Un Kerouac et quoi d’autre

Est-ce qu’il y avait en

Chacun de nos êtres

Un Kerouac

L’appel à partir presque disparaître

Partir pour vivre une nouvelle vie

Déployer nos ailes d’oiseaux insoumis

L’appel de l’ouest

Le grand jour

Qui vient toujours

Des froideurs de l’est

Un Kerouac sans même l’avoir vu

Un Kerouac et l’avoir toujours entendu

Un Kerouac

Un breton

Un américain pour de bon

Qu’en savais tu

Pas vu

Dans tes leçons

Un Inconnu au bataillon

Que son nom

Attendre cinquante sept ans

Sur un étagère

Un soir de pluie chez Marguerite

La tête en l’air

Près des vieux bouquins interdits

Pour découvrir

La Beat génération

Totale libération

Quelque part en apesanteur dans l’univers

Croiser

Enfin

Kerouac l’alcoolique

Qu’avait-il de si puissant

Emblématique

Ce Kerouac

Ce rouquin

L’air d’une relique sacrée

Ou d’un paumé vraiment paumé

Son corps et son âme ne faisaient-ils qu’un

Errant jusqu’au bout du monde

De ses précipices amers

Explorées par ses sondes

Tu avais ton Kerouac

Ton petit Kerouac

Et ton Dead depuis longtemps

Sans le savoir vraiment pourtant

Quelques temps après

Ton plus grand des regrets

La disparition de ta maman

Vers l’âge de vingt sept ans

Dean était Lolo dans ton roman

Lolo le lorrain avait déjà bien trinqué dans sa vie

Un beau père complètement indifférent à lui

Et sa petite amie qui venait d’avorter à Nancy

Lolo n’aurait pas d’elle son enfant désiré

Lolo s’accrochait au bar de Melun seul et paumé

Il entrait à la nuit tombée dans un pub irlandais

Et t’entraînait dans les paradis des trains sans arrêt

Wagons des coeurs brisés

Esseulés

En quête de tendresse

Et d’ivresse

Un p’tit tour

Et tant d’autres pour oublier le jour

Des tourbillons de verres vaste palette

Jusqu’au retentissement de la clochette

Du White Horse

Le dernier verre

Triplette

Et pipelette

Dernière heure

D’un cheval blanc achevé les quatre fers en l’air

Un jet 27 cul sec

Pour tourbillonner dans le précipice des étoiles

Crinière au vent

Far west

Des billards

Des flippers

Les yeux flippés égarés dans le brouillard du petit matin même pas peur

Le vieux cheval titubant

Partait

Fuyait

Ses larmes salées d’épouvantes

Dame blanche

De Meule de foin

A

Souppes-sur-Loing

Un p’tit tour les copains

A travers la forêt

Les sombres marais

Un cubi de vie sanguinolente

Et tant d’autres

Jusqu’à l’ivresse assommante

Le dernier verre ballon d’argent

Le cheval vert du Pmu gagnant

Qui des deux toquards emporterait la course des obstacles

La folle course de l’oubli

Toi Marcel la tête dans le ciel

Ou Lolo le lorrain

Le coeur encore à Nancy

Pouvais-tu échapper à

Ta tristesse

Pensais-tu trouver la perle rare sur un chemin d’errances

De la soupe à l’oignon

Au p’tit matin

A

Château-Landon

Au lendemain

Qu’un pas pour les victorieux

Encore debout

Leurs désirs titubants

Sur la rage

Écorchée vive

De Marlène

Les cœurs qui saignent

Dans un Whisky coca glaçons

Une Vodka

A l’herbe de bison

Appels des pieds sous une table

Partir

Partir vers l’ouest

L’ouest était toujours au sud

Dans la brume des nuits blanches

Des indiens

Après ton Dean

Il y avait Joe

Il y avait Marlène

Kerouac se multipliait à l’infini

Miroirs des fêtes foraines

Labyrinthe du Palais des Glaces

Qui disait

Nous rêvions tous dans nos solitudes

Du grand huit de l’ouest

La ruée du Désordre

Goûter à tous les plaisirs défendus

Jusqu’au bâton

Lécher le nectar de l’envie

Woodstock again

Marcher de travers

Chanter dans les rues

Dégainer vos fous rires

Clamer que ces rues sont à nous

Et que les voitures cabossées

Avaient bien assez des trottoirs

Pour s’éteindre dans le noir

Que les lumières étaient en nous

Des réverbères sur la lune

Des petits princes et des roses

O Paname des amoureux

Virées mémorables

Dans les recoins obscurs de la Bastille

Sous les pavés

Encore la plage

Qui nous tient

Vous réveiller sur les falaises d’Étretat

Au p’tit matin

De vos lendemains

D’errances

Fin du manège

Tu entendais les cris des mouettes

La mer était en fête

Un ciel si bleu

Presque pur

Allez

Ton copain t’appelle

Un dernier p’tit tour

Un Muscadet pour les huîtres

Une chope de bière pour les moules-frites

Ultimes aventures

Du Luxembourg

A la

Descente de l’Ardèche

Canoë de la grande chevauchée

Les plus beaux hôtels

Les plus grands restaurants

Caviar et champagne

Au guide Michelin

Ne plus compter

Claquer ce qu’il te restait

La grande vie des vauriens

Le commencement de la dèche

Des interdits bancaires

Oublier l’absence

Ramer dans la galère

Escalader à mains nues les falaises écorchées

Te restait-t-il encore de l’essence au-moins

Ton cœur était en panne d’amour à sec

Perdu dans les tourbillons ascentionnels

De la jouissance

De la souffrance

Derniers espoirs

Avec Kerouac

Cap sur Barcelone

Changer de langue

Changer d’auberge

Tu gambergeais

Marcel

De cet amour à trois inattendu

Qui serait le roi et la reine

Élixir de la grande Chartreuse monastique

Lolo rigolait de ce trio infernal Joe Marlène et leurs chimères

Un p’tit tour

Et les cœurs saignent

A l’enseigne des Noir Désir

Dans les taxis

Ou

Brillent les yeux de la nuit

Sous les tangos argentins

Pas chassés enlacés endiablés

Serais-tu un brin libertin

Dans les bains romains

Ou pèlerin

Tu chantonnes

Sur la route de Barcelone

Erreur de trajectoire

Ce n’était pas François

C’etait finalement Capdevielle

Qui vous accompagnait dans la traversée des Pyrénées

Et faisait causette

Le politiquement incorrect

Disparu brutalement du show-biz

Il te restait ses mots sur une cassette audio-

Y a toujours un carillon qui résonne (1)

Au-dessus du port de Barcelone

Même si son air est monotone

Il peut pas chanter pour personne”

Filer dans l’espoir de ce carillon

La femme rêvée au bout qui t’attend

Dans le port de Barcelone

A fond le poste

Vous saouler de musiques et paroles

Faire le plein de Whisky détaxé

Et franchir à toute allure les Pyrénées

Traverser les combats de la liberté

Franco était ratatiné

Cracher sur les dictatures

Et vous poser

Dans un dernier hôtel

Sur la baie de la Méditerranée

Le bout d’une route

De lacets

Derniers sous de vos poches percées

Longue plage de sable doré

Et drôle de cathédrale jamais finie

Dressée désespérément vers les anges du ciel

Soudain

Tu as la dalle

Tapas à toute heure

T’as pas un peu de monnaie copain

Maintenant

Boire

Et

Danser

Sous les étoiles tombées

Au fond d’un bar louche

Qui faisait discothèque

Les plus grands musiciens

Dans l’une de ces ruelles

S’ y étaient cachés

Dans les lueurs de Barcelone

Des carillons qui résonnent

Trop fiers pour faire la quête

On a tous un p’tit Kerouac en nous

Qui dure le temps d’un deuil

Le temps d’une liberté

Jusqu’à l’épuisement

L’effondrement

La fin d’un livre

Déchiré

D’accord

Rien à voir avec la traversée de l’Amérique

Juste une traversée de toi-même

Du nord au sud de la France

Juste ce que tu avais désiré

Une simple expérience

Pour perdre ta peine

Mais oublie-t-on vraiment le passé

Dans le fond du gouffre

A découvert

Au bout d’un fil coupé

Tout serait à reconstruire

A ton retour vidé

Reconstituer le puzzle d’une jeunesse morcelée abîmée éventrée

Passent l’été et ses liesses

Le début d’un hiver solitaire

Paradis et enfer

Définitivement fermer ta porte

A toutes ces errances qui rimaient avec déchéance

Que te restait-t-il de cette aventure

Comment dépenser en un mois

Tout ton héritage

Des vaille que vaille

Qui te menaient sur la paille

Que te restait-t-il de Kerouac

“Sur la route” sinueuse des pages jaunies

L’alcool et les filles

A consommer au comptoir

La Beat génération

L’espoir du désespoir

La Beat génération celle qui écrit avec sa bitte

Et quelques brefs éclairs de poésie

La traversée d’une Amérique colonisée

D’est en ouest

D’ouest en est

Était-ce une vie

Toujours repartir

A la quête de quoi

Vivre

Ou fuire ton ennui

Vivre

Ou suivre

Ce frère maudit l’esprit alerte

Qui t’attirait vers sa perte

Le quitter

Comme Kerouac avait quitté un beau matin Dean

Alors

Un Kerouac et quoi d’autre

Te mettre à l’eau pure des montagnes

Renaître à ton esprit libre

Serais-tu au fond un brin écolo mon ami Kerouac

Plutôt qu’un alcoolo

Toi qui rêvais de quitter New-York

A l’appel du printemps

Irrésistiblement attiré vers les terres du New Jersey

Tu espérais cette fin

En cette quatrième partie de billard

Une autre Amérique

La vérité au Mexique

Dean ne t’avait pas au fond lâché

Ni toi

Tu diras

Quoi

Au mets

Final

Qui comprendra ce que nous avons vécu

Du désastre de nos idéaux

Du fracas de nos mots

Qui verra le coin déchiré de nos photos

Existera-t-il encore des théâtres

Des lieux uniques

Pour porter la force de nos mots

Tu verras à la fin de ton périple

Une autre humanité

Celle qui nous précédait

Celle qu’on avait violée

Vidée

Délogée

Déracinée

Expulsée

Enfermée

Tu voyais

Dans une révélation

Sur ta route

Les indiens fellahs

La ligne équatoriale de l’univers

Tous leurs visages

Toutes leurs terres traverser ton âme

Malaisie

Bali

Inde

Arabie

Maroc

Mexique

Polynésie

Qu’avions-nous fait de leurs vies

Le sang des colons impunément répandu

Coulait encore sur les doigts de notre orgueil imbu

Le rêve indien de Kerouac n’avait été qu’éphémère

Les filles revenaient aussitôt sur le tapis

Allons se faire des filles dans les bordels du Mexique ou d’Afrique

Tu lançais à Dean

Rien que l’expression

Se faire des filles

Ferait bondir aujourd’hui

La plupart des féministes

La Beat génération portait décidément bien son nom hélas

Une génération d’hommes dépravés

Qui ne voyaient qu’en la femme l’objet de leur jouissance

L’accomplissement de leurs fantasmes

L’assouvissement de leurs besoins

Le territoire de leurs conquêtes

Ces cow-boy au revolver en manque

Ne considéraient les femmes qu’au seul rang de simples corps apaisant leurs pulsions sexuelles

Des putes

Des poules

Et un peu plus romantiques

Des filles

Des gamines

Des mignonnes

Des courtisanes

Des copines

Le but au final

Était semblable

Les quelques préliminaires d’usage accomplis

Les allonger aussitôt sur un lit propre ou sali

Et les pénétrer de tous les coups dans tous les sens

De leur phallus tout-puissant

Qui des deux corps pénétrés prenait vraiment du plaisir

Le cow-boy

Ou l’indienne

La musique couvrait leurs cris

Au Mexique

Rue Saint-Denis et partout ailleurs

Rue du commerce des filles

De la chaleur de la sueur et des pleurs

Le narrateur jouissant librement de ses corps à peine majeurs osait exprimer son entière compassion

Quinze ans

Seize ans

Dix huit ans

Le choix était offert aux clients

Comme un menu alléchant

Un pur divertissement

Tu osais alors lui dire

Pauvre fille du Venezuela

En arriver là dans mes bras

Pour quelques billets

Que puis-je pour toi

Le mal était déjà fait

Cow-boy

Tu avais souillé de ton plaisir son jeune corps innocent

Elle avait beau le frotter encore et encore

Les blessures de son coeur resteraient gravés

Comme un tatouage pour l’éternité

Elle se noyait dans l’alcool et la drogue pour oublier son corps

Elle flottait à sa surface comme un ange

Avait pitié de toi ou te haïssait

L’ivresse la faisait basculer dans ton monde superficiel

Toi le cow-boy du Farwest

Qui ne pensais décidément jusqu’à la fin du voyage qu’au sexe

Remontant dans son catalogue jusqu’au plus jeune âge

Visitant toutes les cabines du monde pour te satisfaire

Ton « tu » à peine s’était confondu d’excuses

Keyrouac et quoi d’autre

Écrivain

De tous ces moments où l’autre n’était presque rien

Que le prolongement de tes pensées

Tu t’étais perdu dans un bain de jouvence

Entre âmes

Délivrées

Eprouvées

Y prônais-tu la totale liberté du sexe fort

Ou voulais-tu en montrer là toute sa déchéance

Une histoire de pesos

Une histoire de dollars

De monnaie faible

De monnaie forte

Les bourses

Où tout s’achète

Où tout se vend

Le libéralisme dans toute sa splendeur

Tous ces isme

Tous ces schismes du marché

Mettant l’amour de côté

Action

Inflation

Consommation

Production

C’est combien

L’amour

Dans une chambre

Une voiture

Une cabine

Ou

Derrière les cactus

Les fougères

Les pins

Les montagnes

En pleine nature

Serais-tu vraiment un brin écolo mon ami Kerouac

Ou complètement accro

De l’autre côté de la frontière

Au Mexique

Cow-boy new-yorkais

Là où tous tes sens t’excitent

Ferais-tu de la misère ta fortune

Caressant toutes les lunes

Des plus belles au plus moches

Seulement guidé par ton instinct bestial

Flairant la proie facile et fragile

Que tu séduirais par ta voix agile

Cow-boy

Ton âme était servie

Entre

Ceux qui te louaient des filles

Ceux qui te vendaient des crucifix

Du haschisch de l’héroïne ou de la coke

Bienvenue au Mexique

L’amour en stock

Tu connaissais la musique

Tu t’élevais ravi au septième ciel

En de sempiternelles chapelles

Génération des viandards

De bons rosbeefs saignants

Tout était consommé

Consumé

Avais-tu fait partie Marcel de cette génération

Qui se justifiait en disant

C’était une époque où tout était permis

La littérature passait avant la morale

La vie n’était qu’une expérience

L’expérience était-elle vraiment finie

Depuis Hiroshima mon amour

Comment décimer les derniers survivants de Gaïa

Tourner le bouton du radiateur

Laisser monter la température

Décapiter les arbres

Apprivoiser les pangolins

Répandre les épidémies

Comme une armée de Mongolie

Comme une menace redoutable

On s’amusait bien sous les tables

Mexico

Tu n’etais jamais descendu si haut .

Cinquième partie

Pour te tendre une main

Bohémien

Rien

Qu’une fin

Qui ressemblait au début

Est-ce qu’il y avait en

Chacun de nos êtres

Un Kerouac

L’appel à partir presque disparaître

Partir pour vivre une nouvelle vie

Déployer nos ailes d’oiseaux insoumis

Je compris que j’étais mort et revenu à la vie un nombre indéterminé de fois” (2).

Thierry Rousse
Nantes, mardi 16 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) Jean-Patrick Capdevielle, " Barcelone"– (2) Jack Kerouac, "Sur la route", Gallimard

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