Le 49.3 de la poésie/sortir de nos hivers

Et là

Un samedi

Je traversais

Des poubelles entassées

Et là

Un samedi

J’escaladais

Des sacs bleus et jaunes éventrés

Et là

Un samedi

Je ne voyais qu’un abîme noir de l’autre côté des sacs

Qu’une chute vertigineuse

Des rues qui s’enflammaient

Des fleuves de cendres

D’immondices

D’éclats de cette société de consommation

Parvenue à sa fin ultime

Une société gouvernée par trop de vices

Vices de toutes sortes de sévices

Pillant en toute impunité la Terre

Les rats eux dansaient d’allégresse

Reprenant possession de la ville

Quand

Tout là-haut

Dans son château

Le Roi ne savait plus ni écouter ni dialoguer

Il faisait régner

A coups de 49.3

En toute impudence

Sa démocratie

Dans un silence

Imposé

Dans la plus camouflée des violences

A coups de renforts

De fourgons blindés

De matraques et de cuirasses

A coups de chevaliers

Qu’il faisait avancer sur son échiquier

Echecs et décadences de son royaume

Qui était le fou du roi dans cette histoire

Où se cachait sa dame

En haut de sa tour emmurée ?

Changer d’air

Entrer dans une boîte obscure

Et ne plus voir la réalité

Que par écran interposé

Charlie s’empiffrait jusqu’à en mourir (1)

Traînant derrière lui son chagrin d’amour

Sa culpabilité d’avoir abandonné sa fille

Devait-il toujours se tourner vers son passé

S’interdire de vivre

Porter la mort de son compagnon comme une croix

Telle une baleine échouée qui ne sentait même plus

Sur sa peau lisse l’harpon qui le retenait ?

Devait-il s’inventer une maladie comme nouvelle amie pour survivre

Pour juste qu’une âme charitable soigne un peu son coeur

Espérer un « je t’aime » qui ne lui sera jamais dit ?

Charlie se cachera pour ne pas être vu des gens

Pour passer inaperçu

Et disparaître discrètement de ce monde

Avant que la lumière du printemps ne le ramène au jour

Dans une autre salle de cette boîte obscure

Emily rêvait de liberté (2)

Cette liberté de penser et d’aimer

Ses proches la jugeaient « bizarre »

Elle était juste elle-même

Sincère avec ses sentiments

Avec ses sensations

Juste dans la vérité

Juste elle

D’Emily je retiendrais ces mots

« Il n’y a qu’un seul bonheur dans la vie : aimer et être aimé »

Il était temps, oui, de sortir de nos hivers

Accueillir ce présent

Déposer notre croix sur le chemin

Nous sentir enfin légers

Prêts à aimer et à être aimés

Retrouver le véritable sens de la vie

A quoi me sert d’être né

Et là

Ce samedi

A la cime de ces sacs enchevêtrés

Jaunes et bleus

Je préférais

Au 49.3 de notre roi

Celui qui nous rendait libres

Le 49.3 de la poésie.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 18 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

( 1 ) The Whale de Darren Aronofsky

( 2 ) Emily de Frances O’Connor

Les années en marche

Quel âge as-tu ?

A cette question, je ne savais plus quoi répondre

J’avais oublié mon âge depuis mes trente ans

Je n’en avais qu’un vague souvenir

Une naissance

Du néanmoins ce qui m’avait été rapporté

Par mes parents

Du peu que j’en savais

Et de ce que j’en avais cru

De ma mise au monde

Un trois octobre mille neuf cent soixante sept

A la Garenne Colombes

Le nombre m’allait bien

François rejoignait le ciel

Précisément le trois octobre mille deux cent vingt six

A Assise

Et me laissait ce présent

Me sentir bien jeune par rapport à lui

Traversé par un vol d’hirondelle

Alors je comptais pour toi

Comme un poète compte ses pieds

Comme une poètesse compte ses doigts

Alors je cherchais à soustraire

Deux mille vingt trois de mille neuf cent soixante sept

Et déjà je me perdais

A cet exercice d’articulation

Rien qu’un vague souvenir d’alexandrins

Douze syllabes et puis des rimes

A m’efforcer à les croiser, à les embrasser

Piètre poète que j’étais imitant mes maîtres

Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Corneille et Racine

Contemplant au-dessus des toits la cime de mes rêves

Déjà une

Au

Et de deux

Dessus

Des toits

Bien cinq

La

Six

Cime

Sept ou huit

Plus muet grâce à de

Neuf

Mes Rêves

O désespoir !

Onze syllabes !

Je n’avais pas mon alexandrin

Ma Muse m’avait quitté un beau matin sur le chemin

Et je pleurais au fond de mes poches percées

Délaissant le coeur amer de mes alexandrins à peine nés

Et tout ce cher baragouin de baratin

Vingt trois ans et trente trois ans m’allaient à merveille

Pour ne pas m’avouer devant la glace embuée

Que j’avais bien cinquante six ans selon les règles de l’arithmétique

Je délaissais aussitôt les chiffres pour les mots du coeur

Le temps sur moi n’avait aucune emprise

Il glissait comme un vide arbitraire

Que des horloges avait conçu

Je me sentais éternel sous la douche

A l’intérieur d’un corps nu

Qui chaque nuit renaissait

Les botanistes m’examinaient dans leur aquarium

Greffaient sur mes feuilles des micros

Afin d’écouter le son de mes amours

J’avais vingt ans

Et la moitié de mes dents

Et la fougue palpitante d’un Théophile

Poète fou de son art d’aligner les sons à l’état brut

Plus tard Christian Bobin m’allait bien

Sur le bord du chemin

Le printemps des amoureux

De ces petits vieux qui se tenaient la main

Auprès de toi je rejoindrai le ciel

Comme une colombe qui se posera sur ton sein

« La nature est une guérison en marche » ( 1 )

Cette dernière phrase, je te l’avais volée pour m’envoler

Quelques lettres pour me faire aimer

Les autres, tu les avais oubliées, supprimées de l’écran de tes yeux

Ainsi était la vie

Des perles de pluie

De ces royaumes dont on rêvait toujours

Dans le désert de nos nuits

Quel âge avais-je ?

De pierre, de fer, de sang et de désir

L’âge d’une plume légère

Qui cherchait dans un jardin à être utile

Rien ne serait plus terrible

Que de passer à côté d’une vie

L’écrire sans la vivre

Je posais mon crayon

Qui déjà n’existait plus

Ni mon buvard ni mon encre

Je songeais à chacune de toi

J’aurais aimé tout relire

De toutes ces correspondances disparues de ma vie

Que faisais-je au milieu de ce match de foot-ballon anglais

A observer un jeu dont je ne comprenais plus les règles ?

Défilé de drapeaux d’années en marche

L’océan de tes yeux étaient au bout

Qui m’attendait.

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 9 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Christian Bobin, « La grande vie », édition Gallimard

L’être invisible

Qui t’a vu ?

Qui a parlé de toi ?

Qui a dit ton nom ?

Qui t’a regardé en face ?

Qui t’a embrassé ?

Qui a aimé le son de ta voix ?

Qui t’a dit au fond

Que tu étais belle

Que tu étais beau ?

Qui ?

Qui a dit aujourd’hui que c’était ta journée

Au fond de cette menue blibliothèque

L’air de rien

Oublié.e

Confondu.e à la couleur de ses livres

L’expression muette de ton désir retenu contre un mur ?

Qui ?

Qui a dit

Je veux te voir, te toucher

Qui ?

Qui t’attend sur le quai de la gare de Nantes

Cette Rousse au chocolat

Qui te sourit au matin

Qui t’offre son bouquet de pâquerettes

Qui

Son parfum du ciel

Ses mots n’ont ni notes ni menottes

De son slam

L’âme te délivre de sa compétition

Le coeur n’a qu’une ambition

Aimer

Qui t’écrit chaque jour les mots doux

Qui réconfortent tes heures vides ?

Qui dit de toi du bien

Qui parle de toi en bien-être

Une chaise ?

Tu cherches encore tes mots

A travers le tumulte des rues

Un fauteuil de cuir t’offre ses bras

Café et caramba

Encore tu te perds

Tu t’en vas

Qui te remercie

Le sourire des anges ?

Qui te voit autre qu’un simple outil de travail

Une dernière cotisation avant de prendre ta retraite ?

Qui te voit autre qu’une roue de secours

En attendant mieux, la princesse idéale ou le prince charmant ?

Qui te voit autre qu’une plus value dans sa vie

Qu’un intérêt sur son compte en Suisse ?

Qui ?

Qu’une marche de plus à gravir ?

Toi

L’être invisible sous la Terre

Quelque part

Sur la cime d’un arc-en-ciel

Qui accompagnera tes mots de notes

Au dernier soir de ta vie

Alité.e à tes rêves ?

Qui s’envolera sur ton dernier souffle ?

Qui t’aimera enfin ?

Une plume d’ange

L’oeil de la nuit étincelant

Toi, le géant des océans

Toi, le goëland

L’enfant t’emportera sur son cerf-volant

et t’offrira son plus beau dessin

Du silence

D’un cri

Du tronc noué des hêtres

Tu es né.e, être invisible

Tu as regardé un visage

Et tu l’as aimé pour la vie

Ce bourgeon de ton coeur.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 8 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

Simplement dormir

Simplement dormir

Simplement entrer dans la nuit

Etait-ce si simple d’entrer simplement dans la nuit

Cogner à sa porte discrètement ?

Pouvais-je m’endormir chez toi

Fermer les yeux là

Oublier le jour

Ne plus penser

Songer

Songer

Une parcelle d’âme dans la nuit

Me laisser traverser par tes doux nuages

Tes cocons flottants

Etourdis

Tantôt blancs

Tantôt gris

Tantôt noirs

Me réveiller en sursaut au milieu de toi

Bain Rouge d’ivresses

Etre accueilli par tes éclats de rire

Ou bien tes cris

Tes grincements d’automobiles

Tes déferlements de trains de marchandises interminables

Où allait ton monde

D’une gare à un port

De la terre à ses océans

Exils nocturnes

Interdits d’exister

M’efforcer à retrouver le sommeil

Me battre avec les plumes de mon oreiller

Oiseau craintif migrateur

Qui avait perdu sa boussole

Les lumières envahissaient mes nuits

Les pensées triomphaient

Occupaient progressivement tout mon esprit

Qui n’avait qu’une hâte

Se lever et passer à l’action

Cocher des cases

Duel entre la déraison de mon âme et la raison de mon corps

Trop tôt bien trop tôt encore

Agacement de ne plus pouvoir simplement dormir

Simplement reposer mes idées

Une bataille se déclenchait

Entre les puissances de jour et de la nuit

Je cueillais cette sombre dame

Je l’observais

Je l’écoutais

Je veillais ses silences obscurs

Qui aimait

Qui travaillait

Qui souffrait

A cette heure

Tardive

ou

Matinale ?

Qui naissait et disparaissait de chaque côté ?

Les nuits étaient bien longues et courtes à la fois

Je lisais tes bobines de mots

Tes fils qui s’échappaient du temps

Qui s’enmêlaient et s’enlaçaient

Toi

Christian Bobin

Natif du Creusot

« Les livres sont des secrets échangés dans la nuit » (1)

Thierry Rousse

Nantes, lundi 6 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Christian Bobin, « La grande vie », édition Gallimard

F R O N T I E R E

F r o n t i è r e

Fièrement je te traverse

J’aime tes mille visages sur ton visage

J’aime tes rires

J’aime tes pleurs

J’aime tes doutes

J’aime tes colères

F r o n t i è r e

J’aime tes lumières

J’aime tes nuits

J’enjambe tes fleuves de mots déversés

F r o n t i è r e

Je traverse avec mes jambes de géant tes ponts

Car rien n’existent que tes neuf lettres invisibles

Si je les ai bien comptées

F r o n t i è r e

Que tes neuf lignes arbitraires

D’errances et de guerres

Tracées à la craie noire du sang

Que la première pluie de la Terre effacera

F r o n t i è r e

J’ose ta différence

Les poches percées

Un clair de Lune dans ma besace

Et plein d’étoiles sous mes pas

F r o n t i è r e

J’ose ta rencontre

Comme un aimant qui m’attire

Je m’enivre de tes mille saveurs

Je me remplis de ce qui me manque

F r o n t i è r e

J’aime ce qui me bouscule

Ce qui vient de loin

Des fêlures

Des coeurs mis à nu

Au détour de tes rues

De tes tours

Sous tes étagères

F r o n t i è r e

Je suis un étranger à moi-même

Un lieu unique

Absent

Transparent

Un tas de sales gosses

Une bande de saltimbanques

La part inconnue de mon être

Que je découvre chaque jour

Chaque nuit dans chaque pays

Imaginaire

F r o n t i è r e

Je suis le stylo

Je suis la feuille

Je suis l’encre oubliée

Riche de toi

Un végétal

Un animal

Un enfant

Devant tes yeux

Blessé

F r o n t i è r e

Au soir de mon chaos

« La grande vie »

M’apaise

Ton livre ouvert

Christian Bobin

Tes mots, encore tes mots, toujours tes mots

Je te lis à l’infini

Lié à ton désir

Noué à mon désir

Homme et femme

« J’ai cherche un abri, un lieu humain. Je l’ai trouvé…

C’est une chose bien dangereuse que de lire »(1)

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 3 mars 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) Christian Bobin, « La grande vie », édition Gallimard

Espace(s) chuchotés

Par une pluie glaciale

Je traversais les espaces

Les parkings

Les allées

Les ronds-points

J’allais à l’atelier des images

Qui m’attendaient sans étoiles

L’art contemporain

Avait toujours cet art de me renvoyer à rien

Me souvenir de rien

Ne rien comprendre à ce que je voyais

A ce que je lisais

N’être rien

Qu’un regard perdu

Et pourtant

Il me restait peut-être

Une image

Une sensation dans ce rien

Peut-être même deux images ou trois

Une vidéo

Un mot

Peut-être même

Fallait-il tout ce rien autour

Cette incompréhension de ma part

Devant bon nombre d’images

Pour que l’une d’entre elles me touche

Me percute le coeur

Que j’arrête là devant elle mes pas

Un homme nettoyant le carrelage de sa maison

Ce qu’il lui restait de sa maison

Ces carreaux

Soigner le peu oublié pour exister

Aux portes de sa cité

Ce qui lui restait de beau

Ce qu’il aimait

Lui

Cet homme

Hors du temps

Un autre homme sur une scène

Frappant le plancher de ses claquettes

Exister par le bruit que je faisais

Occuper l’espace de mes sons

Le remplir de mes questions

L’espace existait-il sans ma présence

Que devenait-il sans moi

Seul livré à lui-même

Inachevé

En démollition

En construction

En devenir

Une échelle ?

Qu’étais-je dans cet espace

A la fois figé et mouvant ?

Je lisais à présent des lettres minuscules

Un étrange dialogue

L’histoire d’un camion

De ses paysages traversés

Aucun visage

Que deux voix qui se répondaient

Quelques mots là encore qui me percutaient

Une histoire d’amour, de souffrance, d’errance

Une quête infinie

Un exil

Des frontières encore à traverser

Jusqu’à l’océan

Et puis finir

Par un théâtre

Qui s’ouvrait sur une forêt

Profondeur des espaces

Qui m’appelaient

De ce que nous avions construit et démolli

Tout nous ramènait au fond à la nature

Là où tout avait commencé

De ce que nous avions fait de la matière

Un espace

Dont les étoiles étaient tombées sur Terre

Jusque dans nos yeux

Jusque dans nos corps

Nous étions les étoiles gravitant

A travers les espaces

Les parkings

Les allées

Les rond-points

Par une pluie glaciale

Autour d’un point crucial

L’atelier d’une vie

Le désir d’une rencontre.

Thierry Rousse

Nantes, 24 février 2023

 » Une vie parmi des milliards »

Espace(s) par le Centre Claude Cahun, L’Atelier, Nantes – photographies de Claire Chevrier et du Frac des Pays de La Loire

Il était une fois au Chat Noir

Il était une fois

Parce que les histoires commencent toutes

Ou presque

Par « Il était une fois »

Il était une fois

Des flammes incandescentes

Voire presque indécentes

Un nuage de pensées

Flottant

Vaporeux

Au dessus de la foule

Des grands jours

Des cheveux en l’air

Des mèches éméchées

Oscillant entre le rouge et le jaune

Des barrières

Des frontières

Sur les voies de nos tramway

Entre nos Duchesse et Médiathèque

Un air de révolution

Dans la rue du Chat Noir

Des gens bons qui s’enlaçaient

Et buvaient les étoiles

Scintillantes

De la nuit

Et là

Sur un bout de table

Tout au fond d’une cave

En face d’un syndicaliste désespéré

J’écrivais

Ou plutôt

Je griffonnais

Je sortais mes griffes silencieuses

Comme un chat peureux

Du ciel

Une pluie d’obus

Encerclait les gens bons

Collerettes se déchiraient

Larges sourires se décomposaient

Garçons filles

Nez rouges ne riaient plus

Visages étaient blancs

Et ciel bleu

D’un bleu livide

Dégoulinant

Au fond de ma bière

Ambrée

Les gens bons grimpèrent

Au-dessus des montagnes de verres

A clamer au ciel leur infortune

La pâleur des nuages était confuse

Appelant à sa rescousse Frangin Soleil

Qui entonnait ses sempiternels refreins

Presque punk à cette heure

Enfin

Des flonflons des gens bons

Gilets rouges gilets jaunes

C’est la vie qui s’emballe

C’est la vie qui s’amuse

Boutons noirs boutons rouges

C’est la vie qui explose

C’est la vie qui s’embrase

Un chemin de passion

C’est les cris c’est les pleurs

Le malheur le bonheur

Petit Jean qui pleure

Toutes ses larmes de joie

Des flonflons des gens bons

Gilets rouges gilets jaunes

Il était une fois un Chat Noir.

Thierry Rousse

Nantes, 23 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

Le repos de la nuit

Le repos du guerrier

A se battre

Pour rester en vie

A la surface du monde

L’heure de rendre ses armes

A la frontière du jour et de la nuit

Eteindre l’écran de son ordinateur

D’heures de travail accumulées

Préparer les draps de son lit

Et s’y glisser pour une autre vie

Qu’il m’est doux de franchir cette frontière-là

A l’heure où le soleil se couche derrière les toits

Accueillir l’éclat d’une Lune peut-être toi

Comme une lueur qui veillera sur mes rêves

Un regard apaisant

Le baume de tes pensées

Les pages d’un livre

Doucement tournées

De l’autre côté d’un mur

Ta main qui écrit

Les fissures

Et les rires de ton coeur

Les silences de la nuit

Des trains qui s’arrêtent

Des voitures

Puis des pas

Instant fragile

Avant que les réverbères ne s’allument

Dernier repos du guerrier

Les nuits sont courtes

Au coeur des villes

« Nous n’emporterons rien avec nous dans notre ultime voyage » (1)

L’ombre de nos nuits

L’ombre de nous-mêmes

Une sihouette d’âme évanescente

Un peu partout

Un peu ailleurs

Parfum des mimosas

Un peu de ton enfance

Qui danse

Dans l’obscurité

Cette fois mille fois désirée.

Thierry Rousse

Nantes, lundi 20 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Gaëlle Josse, « L’ombre de nos nuits », édition J’ai Lu

La fin du chapeau

La vie

On pouvait dire

Elle était comme un livre

La vie

Ou comme des livres

La vie

On tournait des pages

La différence

Sans doute majeure

Etait qu’on pouvait revenir

A ces pages qu’on avait tournées

Dans un livre

Et pas dans la vie

Non

Pas dans la vie

Un 31 décembre 2013

Ma voiture chargée à bloc

Avec le dernier de mes chats

Je quittais mon village médiéval

Où je demeurais

Château-Landon

Et mon métier d’éducateur spécialisé

Que j’exerçais

A temps partiel

Depuis que j’avais débuté

Celui de comédien professionnel en 2007

Je partais

Pour la Vendée

Direction l’océan

Changer de vie

Changer de temps

Un air de liberté peut-être

Ou les larmes de la déception

Des regrets

Des grains de sable

Ou

La quête du bonheur

La musique des coquillages

Le puits des fous

De nouveaux chemins

Et des allers-retours

Entre La Roche-Sur-Yon et Paris

Pour jouer encore un peu Harpagon ou Le Malade imaginaire

Temps d’illustres comédies

Que je jouais depuis plusieurs années

Dans la cour de châteaux prestigieux

Devant un public nombreux et conquis

Vêtu de costumes comme à l’époque

Vaux-le-Vicomte, Fontainebleau, Chantilly

Là où Molière avait joué

Dans des théâtres de verdure ou des salles à l’italienne

Et là où il n’avait pas joué

Les centres culturels des villes nouvelles

Nostalgique en partance vers Pézénas

Marchant dans ses traces

Sur le parvis du Palais des Papes

Et au Théâtre des Corps Saints

Lors du Festival d’Avignon

Ou, dans les écoles, les collèges

Les festivals

Comme

De Cap et d’Epée à Richelieu

Ou encore les villages de vacances

De Soustons à Courchevel

Du Mont Dore à Chamonix

De Ramatuelle à la Corse

Ou encore chez l’habitant

Et même aux portes du désert

Dans une villa sur les collines d’Essaouia

Partout des applaudissements et des rires

Et pourtant

En 2016

Je tournais une nouvelle page dans ma vie

Je quittais cette compagnie

Qui m’avait hissé

A ses heures glorieuses

Après avoir dû choisir

Entre jouer « Le Roman de Renart » toute l’année à Provins

Contraint de ce fait

A retourner vivre Près de Paris

Ou poursuivre mes projets commencés en Vendée

L’océan, au fond de mon coeur

Au creux et au sommet de ses vagues

M’appelait à rester près de lui

Sonnait alors le glas

De la fin d’une intermittence garantie

Je repartais

Livre livide

Du début

Du tout début

Comme à mes vingt ans ou presque

A créer une compagnie

A monter un spectacle

Adapté du conte « Les Trois oranges »

J’avais à me faire connaître

Dans une région

Où j’étais un inconnu

Où j’étais

Moi le provincial

Descendu d’un petit village de campagne

Tout au sud de la Seine-et-Marne

Considéré aux yeux de certains

Comme un parisien

J’avais tout à recommencer

Jouer sur Le Remblai des Sables d’Olonne

Pour faire connaître notre spectacle

Jouer dans des fêtes, des festivals

Au chapeau

Jusqu’à obtenir un premier contrat

Jusqu’à…

C’était déjà fini

Ma partenaire se recentrait sur ses propres spectacles

Les pairs dans ce milieu n’étaient pas toujours des pères bienveillants

Certains d’entre eux aimaient critiquer, juger pour affirmer leur propre ascension

J’encaissais leurs critiques tout en me souvenant des rires d’enfants

Et des mots touchants du public

Je recommençais

Un nouveau spectacle

Un théâtre miniature

« Pêcheur d’histoires »

En bord de mer

Et toujours ce fameux chapeau

Pour me faire connaître

Avant que n’arrive un contrat

Puis un autre, puis un autre …

Le travail, la détermination, la résilience portaient leurs fruits

Du pêcheur au jardinier

Avec « Barnabé » et « Mon Pot’Agé »

Dans les jardins de Vendée et de Bretagne

Et toujours ce fameux chapeau

Pour me faire connaître

Avant que n’arrive un contrat

Puis un autre, puis un autre …

Jusqu’à ce que mon chapeau

Perde un à un tous ses brins de paille

Nombre de projets n’aboutissaient qu’à quelques dates

Comme ce très bon spectacle

« Hughie » d’Eugène O’Neill

Cinq dates et déjà c’était fini

D’autres projets n’aboutissaient à aucune date

Quand l’un ou l’autre de mes partenaires

Quittait l’aventure avant l’escale

Alors j’ai fini par rendre mon chapeau

Fatigué, épuisé

Quel boulanger

Quel commerçant

Propriétaire

Assureur

Opérateur

Docteur

Restaurateur

Barman

Garagiste

Acceptait d’être payé au chapeau ?

Dès lors

Je serai

Ou

Je ne serai pas

Etre

Ou

Ne pas être

Désiré

Etre

Je choisis d’être

Ici

Devant toi

Sans chapeau

 » Et, Dis-moi ce que je vaux,

Le Vicomte ! »

Thierry Rousse

Nantes, le 13 février 2023

« Une vie parmi des milliards »

Intermittence et Sens

Compter les heures

Additionner

Chaque mois, additionner

Pour décrocher le fameux Graal

Douze mois

Douze mois pour l’atteindre

Le trésor de Brocéliande

Je me donnais un nouveau départ

Novembre 2022

139 heures à ce jour

Un 8 février 2023

Peut-être rien pour certains

Quelques miettes de pain

Sans beurre salé

Ni radis

Il me restait encore 368 heures à décrocher

Jusqu’à novembre 2023

Date butoir de mes douze mois

Si je n’atteignais pas mes 507 heures

Tout mon calcul se décalait d’un mois

Utopie, pure utopie

J’avais envie d’y croire

Et puis tant pis

Il fallait avoir la foi

Me réjouir de chaque heure gagnée

Qui comptait pour mon intermittence

Mais c’était sans compter

Mes heures d’animation dans le régime général

Qui viendraient pertuber tout mon calcul

Eh oui

Au fond des savants calculs de Paul Emploi

Il était difficile de comprendre quelque chose

Est-ce que Paul y comprenait lui-même quelque chose

Derrière son bureau entre quatre murs ?

J’entretenais ma foi

Et ma forme comme je pouvais

Regardant chaque soir ces gens

Qui savouraient de délicieuses pizzas

Dans le restaurant très chic

Juste en-dessous de ma large baie vitrée

De l’autre côté de la rue

Je me rappelais les paroles de notre Roi

« Il suffit de traverser la rue »

Traverser la rue d’un regard

Me délecter de ces saveurs napolitaines

En attendant

J’additionnais

Toutes mes heures de travail

A préparer

A contacter

A répondre

A élaborer

A créer

A répéter

A diffuser

A communiquer

A additionner

Sur le ring du théâtre

A me prendre des coups

Des sourires

Des déceptions

Des encouragements

Des mots réconfortants

Des victoires

J’aimais regarder les lumières

De la ville

Des phares

Dans le noir

Celles des étoiles qui brillaient

Dans les yeux et les coeurs

Des petits bateaux sur le miroir d’eau

Savoir pourquoi je faisais ça

Savoir

Donner un sens à mon intermittence

Combler les vides de mes rêves

Ouvrir le frigo du désert

Y trouver un oassis rafraichissant

Un lieu de rencontres apaisant

Nourrissant

Passionnant

A mi-parcours de mes cent ans

Extinction de voix

Le temps d’écrire

Poser des mots entre toi et moi

Scène ouverte au coin d’un bar

L’addition garçon

Addiction de lettres ?

Thierry Rousse

Nantes, 8 février 2023

« Une vie parmi des milliards »