Des chiffres et des lettres

 

Une campagne massive de vaccins allait débuter en Angleterre. C’était dit, et déjà, presque servi à l’heure du thé glacé. De l’autre côté de la Manche, en notre cher Village de Gaulois irréductibles, le Grand Chef prenait ses précautions et avançait sur la pointe de ses sabots. D’abord, les plus fragiles pour Noël. Les stations de montagne, elles, seraient ouvertes et les remonte-pentes fermés. C’était au tour, des gérants de stations de skis d’exprimer leur colère, et, de tous ces professionnels qui vivaient de leurs retombées économiques. L’argent était au coeur des préoccupations. Des chiffres, toujours des chiffres, encore des chiffres. Je me souvenais de cette émission « Des Chiffres et des Lettres ». L’émission préférée de mes grands parents maternels. Tous les week-ends, nous leur rendions visite à Saint-Denis, la capitale des rois déchus et enterrés. Notre famille se retrouvait autour du petit écran, noir et blanc. Des chiffres, des lettres jaillissaient de toutes parts, murmurés, criés, chantés. Aux chiffres, je préférais les lettres. Il avait bien fallu, pourtant, que j’y suis confronté, adulte, à ces chiffres.

« Fin de la période d’essai à l’issue du salarié ». Cette case cochée par mon employeur m’avait valu, en cette fin du mois de novembre, la radiation de mes droits à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Ce qui signifiait « zéro euro ». Plus aucun revenu face à la colonne où s’additionnaient mes charges, chiffre après chiffre. Le cadeau de départ était fort joli. C’était pourtant bien d’un commun accord, que je les avais quittés, accomplissant avec rigueur et dévouement mes missions jusqu’au dernier jour de ma période d’essai. Cocher l’autre case « d’un commun accord » ne leur coûtait rien et ne leur portait aucun préjudice. « C’est la réglementation, nous n’y pouvons rien », m’écrivaient les accompagnatrices de Pôle Emploi. Ma vie présente reposait, à cette heure, entre les mains du bon vouloir du directeur général d’une société d’aide à la personne dont le siège était à Paris. Ecrire, expliquer, demander. Des lettres et des lettres au service des chiffres.

Cette épisode inattendu surgissait au début d’une quête du bonheur. Un signe ? J’étais ramené à des réalités concrètes, pragmatiques. Calculer, additionner, gagner ma vie pour équilibrer deux colonnes. Le bonheur semblait débuter dans cette nécessité vitale. la nécessité de survivre dans une société marchande, où le dieu « Argent » était vénéré.

Peut-être, le bonheur, après la première joie d’une rencontre, était là. Traverser ensemble des moments éprouvants, s’aider l’un et l’autre, se soutenir. Notre joie en serait plus forte encore. Des sourires retrouvés. La légèreté de deux âmes libérées au seuil d’une forêt. « Nous y sommes parvenus ! ». Le bonheur traversait des épreuves qui le fortifiaient et le faisaient grandir. La sérénité se gagnait au milieu de la tourmente des villes.

Des lettres et des chiffres, une belle vie nous attendait, quelque part…

Thierry Rousse,

Nantes,

Mercredi 2 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

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