Parcourir le monde

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Ton voyage en Colombie raté

Tu n’avais pas osé t’envoler

Cécilia t’avait invité dans sa famille pour Noël

Cette fille de ton âge que tu trouvais si belle

Avec laquelle tu échangeais des lettres

Entre vous un commun idéal

Grâce à une association de correspondance internationale

Débarquer sur sa montagne chez des gens inconnus

A Santa Fé de Bogota dans un pauvre quartier

Ce qu’on t’en disait avait fini par l’emporter

Drogue vols violence partout dans les rues

Tu te voyais déjà embarqué

Sous le charme de ses yeux

Ligoté à son lit par son vieux

Un revolver vers ton insouciance pointé

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait juste ce petit livre

« Colombie »

Grignotté par ton chat

Un triste jour d’ennui

Sans doute

Avait-il trouver là

Un bon moyen

De faire ses griffes

Se venger sur la Colombie

Parce que dans tes pensées tu étais déjà parti

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait que ces images dans ta tête brouillée

De magnifiques parcs fleuris

Le royaume des orchidées

Les portes d’entrées de l’Amazonie

Ou les Indiens Guajiros

Il te restait ça

L’amour que tu avais imaginé à cet âge-là

Main dans la main avec ta Cécilia

Et cette mélodie qui dansait dans ton soleil

Corriger les paroles d’une chanson

De Simon

Et Garfunkel

Par des arcs-en-ciel

De baisers

Et de caresses infinies

O Cécilia

Une famille qui t’aurait aimé enfin

Et puis

La Colombie

La Colombie

N’était-elle qu’un pays de drogue de vols de violence

Comme on disait

Comme les rumeurs le colportaient

Ton petit livre touristique

N’en disait pourtant que du bien

A peine une page sur le sujet

Il te faisait rêver de l’Eldorado

Te faisait plonger dans un tango

Un bal de coraux

Il te faisait compter les perles fines

Du sable blanc des Caraïbes

Te glissait au fond d’une mer chaude et transparente

Ton petit livre touristique avait des ailes

Etalait les charmes des nuits de Carthagène

Là où tu pouvais “boire un verre dans une ambiance coloniale” (1)

Il savait exciter tes papilles de mets traditionnels

Le riz à la noix de coco

Le beignet de maïs fourré à l’œuf

Les haricots rouges

Aux tranches de banane douce

Les cathédrales, les parcs, les musées, les jardins botaniques étaient légion

L’or à profusion dans les coffre-fort secrets d’un siècle et plus d’Espagnols conquérants

Tu pouvais aussi grimper jusqu’à la cité perdue des premiers habitants de cette terre

Eux qui croyaient vivre au centre du monde sur la plus haute montagne du littoral

Tant la nature leur offrait sans privation

De beautés de fruits et de poissons

De tous ces trésors

De tout ce paradis

Tu n’avais rien vu

Ni précolombiens ni la famille de Cécilia à Noël

Rien

Rien

Rien que des mots écrits trop petits sur ton petit livre

Pas même vu Bolivar

Le grand libérateur

Dressé sur son cheval nu

Tu n’avais pas eu le courage non plus de lire

Cent ans de solitude jusqu’au bout

A peine le début

Une journée de solitude déjà

T’épuisait

Que valait une vie

Si aux autres

Tu n’étais pas relié

Quand

Juste avant l’automne

Cécilia

A Paris était venue

Étudier les arbres

Vous vous êtes enfin vus

Tu as parcouru du regard

A l’Arboretum des Barres

La cime des séquoia avec elle

Tu lui as fait connaître le Théâtre de La Cartoucherie

Ariane Mnouchkine et la fondue savoyarde

Au premier étage de ce chalet à la Bastille

Tu l’avais accueillie dans ta maison à Maincy

En pleine nuit elle t’avait appellé affolée

J’ai fait un cauchemar

J’ai peur de tout mon corps je frémis

Tu l’as rassurée par tes mots puis tu es reparti dans ta chambre retrouver les bras de Morphée

Tu n’avais rien compris

Une fois de plus à la Colombie

Tu laissais passer cette chance inouïe

Était-ce vraiment au fond une chance

Un signe d’amour

Cette araignée soit disant qui l’avait réveillée

Elle finirait par te dire

Si je suis venue à Paris

C’est pour retrouver l’homme

Que j’ai aimé et que j’aime encore

Disait-elle la vérité

Toute la vérité

Voulait-elle te tester

Sur ses paroles tu t’es effondré

Sans jamais te montrer sous terre

Tu étais presque à lui répondre

Je peux t’aider Cécilia à retrouver ton prince charmant

Paris n’est pas si grand

Puis elle est repartie en Colombie

Les oiseaux ont continué à échanger vos mots

Puis un jour

Tu ne sais plus ni pourquoi ni comment

Par quel vent

Vous ne vous êtes plus jamais écrits

Les oiseaux avaient disparu dans le ciel

Ton tour du globe en Colombie était bel et bien fini

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait

Les premiers souvenirs de tes voyages

Autour d’un monde réduit en solitaire

Cette Italie que tu avais sillonnée en train

Tout seul à ta majorité

Pour fêter ton baccalauréat

Grâce à l’argent que tu avais gagné

En travaillant comme agent de sécurité à la Défense

Fortune qui fut vite volée à Venise

Dans une auberge de jeunesse

Tu dormirais alors sur les bancs

Sous les lampadaires des places publiques

Ou dans les trains de nuit

Une petit chien monterait pour toi la garde à Bologne

Aboyant au premier passant

Clin d’oeil des anges qui avaient exaucé tes prières

Au petit matin le petit chien repartirait comme il était venu

Discret comme une ombre de la nuit

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un périple à vélo avec ton frère Jérôme

De Vézelay au Puy en Velay

Et une marche vers Compostelle

Traverser les champs de taureaux

Reconnaître les mille vaches

Etre perdu dans les brumes de Conques

Franchir la frontière à Roncevaux

Etre éclairé d’ampoules

A travers le désert de l’Espagne

Le monde était parcouru

De sentiers si longs

Et souvent mélancoliques

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un trip religieux à trois en auto-stop jusqu’à Assise

Avec ta sœur Marie et ton fidèle frère Jérôme

Et un peu plus tard

Quand Soeur Marie avait poursuivi sa route à Jérusalem

Il vous restait la Sicile et Malte

Ton cœur faisait une halte

Sur l’île de Gozo

Aux côtés d’Ulysse

Captif de Calypso

Douce prison

Chaque soir

Tu donnais rendez-vous à ton frère Jérôme

Lui enquêtait la journée durant sur ses ancêtres

Et pouvait remonter ici jusqu’au Néolithique

En tournant les pages des reliques de pierre

Jusque là vous trouviez toujours un petit coin caché

Le camping sauvage était ici formellement interdit et puni

Ce jour-ci le soleil se couchait au bout de la petite île

Que les Phéniciens avaient baptisée

Lentille petit bateau rond

Et toujours pas de frère Jérôme à l’horizon

Tu angoissais à l’idée de dormir seul en terre inconnue

Tu tournais en rond comme un poisson dans une épuisette perdu

Sans doute ton frère avait raté le dernier bus

Que faire alors

Où aller

Tu te voyais déjà embarqué par la police maltaise

Dans un cachot sordide

Ulysse semblait indifférent à ton sort

Incapable de te tendre la main

Tu implorais le ciel

Ton pote François

De faire descendre de son paradis

Une douce compagnie

A Assise Claire t’avait bien plu

Quand soudain

Tu vis la plage heure après heure

Se peupler d’un tas de gens

Autour de feux allumés

Ils sortaient guitares vin et victuailles

Et toute la nuit ripaillaient

Et toute la nuit buvaient chantaient dansaient

L’hôtel luxueux d’à côté avait organisé une nuit blanche jusqu’au lever du jour

Tu ne t’étais jamais senti aussi entouré

Un peu de trop sans doute

Au milieu de tous ces vacanciers

Tu ne pouvais être qu’en sécurité

Aucun policier maltais ne remarquerait le campeur sauvage que tu étais

Le vagabond solitaire à la dérive craintif sans son frère

Noyé dans cette masse de touristes bon chic bon genre

Tu remerciais ton pote François

Qui ne manquait ni de bienveillance ni d’humour

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Les pieds dans un Lagon tout bleu

Tu caressais les tortues les dauphins et toutes les sirènes

Tes pensées avaient coloré tes mollets de bleus

Parcourir le monde

Et pourquoi

Pour l’exploit sportif de tes muscles

Pour ne voir que les cailloux d’un chemin

Compter les blessures à tes pieds

Ou les tâches noires d’une route goudronnée

Atrocement souffrir

La dureté d’une selle

Le dos voûté

A pédaler encore et encore

Sans jamais en voir la fin

Parcourir le monde

Pour arriver au final

Aussi seul qu’avant

Et en prime

Ne rien comprendre à la langue des pays traversés

Parcourir le monde

Pour t’enfermer sur un podium de silence subi

Paniquer à chaque interminable traversée

Perdre les balises

Te rallonger

T’achever

Ou t’émerveiller le temps d’un répit

D’une pause exquise

De la beauté de la nature et des édifices de l’humanité

Sans jamais vraiment tes sensations pouvoir partager

Parcourir le monde jusqu’aux larmes salées

Jusqu’à la crise d’angoisse

Seul dans l’obscure forêt

Qui suis-je et qui m’aime

Ma vie n’est que bohème

Lourde de peines

Je ne porte pas un trophée

Mais une croix fatiguée

Je voudrais rire de mes jeux de mots

Passer des heures à regarder les vaches

Être le berger de ces moutons

Sonner les cloches de Pagnol

Je ne suis qu’un globe-trotter ignoré

D’autres que moi

Ont bien mieux réussi leur odyssée

Les serpents ils ont su charmer

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Etais-tu prêt

Marcel

A repartir

Croire qu’un autre monde était possible

Juste aller le voir avant de ronfler

Juste te regonfler le cœur d’éternité

Pour croire encore un peu au bonheur

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait la saveur d’un café colombien

Et tout l’or des désirs de sa petite cuillère

Parcourir le monde d’étincelles multicolores

Parcourir la nuit étoilée

Et rencontrer tes yeux

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être

Globe trotter

Amoureux de la vie

Thierry Rousse
Nantes, samedi 6 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) « Colombie » de José A. Ortiz Bernal, éditions Marcus

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