Le moulin des p’tits papiers

 

« L’éviter ou le repousser ? » tel était le sujet philosophique de la semaine sur Bfmtv. George Duhamel y allait de ses arguments. Chaque invité était appelé à voter. L’actualité, à défaut de cinémas et de théâtres ouverts, se transformait en un vaste jeu public. Le suspens était de mise. Chacun y allait de ses pronostics. Qui gagnerait? « Troisième confinement, oui ou non ? ». Le verdict tomberait samedi. « 2008 nouvelles admissions en 24 heures ». Forcément, l’annonce quotidienne de ces chiffres entraînait l’inquiétude chez un grand nombre d’auditrices et d’auditeurs. Le virus de la peur se propageait à toute allure sur ces ondes de chocs. Volonté délibérée ou inconsciente de nos Grands Chefs?

Un ange invisible me protégeait de ces ondes. Depuis quelques temps, j’avais éteint ma Box SFR. Tant pis pour elle ! Plus aucune onde néfaste ne me traversait que les ondes lumineuses de l’Amitié. Je prenais le bateau sur le Port des Pêcheurs de Trentemoult, traversais la Loire agitée en vue de faire le plein de provisions au cas où… Je m’inscrivais à la médiathèque de Nantes puis je marchais jusqu’à la librairie Coiffard après avoir dégusté un délicieux Falafel libanais. Des petits bonheurs qui enchantaient mes journées. Mon panier se remplissait de livres de chansons et d’histoires pour enfants. J’avais cet appétit de légèreté, d’insouciance, cette soif du « vent frais du matin » à partager. Chanter, il nous restait à chanter et danser. L’autre rive m’appelait, ce port si tranquille, de l’autre côté du fleuve, que je venais de quitter pour la grande ville, le temps de décorer mon panier de mets succulents avant le couvre-feu. Ces livres sur leurs étagères, parmi des centaines de livres, s’étaient offerts tout naturellement à mes mains. Chaque livre était une belle rencontre. « La poésie sauvera le monde » de Jean-Pierre Siméon. « Dévotion » de Patti Smith qui s’interrogeait: « Pourquoi est-ce que j’écris?  » (1) . Le « est-ce que » était peut-être de trop. Ecrire pour nous alléger de certains maux qui nous attiraient vers des fonds vaseux ? Ecrire pour prendre le large d’un ciel bleu ? Ecrire pour déployer nos ailes jusqu’à La Lune flamboyante ? Ecrire pour nous enlacer au détour d’un chemin glissant? « La nuit du coeur » de Christian Bobin, l’un de ces écrivains qui faisaient partie de mes collections favories. « Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore » (2) L’endroit et l’envers. Un titre. Une image. Une photographie. Un extrait. Une note. le désir de lire commençait ainsi. Ce qui résonnait en mon coeur à cet instant de ma vie. J’ajoutais à mon panier un nouveau DVD qui, tout pareillement, attirait mon regard : « Mademoiselle de Joncquières », un film de Emmanuel Mouret avec Cécile de France et Edouard Baer. Il n’était pas déplaisant de voyager à une autre époque, celle des costumes élégants et des sentiments délicats parfois brisés, du monde de la cour et ses jardins secrets.

Où choisirais-je de vivre mon troisième confinenent? Rejoindrais-je ma chère Mémé Zanine et son joli transistor ? Me blottirais-je dans la tranchée de France, là où tant de voix se confiaient, comme celle, ce soir, de Maryline Desbiolles:  » … je suis attentive à ça, laisser les mots me conduire… j’essaie dans la mesure du possible d’écrire tous les jours à des heures régulières… j’écris très très lentement… plus ça va, plus j’écris lentement… je reprends très peu… » (3) Entre deux écoutes, deux bribes récoltées, deux interrogations, j’avais encore laissé refroidir ma tisane. Que me diraient les petits lutins? « L’elixir de la tendresse est la plus belle des philosophies ».

Ce moulin au bord de la Sèvre me plaisait bien, tout près de l’Italie. Le drapeau de la Bretagne flottait sur la colline, juste au-dessus. Etais-je arrivé au Village des Invincibles Gaulois, résistant à l’Occupant Virus préoccupant? Ma langue jouait avec les mots un peu trop facilement pour oublier les lourdes difficultés de ces temps hésitants. J’accostais les sportifs du dimanche. « C’est par où la sortie ? Où nous mènera ce chemin ? « . Fallait-il vraiment le savoir pour être heureux? N’était-il pas plus palpitant de ne pas connaître la fin? Ce désir n’engendrait-il pas la vie? « Espérer sur les pas de Charette un soleil qui se lève ? « . Les résistants étaient nombreux. Au milieu de la guerre, j’apprendrais à fabriquer du papier pour écrire, écrire des p’tits papiers par les chemins des marmottes. Au sommet, j’apprivoiserais les pigeons voyageurs. Dans la descente, nous serions les patineurs glissant sur le temps. « La poésie sauvera le monde » (4).

Le monde en avait bien besoin. Quinze millions de françaises et français étaient en dépression, treize avaient des pensées suicidaires. « Une vague d’ampleur est en train de traverser la France … Les gens n’arrivent plus à penser, comme si leur esprit était gelé. Nous entrons dans une ère de vie anormale qui s’installe et dans laquelle tout le monde peut basculer. Plus ça va durer, plus les séquelles seront lourdes… « . La femme et l’homme avaient besoin de se nourrir, se loger, se vêtir, mais elles et ils avaient besoin avant tout de mots doux, de regards, peut-être de caresses, de liens fidèles indestructibles. Etre privé de ces contacts pouvait nous mener à la mort. « Le lien est consubstantiel à notre humanité. Aujourd’hui, ce lien est mis en danger… Nous ne sommes plus portés par un sort commun en partage. La fermeture des lieux culturels participent à ce climat. La culture, c’est ce qui nous rassemble. Les lieux culturels, les terrains de sport sont avant tout des lieux de liens sociaux, où on éprouve ensemble des émotions, où on se sent participer d’un même mouvement collectif ». (5).

Rideau rouge fermé à cette heure.

Tout près du moulin, les affaires véronaises se compliquaient pour Juliette et Roméo.

Juliette:  » Tu t’en vas donc, amour, seigneur, mari, ami ? Je veux de tes nouvelles chaque jour de chaque heure car dans une minute il y a bien des jours. Oh ! selon ce calcul, je vais être bien vieille avant de revoir un jour mon Roméo ».

Roméo:  » Adieu. Je ne manquerai aucune occasion de t’envoyer un message, mon amour ». (6)

Constance d’une correspondance au destin tragique. Je n’aimais pas ces histoires qui se finissaient mal. J’avais à coeur d’écrire une autre fin pour Juliette et Roméo, une autre fin aux erreurs de l’humanité, d’autres p’tits papiers au destin vert comme un pré d’Irlande. Il était de notre devoir d’hisser le drapeau qui nous unirait et nous sauverait.

Le vaccin de l’Amour nous guérirait de nos peurs. Nous regarderions « ces p’tits papiers qui font des ronds sur l’eau, maman », ces p’tits papiers comme des bateaux, lentement, qui nous transporteraient jusqu’à l’île du bonheur.

Thierry Rousse,

Nantes, mercredi 26 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(1) Patti Smith, « Dévotion », Folio

(2) Christian Bobin, « La nuit du coeur », Folio

(3) Maryline Desbiolles, France Culture

(4) Jean-Pierre Siméon, « La poésie sauvera le monde », Editeur Le Passeur

(5) Serge Hefez, psychiatre, L’Humanité Dimanche du 14 au 21 janvier 2021

(6) William Shakespeare, « Roméo et Juliette », Le Livre de Poche

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