Noël confiné ?

 

 

Noël aurait-il lieu ? La question était de taille. Il était difficilement imaginable de ne pas se retrouver en famille autour du sapin. Que répondrions-nous aux enfants ? « – Qu’est-ce qu’il a Papa Noël ? Pourquoi ne vient-il pas nous voir ? Il est fâché contre nous ? – C’est que Fiston, Papa Noël, il est confiné en Laponie. – Confiné ? – Oui, comme nous, il ne peut pas sortir. – Il faut délivrer le Père Noël, Papa ! Il est gentil avec nous, il ne nous a jamais fait de mal, il ne nous apporte que des cadeaux ! ». Qui ferait comprendre aux enfants que le Père n’existait pas ? Qu’il n’était qu’une pure invention de Coca Cola pour vendre ses bouteilles ? Noël était lié aux ventes et aux achats. Difficilement imaginable de dire aux commerçants : « Vous ne serez pas ouverts pour les fêtes de Noël ». Nombre d’entre eux faisaient leur plus gros chiffre d’affaires à cette époque de l’année. Heureusement, Superman venait d’arriver avec son vaccin pour sauver la planète ! Il y avait là un beau cadeau à faire pour Noël, offrir un vaccin aux gens qu’on aimait, être débarrassé de ce virus que l’Homme était allé chercher en vendant sur le marché des pangolins. Etre débarrassé de la peur de mourir. Pouvoir de nouveau embrasser, enlacer l’être qu’on chérissait. « – Tu es le vrai Père Noël ? – Oui, puisque je suis là ». Pour la troisième année, je serais le Père Noël de La Baule. Quel bonheur ! A moins que je ne fusse confiné en Laponie. Des Noël, je n’en fêtais guère plus, depuis plusieurs années, du moins plus comme avant. Mes revenus avaient chuté et je n’avais plus l’argent nécessaire pour me déplacer et offrir des cadeaux. Je vivais des Noël plus sobres. J’avais depuis deux années ce bonheur d’offrir de la joie, des sourires, de l’émerveillement aux enfants.

Je quittais mon bonnet, mon écharpe, mes gants, mon manteau, mes bottes, ma longue barbe blanche, je redevenais qui j’étais, longeais la rue, incognito. Les familles étaient à table. Les bougies scintillaient. Je prenais ma voiture. Une bonne heure de route. J’ouvrais ma porte. Je m’endormais avec ces sourires et ces regards émerveillés d’enfants.

Finalement, c’était quoi Noël ? De l’amour ? L’amour d’un parent pour son enfant ? D’un enfant pour son parent ? L’amour de deux êtres ? La tendresse ne se vendait ni ne s’achetait sur le marché du bonheur.

J’avais décidé que chaque jour serait Noël, confiné ou pas.

Thierry Rousse,

Nantes,

11 novembre 2020

Mon Pote Agé ( Episode 6 )

 

Barnabé : Tu peux sortir ce dessin, Théo, il ne va pas te piquer ! L’ortie est ma petite trousse de secours. Qui s’y frotte, s’y soigne ! L’ortie prend bien soin de moi, veille sur mon foie, apaise mes rhumatismes, soigne mes rhumes de foin, entretient ma mémoire.

Théo : L’ortie entretient votre mémoire ? Ça, ça peut être utile, mon Pote Agé !

L’ortie était devenue plus douce aux mains de Théo.

Il y avait aussi l’oseille …

Barnabé : La richesse de mon jardin !  Une bonne soupe d’oseille et on oublie qu’on est pauvre ! Ses feuilles possèdent tellement de vitamines qu’on reste enfant toute sa vie. N’est-ce pas, là, le plus beau des trésors ?

« Rester enfant toute sa vie », cette idée plaisait bien à Théo qui ne pensait qu’à s’amuser, comme son « Pote Agé », Barnabé.

Dans un autre registre, il y avait Panais, « le dur à cuire » !

Barnabé : Panais était au cœur du potage avec Monsieur Chou et Monsieur Navet avant qu’il ne fut remplacé par sa sœur, Mademoiselle Carotte !

Théo : Mais, Barnabé, était-il vraiment si dur à cuire le panais ?

Barnabé : Non, Théo, je l’ai nommé ainsi parce que ses ancêtres venaient de Sibérie, ils résistaient aux plus grands froids de l’hiver.

Théo : C’était vraiment un dur à cuire alors le Panais, comme le topinambour ?

Barnabé : Oui, la fleur de mon amour !

Théo : La fleur de votre amour ?

Barnabé : Oui, regarde, sa fleur, on dirait le soleil ! Pendant la guerre, nous n’avions plus rien à manger, les pommes de terre avaient gelé, et tout était devenu si cher en ville… Il nous restait plus que les topinambours. Leur bon cœur d’artichaut nous a sauvé la vie !

Il y avait aussi la petite amie de Barnabé, Capucine . Il avait composé pour elle une chanson. Fée Clochette était très jalouse de Capucine, mais elle ne disait mot. Elle préférait plonger pour pleurer. Barnabé chantait « Capucine ». Fée Clochette, au fond de l’eau, n’entendait rien.

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De l’autre côté de l’océan

Ta couleur est celle du soleil

Sur des vagues vertes se couchant

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De tes pétales, je m’émerveille

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

Dans ton cœur, je puise chaleur

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De l’autre côté de l’océan

Je pourrais, d’un seul coup, te manger

Mais je préfère… te… re.. .gar … der.

Douceurs automnales

 

Me retirer du monde une journée ? Possible ? Il me suffisait de ne plus écouter ou lire l’actualité et rester blotti dans ma bulle. Vite, j’étais en retard ! Il y avait bien longtemps que je n’avais plus été en retard à un rendez-vous, et, ce matin, ce maudit mot revenait. Je téléphonais pour présenter mes excuses. Je m’étais pourtant organisé. Que s’était-il produit ? J’attendais une minute, deux, bientôt vingt minutes. « Je m’occupe de vous ! ». L’infirmière qui me reçut était de toute gentillesse. Elle me proposait de m’asseoir, me posait des questions sur ma vie, sur ce que je mangeais, sur mes projets et me pesait. J’avais perdu six kilos en deux ans, je passais maintenant sous le seuil de l’obésité. Elle me félicita. « Je vais écouter votre coeur. Désolé, j’ai les mains froides ». Elle m’appliqua des ventouses un peu partout sur mon corps, m’effleurant la main. « Pendant une minute, je ne vous parle plus ». L’infirmière écoutait mon coeur. Que disait mon coeur ? Ses mains étaient froides, et, pourtant je sentais tellement de chaleur humaine, de sincérité et de joie en elle. J’attendais le verdict sur mon coeur. « Je reviens ». Effectivement, l’infirmière est revenue. « Votre coeur bat lentement ». Que devais-je comprendre par ces mots ? Je balbutiais : « Mon coeur bat lentement, ça veut dire… », « que c’est bon signe » me répondait l’infirmière, « vous allez vivre longtemps ». J’allais vivre longtemps, mon coeur prenait son temps, le temps de vivre. L’infirmière me souriait puis m’accompagnait chez la docteure. J’attendais sagement. Tout allait bien. La docteure était également fort sympathique. « Que mangez-vous ? Combien de fois par jour ? ». Je prenais conscience que la nourriture était importante dans la vie. « Je suis ce que je mange ». J’avais arrêté les kebabs. Cela m’avait valu rires et félicitations. « Le coca, aussi ». « Bon, vous avez le droit de vous faire plaisir aussi un peu, quelques fois ». J’avais le droit quelques fois. Deux à trois bières ambrées par semaine, mon petit plaisir. Les merguez dans le couscous, les saucisses, le lard dans la potée auvergnate, je devais oublier. Il me restait les bons légumes et fruits bio et locaux, les oeufs, les sardines , les maquereaux, le poulet, le jambon et le fromage blanc… J’avais honte de pouvoir être malade à l’idée de trop manger ou de ne pas bien manger quand je pensais aux enfants de certains pays qui n’avaient quasiment rien à manger. Honte de manger également des animaux tués dans d’atroces souffrances. « Déshabillez-vous… ». La docteur m’auscultait. « Respirez ! » Tout allait bien. « – Puis-je être testé pour le Covid ? – Ici, on ne fait pas les tests du Covid. Si vous aviez le Covid, vous ne seriez pas ici ». Ma question d’avoir ou de ne pas avoir le Covid ne se posait plus. Je serais testé pour le cholestérol, le diabète, le sida… C’était déjà bien. Je m’estimais heureux. Je revoyais avec plaisir l’infirmière. « Vos veines, c’est le bonheur d’une infirmière ! ». Je n’avais rien senti. L’aiguille était dans ma veine. Mon sang coulait. Je tournais la tête de l’autre côté. « C’est fini ! ». C’était fini, déjà fini. « Que voulez-vous ? » J’avais le choix. Café, chocolat, gâteau, eau pétillante, sandwich « Sobedo »… L’infirmière me servait avec toute sa gentillesse et son joli sourire caché derrière son masque. Je ne voyais que ses yeux. Les sandwich n’avaient rien de la nourriture qui m’avait été conseillée. Je me doutais bien que ni la docteure, ni l’infirmière n’en étaient responsables, comme n’était responsable le personnel hospitalier des repas servis aux malades. Je quittais le centre de bilans médicaux de la CPAM, heureux, heureux de l’écoute, de l’attention, et des encouragements qui m’avaient été portés. « Bonne chance pour votre emploi ! Ne restez pas seul ! ».

Ne pas rester seul à une époque où le Chef de la Santé ne cessait de nous rappeler notre devoir : « Gardez les distances obligatoires ». J’en avais assez de ces distances obligatoires, j’avais besoin d’une main qui prenne la mienne, besoin de serrer une main… Etais-je le seul à éprouver ce besoin ?

Je m’arrêtais à la Fnac au cas où j’aurais pu me procurer le DVD que j’avais repéré juste avant le confinement : « Le goût des merveilles » . L’accès à l’étage des livres, DVD et CD était barré. Cet espace culturel était dès lors prohibé. Je comblais ma frustration en achetant une pizza trois fromages que je mangeais sur les bords de la Loire devant un bateau militaire. Il y avait mieux, certes… Sur le chemin du retour, je fis une halte au Supermarché coopératif bio et local, « Scopéli ». Je remplissais mon panier de fruits, de légumes, de fromage blanc, de riz, semoule, pâtes en vrac et d’oeufs de poules élevées librement en plein air. J’étais ce que je mangeais. Je faisais une croix sur les graisses et le sucre. « N’oubliez pas de marcher une heure par jour ». J’avais oublié. Je passais une grande partie de mes journées, du lundi au samedi, assis à ma table, à rechercher des emplois, à écrire, à travailler mes textes… Ou bien, je me levais pour me laver, ranger, nettoyer, faire la vaisselle… Et marcher ? Il me fallait marcher, être cette France quotidiennement en marche, dynamique, qui réussissait dans la vie.

Et le monde ? J’avais oublié le monde. Qu’avait vécu aujourd’hui le monde ? Comment allaient Trompe et sa partie de golf ? Et Joe, la force tranquille ? Et notre Grand Chef ? Et les petits Chefs ? Et les Lieutenants ? Et les premières lignes ? Et les deuxièmes, les troisièmes, les quatrièmes, les cinquièmes lignes ? Et le virus ? Et le pangolin ? Et… ? Et toi ?

Oserais-je écouter l’actualité , ton actualité ? Sortirais-je de ma bulle ? C’était l’heure de Jazz à Fip. Trompette, je commençais à swinguer, à grimper dans les airs. Le piano s’invitait à la fête. Les notes étaient joyeuses. Tout allait bien. Un camarade me répondait à distance. Deux tournages prévus. Pour mon camarade, tout allait bien. Je craquais. J’allumais BFMTV. Un vaccin pointait son nez. La sortie du confinement était prévu le premier décembre. Tout allait bien. Les rayons « Jouets » seraient ouverts. L’économie marchande repartirait. Il n’y avait plus lieu de nous inquiéter. Le vent avait chassé, d’une déclaration politique, tous les grands nuages noirs.

Je savourais près de ma fenêtre, en cette fin de journée, une douceur automnale, entre sensations d’un vide profond, d’une longue mélancolie et d’une verte espérance.

Thierry Rousse,

Nantes

Mardi 10 novembre 2020.

Mon Pote Agé ( épisode 5 )

Après ce festin, venait l’heure de la sieste. La sieste, c’était sacrée chez Barnabé . Il s’allongeait dans sa brouette, entre l’olivier et la cabane du hérisson. Il s’endormait tranquillement, bercé par le chant des oiseaux. Il ronflait toujours généreusement, quand, ce jour-ci, un mauvais rêve le réveilla.

Barnabé : Fée Clochette ! Fée Clochette !

Théo : Votre Fée Clochette va bien , mon Pote Agé. Vous avez juste fait un cauchemar.

Barnabé : Un cauchemar ? Tu es sûr?

Théo : Oui, votre Fée Clochette se porte à merveille . Buvez cette eau !

Barnabé : Merci, Théo … Fée Clochette ! Mais que fais-tu au fond de ce verre, Fée Clochette ?

Fée Clochette adorait jouer avec l’eau.

Barnabé, amusé, retrouvait doucement ses esprits, ses couleurs, ses pinceaux. Il observait des heures et des heures, auprès de son amie la Fée et de Théo, ses légumes, ses fleurs, ses arbres… Un soir, il avait offert à Théo ses dessins.

Barnabé : Théo, j’ai un cadeau pour toi !

Se trouvaient dans ce carton à dessins tous les légumes du Pote Agé, toutes ces herbes qu’on disait « mauvaises », tous ces légumes, un jour, qu’on avait oubliés…

« Mon Pote Agé », épisode 5

Thierry Rousse

Mon Pote Agé ( Episode 4 )

Barnabé : Bonjour Grand-Mère Salade, comment allez-vous aujourd’hui ? De mauvaise humeur ?… Encore une limace qui vous a réveillé ce matin ? N’en faites point une salade, elle vous a juste grignoté le bout de l’une de vos feuilles !

Barnabé apprenait à Théo que même la limace avait son importance dans le jardin.

Barnabé : Jardiner, c’est apprendre à observer et respecter la vie. Tu vois ce vers de terre, c’est ma grelinette à moi. Il mélange la terre, le sable, les feuilles sans brusquer la nature. Grâce à lui, ma terre est fine et légère comme des tout petits grains de semoule. Tiens, je te l’offre, Théo, c’est si précieux la terre!

Théo a gardé longtemps cette terre dans le creux de sa main, puis il l’a glissé dans une boite à camembert qu’il emportait partout avec lui.

Quand Théo se sentait triste, Il ouvrait doucement le couvercle de sa boite à camembert et respirait l’odeur de la terre.

Théo : Comme elle sent bon la terre de mon Pote Agé ! Comme elle sent bon les feuilles, les brindilles, les racines qui se décomposent lentement à l’automne. Comme elle est fine et légère la terre de mon Pote Agé, fine et légère comme des tout petits grains de semoule…

Quand il croisait un passant, Théo lui disait : Tu peux en prendre et l’offrir à ton voisin ou ta voisine, c’est si précieux la terre . Avec une terre aussi fine, aussi parfumée que celle-ci, les légumes de mon Pote Agé ne peuvent être que bons !

Théo : O un radis de mon Pote Agé !

Théo s’adressait à la foule des badauds stupéfaits : Qui veut le goûter ? Toi ?

Théo s’amusait à sortir de son panier un radis invisible.

Théo : Alors ?… Délicieux, n’est-ce pas ?… Tu en veux un autre ?..

Cette fois-ci, Théo sortait de son panier un véritable radis qu’il offrait au passant …

 » Mon Pote Agé » , épisode 4

Thierry Rousse

Une ou deux Gaulle ?

Le Grand Chef rendait hommage en ce lundi à De Gaulle . Une pléthore de chefs, de droite comme de gauche se proclamaient, par ces temps de guerres, dignes héritiers de De Gaulle. C’est qu’il en avait de la voix, l’homme, une présence, une grandeur, un charisme, me racontaient mes parents. Nous lui devions la libération de notre village gaulois. Un sacré type qui s’était réfugié en Angleterre pour adresser son discours au peuple français, l’appel à la Résistance. Les Chefs avaient ce pouvoir rhétorique de nous rassembler contre l’ennemi. L’ennemi avait changé, c’était tantôt, l’islamisme, tantôt le Covid, qu’il nous fallait affronter, main dans la main sans nous toucher. De « De Gaulle », je n’en savais guère plus, sinon, ce que j’entendais se colporter dans les couloirs de ma famille. De Gaulle aurait changé d’avis par rapport à la guerre d’Algérie, De Gaulle aurait trahi, abandonné les français, du moins, certains français. De « De Gaulle », il restait cette expression, la « chienlit ». De Gaulle n’était pas vraiment soixante huit tard, De Gaulle aurait mal vieilli comme libérateur des Gaulois. Je me disais qu’il serait temps, à mon âge, d’en savoir un peu plus sur cette star remise au goût du jour. Alors, «  De Gaulle », une Gaule ou deux Gaules ?

De l’autre côté de l’océan, Trompe s’accrochait à sa balle blanche de golf, tandis que Joe, la force tranquille, rassemblait les Américains dans ce mot d’ordre : « Portons le masque pour sauver l’Amérique ! ». Ce Covid était finalement le bienvenu pour rassembler. Les Chefs d’hôpitaux, en France, rameutaient les premières lignes parties en vacances. « C’est le blanc blanc ! ». Le « Plan Blanc » des premières lignes usées, épuisées. La sécurité sociale m’appelait. Son Centre de bilans médicaux était de nouveau ouvert. J’étais convoqué demain à 8h30. Entre mon linge à plier et une réunion de travail en « visio » , mon lundi était presque fini. Le Chef de la Santé, ce soir, prenait la parole. Les chiffres étaient en baisse dans les grandes métropoles. Nos efforts étaient récompensés . Nous marchions vers la victoire. Il nous restait à poursuivre nos efforts : « réduction des contacts ». Mes contacts se réduisaient de jour en jour…

Thierry Rousse,

Nantes

9 novembre 2020

Mon Pote Agé ( Episode 3 )

 

Barnabé apportait une poignée de sauge et de menthe à ses amies les poules ainsi qu’un seau de cendre. Elles aimaient tant se rouler dedans.

Barnabé : C’est bon pour votre santé mes copines !

Théo : Vous êtes un vrai Papa-Poule, Barnabé ! Je peux ramasser leurs œufs avec vous ?

Barnabé : Oui, mais avant, j’ai une histoire à te raconter …

Barnabé sortait de la poche de son tablier une feuille toute jaunie qu’il dépliait et fit la lecture à Théo.

Barnabé : « Il était une fois une poule aux œufs d’or… Un jour, un fermier crut que dans son corps, elle avait un trésor : il lui tordit le cou, la dépouilla, et la trouva semblable à celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, s’étant lui-même ôté le plus beau de son bien. » Et, maintenant, nous pouvons aller ramasser les œufs!

Théo ouvrait la porte du poulailler, impatient de découvrit ce trésor.

Barnabé : Cet œuf, nous ne le ramasserons pas, Théo. Regarde, là, commence une vie, nous devons en prendre soin, c’est si fragile, la vie !

Théo regardait, admiratif le trésor, et chantait avec son grand-père adoptif :

« Que la vie est belle ici

Que la vie est douce ici

Que la vie est vie ici ! »

La pêche d’un dimanche

 

Aux Sables d’Olonne, les skippers s’apprêtaient à parcourir le tour du monde, deux mois et demi en mer, seuls face au pire et au meilleur. Ces athlètes étaient prêts à être chahutés par les vagues, des creux pouvant aller jusqu’à sept mètres. Samantha et Romain, tous deux unis dans la vie, s’affronteraient, chacun en solitaire, sur leur voilier respectif. « Je la laisserai gagner » déclarait Romain. Romain était galant. Il savait bien au fond que Samantha était plus forte que lui. L’impatience montait. Il ne leur restait plus qu’à attendre que la brume se lève. J’enfilais mon jogging et mes tennis. Il était quatorze heures. Je me sentais prêt. Le ciel était bleu. Je m’étais laissé aller à une grasse matinée. Depuis longtemps, je n’avais pas dormi autant. Je prenais connaissance de mes limites, un cercle d’un kilomètre autour de chez moi, une durée d’une heure. Je remplissais mon autorisation. Par chance, j’avais retrouvé mes tennis. Je portais la tenue parfaite du sportif, un bon camouflage en cas d’arrestation par les Brigades des Mille Pas. L’envie me titillait de franchir la limite, prendre ma voiture et retrouver les jolies landes de Notre-Dame, cet espace de liberté qui me rappelait tant de bons souvenirs avec Emma. J’imaginais construire une maison en bois pour nous deux au coeur de cette nature sauvage. La peur des 135 euros d’amende me ramenait à un cercle plus restreint, capturé sur l’écran de mon smartphone. Quitter le hameau de la Gilarderie, au rond point, prendre à gauche, longer le lycée puis la clinique, au second rond point, prendre la troisième à droite, descendre le Bas Chemin de Vertou. Les pins majestueux de mon premier confinement me saluaient, les murets en pierre couverts de lierre et de fougères, les anciens corps de ferme, les granges transformées en habitat et les jolies villas qui m’évoquaient tant de voyages dans le Jura, le Massif Central, ou encore, en Provence… Je prenais le sentier qui menait aux vaches, longeant les prairies humides. Les vaches n’étaient plus là. Où pouvaient-elles être mes compagnes que j’aimais tant ? Je traversais le bois des saules, tournais à droit, j’enjambais le petit pont, je longeais la Sèvre. Je retrouvais ma promenade quotidienne lors du première confinement. Je ralentissais, désirant apprécier chaque instant. Toujours pas de vache en vue. Les promeneurs se faisaient de plus en plus nombreux, de tous les âges, seuls, en couple, en famille, entre amis, à pied, à vélo. Certains masqués, d’autres à visage découvert. J’avais rangé le mien dans la poche de mon jogging, à peine après avoir quitté mon hameau. Je n’en pouvais plus d’étouffer derrière ce masque. J’étais seul. Je ne parlais pas. Je n’éternuais pas. Qui pouvais-je contaminer ? Etais-je malade ? Je l’ignorais. Pas de symptômes à ma connaissance. Je me retrouvais parmi cette foule en marche. Limiter nos déplacements à un kilomètre avait pour conséquence de nous concentrer dans les lieux où l’on pouvait encore respirer. De ce fait, nous étions très nombreux en ces espaces naturels contrôlés et risquions la contagion de ces petits virus volant dans les airs, d’une bouche à une narine. J’ignorais la logique de ces mesures coercitives. Pour penser à autre chose, je me cultivais. Autant rendre ma vie la plus intéressante possible avant de mourir. Au bord de la Sèvre, se trouvaient les roselières, «  formations végétales des milieux humides caractérisées par des grandes herbes comme le roseau, la massette, la baldingère, la salicaire, l’iris jaune ». Puis, la berge boisée composée de frênes, d’aulnes, de saules, d’angéliques des estuaires. Puis, les prairies fraîches où poussaient différents graminées, l’orge, le faux-seigle, le fromental, parmi lesquels s’immisçaient quelques dicotylédones, le plantain, la pâquerette, la potentille ansérine, la renoncule âcre. Puis, les prairies inondables, fréquemment gorgées d’eau, où prospéraient renoncule grimpante, vulpin genouillé, renouée amphibie, glycérie. Quatorze kilomètres de culture naturelle. J’étais limité à un kilomètre, et je m’estimais déjà heureux que ce périmètre fusse partie de mon cercle autorisé. J’admirais ces botanistes qui avaient classifié ces plantes et avaient attribué à chacune un nom. Je savais bien que je ne pourrais pas retenir tous ces noms. Avais-je besoin de connaître le nom d’une plante et ces caractéristiques pour m’en émerveiller ? Je laissais cette nature entrer en moi, me façonner. Tout en marchant, j’aspirais à une douce compagnie. J’imaginais la main qui saisirait la mienne. Les feuilles de l’automne tombées sur la terre me rendaient mélancolique. Enfin, je les aperçus, deux vaches nantaises broutant paisiblement. Puis, deux écossaises, puis, trois, puis quatre, une cinquième bien cachée. Les « Highland Castle étaient en force, les plus robustes aux aléas climatiques. J’atteignais ma limite. Ce banc en face du Port de la Morinère marquait la limite de mon cercle. Je m’asseyais un instant sur ce banc qui avait connu de belles étreintes, les songes des amoureux épris l’un de l’autre, Roméo et Juliette. Le soleil m’aveuglait et je ne voyais plus rien. L’avenir avec le Covid devenait incertain. Il était pour l’heure question de survivre. Pouvions-nous être sauvés par l’amour ? Le glas du retour avait sonné. J’arrivais chez moi à 16h29, une heure et vingt deux minutes de retard. J’avais échappé à la Brigade des Mille Pas.

Derrière ma fenêtre donnant sur le jardin de ma propriétaire, je fis mes comptes. Novembre s’annonçait prometteur. L’absence de sorties culturelles, d’achats de livres, de CD ou de DVD équivalait à des économies. Je pourrai épargner ! Mon petit cochon se remplirait. Je me donnais pour but de partir, un jour, visiter l’Irlande. Respirer au milieu des grands espaces! Ma propriétaire m’invitait à savourer des crêpes avec son amie et la fille de son amie, violoniste. Un moment simple, qui m’avait tant fait de bien en cette fin de dimanche. Emma, qui aimait me faire des surprises, m’avaient déposé quelques brindilles, quand, dans ma vie, il faisait froid…

Quelles étaient mes limites ? Celles qui m’avaient été fixées ou celles que je me donnais ? Le bonheur ne se résumait-il pas à de simples moments d’amitié et de tendresse, à l’intérieur d’un cercle, quelque soit son rayon ?

Je rentrais chez Mémé Zanine. J’écoutais Mozart. Chaque note jouait avec l’autre, à cache-cache, amusée l’une de l’autre.

Les skippers étaient au milieu de l’océan. Le bout du monde, sur mon oreiller. Je naviguais, guidé par une étoile. Quelques mots sur la page blanche d’un dimanche. Tel un marin solitaire, je rapportais au port ma pêche du jour.

Thierry Rousse

Nantes

Dimanche 8 novembre 2020.

« Hé Jo, Peace and Love now for all the People and the World ? , On a night like this »

 

Joe avait gagné en ce samedi 7 novembre 2020. C’était les journaux qui l’avaient dit. La liesse des jeunes américaines écologistes émancipées faisaient face à la colère des vieux américains aigris, misogynes, racistes. Trompe, lui, jouait au golf et venait de rater son dernier trou. Il était convaincu que sa balle était truquée. Trompe portait plainte contre sa balle, le gazon, le trou, son égoïsme et sa folie. « That is me the Winner! » . L’ambiance n’était pas à la fête sur le terrain de golf des milliardaires. La fête appartenait cette nuit à la rue. A Nantes, des armes avaient été retrouvées dans la boîte aux lettres de deux mosquées. Curieux cadeau à l’approche de Noël. Les sapins auraient-ils lieu ? Papa Noël serait-il confiné dans sa bulle? Je commençais ma journée par un entretien. Un poste m’était proposé au service d’une association de solidarité soutenant, entre autres, la création d’une école pour enfants autistes au Cameroun. Puis, je rendais visite à mon papa à l’heure du rendez-vous qui m’avait été fixé par l’Ehpad. Je lui montrais les photos que sa soeur m’avait adressées. On voyait mon Papa, enfant, puis garçon de choeur, puis jeune militaire, puis jeune marié. Mon Papa était heureux de revoir ces photographies. J’admirais son élégance. Mon Papa, originaire de Franche-Comté, était venu, âgé de vingt ans, à Paris, dans le but d’y gagner sa vie. Sa coiffure avait un petit air rebelle, l’air d’un Johnny, son idole. J’appelais sa soeur puis sa nièce avec lesquelles il put s’entretenir. Maintenir des liens en cette période confinée me semblait essentielle, un lien avec l’amour, la tendresse, la famille, les amis. Et notre Joe ? Qu’avait-il prévu dans sa besace ? Des Etats enfin unis qui respecteraient la planète et toute vie humaine ? Emma, sur la place, m’avait offert, à la nuit tombée, un délicieux pudding. Et Bobby chantait un air d’harmonica, « On a night like this » (*) …

Une histoire d’adieux, pas vraiment d’adieux, il lui dit « reste »…

But I watch you like I’m made of stone Mais je te regarde comme si j’étais fais de pierre As you walk away Alors que tu t’éloignes

Il lui portait une confiance pour toujours.

It goes deep C’est profond It goes deeper still C’est de plus en plus profond
This touch Ce contact And the smile

I want it to be perfect Je veux que cela soit parfait Like before Comme avant I want to change it all Je veux changer tout ça I want to change Je veux changer

Revenir à la perfection d’avant, changer tout ça, changer…

L’âme avait souvent la nostalgie d’un passé meilleur, et le désir de changer, l’espérance d’un lendemain plus heureux. Qu’en était-il du présent ? Un muret de pierres ordinaire, des racines qui n’en pouvaient d’étouffer sous le bitume, une promenade dans le rayon défini avec ce désir de me retrouver sur une île plus grande, sans limite. Portais-je sur moi mon attestation ? Je changeais l’heure de départ pour faire durer la nuit, rien n’était plus facile.

Cette nuit, nous fêterions la victoire. La statue de la Liberté dansait sur son socle. Les vagues berçaient nos corps. « Hé, Joe, joue-nous un air ! , fais sourire les chats solitaires »,  on a night like this » !

Thierry Rousse,

Nantes,

7 novembre 2020

(*) « On a night like this » Bob Dylan

Mon Pote Agé ( épisode 2 )

 

Episode 2

Barnabé : Et maintenant, il est temps d’aller arroser le jardin, Théo !

Barnabé grimpa sur son âne.

Barnabé : Hue, Apollon !

Barnabé avait accroché une carotte au bout d’un bâton pour faire avancer Apollon. Enfin, c’était plus pour s’amuser. Apollon n’avait pas de besoin de carotte pour avancer, il aimait tellement se promener sur les chemins avec Barnabé, à travers les bois, les prés, le long des rivières…

Théo courrait derrière lui, ou plutôt, derrière eux.

Théo : Vous perdez de l’eau, Monsieur Théo !

Barnabé : Non, Barnabé ! Regarde derrière toi, cette eau, c’est pour les fleurs sur le bord du chemin…

Les fleurs, sur le bord du chemin, il y en avait de toutes les couleurs, des jaunes, des rouges, des violettes, et même des fleurs dont les couleurs se mélangeaient entre elles. Elles jaillissaient parmi de hautes herbes.

Théo : «  Que vous êtes belle ! »

La Fleur : « N’est-ce pas ? Et je suis née en même temps que le soleil ! » (*) Je vous remercie pour cette eau, elle est délicieuse.

Dans le jardin de Barnabé, tout poussait, les bonnes comme les mauvaises herbes, et même les mauvaises herbes donnaient de jolies fleurs, si bien que Barnabé ne les appelait pas « mauvaises », mais « bonnes » ses herbes, si bien que, dans le jardin de Barnabé, ne poussaient que de bonnes herbes.

Derrière ces hautes herbes, se cachait la cabane de Barnabé. Sa cabane, c’était une drôle de maison, un vrai cabinet de curiosités, construite de paille et de planches.

Barnabé descendait de son âne.

Barnabé: Tu peux aller te promener tout seul, maintenant, Apollon !

Tout seul, c’est pas vraiment ce qu’il préférait, Apollon, alors, il suivait partout Barnabé et Théo.

Barnabé : Je te présente « Madame Jeanne » !

Madame Jeanne était une grosse bonbonne en verre. Elle avait abrité sous sa cloche en verre, une belle fougère, qui avait trouvé là, un doux refuge pour l’hiver.

Les plantes grasses avaient trouvé refuge dans les bouilloires et de théières! Pas étonnant pour des plantes grasses, c’est là qu’il faisait le plus chaud.

Devant la maison, étaient alignés des seaux, du plus petit au plus grand.

Barnabé : Où ai-je bien pu poser ma tête ? Dans ce seau-ci ou dans ce seau-là ? 

Théo: Votre tête est trop grosse, Barnabé, elle ne peut pas rentrer dans un seau !

Barnabé : Dis que j’ai attrapé la grosse tête, Théo !

Barnabé continuait à s’amuser dans les seaux.

Barnabé : Tu n’aurais pas vu ma tête ?

Théo riait aux éclats.

Théo : Elle est sur vos épaules, votre tête !

Barnabé s’amusait comme un enfant, avec un grand seau, un petit seau, et son éternel chapeau de paille.

Barnabé : Fée Clochette ? Tu es là ! Tu dormais dans mon chapeau, dis-moi ?

Barnabé s’entretenait avec sa Fée. Lui seul pouvait la voir.

Théo : Barnabé! … Barnabé !… Et votre tracteur, où est-il ?

Barnabé : Euh… Mon tracteur ?…

Barnabé sortait de la poche de son tablier un tracteur, et le faisait rouler d’une main à l’autre sur les chemins ondulés de ses bras, ses épaules, sa nuque

Théo : Vous vous moquez de moi, Barnabé !

Théo cherchait partout son tracteur.

Où avait-il bien pu le cacher ? …

Théo ne trouvait qu’une fourchette et un plantoir.

Comment jardiner avec une fourchette et un plantoir ?

Théo : Hein, Monsieur Théo ? Répondez-moi !

Barnabé : Tu veux que je te confie un secret ?

Théo : Oui !

Barnabé : Et bien, approche… Tu me promets de partager ce secret à tout le monde? Oui ? … Mes vrais outils, ce sont mes mains, Théo.

Thierry Rousse

Extrait de « Mon Pote Agé »

Episode 2

(*) extrait de « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry