Origines

 

« Troisième dose d’injection expérimentale obligatoire. » La sentence était tombée. Glaciale, un mois avant l’hiver. Balle en plein coeur de nos âmes. Nous offrions nos bras à toutes sortes d’ expérimentations. Cibles dociles épuisées. Le dieu Accin était l’unique remède, nous ressassait César, pour enrayer l’Andémie et nous protéger d’une mort imminente. L’unique moyen de voir une tragédie dans un théâtre ou de contempler une Joconde mélancolique dans un musée, sur les bords de la Seine. César tout-puissant, du balcon de son palais, nous tenait sous ses griffes. Des conséquences de ces doses à répétition injectées dans nos veines comme les micro-thromboses, son fils, Paris, se gardait bien de nous en parler. Myocardies, douleurs thoraciques, arrêts cardiaques en plein vol. Pas un mot sur leurs origines. Silence. La dose ne pouvait être que bonne, divine protectrice, cuirasse contre les maux du vingt et unième siècle produits par les Hommes.

Mes origines, elles, commençaient à mon réveil. Je « défendais une agriculture durable en forêt amazonienne » en buvant mon café chaque matin. Les robots qui m’épiaient en prenaient note et m’ajoutaient à la liste des individus hautement dangereux aux yeux de César. Je participais à une coopérative familiale, à la valorisation du terroir, à des engrais organiques, à des méthodes de cultures agro-forestières, à un prix rémunérateur pour une organisation paysanne ayant un projet de développement et d’autonomisation. J’échappais aux plans pyramidaux d’une couronne. Ma belle échappée agaçait fort l’égo d’un empereur. Mon essuie-tout était fabriqué en Normandie, au fin fond du Cotentin. Rien de romain. Mon savon venait d’un peu plus loin, de la frontière turco-syrienne, fabriqué artisanalement avec l’aide des réfugiés, à partir d’huiles d’olives et de laurier. Un homme de 82 ans, en haut des montagnes du Taurus, chauffait les baies dans un gros chaudron.

Toute origine avait son histoire. Mon père était originaire de Franche-Comté. Je tenais de lui son accent, sans pour autant être né sur ses terres, entre les jolis cerisiers en fleurs et la cancoillotte qui s’écoulait délicieusement entre mes doigts. Parfois, l’on me prenait pour un étranger. Parfois, mon accent déplaisait à certaines oreilles. J’étais fier d’être pris pour un étranger. J’étais triste à chaque fois qu’on me rejetait. J’étais heureux à chaque fois qu’on m’accueillait. Venir de la Franche-Comté, des Andes péruviennes, de la Syrie, ou du Cotentin, venir de loin ou de moins loin, c’était déjà mieux que de venir de La Garenne Colombes, de ces bois des chasses gardées d’autrefois, d’une maison vétuste détruite pour y dresser les viriles tours de la Défense. Des tours pour défendre qui, défendre quoi ? Tours et détours.

Etre d’ici et d’ailleurs, plume qui échappait aux griffes d’un aigle démesuré.

Texte court aussitôt censuré. A l’intérieur, chercher une fissure, une lumière, et, tout recommencer depuis le début, nos origines. Les origines de la vie.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 28 novembre 2021

« A la quête du bonheur »

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