« Ok, Google, raconte-moi une histoire ! », de l’utilité des bibliothèques.

 

« Vacances pour la Zone A ». Ce mot « vacances » sonnait comme une délivrance pour celles et ceux qui étaient en vacances, à cette heure, ce vendredi 5 février 2021. Oubliée la Covid ! « De vraies vacances au soleil en Espagne !  » Ce couple en avait rêvé des jours et des nuits et son rêve était sur le point de devenir réalité, le temps pour ces beaux amoureux de grimper dans leur bel avion. La Covid resterait dans le triste hall de l’aéroport. Des barrières de sécurité veillaient à retenir les envies de poudre d’escampette de la vilaine sorcière. Roméo et Juliette lui disaient « Au revoir  » sans lui serrer la poigne, et, chassaient de leur esprit, au-dessus des nuages gris, toutes leurs idées noires. Dans leurs valises, ils avaient soigneusement rangé leurs promenades bucoliques, leurs baisers langoureux, leurs douces caresses, leurs dîners aux chandelles, leurs bains moussants aux pétales de roses, leurs séances « Home cinéma », et, cette part de découverte de soi, des autres, des paysages, d’une culture étrangère qui contribuait au charme des vacances.

Tant pis pour ma pomme, je faisais partie de la « Zone B » ! Il me fallait encore être un peu patient. Chaque chose en son temps. Vivre l’instant présent. Mon travail, au-moins, avait un sens. Transmettre le goût de la lecture aux enfants.

Certes, j’avais une concurrente de taille, Mademoiselle Google. Il suffisait de lui dire: « Ok, Google, raconte-moi une histoire ! « , et la charmante voix, aussitôt, contait une histoire dans la catégorie choisie. La demoiselle invisible aux deux « O » infatigables en connaissait des histoires. Je me sentais bien niais, arrivant à peine à l’ongle du pouce de son pied, à vingt mille lieux sous Terre. Les histoires drôles étaient son terrain de prédilection. Le seul avantage, si avantage il y eut, était que j’étais, bien que masqué, visible en grande partie aux oreilles de mes auditeurs. Bref, j’existais de chair et d’os pour leurs yeux. Je pouvais répéter, m’arrêter, expliquer, interroger, illustrer, saisir un sourire, un bâillement, un ennui, une envie, transmettre de ma voix, de mon corps la passion des mots qui m’animait. J’invitais les enfants à dessiner ce qu’ils avaient retenu de l’histoire,, ce qui les avait ému, ce qui leur avait plu.

Pour ces enfants, j’enrichissais ma culture, semaine après semaine, une heure à la médiathèque de Rezé chaque lundi, mardi, jeudi et vendredi. Il m’avait fallu un bon quart d’heure avant de trouver l’entrée, dissimulée derrière une paroi noire oblique vertigineuse. Un couloir humide entre deux murs menait au Palais des Livres. Un genre d’entrepôt ou d’usine, composé de béton brut, d’aluminium et de verrières, qui n’avait rien de chaleureux, si ce n’est d’imposants fauteuils, des lampes de chevets rouges et des tables en bois grises aux jambes galbées. Je me disais que les architectes contemporains, à l’image de Le Corbusier et de sa cité radieuse qui n’avait de radieux que son nom, cultivaient le goût de la société industrielle, sans doute pour porter notre attention sur ce qui pouvait nous en extraire : les livres, les sentiments, l’amitié.

Cet Espace Diderot, au coeur d’une cité qui avait mal vieilli comme tant de cités d’une époque révolue, finissait par m’être familière. Mes pas glissaient sur sa plage lisse de béton gris jusqu’à la table en bois aux jambes séduisantes qui m’attendait. Mes pieds empruntaient les nombreux escaliers. Mes mains exploraient l’univers de la littérature « Jeunesse ». Mes yeux étaient attirés par des dessins et des mots. Chaque livre était un voyage, une parenthèse sur le temps. D’autres vies s’ouvraient, d’autres mondes. Je grimpais dans mon avion. Je me sentais en vacances dès que je franchissais le sas de décompression. Mes voisins étudiaient. A cette heure de la journée, la majorité était des étudiantes et des étudiants. Cette ambiance me rajeunissait d’au-moins trente ans. J’aimais ce parfum de silence, d’âmes concentrées, d’esprits bouillonnant qui régnait dans les bibliothèques. C’est curieux, je voyais toujours plus de femmes que d’hommes en ces lieux. Etaient-elles plus assidues aux études et aux sentiments dont les mots étaient les messagers ? L’homme préférait-il la mécanique et le skate-board ? Finalement, j’en concluais que ce n’était pas idiot d’entreposer des livres dans une usine et d’inviter Diderot au milieu d’une cité à la croisée des cultures. Les livres, au fond, ne cessaient de nous entretenir de l’humanité. Ce couloir humide entre deux murs était le passage secret vers l’intimité universelle.

Mon livre choisi de ce vendredi était « Le souffle de l’arbre », l’histoire d’un ancêtre qui s’était transformé, un jour, en arbre. Un tout petit arbre fragile qui avait grandi au fil des saisons, élargissant ses racines, ses branches, puisant au fond de la terre la nourriture qui le rendrait fort, grand et robuste, capable de subir les sécheresses les plus rudes, de traverser les moments les plus durs de la vie. Cet arbre perdant inexorablement ses feuilles, cet arbre à présent nu, savait, un midi, qu’il revêtirait son costume de lumière, aux mille couleurs du monde. Les enfants le dessinaient, le voyaient. Les mots prenaient chair. Un grand-père, une grand-mère, quelque part, renaissait. L’héritage des mots et des sentiments les plus purs, les plus tendres.

Un oiseau chantait sur une branche. Un rayon de soleil caressait le coeur du temps. Le livre était dans le nid, ouvert à la page du ciel.

Les lumières brillaient sur la ville, un pont enjambant nos deux rêves, deux envies, deux voyages vers l’infini du temps.

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 5 février 2021

 » A la quête du bonheur »

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