L’été d’un sourire

 

L’été. J’y étais. Au milieu de l’été. Mes pieds. Ce temps aurait pu être l’été. Un trente et un juillet deux mille vingt et un. Mes yeux. Un goût d’été. Une plage de vacances. Mes lèvres. Tout lâcher et vivre. Mes mains. Vivre et aimer. Mes doigts. Aimer et être libre. Etre libre et voyager. Mon corps. Voyager et danser. Une danse irlandaise ou une tarentelle. Ou une samba. Ou une danse infinie. Une danse que je ne connaissais pas.

Et pourtant ce temps n’avait rien d’un été, ce ciel bleu qui avait peine à durer. Tantôt ce vent de mer, tantôt ce vent de terre agitaient mon âme en friche. De gros nuages noirs pointaient leur nez chargé de larmes entre mes dunes. La menace revenait. Pesante. Flottant au-dessus de ma tête. Quelques dinosaures au-dessus des pins. Sous son nouveau visage. Cette menace au nom enchanteur, Delta. Plane mon âme. Des voix m’annonçaient, chaque heure, une nouvelle hausse des hospitalisations, une « épidémie qui gagnait du terrain ». Les Chefs démocratiques nous imposaient le pass sanitaire, l’arme décisive pour faire reculer l’ennemi. Je devais contrôler dès lors mon semblable ou être contrôlé par mon semblable. Mon semblable était devenu l’autre que je suspectais ou l’autre qui me suspectait. Distanciation sociale. Toi et moi. Nous nous susceptions l’un et l’autre d’être complices de l’ennemi. « Quel ennemi ? Tu le connais? – Non.  » . Plus aucun baiser, plus aucune caresse sur le champ de cette occupation. Chaque corps lentement mourait d’absence de tendresse, tombé dans les tranchées de la méfiance, de l’ignorance, l’indifférence. Il restait le plancher d’une guinguette pour espérer encore une rencontre. Ou un poème. Ou une forêt. Ou une rivière sauvage.

Je regardais mes semblables derrière cette grille. Mes semblables n’avaient pu entrer dans ce théâtre de verdure à Notre-Dame des Monts pour assister au concert d’Abel Chéret. Quelques uns de mes semblables étaient dépourvus du pass obligatoire. Rejetés. Exclus au festin. J’avais obtenu le mien après des heures d’attente, une file interminable devant un minable garage rempli de cartons. Entre deux cartons, une chaise et un coton-tige. Test PCR négatif. J’étais sauvé. Jusqu’à quand ? Sauvé pour quarante huit heures. Sauvé jusqu’au jour où je devrais accepter ce vaccin. Etre obligé. Etait-ce pour mon bien? Qui pouvait me certifier que ce vaccin était bon pour mon corps?

Qui ?

Je regardais l’océan. L’île d’Yeu. Je rêvais de retourner sur l’île d’Yeu. Les bateaux se croisaient au loin. Souvenirs d’une eau transparente. Il me restait mes souvenirs. Les souvenirs d’un temps libre. Je songeais aux êtres sur le fil de la vie. Ces êtres que des experts disaient condamnés. Ces êtres, pourtant, qui prenaient soin d’eux-mêmes, de leurs proches, des objets qui leur étaient chers. Ces êtres qui savouraient chaque instant du temps, chaque instant de vacances.

Je cherchais dans mon dictionnaire « Vacance : situation d’une charge, d’une place, d’un poste momentanément dépourvus de titulaire ».

Mon poste dans la société était vacant. Je retournais à l’existence universelle.

L’été, j’y étais.

J’avais été. J’avais aimé. J’avais été aimé. J’avais vécu. Je vivais maintenant sur le fil de la vie. J’avais tout à apprendre. Tout à apprendre d’un été. Un sourire. Rien qu’un sourire.

Thierry Rousse,

Nantes, samedi 31 juillet 2021

« A la quête du bonheur »

Les vacances

Des perles de pluie, au milieu de la nuit, s’invitaient. à nouveau, sur Nantes, pendant que s’embrasait l’île idyllique de Chypre. Drôle de début d’été. Si cette pluie insatiable avait pu au moins éteindre le grand incendie d’une pure merveille…

Ce que j’apprenais dès lors du monde n’était que pur hasard, au détour d’une conversation, d’une interrogation: « Comment vont la Terre et l’humanité ? ». Rien de réjouissant.  Notre Chef de la Santé faisait planer une nouvelle menace sur nos têtes, un variant nommé Delta annoncé pour le mois d’août.

Quelle misère, quel chaos, je me disais. Si encore, ce Delta était  celui du Nil, un air de croisière touristique… Ces Chefs, décidément, ne me faisaient plus rêver. Jamais, ils n’avaient su nous donner l’élan d’une nouvelle vie fondée sur la sobriété et le respect de la nature. Ils voyaient encore la relance de l’économie par une consommation inassouvie. Ils en étaient restés à l’ère capitaliste qui menait l’humanité à sa perte fatale et à l’enrichissement d’une grappe d’idiots égoïstes.

Cet élan de survie, je l’avais trouvé par moi-même. Je n’attendais rien de leurs discours vide de sens. Tout ne pouvait être que désolation de leurs mots  car rien en leur programme politique n’était animé de l’essentiel, de ce qui nous faisait vivre, l’amour.

J’étais dans ce monde mais je n’étais plus de ce monde.

J’étais parti. Absent. En vacances. Nul ne savait où j’étais. Etre invisible. Qui me regrettait ? Qui m’aimait ? Qui se souciait de moi ?

Un ange passait.

Ses ailes étaient douces et fragiles, hurlantes comme un rock métallique devant Le Ferrailleur, facétieuses comme une comedia dell arte, Tutti Quanti, sur les berges de la Sèvre. Je retrouvais ce fameux Pantalone qui pouvait encore me faire rire de son avarice.

Tout était urgent et tragique.

Je me réfugiais sous une caresse, un baiser, disparus tous deux. Envolés vers les cieux. J’étais amoureux des étoiles qui m’avaient donné ce souffle. Le paisible village des pêcheurs de tendresse. De l’autre côté du fleuve sauvage.

Le linguiste, lui, disséquait les mots de Diamanka et je n’y comprenais plus rien. La poésie parlait au coeur, non à la raison.

Les vacances m’étaient vraiment nécessaires. De très longues vacances. Des vacances éternelles…

 

Thierry Rousse,

Nantes, dimanche 4 juillet 2021

« A la quête du bonheur »

 

 

 

 

 

 

Une halte salutaire

Je ne savais plus ce qui se disait là-haut. Depuis un bon moment, je n’avais ni acheté les journaux ni écouté les actualités à la radio. Etais-je devenu une autruche, la tête enfouie dans le sable?  Ce qui se racontait sur les autruches. La tête dans le sable. Dans le sable. Château de sage.

Je posais ma tête sur ma table de chevet parsemée de grains de sable invisibles.

Mon corps avait besoin de silences infinis. Simplement n’écouter que les chants des oiseaux ou les voix des poètes. Simplement, n’écouter que la douceur des coeurs dans leurs joies comme dans leurs peines qui se dévoilaient à travers une beauté délicate qui les élevait.

L’horizontalité était dès lors mon horizon quotidien. Dans ce nouveau monde, tout prenait sens à mes yeux, simplicité, profondeur et générosité.

Un jardin partagé, une guinguette, une scène ouverte, un chemin au bord de l’eau, un marché local coopératif, une rencontre avec Souleymane Diamanka, l’adoration à l’intérieur d’une église, La Madelaine, en face du Bar de l’Isle.

« Laissez le soleil sécher vos larmes… » (*)

Tout cela était bon, tout cela était vie.

La verticalité appartenait à un vieux monde voué à disparaître de ses inepties, de son orgueil et de sa folie.

Les sourires, peu à peu, rejaillissaient dans les rues.

Les masques tombaient de lassitude.

Certains se réfugiaient encore derrière eux avec une peur qui les assaillait, les tourmentait, les tiraillait.

Les vaccins épuisaient certains corps redoutant la seconde injection.

Mes mains, elles, résistantes et militantes, semblaient n’aspirer qu’à une seule chose,  tenir la main à l’éternité.

Danser sur les ailes des oiseaux.

Combien de mots improvisés, chuchotés s’étaient envolés ? Seul, le ciel connaissait nos jardins secrets.

Une halte salutaire., une ronde dans l’univers.

 

Thierry Rousse,

Nantes, Mercredi 30 juin 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Souleymane Diamanka, « Habitant de nulle part, originaire de partout », édition Points Poésie.

 

 

 

Douceurs des soirs d’été

 

J’entendais depuis les fenêtres ouvertes des cris d’exclamation, des commentaires, puis des « oh » de désolation. Que se passait-il en ce mardi soir , le 15 juin 2021 ? Qu’avais-je râté dans la vie de ma Nation ? De retour de ma promenade sur les bords de la Sèvre à cueillir les éclats du soleil, j’interrogeais ma voisine dans l’obscurité de sa maison. J’étais rassuré. Rien de grave. Rien qu’une coupe d’Europe de football. La France résistait contre l’Allemagne. Les Gaulois, unis, avaient retrouvé, fiers, leur coq victorieux.

Nous étions déconfinés, libérés de notre maître. La chaleur estivale avait définitivement chassé la froideur d’une distanciation sociale que nos Chefs, sous couvert de leurs experts, nous avaient imposée. Toutes nos habitudes ou presque, avaient rejailli, hormis se déplacer sans cet épouvantable masque qui m’étouffait et que je détestais. Les terrasses des cafés et des restaurants, de nouveau accessibles, m’apparaissaient comme des oassis de liesse. J’avais hâte d’y accoster. Echoué à une table, je pouvais enfin ôter mon masque et contempler le monde qui me dévoilait ses beautés cachées. Mille et un sourires.

La distanciation sociale avait accompli avec soin son travail dévastateur. Ma Muse avait disparu au loin parmi les étoiles, entre la Grande Ours et la Petite Casserole, et je causais avec ma nouvelle compagne, tantôt brune, tantôt rousse, tantôt blonde, une jolie bière artisanale, l’un de ces doux péchés qui enlaçait nantaises et nantais. Cette bière me semblait fidèle, toujours au rendez-vous. Je savourais ses lèvres avec lenteur. Une joie trop rapide pouvait se laisser envahir par une brume nostalgique. La prudence était la sagesse du bonheur. Je suivais, loyal, ma ligne verte.

Des retrouvailles avec les guinguettes de la Loire, La Cantine et Quarante Pieds… Un retour au Petit Café de Rezé avec ses chaleureuses tablées autour d’un groupe de musique. De nouvelles rencontres aussi. Cette guinguette sur les bords de la Sèvre, un rêve qui devenait réalité. Ou encore, La Station Nuage sur l’île Forget, ou la péniche de La Folle Barge jouant avec candeur dans son bassin. Nantes était la ville de tous les plaisirs. Cette femme, étonnante et séduisante, regagnait, jour après jour, soir après soir, une à une, les marches de son arc-en-ciel.

Mon livre à la main, j’aimais m’asseoir à l’une de ces terrasses, lieux uniques et multiples, ou, m’allonger sur l’herbe au bord de l’eau pour lire Brel. Le grand Jacques était cet homme de tous les plaisirs à la quête d’un bonheur absolu. Je me délectais de ces mots et de sa vie trépidante. Ce fou d’amour, peut-être, parfois trop exigeant.

Les Gaulois, eux, étaient soulagés, la France s’était imposée.

J’avais gagné mon île de quiétude. Toute solitude invitait à un cheminement spirituel. Au fond, c’était quoi le bonheur ? L’amour ? L’amitié ? La vie? La mort ?

La poésie d’un paysage ouvrait le coeur de l’âme, l’éblouissement d’un visage invisible à l’oeil nu.

Je n’avais pas marqué de but. J’étais sur la touche à observer la vie.

« Une île au large de l’espoir, où les hommes n’auraient pas peur… » (*)

Thierry Rousse,

Mardi 15 juin 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Jacques Brel « Une île »

Une folle journée

 

Venait ce calme de la fin de journée. Ce silence. Un silence qu’il ne fallait pas fuire. Pas remplir de musiques ou de voix. Accueillir ce silence. Plus j’accueillais ce silence, plus je pouvais l’entendre. Ce silence avait beaucoup de choses à me dire. Ce silence, au fond, était très bavard. Il me racontait ma journée. Il en gardait le meilleur, ce qui m’avait rendu heureux. Il en oubliait le reste, ou, peut-être, il en riait. Ce silence me disait que je devais considérer les vicissitudes de la vie comme un grand jeu d’énigmes à résoudre, de défis à relever, ou encore, comme un chemin initiatique qui me permettait de grandir. Je songeais à ces bottes de géant que j’avais vues, en ce lundi de Pentecôte, au milieu d’un potager urbain près de la Cantine.

Mobi m’avait pris la moitié de ma matinée à renouveler sa carte, sans aucune certitude de sa part que je l’obtienne. Tout dépendait de Paul Emploi. Paul m’avait occupé la seconde moitié de la matinée. Paul me réclamait des attestations d’employeurs que ceux-ci n’avaient pas complétées et adressées. Ces indispensables attestations qui permettaient à l’identifiant de prétendre à une maigre indemnisation.

Mes droits s’effilochaient et mes devoirs s’épaississaient. J’avais à justifier de mes recherches d’emplois du premier novembre 2020 au premier mars 2021. Mon emploi d’animateur dans les écoles et mes activités liées au théâtre ne semblaient pas exister aux yeux de Paul. Paul s’obstinait à me caser là où il devait me caser. Paul obéissait aux ordres du Grand Chef qui l’employait et l’évaluait sur ses résultats. « – Alors, mon Paulo, combien as-tu casé d’identifiants aujourd’hui pour faire tourner ma société de consommation ? ». La consommation entraînait la croissance comme une machine infernale qui nous liait. Le Grand Chef aux manches blanches retroussées ne voyait que par elle et ses folies. La fin de l’humanité n’était pas un sujet qui le concernait.

M’aider à vivre de ma passion n’était pas dans les attributions de Paul. Ma passion ne l’intéressait pas. Si je voulais vivre de ce qui m’animait, cela me regardait. Je devais me débrouiller seul comme je pouvais dans la durée qui m’était impartie. Quand la fin de partie retentissait, il me restait à décrocher des petits boulots mal rémunérés et aux conditions de travail laissant à désirer pour espérer, dans le temps disponible qu’il me restait, vivre de ma passion. Marquer un but et attirer vers moi l’attention des autres. Leurs félicitations, leurs encouragements, leurs recommandations. Dans la cour de récréation, je semais et cueillais des petits cailloux comme le petit poucet sur son chemin. Les bottes du jardinier étaient encore trop grandes pour moi.

Au coeur de ce silence, à chaque fin de journée, je savourais ces petits cailloux. Cette belle salle qui avait été mise à ma disposition gracieusement, en ce mercredi 26 mai 2021 après-midi, pour répéter « Mon Pot’Agé » avec un chanteur-accordéoniste. Autre petit caillou du jour, cette réponse de la directrice d’un théâtre à ma demande de résidence de création pour « Le p’tit grain de sable ». Quel bonheur ! Il me restait ça, ces petits cailloux de soleil qui brillaient sur le chemin de mon coeur.

Paul avait fini sa journée et appelait son épouse : « J’ai besoin de me divertir ! On sort, chérie ? » .

Paul m’avait ignoré, jeté à la poubelle, rangé dans sa case. Paul, maintenant, voulait voir un spectacle dans un théâtre. Je lui offrirais le spectacle de ma vie. Un bol de riz qui me souriait.

Comme chaque soir, dès lors, du silence jaillissait le chant des oiseaux. J’avais droit à ce sublime concert que m’offrait la nature. Ces notes étaient si douces, si apaisantes comme des doigts sur les fils du temps. Mes derniers espoirs d’une folle journée. Quelques mots imparfaits sur mon clavier, juste pour laisser une place au possible.

Ce nouveau livre m’attendait: « Dévotion » de Patti Smith.

« J’écris les arbres, une succession de huit enchaînés, l’attrait magnétique de l’amour ». (*)

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 26 mai 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Patti Smith, « Dévotion », Folio Gallimard.

Le souffle du jardinier

 

Pas après pas, il me semblait, de nouveau, goûter à la vie d’avant. Une vie d’avant qui ne serait pas tout à fait comme avant puisqu’elle était présente. Une vie qui avait perdu sur le champ de guerre quelques unes de ses couleurs, qui en retrouvait d’anciennes, qui en découvrait de nouvelles.

Depuis plusieurs jours, le vent soufflait avec force sur cette renaissance, amenant dans un même quart d’heure, gros nuages noirs, pluie abondante, fraîcheur, ciel bleu, soleil, douceur. L’humeur du ciel était décidément perturbée. J’en ignorais la cause véritable. Etait-il en colère? Triste? Amer, le ciel ? Ou désirait-il une bonne fois pour toutes chasser ces tourments, ces souvenirs éprouvants? Le temps d’un grand ménage. Les dieux avaient peine à s’accorder. Il y avait de la querelle dans l’air. « Atmosphère, atmosphère…  » Faire face au vent était épuisant. Le vent me rendait fou. Je préférais être poussé, entraîné par lui à marcher, qui sait, à m’envoler:

Je laissais au repos ma voiture pour emprunter mes pieds et me laisser transporter par eux à travers les allées, les trottoirs, les escaliers, les trains, les bus, les tramway, les bateaux.

Je goûtais au premier concert de la ré-ouverture du Petit Café de Rezé avec Marcovitch, l’accordéoniste, et ses airs des Balkans, dans une ambiance conviviale.

Je goûtais à la première rencontre organisée par la Maison des Correspondances poétiques que j’avais la joie de co-animer. Bambou nous avait gentiment accueilli sur la terrasse de son magnifique jardin. Nous étions dix, réunis en cercle, à partager des mots et des sourires. Dix à sauver le monde !

Je goûtais à mes retrouvailles avec le Lieu Unique à travers l’exposition, enfin, accessible et visible sans écran interposé: « Université des Futurs Africains ». Le jeune homme à l’accueil me renseignait sur le programme. Les propos des artistes me paraissaient alléchants. « L’exposition invite une vingtaine d’artistes du continent africain et de sa diaspora qui remontent dans le temps pour déconstruire les clichés sur le rapport de l’Afrique au futur et se demandent de quels savoirs et de quelles histoires nous avons besoin pour comprendre et imaginer les mondes de demain ». J’étais impatient d’entrer et de découvrir cette Afrique de demain. Les plantes disposées à l’entrée me laissaient présager le meilleur. Hélas, j’allais de déception en déception. Une multitudes d’écrans, d’images juxtaposées, d’ondes brouillées, de zapping, de propos incompréhensibles dans un brouhaha continu d’où ressortaient quelques éléments issus de notre monde, des pierres disposées en cercle évoquant les menhirs de Carnac et le culte des morts, des poutrelles agencées les unes aux autres pour former des cabanes hexagonales aux murs de fils, un monticule d’ordinateurs désossés, des câbles qui pendent, un individu, affublé de drôles de lunettes, vivant dans une réalité virtuelle… Dans ce chaos ici présent, où se trouvait le Futur de l’Afrique ? Une Afrique que je voyais comme la décharge d’une société occidentale dépendante de sa surconsommation de mots, d’images, de concepts ésotériques, d’informations, de messages, une société obsolète qui avait perdu toute sa beauté, toute sa simplicité. Une société bruyante, incapable de s’entendre et de s’exprimer avec clarté. Dans le Futur de l’Afrique, je ne percevais plus l’Afrique, si ce n’est une Afrique avec des masques traditionnels, des pierres, deux cabanes et quelques plantes. L’Afrique m’était nouvelle, inconnue, également tourmentée par un vent qui soufflait avec force. La folie semblait guetter l’avenir, de la Terre jusqu’au ciel. Où trouver un chemin paisible ? Je sortais déçu, frustré. Ma joie était retombée.

Je marchais le long de la Loire. « 40 pieds ». Le temps d’une pause à cette guinguette ré-ouverte à son tour, parmi des visages d’arbres, face à un vieux escorteur militaire accosté jusqu’à la fin de ses jours au Quai de la Fosse. Le Musée de la guerre. Existait-il un musée de la Paix ?

Je rejoignais à quelques pieds la Gare maritime. Une longue fil d’attente. Du jamais vu. Pour attendre un Batobus qui se faisait tant désirer sous un vent glacial. J’apprenais la patience. L’espérance. Bientôt, je serais au port des pêcheurs, sur l’île du passé, de ces bonheurs qu’on aimait revivre. Juste un triangle à effacer, d’un commerce peu éthique ni équitable.

Il me restait ce Lundi de Pentecôte à ré-inventer. Le vent agitait encore le ciel. Pas de repos pour l’Homme nouveau. Et la Femme ? La Femme connaissait la valeur de la vie. Le jardinier avait disparu. Il restait ses bottes. L’esprit soufflait. Faire de nos vies une caresse, un sourire, une prière. La Cantine retrouvait vie. La Brasserie, aussi, de l’autre côté du fleuve. Imposante. Vue imprenable sur les flots mouvementés. Suivre la ligne verte. Une Lune. Bondir comme un enfant sur les rêves. L’éléphant s’était caché, endormi. Avait-il retrouvé son pays? Ses racines ? Le Grand Manège tournait. Quelques gens traversaient le vent avec détermination. D’autres, sous les Nefs, dansaient la capoiera. La danse du combat. Une libération. Il en était, ainsi, de tant de vies, qui, pas après pas, ré-apprenaient, comme elles pouvaient, à exister, entre nuages noirs et ciel bleu.

Thierry Rousse

Lundi de Pentecôte, le 24 mai 2020, Nantes

« A la quête du bonheur ».

Retour à la vie normale ?

 

Ils me réveillaient au lever du soleil et m’apaisaient le soir. Leurs chants m’étaient agréables. Rien d’agressif. Des notes si douces. Entre les deux, une journée, des pensées, des actions, des joies, des bonnes nouvelles, des déceptions, des tracas, des espoirs, des tâches de la vie quotidienne à celles de mon travail, rémunéré en partie, la vie, pourrait-on dire.

Je commençais à percevoir la lumière, la récompense du Grand Chef. Les terrasses des bars et des restaurants venaient d’ouvrir en ce mercredi 19 mai 2021. Je n’appréciais ce jour de la Libération que le lendemain, autour d’un café équitable et d’un verre d’eau, le long de la Loire, au Bistrot du Port. Le temps était indécis, entre soleil et nuages. Un vent désagréable agitait mon humeur. Quelque chose n’allait pas. Un quelque chose qui m’alertait, un voyant qui s’allumait. Allais-je dans la bonne direction? Qu’étaient devenus le pangolin et la chauve-souris? Qu’était devenue la forêt? Qu’était devenu le marché? Qu’était devenu le chemin? Qu’étais-tu devenue? Qu’étais-je devenu?

La ligne verte me souriait. Je n’avais pas écrit depuis longtemps. J’avais vécu sans doute. Le quotidien m’avait happé. J’avais lu. J’avais pris des notes sur mes minuscules carnets. J’avais besoin de me ressourcer. Remplir mon réservoir. Ecrire demandait un certain recul. Je ne voyais plus grand chose, à dire vrai, qu’un temps indécis de ma vie. La ligne verte, toujours, me souriait. Etais-je un ingénu? Je m’interrogeais sur ce mot étrange tombé du ciel. Etait-ce un compliment, une moquerie ou un reproche? Je questionnais Rousseau qui me renvoyait à d’autres mots. Je n’en finissais pas de ces mots qui tournaient dans ma tête. « Ingénu, d’une innocence franche; candide, naïf « . L’ingénuité s’assimilait à une « candeur », une « simplicité ». J’avais choisi le chemin de la sobriété heureuse. Etais-je cet ingénu? M’étais-je trompé de chemin? Rien, décidément, rien n’allait. Ce n’était pas Rousseau mais Voltaire qui avait écrit « L’ingénu ». Un huron, arrivé en France, qui regardait la vie française avec candeur, innocence et naïveté.

Les bars et les restaurants, c’était notre culture. La vie normale reprenait et mon coeur se réjouissait de regarder le monde avec naïveté, candeur et innocence. Tout le monde, à mes yeux, était bon, ou presque. J’entendais les cris des cochons aux abattoirs. Le saucisson pendait au-dessus du comptoir. L’heure de l’apéro et des rires. Fallait bien vivre. Se nourrir. Entretenir l’économie. Tout ce monde qui vivait grâce aux bars et aux restaurants. Je comptais ce qu’il me restait. Quelques pièces. Gagner ma vie pour entretenir l’économie de mes petits plaisirs. Qu’étais-je devenu? Mes doigts tournaient les pages de mes carnets bleus, blancs, rouges. Entre marée basse et marée haute, entre deux. Qui pouvait me dire si la mer montait ou descendait?

Je me remplissais de « La puissance de la joie » de Frédéric Lenoir. Un écrivain qui aurait dû s’appeler Leblanc. Peut-être ne voyait-on la lumière qu’au milieu de l’obscurité? « Le bonheur se construit: il résulte d’un travail sur soi, d’un sens donné à sa vie et des engagements qui en découlent » (1). Je buvais chaque mot. Chaque mot éclairait mon âme. Ma sobriété ne pouvait être heureuse que si elle était choisie. Qu’est-ce qui était bon pour moi? Un cochon vivant ou un saucisson? Je contemplais la Loire et ses voiliers enlisés. Les canards étaient heureux. Rien n’était normal. Je travaillais sur moi-même comme on travaille à réparer un bateau. Ou, l’entretenir. Ou, l’embellir. Ou, le découvrir. J’avais soif de donner sens à ma vie éphèmère. La fidélité des sentiments. Je m’engageais sur la ligne verte au fond des mers. Jules Verne m’observait depuis sa tourelle. Des corps dansaient sous les Nefs. Des voix, indignées, se révoltaient. La Maison du Peuple était proche des marches de l’Opéra. Je marchais pour le Climat et la Justice sociale. J’engageais mon corps et mon esprit à la quête du bonheur. Rien n’était normal. En dehors des normes, se logeait l’Amour. Savourer bien plus qu’une bière ambrée locale et artisanale. « La joie, elle, a un côté gratuit, imprévisible »(1). L’instant d’un regard. Mes pas s’étaient égarés sur la ligne verte. Je savourais l’errance.

J’avais hésité à partir, calculé mes dépenses. Et puis, j’étais attendu. Quel plus beau bonheur que de se sentir attendu quelque part ? Blablacar sans blabla me transportait à la ville rose, et un train, de la ville rose à Gimont où j’étais attendu. L’Abbaye de Boulaur me montrait ses chemins. Un air de noces. Quand le travail prenait sens. La joie du partage. Des retrouvailles. L’éternité d’un instant. Les cimes enneigées des Pyrénées m’appelaient. Il me manquait juste les ailes d’un ange ingénu. Je me vengeais sur la confiture, quand un livre s’offrait à mon regard: « Et lentement, tout bascule » (2). Joli clin d’oeil, Claire ! L’Ascension de mes désirs. Rien n’était normal. Une exposition de visages. Au fond d’une tristesse, la joie. J’espérais le retour à une vie anormale, une vie débordante, infinie.

Les oiseaux, de nouveau, s’aimaient.

Chaque soir, Lamartine se confiait à mon coeur. Il était presque devenu mon ami intime.

Correspondances invisibles.

« Au pied de ton rocher sauvage, Ami, je reviendrai souvent rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage »(3).

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 20 mai 2021

« A la quête du bonheur »

(1) Frédéric Lenoir, « La puissance de la joie », Le Livre de Poche

(2) Blandine et Arthur de Lassus, « Et lentement tout bascule », L’escargot

(3) Lamartine, « La retraite » extrait de « Méditations poétiques », Gallimard.

Retour au théâtre

 

C’était en juillet 1996.
Au « Petit Trentin ».
Sur la commune du Thor.
Au milieu de la Provence verte, terre gorgée d’eau et de soleil, où poussent fruits et légumes en abondance.
Un petit oassis dans le département du Vaucluse.

Les fondateurs de l’association « Les Compagnons du Petit Trentin », un ami prêtre, Pierre, et son amie Françoise, organisaient, durant l’été, au sein de leur gîte à caractère familial, un joli mas provençal bercé par le chant des cigales, un séjour intitulé « Découverte du Festival d’Avignon ».

Je m’étais inscrit à ce séjour après avoir décroché en juin 1996 mon diplôme d’éducateur spécialisé.

Quatre années d’études en cours d’emploi après avoir accompli deux années de service civil comme objecteur de conscience à l’Armée du Salut puis au Secours Catholique.
De 1992 à 1996, j’avais alterné mes cours à l’institut régional du travail social et mon travail d’éducateur auprès de personnes sans domicile employées et hébergées par l’association « Le Pain de l’Espoir » à Melun.
Durant cette période, j’avais mis entre parenthèses le théâtre pour me consacrer pleinement à mon emploi et à mes études.

D’un commun accord, guidés par Pierre, les participants à ce séjour, dont je faisais partie, choisissaient les spectacles qu’ils désiraient voir dans le « in » et dans le « off ».
Je me laissais porter et me régalais à assister à ces comédies, ces drames et ces tragédies tout en découvrant les charmes de la Provence, du Palais des Papes aux ruelles animées de cette ville fortifiée, de l’abbaye de Villeneuve-les-Avignon reconvertie en lieu de résidence pour auteurs jusqu’aux alentours champêtres qui me permettaient de me reposer de l’effervescence de ce festival, haut en couleurs et saveurs, avant d’y retourner, avide de nouveaux spectacles qui se dévoileraient à mes yeux et oreilles.

J’allais, entre deux journées festivalières, de merveille en merveille bucolique : Fontaine-de-Vaucluse, les Baux de Provence, Gordes, leLubéron, le Mont Ventoux, l’abbaye de Sénanques, le Pont du Gard, le théâtre antique d’Orange, le colorado de Roussillon…

Je savais désormais qu’il y avait un « in » et un « off » dans la vie.

Chaque jour, ou presque, nous échangions sur les spectacles que nous avions vus la veille. Ce qui nous avait ému, ce qui nous avait questionné, ce que nous avions appris, ce qui résonnait en nous. Le théâtre parlait tout autant à notre raison qu’à notre coeur. Relier cet art de l’illusion à la réalité de nos vies, à nos désirs, à nos plaisirs, à nos engagements, à nos rêves, à nos croyances ou nos absences de croyances prenait sens pour moi.

En 1994, j’avais brutalement perdu ma maman atteinte d’un cancer. Cette rechute lui avait été fatale. Foudroyante. J’avais noyé mon chagrin dans l’ivresse des pubs, des fêtes entre amis, des parties de pétanque et des roads movies, de l’Ardèche à Barcelone.

A l’âge de 29 ans, il me restait à construire une nouvelle vie sur le champ infini d’un effondrement.

Le retour au théâtre se présentait à mon âme et mon coeur comme un chemin d’espoir, de liberté, de fraternité, de tendresse, de consolation, de reconstruction, peut-être…

Le Grand Chef avait décidé de la ré-ouverture de cet art non-essentiel, pour son âme et son coeur, le 19 mai 2021.

Ce retour au théâtre était pour moi vital.
Thierry Rousse
Nantes, mardi 4 mai 2021
« A la quête du bonheur ».

Sur le fil du théâtre, « la gloire de mon père »

 

Entre « Le château de ma mère » et « La gloire de mon père » de Marcel Pagnol, je lisais « Un homme » de Christina Mirjol, un roman très touchant sur un homme sans domicile qu’une femme et un homme avaient rencontré dans un froid glacial, proche de l’entrée d’un cinéma, à Paris, durant l’hiver 2012.

Etre à la rue, cela m’avait toujours fait peur. Je voyais ces hommes, plus souvent ces hommes, à la rue. Les femmes, j’en voyais moins. Ces hommes au visage creusé, fatigué, rongé par l’alcool. Ces hommes, ivres, qui devenaient violents, s’insultaient entre eux, se provoquaient. Pour défendre quoi ? Leur territoire ? Ce qui leur restait de fierté, de dignité, un sentiment d’exister, ce besoin de se sentir respecté, reconnu ? Ces hommes qui, poliment, me demandaient une pièce. Ces hommes qui cherchaient à attirer une attention, un regard. Je me sentais triste, triste pour eux. Comment pouvait-on vivre ainsi ? En être arrivé là ?

Je me rassurais en rentrant chez moi. J’avais encore un toit. Toute ma vie, jusqu’à ce jour, j’avais eu la chance de pouvoir travailler et être rémunéré pour mon travail. J’étais même parvenu à trouver un équilibre entre mon métier d’éducateur spécialisé et mon métier de comédien. Les choses s’étaient compliquées lors de mon arrivée en Vendée, un 31 décembre 2013. Heureusement, grâce à des rencontres et de précieux soutiens, j’avais pu rebondir, retrouver un emploi de veilleur de nuit dans un Centre d’hébergement pour personnes sans domicile et pour femmes victimes de violences conjugales et mères isolées. En parallèle, j’avais eu la joie d’être recruté par le metteur en scène Guy Blanchard pour interpréter le rôle d’un veilleur de nuit dans la pièce « Hughie » d’Eugène O’Neill. Etrange coïncidence ! Hélas, ce spectacle n’avait pu se jouer que cinq fois.

La baisse de mes revenus m’avait appris par la force des choses la sobriété. De cette contrainte, j’en fis un choix volontaire après avoir lu « La sobriété heureuse » de Pierre Rabhi.

Je m’accrochais comme je pouvais au théâtre en créant plusieurs spectacles, certains en solo et d’autres avec des partenaires que le hasard me faisait croiser. Une nouvelle fois « hélas », ces partenaires de jeu quittaient un à un ces projets au profit d’ opportunités professionnelles plus intéressantes. Ce que je pouvais comprendre. Je poursuivais l’aventure avec mes spectacles en solo, entre détermination, doute, joie, déception, tristesse. Le monde du théâtre n’était pas toujours généreux. Certains me percevaient comme un concurrent, n’hésitant pas à dénigrer mes spectacles. D’autres, au contraire, surtout, des spectateurs m’encourageaient. L’aide des gens du métier étaient plus rares et méritait d’être soulignée quand elle apparaissait soudainement.

La vie m’amenait à m’investir, ces deux dernières années, dans des projets culturels et artistiques, qui ne portaient guère leurs fruits, malgré le temps et l’énergie que j’avais déployés pour leur réussite. Les décisions de nos grands Chefs liées à la pandémie n’avaient rien arrangé.

J’en vins à découvrir les conditions de travail déplorables de l’aide à domicile. Une expérience de deux mois qui m’avait valu la radiation de mes droits à l’assurance chômage suite à ma décision d’aller jusqu’au bout de ma période d’essai et de ne pas poursuivre. Heureusement, le rôle du Père Noël m’attendait. Il n’avait pas été confiné dans sa bulle. Puis, j’ai eu le bonheur d’être embauché en janvier 2021 comme animateur dans les écoles. Mes revenus avaient continué de chuter. J’en étais arrivé à 700 euros par mois. La Caisse d’allocations familiales me réclamait des trop perçus d’allocations logement. Je me demandais comment on pouvait vivre avec 700 euros de revenus mensuels et devoir de l’argent à la C.A.F. Je commençais à faire l’expérience de la pauvreté. J’étais passé sous le seuil. La sobriété heureuse était-elle encore heureuse?

Mes voyants s’allumaient. L’inquiétude était une sensation bénéfique qui appelait à l’action. Réagir, M’arrêter. Faire le plein pour ne pas tomber en panne.

Je m’accrochais à mon emploi d’animateur, et, dans un dernier espoir, au théâtre. Un projet qui me tenait à coeur.  « La ferme des animaux » de George Orwell, ce journaliste-écrivain qui avait connu la dèche, ce que connaissaient les employés sous-payés, les gens à la rue en vivant lui-même leur quotidien.

Sans doute, était-ce sur ce fil, là où nous risquions de passer de l’autre côté, que la nécessité d’agir se faisait ressentir. Déployer nos ressources pour retrouver le bon côté de la vie.

Sur le fil du théâtre.

« La gloire de mon père » m’attendait.

Le visage radieux, si doux d’un homme, qui avait laissé pour les siens, ce qu’il avait de meilleur. Sa vie. Ses yeux. Ses histoires pour faire rire.

Une promenade au bord de l’eau.

D’heureux souvenirs.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 28 avril 2021

« A la quête du bonheur ».

L’arbre à nuages

 

Le temps d’un week-end estival pour oublier ces deux années sous le Covid.

Le temps de rêver au retour à la vie normale.

Oter mon masque blanc et marcher au bord des rivières dorées.

De la Sèvre à l’Erdre.

Un trajet en tramway de Pirmil à Saint-Mighiel me permettait de rejoindre la Sèvre à l’Erdre.

L’île de Versailles m’attendait, patiente.

Depuis un certain temps, je n’avais pas franchi son joli pont.

L’île de Versailles fut mon premier coup de coeur quand j’ai découvert Nantes, en 2014, si mes souvenirs étaient bons. J’étais arrivé à La Roche-Sur-Yon un 31 décembre 2013 après avoir quitté le charmant Rocamadour de la Seine-et-Marne, Château-Landon. Nantes m’apparaissait comme un nouveau Paris.

L’île de Versailles était une île nantaise au nom trompeur.

Cette île n’avait rien de la froideur rectiligne d’un jardin à la française et tout du charme d’un jardin de thé japonais. Ce charme m’inspirait des histoires que je griffonnais sur mon petit carnet, des histoires, depuis, introuvables. Où étaient enfouies ces histoires? Des recherches archéologiques s’imposaient parmi mes innombrables carnets.

Je rebaptisais cette île: « L’île aux arbres à nuages ».

En cette île, la joie côtoyait une certaine tristesse.

Joie de tout ce qui me reliait à la vie, l’eau, les fleurs, les arbres, la maison du thé, les bateaux, le marchand de glaces à la vanille délicieuse.

Tristesse de ce qui m’évoquait la perte, la disparition, la mort, ces gros blocs de pierre dispersés un peu partout sur l’île. Je songeais à chaque fois aux proches que j’avais perdus, et aux proches que mes proches avaient perdus.

Je songeais à la vieillesse. L’être vivant qui, au bout d’un certain temps, perdait ses capacités physiques et mentales.

La vie dans l’éclat de sa naissance portait déjà en son premier cri sa fin tragique. Vivre était une aventure aussi joyeuse que malheureuse.

Je traversais la mare aux lotus d’une pierre à l’autre. La vie pouvait ressembler à cette traversée d’une rive à l’autre. Chaque pierre était alors un point d’appui. L’âme sur laquelle je pouvais compter pour vivre. Les morts n’étaient pas morts. Leur âme vivait au coeur de ce jardin. Des pensées invisibles l’animaient. La vie était bien plus que ce que je pouvais me représenter d’elle. Une vie intérieure jouait à cache-cache entre ces rochers. Subitement, je comprenais la raison de leur présence. Vivre avec les âmes de mes proches.

Au bord de l’eau, je finissais de lire « Le château de ma mère » de Marcel Pagnol, le premier roman que je découvrais de cet écrivain. Je me réjouissais de débuter un chemin à ses côtés. Marcel Pagnol contait au fil des pages ses souvenirs d’enfance à la cime des collines provençales de la Treille, au-dessus de Marseille. Quatre heures de marche après avoir pris le tramway pour rejoindre avec son papa, sa maman, son frère et sa petite soeur leur maison de campagne. Cette expédition avait tout d’une épopée joyeuse, palpitante, drôle et si tendre. Il me restait à lire: « La gloire de mon père », « Le Temps des secrets », « Le Temps des amours », et bien d’autres romans et pièces de théâtre pour apprendre à mieux connaître Marcel et « L’île aux arbres à nuages »…

L’écrivain, plusieurs années après, venait de retrouver sa maman.

« Il me sembla que je respirais mieux… » (*)

Thierry Rousse,

Nantes, dimanche 23 avril 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Marcel Pagnol, « Le château de ma mère », Editions de Fallois