Soleil d’hiver

 

Le ciel était bleu. Le soleil brillait. L’air était pur. J’aimais ce soleil d’hiver. Il avait quelque chose de vivifiant, ce soleil d’hiver. Des rayons dans l’azur reconstituaient ce qui était détruit. La régénération du vivant. C’était difficile à dire. Un air de reggae au milieu des sapins. Quand il n’y avait plus de mots, il y avait la musique. Je m’imaginais être au Québec, ou, au fin fond de l’Irlande, ou, encore, sur la pointe du Finistère. Danser. Au bout du monde. Chanter. Quelque part. Vivre. Nulle part. Qui aurait cru qu’un petit virus se promenait dans cet air si pur ? Les passagers du Bus-Accordéon me semblaient en bonne santé. Les passants, également. Je m’étais amusé à télécharger l’application « AntiCovid ». « Pas d’exposition à risque détectée ». Je me sentais rassuré. Je poursuivais mon chemin. Porter un document au Service Social du Département de Loire-Atlantique, puis, un dossier au CCAS de la mairie de l’île de Nantes. Etre sur une île. Protégé. Je recevais mes premières aides. Deux cents euros au titre du soutien aux professionnels du spectacle touchés par la crise sanitaire, ainsi qu’une « Aide Coup de Pouce » de la part de la Ville de Nantes. Quelle chance d’habiter à Nantes ! Mon cadeau de Noël était à retirer jeudi matin. Je découvrais le monde passionnant des formulaires, des preuves à rassembler. Une nouvelle géographie se dessinait. Suivre la ligne bleue pour sortir de la zone rouge. Je me disais que nous avions encore cette chance en France, dans certains départements, dans certaines villes, d’être écoutés, soutenus, conseillés, accompagnés. Cette chance d’être aidé lorsque nous nous retrouvions sans plus aucun revenu. Radié comme un petit enfant puni de ne pas avoir aimé la soupe qui lui était servi. Au milieu de cette junge, il nous fallait vivre au bon endroit. Le midi, je regardais sur BFMTV ces images de Washington. Des boutiques fermées. Des gens à la rue. Une tente pour maison. Le rêve américain avait un goût de cauchemar. Un chew-gum trop longtemps mâché.

Aucune nouvelle du cher employeur qui avait coché la case fatale. Se souciait-il de mon sort ? Une Camarade du PCF de Vendée m’orientait vers un camarade de FO. Les camarades se tutoyaient entre eux. L’humanité n’était pas qu’une fête chez eux. Elle avait le sens de l’engagement, de l’entraide, des luttes sociales. Le Camarade m’expliquait que les victoires ne s’obtenaient que dans le rapport de forces. Ce Camarade connaissait les conditions de travail pénibles, stressantes des aides à domicile. Difficile de rassembler ces travailleurs de l’ombre. Des journées très longues, beaucoup trop longues.. Souvent des femmes, isolées, avec des enfants. Encore beaucoup de travail après le travail. Pas le choix, Se taire et subir. Les employeurs profitaient de leur précarité. Ils jouaient la carte du sauveur. Le sauvé dépendait du bon vouloir de son maître protecteur. Dans les silences, l’ignorance, l’indifférence, tant de souffrances, d’impuissances s’y logeaient. J’avais envie de rompre cette chaîne. Un désir de crier. Où était ce jour d’après ? « Reconstituer ce qui était détruit » . La poésie dans la rue sauverait le monde.

Au terme de mon périple, de retour dans le Bus-Accordéon, un homme sans domicile s’asseyait en face de moi et me racontait sa journée. Il était heureux, cet homme, on lui avait offert une pizza et des tennis tout neufs, aujourd’hui. Il me les montrait. Le bonheur tenait à ces petites choses. Je le regardais, je l’écoutais, je lui souriais derrière ce foutu masque. Comment s’appelait-il cet homme qui s’était assis en face de moi ?

Fip consacrait sa soirée à Jim Morrison. Une porte s’ouvrait. Où dormait cet homme ? Pourquoi s’était-il retrouvé dehors , cet homme ? Quel était son prénom ? J’aurais dû lui demander son prénom. Cet homme. Certaines pensées tournaient en rond dans ma boîte crânienne. Jim Morrison aurait eu, aujourd’hui, soixante dix sept ans, et John Lennon, quatre vingt ans. Je montais le son, et, dans ma boîte, je dansais, ivre de rêves, d’espoir et d’amour, entre « Imagine » et « This is the End ». « Je veux être une lanterne pour l’humanité » clamait Jim. L’apôtre de « Peace and Love », John, avait, quant à lui, été assassiné. Folie du monde. Dans ce chaos, découvrir un sens.

Le soleil d’hiver resplendissait, dans le ciel de Nantes, à la page des faits divers. Il était beau, le soleil d’hiver. L’île, enchantée. A sa pointe, un jardin, un étang, la Loire et les tours de la ville.

« Ne jamais être trop pressé, la nature est patience » (*)

« Waiting for the Sun »

« Nageons jusqu’à la Lune… » (**)

Thierry Rousse

Nantes

Mardi 8 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

(*) « Origines, 365 pensées de sages africains », éditions de la Martinière

(**) Jim Morrison, « Moonlight Drive »

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