose

Ose l’éloge d’un empire

Avec la participation des grands musées français et européens

Sous le haut patronage de notre grand chef Macaron

Reconnu

Exposition d’intérêt national

Comment les Mongols avaient changé le monde pour un bon bout de temps

Avait élu sa résidence

Derrière les remparts du château de notre chère Duchesse Anne

A Nantes

Tout savoir ou presque

C’était le moment

C’était le moment

Marcel

Tu en étais resté adolescent qu’à un roman

Michel Strogoff

Et la peur des mongols

Sauvages barbares

La réalité s’imposait à toi à présent

Ce qu’on voulait te faire comprendre

Ces sauvages barbares n’étaient pas si barbares

Ils avaient des croyances

Un dieu ciel

Entre lune et soleil

Ces sauvages barbares croyaient donc en la vie

L’énergie vitale de Tengri

Ainsi d’elle

Toi

Le héros des sauvages barbares

Gengis

Tu recevrais ta puissance guerrière

Temps gris pour les astres de lumière

Soleil et Croissant de lune

Trouvés dans une tombe

Étrange monde

Étrange monde

Ainsi il était rendu hommage

Dans le château de ta chère Duchesse Anne

Marcel

A l’un des plus grands conquérants de l’histoire

Qui rêvait d’être le maître du monde

Hector et Berlioz tes amis

Gardiens bucoliques des douves

En avaient-ils été informés

Aucunement à ta connaissance

Quant aux cloches de Noël

Elles avaient sans doute regagné le ciel

Lasses des pluies de Bretagne incessantes

Lasses des pluies de Bretagne incessantes

Profitant de cette brève accalmie

Tu osais

Toi

Marcel

Malgré ton dépit

Franchir le pont levis

Un dimanche d’ennui

Avec cette envie au fond de ton âme

De saisir l’intérêt de ton pays

A faire l’éloge d’un empire

Mongol fut-il

Mongol fut-il

Cet intérêt se cacherait-il

Dans les tiroirs d’un pouvoir élyséen

Une vague nostalgie bonapartiste

Déguisée sous les traits d’un paisible nomade

Traversant les steppes sur son cheval infatigable

Presque romantique

Les cheveux au vent

Tu te demandais

A croire qu’il fallait à Gengis tout cet espace pour respirer et s’étendre

Trouver nourriture à sa monture

Tu le suivais

Gengis Khan partait en tournée

De la Chine à la Méditerranée

De la Russie à la Perse

Ton cœur de sa lance

Alexandre et César face à lui étaient bien petits

Ridicules pénis à vouloir être grands dans leur lit d’adolescent

Gengis l’homme mûr béni par son dieu ciel

Avait de quoi lui séduire sous sa yourte

Robuste mât brillant

Accueillant son marché d’artisans

La Mongolie t’apparaissait ainsi

Marcel

Sous un tout autre jour

Bien plus sympathique

Joaillerie

Arts textiles

Calligraphie

Arts du bois et du métal

Qui osait dire encore que les Mongols étaient des sauvages barbares

Toi

Ces Nuits dans la steppe n’étaient-elles pas inouïes

Cette Route de la soie mystique

Chants diphoniques

Envolées lyriques

Presque un empire idyllique

Fêtant le nouveau monde à venir

Fêtant le nouveau monde à venir

Ne leur devions-nous pas ce que nous étions aujourd’hui

Notre force commerciale

Eux qui avaient ouvert tant de routes

Par les vallées et les fleuves gelés

Relier

Europe

Russie

Asie centrale

Proche-Orient

Chine

Eux qui avaient introduit la monnaie

Pour faciliter les échanges

Pour faciliter les échanges

Notre grand chef Macaron ne caressait-il pas ce doux rêve

Faire rejaillir des ossements mongols

Des reliques

Cet idéal étincelant

Flamboyant

L’Eurasie

Tissu de soie et de fils d’or

Gengis n’était-il pas un saint homme

A unifier de la sorte de son autorité

Tous les clans et royaumes

En un seul et unique Etat

Le grand Etat du monde

Qui ne verrait dans son contrôle

Pareil bonheur

Pareille providence

Protection du ciel

Répartition des richesses

Épanouissement personnel

L’ordre hiérarchique mongol faisait régner la paix

Et en était sa garante

Qu’espérer de mieux

Baiser les pieds de Gengis

Gengis le bon qui avait permis l’essor et la bonne entente des religions

Islam

Christianisme

Bouddhisme

Jusqu’à l’avènement du Dalaï-lama

Gengis l’homme tourné vers l’univers

A qui nous devions les observatoires de Perse et de Chine

Quelle femme ne serait-elle plus heureuse entre ses bras

Elle lui devait ses porcelaines bleues brisées

Oui

Gengis

Tu nous faisais rêver

Oui

Gengis

Tu nous faisais rêver

O toi le mongol

L’homme capable d’affronter les plus grands froids comme les plus grandes chaleurs

O toi le mongol

Homme vaillant

De la toundra

Tenant tête aux loups et aux ours

O toi le mongol

Homme vaillant

Chassant le tigre et le panthère

Dans les forêts boréales

De la taïga

O

Toi le mongol

Homme vaillant

Ne faisant qu’un avec ton cheval sauvage

Chevauchant les herbes des steppes

A la vitesse d’un éclair

O

Toi le mongol

Homme vaillant

Aux troupeaux immenses

Tu sauras les guider

Vers les terres d’abondance

Traversant les déserts arides

O

Toi le mongol

Caravanier

Dont les rides sont ta fierté

Tu ne feras qu’un avec cette nature

Aimante et hostile

D’où tu es né

O

Toi le mongol

Homme vaillant

Qui a toujours su t’adapter

Et faire du pire le meilleur

Était-ce à travers cette exposition

Le message codé que notre bien-aimé grand chef Macaron désirait nous transmettre

Préparant habilement nos esprits à ce jour d’après

Nous adapter au pire pour survivre

Suivre Gengis ou mourir

Deviendrais-tu

Marcel

Un beau guerrier

Aux biceps tatoués

De cerfs

Volant au-dessus des cotons blancs

O

Toi homme bon

Ta maison sera-t-elle un tipi

Ton toit la peau séchée et tendue d’un renne

Que tu auras utilisé pour porter tes lourdes charges

Ce renne que tu auras tué d’un couteau tranchant

Le jour où il sera usé

Inutile à ta survie

Pauvre renne éventré

Tâches rouges sur la neige

Désossé

Après avoir bu

Vivant

Son lait

Tu mangeras

Mort

Son corps

Après Noël

Pourvu que tu ne manges pas ton cheval élancé

O

Toi

Homme bon et sauvage

Le jour d’après se dessine sous tes yeux incrédules

Marcel

Gengis Khan

L’avenir de l’humanité

Avait son musée

De l’autre côté de la voie ferrée

Et tu étais dedans errant ébloui

Gengis Khan te confiait qu’il descendait du Loup Bleu

Que pouvais-tu répondre à cela

Les pouvoirs chamaniques orientaient ses décisions

Paroles d’ancêtres

L’astuce était belle

Incontestable

Et si c’était la Licorne sa maîtresse

Faire entrer le sacré l’imaginaire entre les mains du pouvoir justifiait toutes sortes d’agissements pervers

Macaron s’en saisirait-il un jour

Quand verrait-on un chaman invité à l’Elysée à son service

Le chamanisme revenait à la mode

Nous le savions

Une autre rive fascinante

Quand nous ne voyions plus que désolation sur celle où nous vivions

Nous nous éblouissions de ses pouvoirs occultes

Sans savoir qu’ils nous seraient fatales

S’ils étaient au service des empereurs

S’ils étaient au service des empereurs

Bien connaître la géographie et les mouvements du ciel

Vénérer la terre et les astres t’arrangeaient bien Gengis

Pour étendre ton territoire nourricier

Oui

Pourquoi Gengis Khan

Pourquoi Gengis Khan

Pour bien nous montrer que la lutte des clans a toujours exister et qu’elle existe encore

Un peuple en chasse un autre

La Russie l’Ukraine

Israël la Palestine

Rien de nouveau sous le triste soleil des hommes de pouvoir

Absorption

Acculturation

Voir Gengis Khan aujourd’hui

Était-ce nous préparer à ce qui était de nouveau à l’ouvrage à quelques heures de vol de chez nous

Cette vaste conquête possible grâce aux alliances des uns pour absorber les autres

Ce que nous pouvions observer à petite échelle sur un territoire

Les vaincus sont enrôlés

Leurs techniques reprises

Les rangs grossissent

Et l’art de la guerre progresse de victoire en victoire

Porté par un étendard sans égal

La terreur

La terreur

Faire régner la terreur

Face à la terreur

L’âme tremblante s’enfuit ou se plie

Marcel

Tu fuyais dans tes rêves

Sentant la menace approcher

Etait-ce la solution

Etair-ce la solution

Pourquoi Gengis Khan

Pourquoi Gengis Khan

Thierry Rousse

Nantes, mardi 13 février 2024

"Une vie parmi des milliards"

Exposition "Gengis Khan, Pourquoi les Mongols onr changé le monde", Musée d'histoires de Nantes, du 14 octobre 2023 au 5 mai 2024

Le Monde Hors Série

Eve l’inconnue de la première fois

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Eve

L’inconnue de la première fois

Elle voulait manger là avec toi

Tu te demandais bien là pourquoi

Une petite table là pour deux

Tu songeais : Qu’auriez-vous à vous dire

A ses yeux tu te sentais vieux

Tu voyais les trous blancs déjà le pire

Tu l’attirais au fond du restaurant

Bondé de gens de rires et de fêtes

Là c’est plus chouette qu’un tête à tête

Tu lui dis : Allons rejoindre leur banc

Et non

C’est avec toi qu’elle voulait dîner

Oui

Avec toi dans ce coin silencieux

Et non

Les gens ne comptaient pas dans ses pensées

Oui

Tu n’as pas compris ça dans ses yeux

Elle jetas ça là sur le plancher

Des reflets de visages sur la Sèvre

Tu t’agenouillais pour les contempler

Tu la sentais tout contre toi penchée

Son bras sinueux effleurait tes lèvres

Ton cœur palpitait d’émoi emporté

Vers son sein de sa cage délivré

C’était que pour toi qu’elle était venue

Qu’elle s’était dévoilée toute nue

Pour toi qu’elle avait allongé la table

Etalé dessus cette nappe blanche

Comme on habille la table d’un roi

Brodée de fleurs de contes et de fables

Plein de rires comme tu la voulais

Six chaises d’or et tout ce qu’il fallait

Triplant son cœur de Lunes pour te plaire

Rien que pour toi ces mets après mets

Tu finis par laisser tomber tes « mais »

Mais pourquoi

Dis Eve

C’est pour toi

Ce rêve

Un repas une nuit à vous dire

Toute une vie est là en une fois

Des mots des histoires là d’autrefois

Caressés sur les cordes d’une lyre

C’était

Eve

C’était

L’inconnue de la première fois

Rêve

L’inconnue de la première fois

Thierry Rousse
Nantes, lundi 12 février 2024
"Une vie parmi des milliards"

Origines du peignoir d’un soir

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Ce dimanche

Trois février deux mille vingt quatre

A neuf heure vingt cinq

Tu étais accueilli

Par un tonitruant orchestre

Sur le parvis de la Cité de ton quartier

Symphonique ou philharmonique

Point d’interrogation

Tu t’interrogeais

L’air ironique

Quelle était la différence entre symphonique et philharmonique

Tu demandais à Gaga

Hélas

Impossible de lui parler ce matin à Gaga

Gaga était injoignable

Tes données mobiles étaient curieusement désactivées

Il te restait heureusement Mini Larousse

Toujours fidèle sur ta table de chevet

Symphonique

Page huit cent quarante six

De la symphonie

Orchestre « dans lesquel il y a des instruments très variés et de nombreux exécutants »

Philharmonique

Page six cent cinquante trois

« Se dit de certaines associations musicales »

Tu n’étais guère plus avancé

Quoiqu’il en fut

Cet orchestre symphonique ou philharmonique avait vraiment la banane ce matin

Trop juteuse à ton goût

Tu aimais les matinées qui commençaient doucement

Surtout celles du dimanche

Que faire pour faire cesser ce déferlement de casseroles et de cuivre

Pourrais-tu demander à ces exécutant.es de changer de répertoire

Préférer Chopin à Berlioz

La soie d’un peignoir

Aux couleurs criardes d’un jogging

Où se trouvaient donc ces athlètes survoltés

Derrière les buissons

Les arbres fruitiers des jardins partagés

Les poteaux électriques des villes enchantées

Non

Sous les bancs de pierre

Non plus

Sur ce bateau de croisière

Non et non

Chez Félix

Évidemment chez Félix

Non et non et non

Pas de crevettes

Tu les découvrais au-dessus de ta tête

Serrés comme des saumons dans des enceintes suspendues aux branches des magnolias

C’était nettement moins romantique

Ces gros cubes noirs pesants comme des filets

Un orchestre diffusé par ta Francine Musique

Ce dimanche matin

Sur le parvis de la Cité

Tu n’avais plus qu’à fuire

Courir jusqu’à l’entrée

Pour savourer un certain calme

Ouf

Tu n’avais pas de bombe au fond de ton sac à dos

Tu étais sauvé

Tu pouvais entrer dans le palais de ta Cité

De larges et longs couloirs encore peu fréquentés

A cette heure nantaise dominicale et matinale

S’ouvraient à tes pas soulagés

Le silence t’accueillait de ses bras

Délicieux présent

L’origine de toute musique

Pénétrait dans tes poumons

Tu respirais

Une bouffée de silence rare

Comment pouvais-tu entendre les notes résonner en ton corps

Sans ce silence immaculé

Direction

Salle Arpegionne

Deuxième étage à gauche

Trio élégiaque pour piano violon et violoncelle numéro deux en ré mineur opus neuf

Serge Rachmaninov

Mille huit cent soixante treize

Mille neuf cent quarante trois

Quatre cent cinquante places

Ta place était réservée depuis vendredi

Ton fauteuil t’attendait donc

T’avais rendez-vous avec lui ce dimanche matin

Quatre cent quarante neuf autres personnes avaient rendez-vous également avec leur fauteuil

Toutes ou presque

Avaient passé la soixantaine

Leur visage avait les traits tirés

L’heure semblait grave voire tragique

Pourquoi

Pourquoi

En vieillissant

Les visages devenaient si graves

Était-ce le poids des années

Des séparations

Des pertes

Des déceptions

Le flot des drames de ce monde

Le corps naturellement qui s’usait

Une alimentation qui l’avait tué à petites doses d’insecticides

Ou était-ce le visage de rigueur à cet âge

L’air sérieux qui soulignait une preuve d’intelligence

L’air sérieux qui marquait la supériorité d’une classe

L’esprit élevé au-dessus de la mêlée des masses populaires

Le signe flagrant de la réussite sociale

Les convenances d’une génération

Sourire à cet âge serait-il le caractère d’un esprit niais

Naïf

Retardé

Devais-tu t’aligner à cette accoutumance

Te confondre à ce troupeau sérieux

Adopter cet air de cérémonie t’ennuyait à vrai dire profondément

Tu voyais déjà ton visage se cristalliser dans un masque pathétique

Déjà un pied sous terre

Etre le senior du paradis

Était-ce l’effet de la musique classique

Qui s’était incrusté dans leurs pores

La musique classique pouvait en effet être grave

Tragique

Du moins de ce que tu ressentais à l’écouter de rares fois par un temps maussade

Elle était souvent un champ de tristesse où jaillissaient par instants fugaces quelques notes de joie précipitées

Quoique

Me trompais-je

Tu disais

Je corrigeais

La musique classique pouvait aussi s’exhiber comme un pré de joies légères

Bal

Cavalcades

Glissades

Coquettes

Ou pastorales

Avant que ne se déchire son ciel de cordes et de tambours

Que ne s’affrontent les notes jusqu’à la dernière

Vaincue

Silence

Silence

L’amour qu’on devinait sur ces partitions était toujours beau et triste

Mais d’une tristesse sublimée

Qu’elle en était ravissante et source d’un certain bonheur

La puissance des sentiments confrontés aux épreuves du temps

C’était peut-être là tout l’art de la musique classique

Transformer ce que nous vivions en chef d’oeuvre

Et le.la musicien.ne en était son.sa messager.e

Son fil conducteur

Son orpailleur

Son orpailleur

Au bord de ce ruisseau

Tantôt lisse

Tantôt impétueux

Iris prenait place

Iris

La violoniste à la jambe nue

Attirait aussitôt ton regard

La dextérité de ses doigts

Sur les cordes de son violon

Éblouissait ton coeur

La musique était une muse qui venait des profondeurs

Elle ne montrait que la moitié de son art

L’autre était cachée à l’oeil du spectateur

Ne se dévoilant qu’à l’être intime

Subtile union

Où la technique disparaissait derrière l’émotion

Ses complices aussi jeunes sur le bord du ruisseau

Un pianiste

Un violoncelliste

Étaient tous aussi divins

Trio en parfaite harmonie des sentiments

Trinité

Qui ne pouvait être que ravissement

A côtoyer ainsi les anges

Dessous

Dessous

Dans les vastes câles du navire

La musique amérindienne avait son droit de cité aux folles journées

Elle était jouée par une classe intergénérationnelle du conservatoire

Ah le conservatoire

La conserverie des crevettes et saumons

Comme tu regrettais de n’y avoir pas été inscrit

A l’âge où tout était encore possible pour toi

Marcel

Tu ne serais sans doute pas là aujourd’hui

Mais de l’autre côté

Sur le plancher de ces gens respectés

Reconnus

Marcel

Marcel

A midi

Tu quittais ta Cité

Sous la blancheur d’un ciel froid

Au-dehors devant le siège d’une banque

La file d’attente était un soupçon plus jeune

Un soupçon seulement

Quelques sourires amoureux

Les jeunes générations dénigraient-elles la musique classique

Pourtant nombre d’adolescent.es étaient bien présent-es derrière leurs instruments

Tu ignorais la cause de leur absence flagrante dans cette file d’attente

Trop grave peut-être encore

Trop grave peut-être encore

Qui allais-tu écouter maintenant

Connaissais-tu au-moins son nom

Marcel

Ce qu’elle jouerait

Tu avais déjà tout oublié du programme

Ton disque dur était saturé

Depuis un bon bout de temps

Quelques grammes de mémoire

Heureusement le fameux sésame t’était délivré à l’entrée

Tu étais une deuxième fois sauvé

La pianiste se nommait Nathalia Milstein

Nathalia était née en mille neuf cent quatre vingt quinze

Dans une famille de musiciens russes

Si tu comptais bien

Elle avait à ce jour

Vingt neuf ans

Et la légèreté du vent

« Initiée très jeune au piano par son père

Elle intégrait la Haute École de Musique de Genève dans la classe de Nelson Goerner »

Successions de noms

De récompenses

De lieux prestigieux

Etaient écrits sur cette feuille d’hiver

Son parcours avait l’éclat d’un fleuve d’or intarissable

Nathalia était là

Avec toutes ses notes dans le cœur

Arrivée à l’heure devant son piano

Comme à un rendez-vous galant

Eternel

Et elle jouerait pour toi ce dessert succulent

Marcel

Rien que pour toi

Rameau

Debussy

Chopin

Chopin

Chopin

Le peignoir d’un soir

Un dimanche matin

Thierry Rousse

Nantes, samedi 10 février 2024

"Une vie parmi des milliards"

La Folle Journée, dimanche 4 février 2024, concerts d'Iris Scialom, Krzysztof Michalski, Antonin Bonnet et de Nathalia Milstein

Une autre fin pour Le Petit Chaperon Rouge

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Voir Le Petit Chaperon Rouge

Etait-ce bien nécessaire

Une histoire maintes fois entendue

Rabachée

Depuis des années

A l’école

A la maison

A la bibliothèque

Une histoire pour les enfants

Vraiment

Que pour les enfants

Les petites filles

Ou les petits garçons

Point d’interrogation

Allons

Mon âme

Retournons toi et moi sur les pas de l’enfance

Au fond de ces forêts obscures

Et regardons-nous tous deux dans le miroir de ce lac

Point d’exclamation

Qu’entendons-nous

Jaillis de l’eau

Voix de nous aujourd’hui

Voix de notre enfant hier

Deux voix pour raconter

Les mêmes faits

Était-ce la même histoire

Ou sa perception au fil du temps

Au fil de nos prises de conscience

Qui nous la rendait si différente à présent

Que nous révélait notre peur du noir

Qui se cachait derrière le chêne

Celui qui viendrait nous visiter

Le jour couché

Celui

Qui nous enlèverait

Et nous tuerait

Sous une Lune pleine

Toi petite fille

Tu voyais ce loup te guetter

Tu pleurais

Tu tremblais

Et dérangeais chaque nuit

Tes parents

Te blottissant

Au milieu d’eux

Apeurée

Terrifiée

Toi

Petit Chaperon Rouge

Tu avais peur de mourir

Abandonnée seule dans ton lit

Et tu ennuyais ton père et ta mère

Tu les séparais l’un de l’autre

Juste pour exister

Qu’avais-tu vécu à ta naissance

Toi la nouvelle née

Cucendron

Peau d’âne

Etre

Indésirable

Chétif

Avais-tu cru

Qu’un Loup t’enlèverait et te tuerait cette nuit

Fatalité des histoires

Fin tragique de l’enfance

Ces contes initiatiques des Frères Grimm

Semblaient avoir marqué

De leur empreinte indélébile

Définitivement ta vie

Bien ancrée

Bien ancrée

Au fond de ta conscience

Se logeait la peur de l’autre

L’inconnu était une menace latente

Dont il fallait

Tout le long de ton parcours

Te méfier

Le monde n’était qu’un dehors hostile

Une planète dangereuse

Et tu te réfugiais sous ton chaperon

A l’abri

Le Petit Chaperon Rouge était arrivée au Lieu Unique

Mère-Grand

Se souviendrait comme toi de cette histoire

Et se méfierait

Dans sa cabane au fond des bois

Mère-Grand ne laisserait pas le loup affamé y entrer

Ou plutôt l’homme revêtu d’une peau de loup

Et l’homme revêtu d’une peau de loup grimperait au-dessus du toit pour attendre que la porte s’ouvre

Et le Petit Chaperon Rouge avait tout ce temps traversé la forêt profonde

Pour secourir sa Mère-Grand affaiblie

Et sa Mère-Grand lui ouvrirait grand la porte

Et la refermerait si tôt sa petite fille entrée

Et le Petit Chaperon Rouge ouvrirait grand son cœur à sa Mère-Grand

Et le Petit Chaperon Rouge raconterait à sa Mère-Grand sa rencontre avec le loup dans la forêt

Et le Petit Chaperon Rouge lui dirait tout à sa Mère-Grand

Et la Mère-Grand l’écouterait jusqu’au bout

Écouterait tout

Car il est important d’écouter les enfants

Et la Mère-Grand comprendrait

Comprendrait tout

Quelle menace toutes deux les guettait cette nuit

Et toutes deux uniraient leurs forces

Ni l’une ni l’autre ne se laisseraient se séduire par les avantages de l’homme loup

Et l’homme à la tête de loup trépignant

Attendrait malgré son impatience que le Petit Chaperon Rouge sorte de cette maudite maison pour la suivre

Mais toutes deux déterminées

Mère grand et Petit Chaperon Rouge

Ne laisseraient pas la fatalité des histoires s’écrire une nouvelle fois

Il est des avenirs

Qu’on peut encore changer

Des nons dits enfin dits à la face du monde

Si nous le décidons

Et toutes deux ce soir-là tendraient un piège

A l’homme loup sur le toit

Et l’homme loup alléché par la délicieuse odeur du bouillon sous le toit y tomberait

Et s’y fracasserait le crâne

Dans un bouillon de pierres

Les yeux

Les oreilles

La bouche

Et la queue

Riquiqui

Et toutes deux riraient de leur belle farce

Un homme loup ratatiné

Et le Petit Chaperon Rouge quitterait sa Mère-Grand guérie

Et la petite fille adolescente s’en irait dans la profonde forêt

Abandonnerait son capuchon contre une peau de loup

Et plus aucun homme n’oserait s’y glisser dès lors

Et tous les hommes aux alentours se répéteraient

Gare à toi qui cours un peu trop jeunes et vieux jupons

Sans demander à leur cœur permission

Si tu ne veux finir toute ta vie en bouillon

Les deux frères Grimm avaient écrit cette autre fin pour le Petit Chaperon Rouge

Nombreux d’entre nous l’avions oubliée ou peut-être jamais lue

Charles Perrault quant à lui n’en faisait point mention

Céleste Germe et son équipe Das Plateau nous la montraient ce soir

Et le Petit Chaperon Rouge était fort

Courageux

Puissant

Libérateur

Depuis

Et toute sa vie

Quand il quittait ce théâtre

Ce mercredi soir de janvier

Ses croyances avaient changé

L’autre face du miroir serait belle

Et la forêt paisible

L’autre face du miroir serait belle

Et la forêt paisible

Thierry Rousse

Nantes, samedi 3 février 2024

Inspiré par le spectacle "Le Petit Chaperon Rouge" , mise en scène de Céleste Germe, texte Jacob et Wilhelm Grimm, Nantes, Le Lieu Unique, mercredi 31 janvier 2024

Lire Bobin

une vie parmi des milliards

Quand tu ne savais plus quel ouvrage choisir

Parmi tous ces livres de la librairie Coiffard

Quand tout n’était plus

Pour toi

Que brouillard

Dans la cohue des visages

La chaleur des corps à corps

Les allées et venues

Les embouteillages

Les mares des lectrices

Des lecteurs de tout âge

S’étalant un samedi

De la place Royale

A la rue de la Fosse

Flots avides de pas et de mots

Quand tu te frayais avec peine et détermination un chemin périlleux

Vers ce sentier exigu de la littérature

D’îlot en îlot

De table en table

Amoncellement de noms

De titres

Et de prix

Quel éditeur

Quel jury

Imposerait ses livres

A coup de renforts médiatiques

De salons

De rencontres

Quel.le auteur.e était en vogue

Quels sujets

Quelles questions

Quelles réponses

Quand tu étais perdu

Incapable de choisir

Il te restait Bobin

Bobin

Comme l’assurance d’une évasion

Bobin

Comme une douce drogue pour l’esprit

Bobin n’était pas encore condamné au pilori

Bobin était mort

Et vivait encore par ses mots

A la vérité

Tu n’y comprenais rien

Ou pas grand chose à Bobin

A toute sa bobine de pensées emmêlées

Et curieusement tu étais toujours attiré

Fasciné par ses écrits

Bobin faisait partie des collections de ta bibliothèque

De tes trous noirs

De tes mystères

De tes clairières de lumière

De tes quêtes

De tes pelotes de laine

Un air de sainteté

Planant à chaque mot né du néant ou des anges

Chaque image

Chaque son

Chaque sensation

Chaque impression

Bobin

Et son air serein

La maison où toujours tu reviens

Pour espérer le comprendre

Un peu mieux

Demain

Bobin

Bobin

Pareil aux arômes subtils d’un vin

Aux parfums de l’ivresse

Aux couches superposées des visions

Tu ne savais plus très bien

Beaune

Coiffard

Bobin

Quelles bouteilles

Quelles merceries

Quels livres tu avais lu de lui

Dans ta cave

Ta cuisine

Ton grenier

Ta chambre

Les noter pour t’éviter d’acheter deux fois trois fois quatre fois le même

Les noter pour chercher en bon détective les pièces manquantes à son puzzle

Celles qui te permettraient de comprendre les autres

Où à la fin tout s’éclairerait

Où tout ne serait qu’évidence

Porte vers le ciel

Dîner aux chandelles

Pull pour les rudes hivers

Bobin

Tu avais rencontré à ce jour de ce philosophe

La part manquante

Une petite robe de fête

Le très-bas

L’inespérée

Louise Amour

Les ruines du ciel

La grande vie

La nuit du coeur

L’homme joie

Que te restait-il

Ce premier février deux mille vingt quatre

A découvrir

Tant à vrai dire

La femme à venir

La folle allure

Donne moi quelque chose qui ne meure pas

La plus que vive

Autoportrait au radiateur

Geai

Ressusciter

L’enchantement simple

La lumière du monde

La dame blanche

La présence pure

Un assassin blanc comme neige

La prière silencieuse

Noireclaire

Autant de livres

Autant de motivations

Pour continuer à vivre

Autant de buts à atteindre

De cimes à gravir

D’abîmes à franchir

Passerelles de mots

Entre obscurité et clarté

Contrastes bourguignons

Densité du Morvan

Les chants de la nuit des étoiles

La femme aimée au bord du lac

« Je crois que j’ai toujours écrit pour sauver quelque chose ou quelqu’un » (1)

écrivais-tu Bobin

A la quarante huitième page d’ « un bruit de balançoire « 

Balançoire de la Terre à la Lune

Pousse-moi Bobin un peu plus loin

Je voudrais m’élancer jusqu’à ton regard ravi

Qu’avais-tu envie de sauver

L’humanité

Les animaux

Les végétaux

Les minéraux

Toute vie qui te semblait si belle

Qui avais-tu envie de sauver

L’être qui trouvait sa vie si ordinaire

L’être qui se sentait si seul

Transparent aux yeux des gens

L’être qui s’apprêtait à mettre fin à sa vie

C’est pour lui que tu écrivais

C’est à lui que tu disais

Promets-moi de me lire demain

Demain

Demain

Moi et Bobin

Egarés sur une île

De la librairie Coiffard

A peine visibles dans le brouillard

La ville était traversée à nouveau par des manifestations

Des professeurs aux agriculteurs

Deux mondes sous pression

Et tant d’autres

Et dans cette librairie

Il y avait Bobin

Juste une évasion

« La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde ». (1)

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 1er février 2024

"Une vie parmi des milliards"

(1) Christian Bobin, "Un bruit de balançoire", édition L'Iconoclaste / Gallimard

Ouvre tes cartons Marcel

une vie parmi des milliards

Longtemps

Ils étaient restés là

Dans ta chambre

Empilés

Une grande partie de tes cartons

Longtemps

Peut-être la moitié

Pas ouverts

Pas triés

Des tas de building de tes cartons

Qu’attendais-tu donc de cette ville inachevée

Tes cartons devant tes yeux

Comme un passé

Que tu n’avais plus envie d’ouvrir

Peut-être

Trop vieux

Trop ouverts

Trop fermés

Trop transportés

Trop

Trop de déménagements

Trop de départs

Trop d’arrivées

Trop de trop

Cartons fragiles

Avais-tu compté la superficie de ta vie

Entre les rues

Les fleuves

Les chemins

Les bois

Et les prés

Tes espaces

Tes maisons

Tes chambres

Tes studios

Tes appartements

Et tes évasions

Juste le temps de les nommer

Les survoler depuis tes cieux étoilés

Tu ne te souvenais plus très bien de l’ordre

Quel logis venait avant tel autre

Une chose semblait être sûre

Dammarie-les-Lys fut ton premier appartement

Au cœur d’une cité réputée brûlante

Où bon nombre de gens n’osaient y mettre les pieds

Vols, trafics de drogue, bagarres entre bandes rivales

Au milieu de la Plaine du Lys

Cet appartement t’était prêté pour un temps

Tu avais dix huit ans

Tu étais étudiant

Et tu avais besoin d’indépendance

De silence

Fuire les cris du foyer familial

Besoin de souffler

De pouvoir étudier en paix

Puis

Ce fut

Paris

La chambre de bonne de la rue d’Hauteville

L’université et le théâtre

Puis de nouveau

Paris

Le studio sous les toits de Stalingrad

Et l’Armée du Salut

Puis

Le Mée-sur-seine

Une toute petite chambre en haut d’un gratte ciel ou presque

Plein ciel

Vue sur le périphérique

Le début d’une longue carrière

Puis

Melun

Une maison deux pièces et sa cour toujours sombre

Dans le quartier fleuri de la préfecture

Puis

Dammarie-les-Lys

Cette fois-ci

Côté La Villaubois

Un appartement une pièce que tu avais aménagé d’une mezzanine

Dans une résidence avec piscine privée sous haute protection

Puis

De nouveau

Melun

Le rez de chaussée d’une petite maison avec son jardinet près du cinéma Les Variétés

Presque le bonheur tout près de ton travail

Le Pain de l’espoir

Rêve éphémère entre les bras d’une colombienne

Puis encore

Melun

Cette petite chambre chez cette Mamie qui t’accueillait

Et ce jardin aux herbes folles

Puis encore

Melun

Un appartement HLM dans le quartier de l’Almont

Au bord de la rivière du même nom

Tout près de l’appartement ton père

Qui venait d’emménager dans la même tour

Puis

Reclose la belle maison et sa cheminée à l’orée de la forêt

Et les débuts des fêtes

Puis

Château-landon la maison avec son escalier

Sa terrasse au-dessus d’une cave à vins

Puis toujours

Château Landon

L’appartement au-dessus d’une auberge gastronomique

Le Chapeau Rouge

L’époque des fiestas, bière, whisky coca et tequila

Copains

Copine

Et grands fracas

Puis

Retour à la sagesse

Maincy la grande maison et son grand jardin

Ton chien et tes onze chats

Puis

Palaiseau

L’appartement trois pièces au premier étage

Puis

Bagneaux-sur-Loing

La petite maison bleue et jaune que tu avais repeinte

Au bord du canal

Et son grand jardin

Enfin une maison à toi

Tu étais pour la première fois propriétaire

Pour peu de temps hélas

Tu apprenais que cette maison était déclarée en zone inondable

Tu as dû te résoudre à interrompre tes travaux

Amère désillusion d’un été

Tu vendis ta petite maison bleue et jaune

Adieu lavande tournesol tortue poule coq et rouge-gorge

Puis

Nemours

Le bel appartement en centre ville au premier étage

Puis

Toujours

Nemours

Le vieil appartement en centre ville au rez-de-chaussée

Puis

Château-Landon

La chambre mansardée d’un grenier

Et la fin d’un amour fissuré

Puis

Fontainebleau

Le rez de chaussée d’une petite maison une fois de plus à l’ombre

Puis

Encore

Fontainebleau

La grande maison bourgeoise en colocation

Puis

Château Landon

Le bel appartement de fonction

Au milieu de son institution

Vaste parc

Si calme le week-end

Quand les jeunes n’étaient plus là

Puis

Le grand saut

Le changement de région

L’exil au soleil couchant

Cap à l’ouest

Sur l’océan

Te voici l’étranger

Toi venu de Paris

Tu fus Pointé du doigt

A peine sur ce quai

Sur ce banc

Arrivé

La Roche-sur-Yon

A l’ombre du rocher de Napoléon

Le rez-de-chaussée d’une ancienne grange

Un petit studio studieux

Puis

Le grand à côté

Visites quotidiennes d’une maman et ses trois filles

Tu aurais pu être un bon père de famille

Vocation ratée

Puis

De retour en Seine-et-Marne

Bray-sur-Seine

La chambre d’une maison médiévale

La solitude d’un ermite

Puis de nouveau retour en Vendée

Les Sables d’Olonne où tu fus accueilli si chaleureusement

Dans une simple maison et son potager foisonnant

Où tu découvrais la sobriété et le sens de l’amitié

Puis

Le rez-de-chaussée d’un grand pavillon moderne à Basse Goulaine

Là où la propriétaire refusait catégoriquement ton chat

Puis

Nantes la maisonnette en pierres

Sa cheminée

Sa mezzanine et son jardin partagé

Celle que tu avais toujours imaginée dans tes rêves

Confinement

Vente de ta maisonnette

Les nouveaux propriétaires

Un jeune couple

Te demandaient gentiment de partir

Le plus tôt serait le mieux

Puis

Escale au milieu du vignoble dans un hangar

Un genre de friche artistique

Puis

Puis

Puis

Marcel

Tu étais fatigué

Et tes cartons étaient là empilés

Dans ton nouvel appartement

Nantes

Face au château

Tes cartons

Tes cartons comme un décor de spectacle

Un cartoon dont tu ignorais la fin

Jusqu’au jour

Jusqu’au jour où tu t’es enfin décidé

A en ouvrir un

Puis un autre

A voir ce qu’il y avait dedans

Ça

Plus tard

Je le sortirais

Plus tard

Tu disais

Ça

Oui, ça

Je peux le sortir

Le ranger

Ça

Ça peut servir

Tu voyais déjà ce décor

Sur la grande scène du Lieu Unique

Tes cartons

Tes piles de cartons

Et toi tout petit au milieu de tes piles

Tu escaladais tes cartons

Ils tombaient

Tu les ouvrais

Tant de piles

Et toi dessous

A nager entre ces Dvd

Vagues histoires

Se rappellant à ta mémoire

Tu te disais

Je l’ai déjà vu

Ce film

Mais un jour

Je le reverrais bien

Oui

Un jour

Je le reverrais

Bien

Je les reverrais bien tous ces films

Ils venaient comme des vagues sous tes yeux sans logique apparente

L’arnaqueur

La cuisine au beurre

La famille Bélier

La vie est belle

Ce soir je dors chez toi

La vie d’Adèle

Si c’était lui

Angélique

Donne-moi des ailes

Ensemble, c’est tout

Le voyage du ballon rouge

Un homme, un vrai Tanguy

Les femmes du sixième étage

Alceste à bicyclette

Oui, mais

Jeune et jolie

A trois on y va

Quand Harry rencontre Sally

Ah si j’étais riche

En équilibre

L’Avare

Le hasard faisait parfois bien les choses

Parfois pas vraiment

Parfois pas du tout

Parfois

Puis il y avait

Cette musique

Ces chansons

Je les avais déjà écoutées

Tu te disais

Mais je les écouterais bien une nouvelle fois un jour

Pas maintenant

Tu avais besoin de silence

Il y avait trop de bruit en ce moment dans le monde

Trop d’agitations

Trop de Vacarme

Trop de trop

Tout ça pouvait attendre

Attendre encore

Tu te disais

J’avais le temps

Je me donnais du temps

Du temps avant de quitter ce monde

Le temps de le voir encore ce film

Puis celui-là

Et celui-là

Aussi

Et tous ceux là

Et toutes ces chansons

Et toutes ces musiques

Elles aussi venaient comme des vagues sous tes yeux sans logique apparente

Bob Dylan

Les Têtes Raides

Manafina exils

Yves Jamait de verre en vers

Louise Attaque

La folle journée vers un nouveau monde

Brigitte Baronnet Terre d’amour

Marc Vella la porte des mondes

Mozart

Dire Straits

Jean Ferrat

Bobby Lapointe

Les Fabulous Troubadours

Grand Corps Malade

Olivia Ruiz la femme chocolat

Bernard Lavilliers

Tryo

Les Ogres de Barback

George Moustaki

Jacques Higelin

Renaud

Debout sur le zinc

Noir désir

Les Négresses vertes

La Rue Ketanou

Jean-Louis Bertignac

Souad Massi

Miossec

Indochine

Creedence Clearwater Revival

Hubert Félix Thiéfaine

Patti Smith

Supertramp

Queen

Francis Cabrel

Marc Lavoine

M

Mes souliers sont rouges

Tom Poisson

Yannick Noah

The Rolling Stones

Les écouter encore

Tu te disais

J’avais le temps

De les ouvrir ces cartons

Et tu commençais un jour à les ouvrir

Quand tu ne voyais plus rien à l’horizon

Dis

Mon amie

Nous tournons-nous vers le passé

Quand nous ne voyons plus d’avenir

Qu’une brume indécise

Unicolore

Opaque

Et vide

Dis mon amie

Ces cartons-là

Marcel

Tu les mettais près de toi

Les plus précieux

Ces carnets de ta vie

Tu prendrais le temps de les lire

Tu te donnais le temps

Tu te donnais ce temps

D’ouvrir ces carnets

Comme ce vieil ordinateur

Qui renfermait

Quelques années de ta vie

Tes écrits

Beaucoup d’autres s’étaient effacés depuis

Correspondances envolées

A tout jamais perdues dans les cieux

Les mots de tes Muses

Il te restait dans ton cerveau

Un petit disque dur

Pouvions-nous le sauvegarder

Mon amie

Combien de temps

Tu demandais

Combien de temps

Avant qu’il ne s’use

Et perde la tête

Combien de temps

Marcel

Tu luttais

Tu musclais ta tête

Tu lisais

Tu écrivais pour l’entretenir

Pour ne pas la perdre

Ta tête

Tu musclais ta tête

Comme tu musclais ton cœur

Tes jambes

Tes pieds

Tout ce qui pouvait encore te relier à la terre

Marcel

Allez chauffe Marcel

Tu aurais ton stade

Le ciel te l’avait promis

Tu ferais un carton

Marcel

Au Hall 2 de la vie

L’Île de la transition

Avant que la Loire

Ne déborde

Et emmène tous tes cartons sur son passage

Le radeau de ta vie

De tes vies

De toutes les Muses

Que tu as aimées

Marcel

Chauffe

Allez

Chauffe

Ouvre encore un carton

Et raconte-nous ton monde

Avant de prendre l’air

Dans les jardins du paradis

Dis-nous ce qu’une vie ordinaire

A d’extraordinaire

Le simple fait de vivre

Kilos de nous-mêmes

Parcelle divine

Dans le sang qui coule en nos veines

Tu comptais quelques pieds

Avant de te laisser gagner

Par les flots de la liberté

Thierry Rousse
Nantes, lundi 29 janvier 2024
Une vie parmi des milliards

Révisions chez Francine

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Mercredi vingt quatre janvier deux mille vingt quatre

Dix neuf heure

Avais-tu pu atteindre tous tes objectifs Marcel

Tout ce que tu avais pris le temps de noter sur ton agenda la veille au soir

Avais-tu coché toutes tes cases

J’en comptais dix sept pour ce mercredi

Treize avaient été cochées

Tu souriais

L’air apaisé

Soulagé

Et déjà c’était l’heure de Francine

Dix neuf heures sonnait

Elle t’attendait dans sa robe légère de printemps

C’était l’heure de tout suspendre

Poser ton crayon

Fermer tes dossiers

Comme on ferme à clé la porte de son bureau

Comme on desserre sa cravate quand on a trop chaud

Comme on va tranquillement de son building à sa limousine

Toi tu t’en allais délicieusement de ta chambre à ta cuisine

Changement d’espace

Voyage exquis

Aux parfums d’Orient

« Ce ciel qui guérit la guerre, la souffrance »

Nina Bouraoui était l’invitée de ta vieille amie Francine

Déjà toutes deux s’entretenaient en tête à tête autour d’un verre

Nina était née

Curieusement

La même année que toi

Dans une autre ville

A Rennes

D’un père algérien et d’une mère bretonne

A vingt trois ans elle avait commencé à publier

Nina était préoccupée par deux choses

« Deux choses qui nous attendaient tous

L’amour et la mort »

Nina parlait à Francine de son père

Ce grand seigneur

Tu les écoutais toutes deux

Tu les voyais sourire

Complices l’une et l’autre

Puis Nina se levait

Rejoignait le salon

Et choisissait de mettre à l’honneur

La douce voix de son autre amie

Souad Massi

Souad pour les intimes

Tu avais pu l’écouter à la fête de l’humanité

Juste avant la déchirure des dieux

Juste avant l’exode de la foule

Piétinement vers la sortie du monde

Dispersion des coeurs

Un fil rouge te reliait par le sang

A sa douce voix

Souad Massi

Souvenir d’Essaouira

Sang du Maroc

Prise de sang

La case était cochée

L’objectif avait été atteint à jeun

Ce matin vers dix heure

Tu tardais à lire les résultats

Tu remettais ça à demain

Tu avais peur

Tu tremblais de découvrir les causes

Les causes de ce pesant sentiment de fatigue qui t’habitait depuis des semaines

Longue phrase

Raccourcir ces ailes lourdes d’un albatros

S’abattant sur ton corps

Terrassé par le fracas des maux et des vagues

La piqûre avait été douce

Apaisante

L’aide soignante soigneuse

Avait trouvé la bonne veine

Et tu n’avais rien senti que l’oubli

Les yeux dans le vide

Et déjà ce petit pansement blanc

Devenait ton ange gardien pour la journée

La douceur d’un baiser sur ta peau

Cacher les cris du monde à tout prix

Les prix avaient augmenté

Le café et le pain au chocolat

Venaient juste à point

Chez Flesselles

Te Consolant un temps

De la grisaille des temps

A la table d’à côté

Juste à côté de toi

Une dame d’un certain âge

S’entretenait avec sa longue tartine beurrée

Elle lui disait

Un petit bain de bon matin

Sans boire la tasse

Dans un bon bol de chocolat chaud

N’est pas des plus déplaisants

Trêve de plaisanterie

La pause était finie

La journée bien remplie

Restait cependant

Juste avant ton rendez-vous habituel de dix neuf heure avec Francine

Ces quatre cases vides

Et cet objectif majeur qui n’avait pas été atteint

Révisions

Révisions n’avait pas été atteint

Révisions avait l’habitude d’être toujours repoussé

Remis au lendemain

Pour quelles raisons

Le sauvais-tu

Cette pro-cras-ti-na-tion sans fin

Le mot était sorti non sans difficulté de ta bouche

Le théâtre était pourtant l’un des piliers de ton temple sacré

Marcel

Comme le piano l’était au pianiste

Le violon au violoncelliste

Le corps au danseur

La question flottait donc en l’air

Irrésolue

Les cris de la rue s’étaient tus

Les cris

Hélas

N’étaient plus au programme des révisions

Depuis longtemps

Déjà vingt ans

Comme ne l’était plus ce veilleur de nuit Hughie

Depuis sept ans

Ni Gorgibus

Ni Marphurius

Ni Gros René

Ni Amédée

Ni Harpagon

Ni Argan ce malade imaginaire

Ni

Ni tant d’autres

Nenni

La liste était longue

Ainsi il en était de la comédie comme de la vie

Des personnages surgissaient un jour sur un plancher

Puis disparaissaient un soir à la cave

Remplacés par d’autres au grenier dans la nuit

Nostalgique

Tu ouvrais ton classeur

Après ce dîner en amoureux

Avec Francine Nina et Souad

Jojo t’attendait

Réviser la ferme des animaux avait-il encore un sens pour toi

Toutes ces heures du passé

Apprendre tes répliques

Chercher et mémoriser ton jeu

Auraient donc été vaines

Pure perte de temps

Simple distraction bourgeoise

Occupation de l’esprit et du corps

Cette pièce rencontrerait-elle un jour son public

Il ne restait pourtant qu’à la mettre en lumières

Et pour des raisons obscures

Que les dieux seuls

Dans leur égo

Leurs conflits

Leurs cieux impénétrables

Leurs guerres absurdes

Connaissaient

La pièce était suspendue dans son élan

Rangée dans un placard

A faire le bonheur des araignées

Entre les étagères où seul le maître habile régnait

Napoléon

Napoléon avait-il toujours raison

Toi

Malabar

Dans ton écurie

Tu tenais encore fier

Un plateau d’animaux dociles et patients

Étais-tu naïf à ce point

D’admirer ainsi ton bourreau

Qu’était devenu le lait

Les heures à traire

A bêcher

Les heures à transporter

A construire ce moulin

Brique après brique

Les heures à dresser le drapeau

Flottant aux vents contraires

Pour accueillir son bel orateur

La révolution n’avait-elle servi à rien d’autre

Qu’à asseoir un nouveau pouvoir

Berçant de nouvelles illusions ses sujets

Oui

Tu voulais croire Malabar au verts pâturages que tu hissais

A croire que cette couleur décidément ne portait pas chance dans un théâtre

La future République se terminait tragiquement en dictature

Brille-Babil le fourbe séduisait le peuple

Au service de son empereur Napoléon

Révisions de tes classiques

Malabar

Tu n’étais pourtant pas seul à lutter

Sur le plateau nombre de tes semblables étaient présents

Avec cette envie de chanter la liberté

La justice

L’égalité

Boule-de-Neige ne manquait pas d’audace

Esprit ingénieux

A dessiner les plans d’un nouveau monde

Mystérieusement disparu

Lui le traître ainsi accusé par son compair cochon à qui il faisait de l’ombre

Napoléon décidément

Seul dirigeait à présent la ferme

Sa ferme

Qui n’avait plus d’animaux que son nom

Napoléon avait-il toujours raison

Te faudrait-il Malabar toujours travailler plus dur

Pour espérer un jour caresser la saveur d’une herbe tendre

Avant de finir entre les mains de l’équarrisseur

Consolé du paradis qui t’était promis

Un couteau tranchant planté dans ton cœur

Sang

Prise de sang

D’autres classeurs sous la pile t’attendaient

Plus serein

Marcel

Bien qu’il n’en fut rien d’autre

Que l’espoir d’une rencontre attendue

Réviser le Père Noël pour le prochain hiver peut-être

Réviser Barnabé pour le printemps

Retrouver ToTTi à l »été

Peut-être

Peut-être

Peut-être

Le clavier s’était bloqué

Les peut-être gagnaient du terrain sur les certitudes

Le temps était-il à sa fin

Une bataille perdue

La lente agonie du comédien annoncé

Sang

Prise de sang

Pouvais-tu te résigner Marcel à cette idée

Ne plus jouer

Ranger tous tes costumes une dernière fois

Dans une malle

Dans un dernier sursaut

Tu reprenais tes révisions

Tu avais cette envie d’y croire encore

Que cette belle aventure du théâtre n’était pas

Plus

Qu’un

Livre fini

Que le public attendait

T’attendait

Illusion comique

Tu ouvrais tes placards

L’âge d’or

L’âge d’or

Ne serait-il plus qu’un mirage dans ton désert

Au bon vouloir de tes hôtes

Un rideau définitivement tombé

Prise

Prise de sang

Ou révisions

Que disaient les résultats

Plaisir encore d’écrire

Rien que pour toi

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 25 janvier 2024

"Une vie parmi des milliards"

Et si c’était toi Marcel

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Vous aviez tous deux presque le même âge

Vingt ans

« On n’est pas sérieux quand on a vingt ans »

Écrivait Arthur Rimbaud

Et pourtant

Elle te séduisait

Et t’invitait chez elle

Tu étais tout intimidé

Et le coeur amoureux

L’air bien sérieux

Elle aimait tes yeux bleus

Marcel

Cet horizon d’une mer lisse à l’infini

Elle aimait dans tes yeux éblouis

Tes livres et tes écrits

Remplis de poésie et de philosophie

Ce qu’elle espérait vivre maintenant

Remplir le néant d’essentiel

Elle t’accueillait dans ses bras tendres

Tu découvrais l’intimité de son lit nu

La chambre de ses rêves étoilés

Au coeur d’une cité assiégée

Vous étiez presque unis

Cette nuit

Presque libérés

Presque heureux

Presque aux cieux

Et d’un geste brusque

Inattendu

Elle te repoussait violemment

Tu es comme les autres

Qu’avais-tu fait Marcel

Juste marcher dans les pas de son désir

Quelqu’un d’autre était là dans sa chambre

Tu le savais

Une ombre qui planait

Cet homme plus âgé qui l’avait fascinée

Attirée dans sa toile durant des années

Cet homme plus âgé pour qui elle avait posé

Cet homme plus âgé qui avait abusé de l’élixir de sa jeunesse

Cet homme plus âgé qui l’avait détruite

Tenue en laisse sous son charme

A un âge où le printemps s’éveille doucement

Fleurs de tendresse dans un jardin

L’été dans ses yeux ressemblait à l’hiver d’une rose fatiguée

Tu étais épris d’elle

Et tu attendais patiemment sa confiance

Tu pensais la soigner

La guérir

Les roses meurtries s’étaient munies d’épines pour survivre

Tu comprenais sa souffrance

Tu acceptais son choix

Ce ne serait pas toi

Tu ne serais jamais l’élu de son coeur

Tu serais son meilleur ami

Marcel

La vie semblait avoir tracé pour toi ce chemin

Le meilleur ami

Âme confidente des coeurs brisés

Pèlerin dans le ciel agité

On est poète quand on a vingt ans et croyant

Elle serait pour un autre que toi

Bien plus grand

Éternel

Et ses ailes seraient ta rivière de perles

Marcel

A chercher son visage

Dans un nénuphar

Ce ne serait pas toi

Les Pyrénées en toile de fond

Ce ne serait pas toi

Les monts enneigés

Ce ne serait pas toi

Les îles aux fonds bleutés

Ce ne serait pas toi

Pas toi

A cinquante ans

On a la nostalgie des vingt ans

Et une longue tablée devant

Des coeurs qu’on a aimés

« On n’est pas sérieux quand on a vingt ans »

On est poète et croyant

Et si

Cette fois

Mieux que mourir

C’était renaître

Marcel

La terre est le ciel des funambules

L’ivresse d’un vin

Qu’on offre avec amour

Délicatesse d’un dessin

Et au crayon cette petite bulle de savon

Juste griffonné

Sur le tronc d’un séquoia géant

Et si c’était toi





Thierry Rousse,

Nantes, mardi 23 janvier 2024

Café-Brasserie Les Funambules

« Une vie parmi des milliards »

C’est bonnard

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

C’est bonnard

Pierre

Que serais-tu sans Marthe

La muse d’un tiers de tes œuvres

Ton modèle

Cette femme que tu as rencontrée dans la rue

Cette femme que tu as fait monter un soir chez toi

Tu lui fais prendre cette pause pour la peindre

Première pause

Premier portrait

Puis tu lui demandes de descendre son décolleté

Faire un portrait c’est forcément dessiner la beauté des seins

C’est une évidence

Une évidence pour toi Pierre

Marthe ta sainte refuse

Se rhabille

S’apprête à s’enfuir

Tu la retiens

L’embrasses sur la bouche

Le baiser d’un dieu

Marthe se laisse aller à ton étreinte

Vos corps se collent passionnément l’un à l’autre

Tu la peindras depuis ce coup de foudre

Dans chaque recoin

Chaque expression

Chaque courbe voluptueuse de son corps

Ta Marthe

La mystérieuse

Celle que des rumeurs qualifiaient de jalouse

De possessive

Elle est déjà à toi

En toi

Rien qu’à toi

De toi

De tes penchants

Rien n’est dit de méchant

Tu le sais Pierre

Le peintre a toujours beau rôle

Le dernier mot

Ses écarts lui sont tout excusés

Comment peut-il en être autrement

Un artiste qui ne tomberait amoureux de son modèle

Et le modèle de son dieu créateur

Comme si l’art ne pouvait exister sans l’amour charnel qui l’animait

En était sa braise

Son étincelle

Sa flamme

Son feu jaillissant

Rougeoyant

Ses corps se consumant

Marthe t’aimera avec la passion de chaque instant

Voudra t’épouser

Désirera de votre union un enfant

Et tu lui refuseras ce présent

Tu voudras rester libre Pierre

Tu te sens incapable d’être père

Tu ne veux pas ressembler à ces familles bourgeoises

Tu veux entretenir ces braises ardentes

Plonger pour la rejoindre

Courir comme deux adolescents insouciants

Nus à travers les bois

A vous attraper

A vous fondre l’un et l’autre

Dans le lit de la rivière

De votre enclos bucolique

Qui ne rêverait d’un tel amour éternel

Et pourtant

Le désir de l’homme pour la femme semble n’avoir qu’un temps

Le temps de la jeunesse de sa moitié

Que déjà une autre muse prend sa pause devant le chevalet

Blonde et ravissante

Et ravit le coeur de Pierre

Et son pinceau qui frétille

Quand toi Marthe désolée tu prends des rides

Dans l’ombre des jours

Naît ce nouvel amour gorgé de soleil

Cette jeune femme ta rivale

Celle qui veut conquérir ta place

Être l’unique aux yeux de Pierre fissuré

A pour prénom Renée

Elle te regarde et t’envie

Déjà tu perçois son désir en éveil

Déjà tu comprends que c’est perdu

Pierre a une longueur d’avance au fil du courant

Pierre est déjà avec elle et tu nages en retrait

Déjà tu voudrais être elle

Sa chevelure blonde de sirène

Déjà tu vois ta jeunesse de l’autre côté de la rive

Elle entre vous deux dans ce lit

Tu n’as plus qu’à l’aimer

Elle entre vous deux

Renée

Comblée de vos caresses langoureuses

Pierre est ravi de ce triptyque amoureux

Car il ne peut elle ou toi choisir

Son coeur est fendu

Tout irait donc si bien à trois

Mais Renée ne te veut que pour elle Pierre

Que pour ses lèvres impatientes

Alors tu mens

Alors tu te mens

Pierre

Tu prends le train pour l’Italie avec Renée

Laissant ta Marthe seule

Dans votre enclos mélancolique

Es-tu fier de ton choix

Peux-tu te regarder homme

Dans le miroir sans rougir de honte

A briser ainsi deux coeurs de femme aimant

Ta toile est couverte d’un voile obscur

Tu ne peins plus la lumière

Mais la nuit de tes errances

Quand Renée croit encore à votre romance

Sa robe de jeune mariée

Blanche d’un bonheur romain

Devant ses yeux

Tu es le grand absent qui ment

Qui fuit

Qui rompt vos noces

Juste avant les cloches

Renée n’est plus rien

Qu’un corps abandonné

Une larme tranchante

Et Marthe derrière ses fenêtres closes

Survit

Un pinceau pour se raccrocher

A vos souvenirs

C’est Bonnard

Pierre

Pas vraiment

Tu reviens

Tu ne l’as jamais oubliée

Ta Marthe

Vos courses folles

Nus comme des adolescents insouciants

Portés par le courant des années

Tu la retrouveras

Avec elle tu vieilliras au bord de la Méditerranée

Renée s’est suicidée

Un bain de sang dès lors hanteront vos nuits

Ce n’est plus bonnard

Pierre

Tombale

Sous le ciel provençal

Tu t’en voudras

Et c’est trop tard

Dis au nouvel homme

Pierre

Qu’il lui faudra apprendre

De son pinceau

A maîtriser ses passions

Pour ne plus faire de l’amour

Une prison





Thierry Rousse

Nantes, lundi 22 janvier 2024

D’après le film « Bonnard Pierre et Marthe » de Martin Provost

Nuit des corps lus

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Nuit des corps lus

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Qu’as-tu à raconter

A dire

A te dire

A leur dire

Qu’as-tu

Rien que toi

Assis à la table du fond

A regarder

A écouter

Ton corps

Ta voix

Un clavier de lettres

Parmi les êtres

Et si

Tu

Ouvrais le robinet

Laissais couler

Le flot des mots

Sous tes doigts

Comme un

Dj derrière ses platines

Laisse jaillir

Les sons de mille voies

Trajectoires

Émois

Que verrais-tu

Dj de tes lignes

Des multitudes enchevêtrées

Des superpositions de mondes et de moi

Des désirs enfouis

Passé

Présent

Enlacés

Colonisés

Affranchis

Émancipés

Des corps qui

Se libèrent

Se dépoussièrent

Se cherchent

Se guettent

Se séduisent

Se rivalisent

S’épousent

Se jalousent

Se repoussent

S’éclatent en mille morceaux

Se pénètrent

Se confondent

Bombes d’eau sur le pavé de Londres

Sex Pistols ou Ravi Shankar

Qui suivras-tu

Des corps qui lisent leurs dessins dans un espace indien

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Frigorifié

Figé comme un pingouin

Tu refuses d’entrer dans le tourbillon des corps brûlants

Un autre écrit

Bis

Encore un p’tit tour

Place des tournées

Du sud au nord

Marseille ou Dunkerque

Calanques ou dunes

Sous les sun lights

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Une autre écrit

Bise de la nuit sur tes yeux

T’emporte entre deux

Pauses maritimes

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Le bonheur

Elle et lui

Trois verres de whisky glaçons coca

Fille ou garçon

Les genres ne sont plus

Identifiés dans la rue

Des polyamours bisexuels

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Range ton cahier

Ton stylo

Tout ça ne veut plus rien dire

Lettres qui défilent sur l’écran des certitudes et des doutes

Espaces vides

Fin s’est introduit dans un fracas sans rien te demander

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Sur la piste improvisée

Des corps se sont côtoyés

Regardés

Romantisme

Nuit des lectures croisées

Des mots ont dansé

Le murmure de tes pensées

Des dessins juxtaposés

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Remplir ces vides à tout prix

Ne pas interrompre le flux de tes envies

Le déversoir des règlements de comptes

La remontée des corrections

Quels mots soustraire

Effacer

Ajouter

Quelles lettres

Quels êtres

Quels silences

Quels gestes

Intempestifs

Ou courtois

Prendront le relai de ta vie ordinaire

Solitaire

Inachevée

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Resteras-tu assis ou debout

Au comptoir des années

Montdauphin

Elixir des pas de côté

Et puis rien

Lire encore

Les éditions du commun

Ont tant de choses à dire

Faire taire les rumeurs des esprits envieux

Quand tout arrive en pagaille

Comme les vagues quantiques

Les dieux sont avec nous

Dans la chambre de l’univers

Tu voudrais ne pas être seul sous le ciel bleu et glacial

Réussir ton casting

Être engagé

Tu voudrais gagner cette balle

Et tu te dis

C’est pour toi

C’est pas pour toi

Marcel

Les mots

Tu voudrais être né et aimé

Relire ainsi ton histoire

A la nuit tombée

Qui viendra te voir sur ce banc oublié

Déjà le noir des absences

La blancheur des espérances

Ce qui te tient en vie

La pensée qui tient encore debout ton corps transi

Anthropocène

Nous pouvons quelque chose sur la scène du vivant

Retrouver le fil qui nous lie

L’acte de tendresse

Cette nuit

Tous tes mots resteront dans ton corps blottis

Entre les lignes

Thierry Rousse

Nantes, samedi 20 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »