L’élan de la dernière

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Dernière sur ton calendrier

Y-aurait-t-il une autre fois

La question revenait à chaque fois

A ce jour

Aucune autre date n’était en vue

L’inquiétude était là

Palpable

La tristesse aussi

Mais ce samedi

L’heure était à la joie

La joie de répéter

La joie de bien préparer toutes tes affaires

La joie de rencontrer le public qui viendrait voir ton spectacle

La joie de jouer avec ton public

Ton public

Le public serait-il au rendez-vous

Sans public

Tu le savais

Pas de spectacle

Tu connaissais la fragilité du spectacle vivant

Celle qui te rappellait

La fragilité de la vie

Sans l’autre qui étais-tu

Pouvais-tu au-moins vivre

Grandir

Révéler toutes les potentialités qui sommeillaient en toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Dans ce petit village de Vendée

Tout près de l’océan

C’était un vrai théâtre

Qui t’attendait

Un vrai théâtre

Avec tout d’un vrai théâtre

Qui s’offrait à toi

En ses moindres détails

Le hall d’accueil

Les rideaux noirs

Les fauteuils rouges

Tu en dénombrais cent cinquante trois

La rampe d’accès pour les décors

Un vaste plateau

Des loges larges et confortables

Et même une douche

Et même une douche

Et à l’étage

La régie lumières et la régie son

Un vrai théâtre

Comme autrefois

Qui te rappellait cette prestigieuse époque

Où tu jouais Le Malade Imaginaire en Avignon

Théâtre des Corps Saints

Ou dans ce joli théâtre à l’italienne de Fontainebleau

Aujourd’hui

Ce dimanche

Tu jouais Le Potager des Contes

Au Théâtre d’Angles

Presque au bord de l’eau

Et ton visage te souriait dans le miroir

Tu revivais

Tu étais toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Tu avais installé tous tes objets

Monter le décor peint

Qu’un ami t’avait prêté

Un magnifique champ de pommes de terre

Tu n’avais plus qu’à manger

Te reposer puis t’échauffer

Avant l’horaire fixé

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Quinze heure

Théâtre d’Angles

La pluie avait dissuadé plus d’un

A affronter les gouttes d’eau pour rejoindre un théâtre

L’écran de la télévision au chaud l’avait peut-être emporté

Mais les enfants qui étaient là

Dans ce théâtre

Avec leurs parents

Etaient bien présents

Attentifs et ravis de jouer avec toi

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Seize heure trente

Le rideau se fermait

Le public s’en allait

Tous tes objets tu rangeais

Ton champ de pommes de terre

Tu le démontais vers d’autres terres

Cette dernière te donnait un nouveau souffle

Cette braise ravivée

Par ton public

Leurs regards

Leurs sourires

Leur plaisir de monter sur une scène

Ranimait en toi l’espoir

C’était aux enfants que tu le devais

Et aux adultes qui croyaient en toi

Qui étaient sensible à tes créations

Oui

Jouer avait encore un sens

Tu ne pouvais pas t’arrêter comme ça

Parce que tu n’avais plus de date

Tu ne pouvais pas t’y résoudre

Au fond de ton cœur

Cette pièce déchirée

Il te fallait la recoudre

Une petite voix te disait

Une fée peut-être

C’est important que tu continues

A partager ce qui te porte

C’est important

Important pour toutes celles

Pour tous ceux qui aiment jouer avec toi

Important pour la planète

Important pour le vivant

Important pour les générations futures

Un jour amplement

Les portes des autres théâtres

Des autres bibliothèques

Des autres centres de loisirs

S’ouvriraient au Potager des Contes

Il fallait juste y croire

Croire au bouche à oreille

Croire à ces petites graines semées

Croire qu’un jour vraiment

Ça se dise

Que tu existes

Dans l’entre soi des âmes essentielles

Que la culture n’existe qu’à deux

Une cour et un jardin

A tes côtés déjà

Il y avait cette fée qui se démenait pour te faire connaître

Seul on est bien peu devant la cour des rois

Il fallait tant de coktails aujourd’hui

Des fastes au palais des glaces de Versailles

Pour être connu

En ce bas monde

Connu

De tous les élus

Connu

De tous les décideurs

Connu de tous les shérifs

Qui détenaient les clés du magot

Il en fallait également tout un attirail d’indien

Toute la panoplie des photographies

Des vidéos

Des teasers

Des dossiers

Etre dans les lieux où il te fallait être et te montrer

Te frayer un chemin

T’exprimer

T’affirmer

Oser dire

Vous avez besoin de moi

Plutôt que t’agenouiller

Comme un saltimbanque suppliant

J’ai besoin de vous Majesté

Ayez la grâce de me permettre de jouer pour ces enfants qui m’attendent

Tu connaissais

De ta passion

Le prix à payer

Vivre sous le seuil de pauvreté

Depuis plusieurs années

A te serrer la ceinture

Le théâtre était-il un sacerdoce

Un dévouement corps et âme

L’ultime mission

Avec le jardinage

Avec l’artisanat

Pour sauver une humanité à l’asphyxie

Le Potager des Contes

Dimanche sept avril deux mille vingt quatre

Théâtre d’Angles

Si ça plaisait à Angles

Pourquoi ça ne plairait pas

A Carré, Rectangle, Triangle

Pourquoi pas

Tu n’avais plus de temps à perdre avec ces êtres insensibles à ce que tu donnais de toi

Plus de temps à perdre avec ces êtres qui ne cessaient de mettre des bâtons dans tes roues

T’empêchant d’avancer

Plus de temps à perdre à t’adapter à ces êtres qui fonctionnaient sur une autre logique

D’autres intérêts

Ces êtres épuisaient ta précieuse énergie

Ton énergie était bien plus utile à offrir

Aux êtres sensibles à ce que tu donnais de toi

Sur la route ce dimanche matin

Tu allais aujourd’hui vers les êtres qui te désiraient

Qui t’aimaient

Qui t’attendaient

Qui t’encourageaient

Ces êtres qui avaient vraiment envie d’être à tes côtés

Ces êtres qui te rendaient la route large douce tendre

Et ton cœur en était apaisé

Soulagé

L’élan de la dernière te poussait à recommencer

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 12 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Fin du vieux monde

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

La tour de Bretagne

De Nantes

Celle que tu avais vue

Un jour

Affublée à sa cime

D’un nez de clown

Était

Entièrement

Vide

Bouclée et murée

Depuis

Deux mille vingt

Mémorable année du confinement

Le motif

Car il y avait toujours un motif énoncé

Avant une catastrophe mondiale

Etait

Des poussières d’amiante

Ont été retrouvées

Dans certains volets

De désenfumage

Du bâtiment

Terne paysage

Alerte générale

Alerte générale

Évacuation

Évacuation

Sur le champ

Descendre

Tout en bas

Descendre

Fini de regarder le monde d’en haut

Exil du vieux monde

Atterri

Au rang des ruisseaux

Même les oiseaux noctambules

Ne se posaient plus sur la terrasse de son nid

C’est dire

Le vieux monde n’avait plus la côte

L’avait-il eu seulement

Un jour des oiseaux

Le vieux monde

Désillusion d’un voyage

Désillusion d’une machine infernale

Flagrant fiasco d’un phallus dressé

Sorti une nuit des corps pensant

Décor d’un maire et de son architecte

Voulant sans doute rivaliser

Avec les autres têtes d’égos verticaux

Avec tous ces mâles des ces mégas cités

Paris, New York, Londres, Dubaï, Tokyo, Shanghaï, Pékin, Hong Kong…

Attirer les grandes sociétés de ce monde

Ces araignées multinationales

Qui aimaient par-dessus tout dominer

Te considérer de leur piédestal

Cette triste colonne solitaire

Tour d’ivoire de ces hommes d’affaires visant le ciel

Était

Le reflet

De la fin d’un vieux monde obsolète

L’expression d’un clown éperdument triste

Bousculé par un charivari de guerres en pagaille

Économiques

Financières

Des guerres

Déclenchées

Avec l’aval de yeux enfouis dans le sable

Tant d’erreurs

Répétées

Depuis des siècles

Tant de gouvernances qui n’avaient pas su placer le vivant au coeur de leurs projets

Trop concentrés sur leurs calculs stratégiques

Le temps était venu de reprendre racines

Se reconnecter avec l’humus

Retrouver l’odeur de la terre

Multiplier les jardins dans la ville

Élargir les trottoirs et les pistes cyclables

Redonner aux animaux leurs territoires

Apprendre à cohabiter

En toute intelligence

Revoir les moulins les vaches les tulipes

Les riads les dromadaires les oliviers

Goûter au charme d’un oassis oriental en Hollande

Plutôt que garer ses envies inassouvies

Sur le parking d’un vieux monde bétonné

Sur la route du vieux monde

Kerouac

Tu l’avais déjà pressenti

L’homme d’affaires voulait lui aussi exister

Mais il avait “tendance à exister aux dépens des autres” (1)

Le vieux monde des affaires

Qu’était-il au final

Des kilomètres industriels

Bâtis par les oligarchies bien pensantes de la consommation

Qui avaient engendré en toi des frustrations

Ce que ton professeur d’économie et de sociologie

Vous partageait

Quand il faisait cour à ta classe option B

Sur la pelouse du lycée

A l’approche de l’été

Avant que la haute autorité

Ne le sanctionne

D’un laisser-aller

Qu’était le monde exactement

A quoi ressemblait-il

A pied tu ne voyais pas le même monde qu’en voiture

A vélo tu ne voyais pas le même monde qu’en avion

A la nage tu ne voyais pas le même monde qu’en bateau

En bus tu ne voyais pas le même monde qu’en train

Ainsi à tes yeux

Le monde

De là où tu l’observais

Était différent

Plus beau ou plus laid

Plus attirant ou plus repoussant

Parfois tu aimais ralentir

Parfois accélérer

Tracer jusqu’aux confins de nulle part

Voir

Ou ne plus voir

Ou revoir

Ou ne jamais revoir

Ton plus grand cauchemar

Ou ton plus beau rêve disparu

Le nouveau monde sans cesse côtoyait le vieux monde

Depuis des siècles

Et chaque fleur était là pour te montrer le bonheur

Et puis

Comment le regardais-tu ce vieux monde

Avec le temps

Tu avais appris l’art de la distance

Mieux valait en rire

Que t’en rendre malade

Tenir un miroir et lui refléter sa face

Le rouge criard de son maquillage

Ce vieux monde qui

Pas même d’un regard

Daignait

S’approcher de toi

Et t’écouter

Ce vieux monde

Qui passait sans te voir

Et te rangeait dans une case

Cette case était bien plus utile à lui qu’à toi

Ce vieux monde décrépit

Ce vieux monde pourrissait

Tu avais appris toutes ses stratégies

Pour t’influencer vers ses intérêts

Ce vieux monde vaniteux

Ce vieux monde d’envieux

Tu n’étais pas dupe

De son jeu

Ce vieux monde

Ce vieux jeu

Ce vieux je

Les tremblements de terre

Déjà le renversaient

Les incendies

L’encerclaient

Le vieux monde s’embrasait

Les arbres se sacrifiaient

Et combien d’animaux les suivaient

Pour sauver les dernières braises de vie

La mer montait

L’eau

Des grilles et de la terre

Jaillissait

Et les vaniteux

Prétentieux

Finiraient bien par reculer ou s’y noyer

Un nez de clown flottait à la surface des océans comme une bouée

Et la musique enchantait déjà ton âme

Le soleil était de retour

Après cinq mois de pluie

Trop chaud tu le savais

Déréglé le climat

Quand les icebergs fondaient

Le nouveau monde le savait

Et cultivait la terre

Comme sa plus belle amie

D’attentions nobles

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 11 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) Jack Kerouac, « L'océan est mon frère », Gallimard

La nuit d’un répit d’avril

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Le ballet des phares

Au pied du château de ma Duchesse

Jusqu’au dernier carosse motorisé

Enfin le silence des sabots d’Hélène

Et des autos pressées

Enfin Anne

Avant le déferlement du premier train de marchandises

Un court instant de répit d’avril

Maudire les lampadaires

Bien tirer tes rideaux qui raccrochent

Juste te délecter du noir

Et des reflets d’étoiles

Dans un miroir d’eau

Et là

Tout ce monde qui s’arrête

Crois-tu bien dire

D’autres travaillent la nuit

D’autres sauvent des vies la nuit

D’autres luttent pour survivre la nuit

D’autres vivent leur dernière nuit

Et tout ça près de chez toi

Tout près tout ça de chez toi

D’autres surveillent la nuit

D’autres attendent la nuit

D’autres dorment dehors dans la nuit

D’autres font l’amour où ils veulent dans la nuit

D’autres font l’amour où ils peuvent la nuit

D’autres y trouvent de l’or la nuit

D’autres espèrent simplement s’endormir la nuit

Seulement quitter un temps le monde

T’en extraire

Doux refuge de la nuit

Ou enfer

D’autres vivent à l’heure des guerres toute la nuit

D’autres ont peur la nuit

La nuit du loup

D’autres écoutent son cœur battre la nuit

Et pour d’autres

Bien d’autres

La nuit c’est le jour

La terre tourne

Et le soleil tourne aussi

Et la lune tourne aussi

Tout tourne aussi

Tes pensées tournent aussi

Tes mots aussi tournent

Comment veux-tu

Que dans ce tourbillon

Cette tarentelle incessante

Ton âme se repose un instant

La nuit du derviche tourneur

T’élève vers ses astres

Attise ton désir

De mille et une muses

Pour ne pas mourir

C’est la nuit de tous les plaisirs qui s’enlacent

Nuit des angoisses qui s’éveillent

Nuit des tensions à refroidir

Te réveilleras-tu demain

Le soleil aussi

Se réveillera-t-il

De son heure de grâce

Le monde sera-t-il encore debout à l’aube

Ou le monde sera-t-il

Complètement irradié

Brûlé par un fou furieux

Qui aura de son pouce appuyé

Orgueilleux

Sur le bouton gagnant et perdant

D’une énorme énorme bombe nucléaire

Ou le monde ou le monde sera-t-il

Complètement anéanti

Par une petite petite météorite

Extermination mondiale

Encore plus rapide

Voudras-tu définitivement rester dans la nuit pour ne plus avoir à affronter la folie de ces jours à la Prévert

Des tempêtes

Des pluies diluviennes et glaciales

Qui n’en finissent pas de se passer le relais

Quand en Thaïlande cognent sur l’habitant quarante degrés

Et déjà un air bien trop chaud

Pour être heureux

Quand dans cette journée ici

Tu peux passer du tee-shirt à l’écharpe

Tu te dis ce radiateur est complètement déréglé

Le monde se disloque

Pièce après pièce

Le mécanicien

Et le chirurgien

Sont dépassés

Exténués

L’infirmière s’est dévêtue

Entre les bras d’un médecin désespéré

Mieux vaut dormir

Ou plutôt vivre la nuit

Écouter l’origine du monde

Parler aux anges

La nuit est bien plus remplie

Que tu ne le penses

C’est peut-être le meilleur temps pour écrire

L’élan des coeurs amoureux

Nuit

Laisse-moi te pénétrer

Jusqu’au nectar de ta source divine

Pour d’autres la nuit tu le sais

La nuit n’est que nuit parmi d’autres nuits

Nuit de défonce

De paradis artificiels

La nuit nuit aux fragiles

Pour d’autres la nuit tu le sais

La nuit grandit les sensibles

En font d’illustres

Ou d’inconnus

Mystiques

Ignorés du jour

N’est-ce pas grâce à la nuit qu’on voit ta lumière

La nuit des chimères

La nuit des saintes et des saints

La nuit d’effusions

La nuit des naissances

Fusion des corps

Séparations

La nuit des pleurs

Des douleurs

Des horreurs

La nuit des croix

La nuit

Le monde est en toi

Profite de ce répit

Pour l’embellir

La nuit

Te suit

Avec toutes ses caresses de tendresse

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 10 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Brunch chez Madeleine

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Après mon linge avoir bien lavé

Au lavoir express de mon quartier

J’ai tourné où la vie m’a appelé

Là au bout d’une ruelle pavée

Je vis un hangar et ces mots sucré

Et salé l’ambiance m’a donné

L’envie douce d’approcher et d’entrer

La serveuse aux jolis bras tatoués

Avait le sourire des matinées

Entre ami.es des plats de brunchs tamisés

Madeleine était la reine des oeufs

A la coque la plus belle des teufs

Chez elle on ne pouvait que se sentir

De tout son cœur aimé et lui dire

Les mouillettes de bon beurre trempées

C’est l’bonheur d’une vie ressuscitée

Si simple comme le bon pain qu’on gagne

Cette envie de grimper mille montagnes

Goûter au fromage des fermières

Et dire merci à toute la Terre

J’étais à ma table oubliant mes peines

Seul avec mon œuf à ne plus penser

Qu’au pur instant d’une joie retrouvée

Un délicieux moment d’autrefois

Où la tendresse fait de toi un roi

Après mon linge avoir bien lavé

Au lavoir express de mon quartier

J’ai tourné où la vie m’a appelé

Là au bout d’une ruelle pavée

Je vis un hangar et ces mots sucré

Et salé l’ambiance m’a donné

L’envie douce d’approcher et d’entrer

Ah si tout l’monde s’appellait Madeleine

Il n’y aurait plus tant d’amours express

Et tant de mots violents qui nous blessent

L’oeuf d’amour A chasserait toutes les haines

Au lavoir express de mon quartier

J’ai tourné où la vie m’a appelé

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 10 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Ecrivain ou écrivant

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Écrivain ou écrivant

Ça t’amusait au fond cette question

Écrivain ou écrivant

Cette question

Que tu avais entendue

Dans un atelier d’écriture

A la Maison Gueffier

André Gueffier était un avocat

Et un homme politique

Et un individu humaniste

Né en mille neuf cent

Et décédé à l’âge de quatre vingt neuf ans

Cette maison qui portait si bien son nom

Etait à présent liée à la Scène nationale de La Roche sur Yon

Le Grand R

Elle accueillait des écrivains en résidence

Des bourses à l’écriture leur était allouées

L’animatrice de l’atelier d’écriture insistait bien sur votre statut d’écrivant

Pour bien vous différencier des écrivains

Des écrivains qui vous partageraient certains week-end leur talent d’écrivain

Eux étaient payés pour écrire

Et toi tu payais pour écrire

Écrivain

Ecrivant

Chacun a sa place

Et les vaches étaient bien gardées

Comme on disait par chez nous

Savez-vous planter les choux

A la mode

A la mode

Alors

Que te fallait-il pour être écrivain

Être à la mode

Avoir lu quantité de livres

Exposés sur leur commode

Être capable de citer tel et tel auteur

Connaître la teneur de leurs œuvres

Être capable de citer de mémoire un tas de phrases

Être un érudit sorti de l’Université agrégé de Lettres

Écrire chaque jour

Et se nourrir de tout

Pour ça tu y étais presque

Alors

Que te fallait-il pour être écrivain

Avoir trouvé ton style

Toi tu changeais de stylo

Et t’amusais des styles

Alors

Que te fallait-il pour être écrivain

Oser aller en des chemins inconnus

Te différencier de tous les écrivains qui t’avaient précédé

Faire scandale ou charmer

Etre au-dessus de la mêlée

Être porté en tête de gondole

Avant de finir au pilori

Ou pire

Dans les rayons des écrivaillons proscrits

Ou mieux

Les féministes écolos

Que te fallait-il pour être écrivaine

En attendant

Après ta mort

L’heure de ton apogée

La cérémonie funèbre

De tes poèmes jamais édités

Tu disais tes textes

Tu disais tes textes

Partout où tu pouvais les dire

Sur toutes les scènes ouvertes

Tu avais autant cette envie de partager

Que d’écouter les mots des autres

Que tu trouvais si beaux

Tu aimais lire

Presque slamer

En toute liberté

Laisser le souffle porter tes sons

Pour ta mémoire c’est vrai

Souvent elle te faisait défaut

C’est ainsi on ne naît pas tous égaux

Académicien

Grand Prix Médicis

Ou Prix Nobel

Quoique que si

Peut-être tous génies

Tombés dans la grâce

D’une vie si belle

Marcelle avec ses deux ailes

Il nous restait à les accueillir

Laisser glisser dans nos veines

La voix créatrice

De Mère Gaïa

Accomplir en nous la bonté de son œuvre

Ses doigts longs et fins

Guidaient ton chemin

Écrivant

Tu avais le vent avec toi

Écrivain

Tu n’avais rien

Certains même un air hautain

Et d’autres

Ecrivaines

La grandeur

L’humilité

La sensibilité

De l’écrivant

Chaque jour

S’adonnant à son labeur quotidien

Un lundi sous la pluie

A la fin d’un atelier

A la libre Usine

Tu avais lu ton texte

Le combat d’une page blanche

Et cette femme t’avait demandé à la fin

Tu es écrivain

A sa question

Tu lui avais répondu

C’est quoi être écrivain

Et elle t’a répondu

Avoir des livres édités

Au-moins c’était sa vérité

Ton livre

Une vie parmi des milliards

Etait juste vivant

Publié pour l’instant

Dans ton corps

Tu le savais

Depuis ta naissance

Dans tous tes pores

La maison Gueffier

Jamais ne serait ton terrier

Tu avais bien plus à espérer

Un jardin au Paradis

Pour cultiver tes mots

Sur la terre

Écris

Le vent

Qui te pousse au devant

Ecrivant

Mange tes mots

Ils te nourrissent

Et te font grandir

Ou

Au-moins vivre

Simplement vivre

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 10 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Le combat de la page blanche

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

La page blanche

Laisserais-tu cette page blanche sans rien dire

Là c’était ton combat

Tu l’avais trouvé ton combat

Il te restait maintenant à l’écrire ton combat

Mettre tes mots

Mettre des mots

Encore fallait-il qu’ils sortent tes mots

Tu crois que c’est facile

Que tes mots vont sortir comme ça

Tu crois que c’est facile

Bon tu ne le crois pas

Tu ne le crois pas du tout que c’est facile

Tu n’en peux plus

Tu n’en peux plus de cette image qu’on te colle au visage

Tu en as marre de jouer ce personnage ridicule

Tu en as marre d’amuser la galerie

N’être qu’un bouffon naïf dont on rit

Tu en as marre

Tu n’arrives pas à quitter ton rôle

Ton personnage ne veut plus te quitter

Ton personnage t’a épousé jusqu’à la mort

Sa main te dicte ses pensées

Que deviendrais-tu sans cette cour qui l’a créé

Un être déraciné dans un jardin en friche

Ton combat est là

Ton combat est là

La page blanche d’un cahier

Poser tes mots sur tes petits carreaux

Entre les lignes t’extirper de ton personnage ridicule

Rendre ta perruque et ce costume d’une autre époque

Être et commencer à vivre

Qu’importe si tu te retrouves solitaire

Tu as soif d’être plutôt que de paraître

Tu en as marre d’attendre d’être toi

Marre d’attendre la mort pour vivre

Tu dis adieu au metteur en scène de ta pièce

Tu oses

Tu oses enfin

Une gauche

Une droite de mots

Tu piétines ton costume

Le déchires de ton espoir

Tu as la rage

La rage d’exister

Tu quittes ces catacombes

Ce donjon

Ces forteresses

Tu transperces les remparts

Pour remplir de ton cœur le nulle part

Tu es un être invisible

Tu espères maintenant

Qu’un seul regard te considère

Juste qu’un seul regard te considère sur cette terre

C’est pas grand chose

Tu espères juste ça

Qu’il voit ce qu’il y a au-dedans de toi

Tout ce qu’il y a au-dedans de toi

Juste la lumière de ton ombre

Juste ça

Juste

Thierry Rousse
Nantes, lundi 8 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
Atelier d’écriture animé par Guillaume Lavenant, “Boxe à Malakoff” La Libre Usine du Lieu Unique.

Le jardin jeté à la mer

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Tu dors Lulu, dis, tu dors Lulu ?

Demande Lili à Lulu,

Mais Lulu ne répond pas à Lili.

Dis, à quoi tu penses quand tu dors Lulu ?

Demande encore Lili à Lulu.

Et Lulu les yeux fermés, Lulu qui dort bien, prend les mains de sa Lili qui se demande encore où Lulu peut bien l’emmener, et c’est dans sa pensée qu’il l’emmène, Lulu, Lili, sa pensée à Lulu, c’est un jardin, sa pensée à Lulu, un jardin comme il n’en existe nulle part sur terre, le jardin de Lulu, un jardin pour sa Lili qu’il a pensé, Lulu, quand il dormait bien profondément, bien profondément …

Un jardin comment dire,

Comment décrire le jardin de Lulu pour sa Lili,

Si secret, si intime son jardin.

Touche avec tes yeux, Lili, tout est bleu dans mon jardin Lili

Vois avec tes mains, Lili, tout est lisse dans mon jardin Lili

Pourrait être le refrein un peu simple de l’histoire.

Car tout était bleu et tout était lisse en effet dans le jardin de Lulu qui voyageait au gré des courants, au gré, d’une rive à l’autre, d’une rive à l’autre …

Un jardin qui contenait tous les jardins du monde, de tous les mondes

Jardin à la française, jardin à l’anglaise, jardin japonais, jardin mexicain, jardin africain, et même un jardin du désert, oui, un jardin de sable, tu vois, rien que du sable, à perte de vue du sable, et même un jardin esquimau dans le désert, non, imagine-toi un peu un jardin esquimau dans le désert, à quoi ça peut ressembler Lili ?

A de l’eau, rien que de l’eau, à perte de vue de l’eau naturellement !

Et Lili ouvre sa main

Et de sa main Lili glisse une petite graine

Et la petite graine se perd dans le sable

Et l’eau la chahute

Et le soleil arrive et resplendit

Et puis Lili touche avec ses yeux

Et puis Lili voit avec ses mains une rose éclore au fond d’une bouteille

Là où demeurait le jardin de Lulu pour sa Lili

Un jardin jeté à la mer

Quelque part

Sur la planète

Terre

Thierry Rousse
Nantes, lundi 8 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
"Le jardin jeté à la mer" a été publié dans l'ouvrage collectif "Ecrire à Antony" , Les Editions de l'Amandier, Atelier d'écriture animé par Brigitte Damiens et Ariette Dugas au Théâtre Firmin Gémier, 2003 - 2004

in

Je d’écriture à La Pérouse

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Jeunesse voyageuse

Jet de fleurs

Joie dans mon coeur

J’ai compté les années

J’ai effacé les virgules

J’ai oublié les points

Jeu d’échecs

Jeu de dames

Jeunesse révoltée

Jet de pierres

Jerrican

J’ai fait le plein

J’ai fait le vide

J’ai aimé

Jeux de mots

Jeux masqués

Jeunesse romantique

Jet d’encre noire

Jus de raisin

J’ai cueilli

J’ai porté

J’ai pressé

Jeu comique

Jeu tragique

Jeunesse théâtrale

Jet de gestes

Jacques a dit

J’ai joué la vie

J’ai joué la mort

J’ai tremblé

Jeux pour toi

Jeux voilés

Jeunesse

Je renais

Je d’écriture à la Pérouse

Je m’en vais

Je m’endors

Je te suis

Je te lis

Et

J’écris

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 8 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
Festival "Partout la Poésie" organisé par L'Annexe, Hôtel La Pérouse, Nantes, 19 mars 2024

Envol d’un amour

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

J’ai

Un temps

Oublié

Cette maison

Où nous vivions

Comme chat et chien

L’un et l’autre à nous suivre

Sur mille chemins inconnus

Avions-nous l’air insouciants

A jeter toutes cartes et boussoles

Pour nous perdre loin au fond des bois obscurs

O ma douce ma colombe je t’ai perdue

A la cime d’un arbre bien plus haut que nous

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 8 avril 2024
Une vie parmi des milliards
Atelier d'écriture "Mange tes Mots", Le Live Bar, Nantes, 17 mars 2024

Parcourir le monde

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Ton voyage en Colombie raté

Tu n’avais pas osé t’envoler

Cécilia t’avait invité dans sa famille pour Noël

Cette fille de ton âge que tu trouvais si belle

Avec laquelle tu échangeais des lettres

Entre vous un commun idéal

Grâce à une association de correspondance internationale

Débarquer sur sa montagne chez des gens inconnus

A Santa Fé de Bogota dans un pauvre quartier

Ce qu’on t’en disait avait fini par l’emporter

Drogue vols violence partout dans les rues

Tu te voyais déjà embarqué

Sous le charme de ses yeux

Ligoté à son lit par son vieux

Un revolver vers ton insouciance pointé

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait juste ce petit livre

« Colombie »

Grignotté par ton chat

Un triste jour d’ennui

Sans doute

Avait-il trouver là

Un bon moyen

De faire ses griffes

Se venger sur la Colombie

Parce que dans tes pensées tu étais déjà parti

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait que ces images dans ta tête brouillée

De magnifiques parcs fleuris

Le royaume des orchidées

Les portes d’entrées de l’Amazonie

Ou les Indiens Guajiros

Il te restait ça

L’amour que tu avais imaginé à cet âge-là

Main dans la main avec ta Cécilia

Et cette mélodie qui dansait dans ton soleil

Corriger les paroles d’une chanson

De Simon

Et Garfunkel

Par des arcs-en-ciel

De baisers

Et de caresses infinies

O Cécilia

Une famille qui t’aurait aimé enfin

Et puis

La Colombie

La Colombie

N’était-elle qu’un pays de drogue de vols de violence

Comme on disait

Comme les rumeurs le colportaient

Ton petit livre touristique

N’en disait pourtant que du bien

A peine une page sur le sujet

Il te faisait rêver de l’Eldorado

Te faisait plonger dans un tango

Un bal de coraux

Il te faisait compter les perles fines

Du sable blanc des Caraïbes

Te glissait au fond d’une mer chaude et transparente

Ton petit livre touristique avait des ailes

Etalait les charmes des nuits de Carthagène

Là où tu pouvais “boire un verre dans une ambiance coloniale” (1)

Il savait exciter tes papilles de mets traditionnels

Le riz à la noix de coco

Le beignet de maïs fourré à l’œuf

Les haricots rouges

Aux tranches de banane douce

Les cathédrales, les parcs, les musées, les jardins botaniques étaient légion

L’or à profusion dans les coffre-fort secrets d’un siècle et plus d’Espagnols conquérants

Tu pouvais aussi grimper jusqu’à la cité perdue des premiers habitants de cette terre

Eux qui croyaient vivre au centre du monde sur la plus haute montagne du littoral

Tant la nature leur offrait sans privation

De beautés de fruits et de poissons

De tous ces trésors

De tout ce paradis

Tu n’avais rien vu

Ni précolombiens ni la famille de Cécilia à Noël

Rien

Rien

Rien que des mots écrits trop petits sur ton petit livre

Pas même vu Bolivar

Le grand libérateur

Dressé sur son cheval nu

Tu n’avais pas eu le courage non plus de lire

Cent ans de solitude jusqu’au bout

A peine le début

Une journée de solitude déjà

T’épuisait

Que valait une vie

Si aux autres

Tu n’étais pas relié

Quand

Juste avant l’automne

Cécilia

A Paris était venue

Étudier les arbres

Vous vous êtes enfin vus

Tu as parcouru du regard

A l’Arboretum des Barres

La cime des séquoia avec elle

Tu lui as fait connaître le Théâtre de La Cartoucherie

Ariane Mnouchkine et la fondue savoyarde

Au premier étage de ce chalet à la Bastille

Tu l’avais accueillie dans ta maison à Maincy

En pleine nuit elle t’avait appellé affolée

J’ai fait un cauchemar

J’ai peur de tout mon corps je frémis

Tu l’as rassurée par tes mots puis tu es reparti dans ta chambre retrouver les bras de Morphée

Tu n’avais rien compris

Une fois de plus à la Colombie

Tu laissais passer cette chance inouïe

Était-ce vraiment au fond une chance

Un signe d’amour

Cette araignée soit disant qui l’avait réveillée

Elle finirait par te dire

Si je suis venue à Paris

C’est pour retrouver l’homme

Que j’ai aimé et que j’aime encore

Disait-elle la vérité

Toute la vérité

Voulait-elle te tester

Sur ses paroles tu t’es effondré

Sans jamais te montrer sous terre

Tu étais presque à lui répondre

Je peux t’aider Cécilia à retrouver ton prince charmant

Paris n’est pas si grand

Puis elle est repartie en Colombie

Les oiseaux ont continué à échanger vos mots

Puis un jour

Tu ne sais plus ni pourquoi ni comment

Par quel vent

Vous ne vous êtes plus jamais écrits

Les oiseaux avaient disparu dans le ciel

Ton tour du globe en Colombie était bel et bien fini

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait

Les premiers souvenirs de tes voyages

Autour d’un monde réduit en solitaire

Cette Italie que tu avais sillonnée en train

Tout seul à ta majorité

Pour fêter ton baccalauréat

Grâce à l’argent que tu avais gagné

En travaillant comme agent de sécurité à la Défense

Fortune qui fut vite volée à Venise

Dans une auberge de jeunesse

Tu dormirais alors sur les bancs

Sous les lampadaires des places publiques

Ou dans les trains de nuit

Une petit chien monterait pour toi la garde à Bologne

Aboyant au premier passant

Clin d’oeil des anges qui avaient exaucé tes prières

Au petit matin le petit chien repartirait comme il était venu

Discret comme une ombre de la nuit

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un périple à vélo avec ton frère Jérôme

De Vézelay au Puy en Velay

Et une marche vers Compostelle

Traverser les champs de taureaux

Reconnaître les mille vaches

Etre perdu dans les brumes de Conques

Franchir la frontière à Roncevaux

Etre éclairé d’ampoules

A travers le désert de l’Espagne

Le monde était parcouru

De sentiers si longs

Et souvent mélancoliques

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un trip religieux à trois en auto-stop jusqu’à Assise

Avec ta sœur Marie et ton fidèle frère Jérôme

Et un peu plus tard

Quand Soeur Marie avait poursuivi sa route à Jérusalem

Il vous restait la Sicile et Malte

Ton cœur faisait une halte

Sur l’île de Gozo

Aux côtés d’Ulysse

Captif de Calypso

Douce prison

Chaque soir

Tu donnais rendez-vous à ton frère Jérôme

Lui enquêtait la journée durant sur ses ancêtres

Et pouvait remonter ici jusqu’au Néolithique

En tournant les pages des reliques de pierre

Jusque là vous trouviez toujours un petit coin caché

Le camping sauvage était ici formellement interdit et puni

Ce jour-ci le soleil se couchait au bout de la petite île

Que les Phéniciens avaient baptisée

Lentille petit bateau rond

Et toujours pas de frère Jérôme à l’horizon

Tu angoissais à l’idée de dormir seul en terre inconnue

Tu tournais en rond comme un poisson dans une épuisette perdu

Sans doute ton frère avait raté le dernier bus

Que faire alors

Où aller

Tu te voyais déjà embarqué par la police maltaise

Dans un cachot sordide

Ulysse semblait indifférent à ton sort

Incapable de te tendre la main

Tu implorais le ciel

Ton pote François

De faire descendre de son paradis

Une douce compagnie

A Assise Claire t’avait bien plu

Quand soudain

Tu vis la plage heure après heure

Se peupler d’un tas de gens

Autour de feux allumés

Ils sortaient guitares vin et victuailles

Et toute la nuit ripaillaient

Et toute la nuit buvaient chantaient dansaient

L’hôtel luxueux d’à côté avait organisé une nuit blanche jusqu’au lever du jour

Tu ne t’étais jamais senti aussi entouré

Un peu de trop sans doute

Au milieu de tous ces vacanciers

Tu ne pouvais être qu’en sécurité

Aucun policier maltais ne remarquerait le campeur sauvage que tu étais

Le vagabond solitaire à la dérive craintif sans son frère

Noyé dans cette masse de touristes bon chic bon genre

Tu remerciais ton pote François

Qui ne manquait ni de bienveillance ni d’humour

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Les pieds dans un Lagon tout bleu

Tu caressais les tortues les dauphins et toutes les sirènes

Tes pensées avaient coloré tes mollets de bleus

Parcourir le monde

Et pourquoi

Pour l’exploit sportif de tes muscles

Pour ne voir que les cailloux d’un chemin

Compter les blessures à tes pieds

Ou les tâches noires d’une route goudronnée

Atrocement souffrir

La dureté d’une selle

Le dos voûté

A pédaler encore et encore

Sans jamais en voir la fin

Parcourir le monde

Pour arriver au final

Aussi seul qu’avant

Et en prime

Ne rien comprendre à la langue des pays traversés

Parcourir le monde

Pour t’enfermer sur un podium de silence subi

Paniquer à chaque interminable traversée

Perdre les balises

Te rallonger

T’achever

Ou t’émerveiller le temps d’un répit

D’une pause exquise

De la beauté de la nature et des édifices de l’humanité

Sans jamais vraiment tes sensations pouvoir partager

Parcourir le monde jusqu’aux larmes salées

Jusqu’à la crise d’angoisse

Seul dans l’obscure forêt

Qui suis-je et qui m’aime

Ma vie n’est que bohème

Lourde de peines

Je ne porte pas un trophée

Mais une croix fatiguée

Je voudrais rire de mes jeux de mots

Passer des heures à regarder les vaches

Être le berger de ces moutons

Sonner les cloches de Pagnol

Je ne suis qu’un globe-trotter ignoré

D’autres que moi

Ont bien mieux réussi leur odyssée

Les serpents ils ont su charmer

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Etais-tu prêt

Marcel

A repartir

Croire qu’un autre monde était possible

Juste aller le voir avant de ronfler

Juste te regonfler le cœur d’éternité

Pour croire encore un peu au bonheur

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait la saveur d’un café colombien

Et tout l’or des désirs de sa petite cuillère

Parcourir le monde d’étincelles multicolores

Parcourir la nuit étoilée

Et rencontrer tes yeux

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être

Globe trotter

Amoureux de la vie

Thierry Rousse
Nantes, samedi 6 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) « Colombie » de José A. Ortiz Bernal, éditions Marcus