Y’a la plume qui me démange

 

La plume, j’avais eu cette chance de la connaître. La plume, l’encrier, le buvard. A l’école élémentaire, j’étais un élève sage, un élève studieux. Les copains se moquaient de ma sagesse. Ils me reprochaient d’être le chouchou de la maîtresse. Alors, je m’étais mis à faire de grosses fautes pour avoir de petites notes afin qu’ils m’acceptent parmi eux. Cancre, je faisais enfin partie de leur bande, la bande des joueurs de billes qui aimaient la castagne, la bande des bonnets d’âne, la bande des copains pas sages.

Pourquoi parler de ce passé peu glorieux ? Quel rapport présent avec ce que je vivais ? Le Grand Chef y prêterait-il attention ? Sa cravate venait de quitter l’un de ces dîners clandestins. Les chiffres n’étaient pas bons.

Ma dernière représentation remontait à juillet 2020. « Le p’tit grain de sable ». Ma plus belle représentation. J’avais atteint un pic. Un spectacle que j’avais créé durant l’été 2016 et joué sur Le Remblai des Sables d’Olonne pour rebondir. Rebondir comme un ballon qui s’éleverait vers les oiseaux. Le ballon, en plein vol, avait crevé. Plus aucune date en perspective. Ce spectacle manquait-il à l’histoire de la vie ? Qui pouvait s’en soucier? Existais-je encore ? Je marchais sur la plage d’un passé aux traces effacées. Il me restait des images dans les yeux, des rires et des mots. « Il est beau, monsieur, votre spectacle ». Auprès de cette amie retraitée, je passais pour l’homme lunaire qui marchait à côté de ses sandales. Les rêves m’avaient joué un mauvais tour. La croisière s’arrêtait là. Le vent ne soufflait plus en ma faveur. J’avais beau agiter mon plus beau masque blanc. La reprise prévue à la mi-mai me ferait-elle une place sous son aile ? J’occupais avec détermination mon corps, mon âme et mon coeur, tel un artisan qui, chaque jour, se remettait à son ouvrage. De sa pierre, il voyait déjà une cathédrale. La maison aux tuiles provençales près de cette source me suffisait.

Je saisissais ma plume pour m’envoler. Je savais que, dans le ciel, des anges m’accompagneraient dans ce rêve. Qu’il était doux de vivre ensemble ! Ce qui me démangeait, au fond, était la vie, ce sentiment infini d’exister.

8045 nouveaux cas. Devais-je continuer de m’isoler ? Je remplissais à l’approche de minuit mon état d’aujourd’hui. Quel rond remplirais-je ? « Tout va bien », « J’ai des symptômes », « Je suis personne contact », « Je suis testé positif ». Les expressions des visages m’amusaient. « Tous, anti-Covid ! « . Je faisais partie de cette formidable équipe. Certes, au fond de mes pensées, j’aurais préféré appartenir à l’autre équipe : « Tous, pour la vie ! « . Existait-elle au moins, l’équipe qui enlaçait les arbres, les protégeait, les écoutait, les consolait, les admirait, les aimait ? L’appel de la forêt ? La sagesse des anciens ? Les Chefs s’en moquaient depuis des siècles.

Mes minuscules carnets, ainsi, de notes, se coloraient.

« L’esprit est un travail de soi sur soi. Même en dormant, il se poursuit. (…) Le travail spirituel est le travail de vivre, tout simplement ». (*)

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 7 avril 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Christian Bobin, « La nuit du coeur », Folio.

Rêves clandestins, petit grain de sable ou de folie ?

 

Londres sortait de ses trois mois de confinement. Le retour à la vie normale était annoncé sur les ondes. Je les enviais ces britanniques, eux qui  avaient déclaré la guerre à notre Duchesse avec leur variant rebelle. J’aurais bien pris ce tunnel pour rejoindre la douce Tamise brumeuse, mais l’heure était aux dix kilomètres nordiques en ma bonne vieille Gaule, autour des ronds-points gardés par les gilets bleus ou autour des stades romains transformés en gigantesques tournois de vaccinations. Les seringues avaient remplacé les cris des supporters.

Pendant ce temps, nos chefs en liesse dégustaient des truffes sur une feuille d’endive à des prix exhorbitants en des dîners clandestins dont eux seuls connaissaient l’adresse. Belles chandelles consumées ! Leurs privilèges me faisaient songer à ces cochons qui se justifiaient ainsi : « Le lait et les pommes, ainsi que le démontre la science, renferment des substances indispensables au régime alimentaire des cochons. Nous autres, sommes des travailleurs intellectuels. Jour et nuit, nous veillons sur votre bien. Et, c’est pour votre bien, que nous buvons ce lait et mangeons ces pommes…  » (*). Savez-vous ce qu’il adviendrait si le virus revenait ?

Il nous restait, gens du peuple, à accomplir des efforts supplémentaires pour l’arrêter dans sa folle ascension.

Il y avait bien pourtant sur l’allée ce p’tit grain de sable qui m’irritait. L’huître avait trouvé sa parade. L’envelopper de sa nacre. Le grain de sable était devenu une jolie perle.

Ma perle était ce refuge pour rêver aux beaux jours de la liberté retrouvée. Tous ces chemins de terre au bout des vergers où nous lirions des poèmes. Toutes ces maisons de pierre aux toits provençaux bercées par l’écoulement des oiseaux et le chant des ruisseaux. Les grenouilles seraient de la fête, vêtues de leur plus belle robe tranparente. Un cheval invisible nous guiderait. Le cercle serait, de nouveau, rassemblé. Deux tourterelles veilleraient à son bonheur. Les guerres s’apaiseraient. Le temps des chants et des danses se lèverait, sous l’éclat d’un arc-en-ciel, le sourire de nos yeux se dévoilerait.

Rêves clandestins, petit grain de folie ? Le drapeau blanc serait hissé au mât des rires, sur les fils des masques en guise de voiles.

Les jeux des enfants me faisaient oublier toutes les peines du monde, ou, presque…

Thierry Rousse

Nantes, mardi 6 avril 2021

« A la quête du bonheur »

(*) « La ferme des animaux » de George Orwell, édition Folio.

Tout va trop vite, Marcel !

 

Une farce? Non, ce n’était pas une farce. C’était la veille. Mercredi 31 mars 2021. Notre Grand Chef avait pris la parole. Quel bon comédien, notre Grand Chef ! Le solo, une nouvelle fois, avait été écrit à la perfection. Un solo en trois actes. Nous attendions avec impatience ce spectacle. Chose amusante, les journalistes de BFMTV savaient déjà ce que le Grand Chef allait jouer. A leur manière, ils interprétaient en première partie le solo qui serait joué à vingt heures. Une sorte de grande répétition sans l’acteur principal.

Acte I.

Le « nous ». Le Grand Chef se rangeait dans nos rangs. « Nous sommes entrés dans une course de vitesse ». Sans le vouloir, je me retrouvais engagé dans cette compétition. Il y avait pourtant bien longtemps que les courses de vitesse ne me fascinaient plus. Je leur préférais la marche lente, en pleine conscience, la marche contemplative. De quel droit le Grand Chef m’incluait dans cette course? De son ton persuasif, il agitait une nouvelle fois le drapeau de la peur. Faire peur pour nous rassembler. Faire peur pour ne pas nous faire voir le reste comme le manque de lits dans les hôpitaux ou la déforestation massive en Amazonie. Faire peur pour nous laisser nous aveugler par notre propre peur. Faire peur pour ne plus nous donner à réfléchir. Faire peur pour nous faire tout accepter. Même le pire. Même ce qui ne nous était pas dit. »La propagation du virus dans toute l’Europe… Un virus plus dangereux et plus meurtrier ».

Acte II.

Après ce constat effrayant, glacial, exposé par le Grand Chef, nous en arrivions au comportement qui en découlait naturellement. Un comportement que nous devions tous adopter. Une évidence. Un comportement logique qui allait de soi. Comportement. Conditionnement. Mon cerveau était habitué à présent. Il ne me restait plus qu’à le programmer, à moins que le Grand Chef ne l’eut déjà programmé pour moi grâce à son solo hypnotique. « Protéger la vie, au présent, nos malades, au futur, nos enfants ». Pour eux, nous devions fournir un « effort supplémentaire ». Ce qui me rassurait, ce qui me consolait était que je n’étais pas le seul dans le cas. Je me sentais appartenir à une grande famille de combattants. Toute résistance était balayée. Il me fallait courir plus vite que le virus pour gagner la course. Couvre-feu à 19 heures maintenu. Télétravail vivement encouragé. Commerces, fermés. Contrôles renforcés sur la voie publique pour interdire et sanctionner tout rassemblement au-delà de six personnes. Les manifestations étaient de ce fait prohibées. Attestation obligatoire au-delà de dix kilomètres à partir de samedi 3 avril. L’objectif était de limiter les réunions privées, les fêtes. Notre Grand Chef nous expliquait que c’était lors de ces occasions que nous nous contaminions. L’école, quant à elle, n’était pas négociale. Il y aurait cependant trois semaines de vacances à partir du lundi de Pâques pour tout le monde, ou, presque. De quoi digérer les chocolats que nous ne mangerions pas. La course au vaccin serait accélérée. Deux équipes s’affronteraient donc. L’équipe Virus contre l’équipe Vaccin. Ces Jeux Olympiques promettaient d’être passionnants. C’était la « clé pour renouer avec la vie ». La formule était jolie. Notre Grand Chef se lançait dans la poésie pour sauver l’humanité. Sa langue, néanmoins, avait fourché. « Vaccinements ». Un lapsus, aurait dit Freud. Que signifiait cet acte manqué ? Tout ce discours n’était-il que mensonge pour dissimuler l’état déplorable dans lequel se trouvaient nos hôpitaux ?

Acte III.

L’empathie et la délivrance promise. Notre Grand Chef se retirait soudain de notre groupe pour compatir sur notre sort. « Je sais votre lassitude ». Il se confessait même, en nous associant cette fois-ci à son mea culpa: « Nous avons commis des erreurs ». Tout juste après, il reprenait la barre, victorieux. Un Grand Chef n’était jamais vaincu car il était Grand Chef. « Mais nous nous sommes améliorés ». Notre Grand Chef nous montrait la lumière divine après cette longue route rectiligne d’un mortel ennui. A la mi-mai, théâtres, restaurants, cafés seraient progressivement ouverts. Nos efforts seraient récompensés. Je voyais déjà cette belle brune que je savourerais à la terrasse du Café du Port de Trentemoult face aux voiliers enlisés à marée basse. La vie était belle. Notre Grand Chef terminait, comme à son habitude, son solo en apothéose: « Nous tiendrons unis et déterminés, vive la République, vive la France ! « . Aucun applaudissement pourtant. J’oubliais, les théâtres ne laissaient plus entrer le public.

Et Marcel ?

Marcel, je ne l’avais toujours pas retrouvé, mon Marcel, avec sa moustache si élégante, qui fabriquait des savons à Marseille, des savons qui sentaient bon les cigales, les olives et la mer.

En ces temps de restrictions, je rêvais de vacances. Flâner au fil du temps. Jouer dans les jardins. Aimer. Vivre, tout simplement.

« Dis, comment on fabrique des savons, Marcel ? « .

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 1er avril 2021

« A la quête du bonheur ».

Dernière ligne droite sinueuse

 

Nous vivions notre dernière ligne droite. Le Grand Chef l’avait annoncé. Je voyais la lumière au bout de cette longue allée rectiligne de la forêt de Gâvre. Une clairière m’attendait, ou, un carrefour. Cette route forestière n’avait certes rien d’amusant, elle était juste rassurante. Je n’avais qu’à marcher, simplement marcher, accomplir ce que le Grand Chef me dictait. Marcher seul, à bonne distance de mes semblables. Respecter la fameuse distanciation sociale. Pas de serrage de mains ni d’embrassades. Respecter, juste respecter. La clairière ou le carrefour me serait accessible grâce à la seringue de vaccination. En attendant ma piqûre, je devais rester sur cette rue ennuyante. Marcher seul. M’isoler. Vivre sans contact. Je fuyais vers la campagne pour ne plus avoir à supporter ce masque étouffant. Respirer, juste respirer. Ecouter le chant des oiseaux et m’émerveiller de cette nature qui renaissait. Rester sur la route. Seul. Isolé. Le sous-bois me tentait bien, mais je n’étais pas à l’abri d’un obstacle infranchissable, un large fossé gorgé d’eau qui m’obligerait à revenir à mon point de départ. Je pouvais également me perdre, ne plus retrouver mon point de départ. Au coeur du sous-bois, cette clairière ou ce carrefour n’était plus visible.

Le temps passait tellement vite. Je n’avais pas vu le mois de mars. Mars avait-il existé? Je ne retenais du mois de mars que l’annnonce d’un printemps poétique. L’essentiel ? La semaine, je travaillais dans les écoles. J’avais donc réussi à me hisser à la troisième ou à la deuxième ligne. J’ignorais à quelle ligne appartenait vraiment l’école. Tout ce que je savais ces derniers jours, c’était que le virus circulait dans l’une des écoles où j’intervenais. Les cas de Covid se multipliaient aussi bien parmi les élèves que parmi les membres de l’éducation et de l’animation. La peur d’être à mon tour contaminé dansait autour de mes yeux. Un rhume et l’inquiétude grandissait. Je n’avais rien d’un héros. Mourir au front ne m’emballait guère. Je ne tenais pas non plus à transmettre ce virus aux personnes que j’aimais. Je m’isolais en attendant le verdict. J’avais décidé de passer un test. Mon parcours du combattant commençait de pharmacie en pharmacie. La pharmacienne du quartier où se situait l’école me répondait qu’elle ne pouvait pas me recevoir. « Nous sommes débordés, chaque jour, il y a de nouveaux cas ». Rien d’une allée rectiligne. J’obtenais un rendez-vous le lundi dans un lieu municipal réquisitionné pour la circonstance. Premier soulagement. La joie d’être testé, l’impatience de savoir. « Alors, je l’ai ? ». Il me restait à attendre, le temps d’un week-end d’isolement. Mon rhume, étrangement, avait disparu le samedi au milieu d’un jardin extraordinaire. Les fleurs me guérissaient de l’ignorance. Je savais bien au fond de ma conscience que tout cela était absurde, que je pouvais avoir le virus sans manifester de symptôme, ou, que je pouvais ne pas avoir le virus aujourd’hui et l’attrapper demain. En réalité, il me fallait passer le test chaque jour, à chaque minute, à chaque rencontre, chaque respiration, à moins que ces masques fussent de redoutables boucliers… Protégé. Etais-je réellement protégé? Etre en troisième ou en deuxième ligne finissait par me lasser. Le Grand Chef nous obligeait à tenir la garde pour le bien des enfants, de l’économie et de la Nation. L’école à la maison était juste impossible. Maman devait aller travailler, papa, aussi.

Je m’échappais le dimanche à la Vallée du Don. Un étang, une cascade, des rochers, une maison dont il ne restait que les murs, l’éblouissement de toutes ces fleurs, un château construit pour un conte merveilleux, la générosité du soleil, la terrasse d’une crêperie fermée… Il me fallait encore être un peu patient. Je parvenais enfn à trouver l’entrée du chemin qui longeait le Don au milieu des arbres. J’étais seul, seul baigné de lumière et du chant des oiseaux. Dernière ligne droite sinueuse au coeur de l’essentiel. Le don de la vie. Restaurer cette maison. Laisser tranquilles les habitants de la forêt. Contempler et aimer.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 28 mars 2021

« A la quête du bonheur »

« Mon Pot’Agé » rêve d’un Jardin-Théâtre…

 

Depuis, au moins huit ans, j’avais à coeur de créer un spectacle qui parlerait d’un jardinier et de son jardin, son potager.

Les potagers m’ont toujours attiré, surtout ces potagers où se mélangent à foison les légumes, les plantes aromatiques, les fleurs. Ces potagers où s’offrent aux regards attentifs toutes sortes de surprises. Ces potagers avec leurs sentiers sinueux, leur cabanon, leurs vieux outils, leur brouette, leur défilé de seaux en zinc du plus petit au plus grand, leur marre aux grenouilles, leur tas de bois derrière les hautes herbes, heureuse cachette des hérissons, leurs bottes de paille, le chapeau et les sabots du jardinier, leurs cerisiers pour le plus grand plaisir des oiseaux et des enfants.

J’aime la simplicité de la terre et des gens qui la cultivent, la respectent, font corps avec elle. J’aime me promener dans la campagne. J’aime retrouver cette campagne au coeur des villes grâce à ces jardins partagés qui commencent à éclore un peu partout, comme à Nantes ou à La Roche-Sur-Yon. Ces potagers apaisent mon âme. Il m’est si doux de me promener à travers leurs allées, prendre le temps de regarder. Il m’est si agréable de mettre la main dans la terre lorsque l’occasion se présente, y semer des graines, les voir grandir, cueillir leurs fruits, savourer ces tomates juteuses, échanger, partager, offrir… Me reposer entre ses bras à la chaleur de sa douceur.

Un jardin se vit.

Le plus difficile était de créer un spectacle, mettre des mots sur ce que je ressentais. D’abord je devais vivre, ressentir, jardiner, m’imprégner des potagers, rencontrer leurs jardiniers, les écouter me parler de ce qui les reliait à la terre, leur conception du travail et de la vie, leur relation sacrée au vivant. Vivre et me nourrir de mes rencontres, de mes expériences, mes échanges, mes lectures.

« Mon Pot’âgé » s’est ainsi fabriqué, improvisé, invité pas après pas, côté jardin, de découverte en découverte. Des mots se sont posés sur des pages blanches, ont pris peu à peu leur place. Un chemin s’est dessiné au fil des pages, des saisons, de l’étang à la grange. Chaque potager a apporté sa touche de couleurs, de saveurs, de poésie. Une cabane, des outils, un poulailler, un potager en forme d’escargot, une fée clochette suspendue à un arbre, une ruche, un âne, et les principaux personnages, tous ces légumes anciens, issus de lointaines contrées. Le monde était rassemblé en un jardin.

Il me restait à raconter une histoire, celle d’un jardinier qui serait le reflet des visages, des mains, des regards, des coeurs de ces jardiniers. Un jardinier qui transmettrait à un enfant son amour de la terre, son amour de la vie.

Raconter et jouer. Préserver l’enfant qui vit en nous. La vie, n’était-elle pas un grand jeu ?

Un spectacle jamais figé, toujours en mouvement. Ainsi est « Mon Pot’Agé » qui s’enrichit de chaque nouvelle rencontre, se décompose, se recompose, à l’image de la vie.

« Mon Pot’Agé » est un spectacle né dans les jardins, du désir de transmettre.

Mon « Pot’âgé » rêve d’un Jardin-Théâtre, lieu de transmission, d’amusements, de fraternité, de ressourcement, de liberté, de sérénité…

Un Jardin-Théâtre où respirer et être ensemble, loin, si loin, et si proches à la fois…

Thierry Rousse,

Nantes

Mardi 23 mars 2021

Sur le pont du canal Saint-Martin (printemps des poètes)

Sur le pont du canal Saint-Martin

La montagne de mes pieds gagne mon âme broutant l’herbe du ciel, innocente et fragile

L’arc-en-ciel de tes yeux, un clair de Lune

Tes lèvres, un sourire

Tes mots, une étoile filante

Tes doigts, les jeux des notes secrètes d’une nuit de désirs ouvrant à nos coeurs la porte d’un champ infini

O bribes de souvenirs oubliés

O rondelles de citron pétillantes

O chapiteau bleu tremblotant de nos chutes imprévues

O ficelles invisibles de nos songes d’été

O ma Muse, printemps des poètes et des lettres

Ton temps est bel et bien venu de renaître !

 

Thierry Rousse

Nantes, samedi 20 mars 2021

 

 

Un an après, l’occupation des théâtres, quelque chose d’essentiel…

 

« Confinement », ce nouveau mot était tombé dans ma boîte à pensées sans que je l’y invite, un lundi 16 mars 2020. L’expérience était inédite. Je l’accueillais comme une chance, la chance de pouvoir enfin marquer une pause au milieu de mon calendrier. Poser mes valises et réfléchir au sens de ma vie, ouvrir mes valises et réfléchir au sens de la vie. Ce confinement arrivait à point. Je commençais un bilan de compétences. Ce bilan se réaliserait à distance. Je me retrouvais ainsi seul face à moi-même, seul face à l’écran de mon ordinateur. Le soleil en ce début de printemps était, heureusement, généreux, en totale contradiction avec ce que nous vivions. Réfugié en haut de ma mezzanine et l’apercevant au loin qui me souriait, j’organisais avec méthodologie mes journées sans répit. L’organisation était un bon remède à la mélancolie. La raison canalisait mes sentiments. Une heure de marche chaque matin. Quatre heures de travail chaque après-midi à me récapituler tout ce que j’avais accompli dans ma vie, ce que j’avais aimé, ce que je n’avais pas aimé, ce que j’avais acquis, ce qu’il me restait à acquérir… A chaque repas, j’écoutais les actualités avec son flot de nouvelles angoissantes, voire tragiques mêlées à de plus heureuses, des guérisons, des applaudissements et une courbe qui redescendait après que nous eûmes atteint, victorieux, le point culminant. Je devais ma reprise de l’écriture au confinement. Au bout, se dessinait cette espérance du « Jour d’après » que nous faisait miroiter le Grand Chef. J’avais envie d’y croire à ce « Jour d’après », cet autre monde que nous construirions ensemble dans la fraternité, la justice, la solidarité, l’amour de la vie. Les rues étaient si calmes sans ces voitures, la nature si belle, si douce.

Qu’en était-il presque un an après, le dimanche 14 mars 2021 ? La Chine, où le coranavirus serait apparu, se glorifiait de devenir la première puissance mondiale et d’avoir chassé de son territoire l’ennemi. Le travail avait repris en France, excepté le travail des restaurateurs, des barmans, des artistes dont la finalité de leur ouvrage était d’être en relation avec leurs clients ou leur public… A en croire nos Chefs, restaurants, bars, musées, théâtres, cinémas étaient de hauts lieux de contamination. L’argument était absurde. Tout le monde voyait bien qu’on était serrés dans les bus, les tramsway, les métros ou à certaines files d’attente dans les supermarchés. Tout le monde savait bien qu’on ne pouvait pas tenir les mesures de distanciation dans les écoles ou les entreprises, et que de nombreuses personnes baissaient et remettaient leur masque sans respecter les consignes, ou, se retrouvaient à leurs domiciles à visage découvert. Le « Jour d’après » était décevant. Une nouvelle loi nous contraignait à rentrer chez nous pour 18 heures. Mesure tout aussi absurde. Les Chefs avaient cru bon de nous enseigner ce qui était essentiel de ce qui ne l’était pas. Etait essentiel le fait de travailler pour le Bien de la Nation. Quel était ce « Bien de la Nation » ?

Les artistes, à présent, occupaient, peu à peu, les théâtres de l’hexagone, afin d’exiger leur réouverture et la reprise de la vie culturelle. J’estimais cette revendication tout à fait légitime. De quel droit les Chefs autorisaient certains à travailler et le défendaient à d’autres? Ces directives autoritaires me paraissaient incohérentes, et, sans doute, répondre à des fins de stratégie politique.

Il me fallait bien tous ces chemins pour retrouver la quiétude de l’existence, marcher librement, le visage nu, respirer l’air pur, écouter le chant des oiseaux, contempler les éclats du soleil ondulant sur l’eau, à la surface de l’océan, des fleuves, des rivières, des ruisseaux… remonter jusqu’à la source de toute vie. « La poésie sauvera le monde » (*).

Je continuais de marcher au bout de ces allées rectilignes. Dès que je pouvais, je prenais le large sur un bateau. Une autre rive m’attendait. Un dock réhabilité. Je me glissais dans les sentiers des bois. Je ne savais pas pourquoi, mais, une voix, semblait, là, me retenir. Cette voix du coeur, près d’un moulin, avait quelque chose à me dire, quelque chose, ici, d’essentiel…

Thierry Rousse,

Nantes, dimanche 14 mars 2021

« A la quête du bonheur ».

(*) Jean-Pierre Siméon, « La poésie sauvera le monde », Le Passeur Editeur.

Valentine et Valentin au bout de leur île

 

Des bribes de couloirs laissaient entendre que les vacances de février seraient supprimées. Nos Chefs nous l’annonceraient ce week-end. Les vacanciers seraient priés de ranger leurs skis et réintégrer au plus vite leurs écoles ou leurs usines. La hausse des cas déclarés par le Mutant anglais justifierait cette prise de décision gauloise.

Nous en étions arrivés, modestes sujets et pantins obéissants, à devoir deviner les fausses rumeurs des vérités vraies. Les coquillettes d’un côté, les spaghetti de l’autre. Le tri sélectif occupait toutes mes soirées hivernales. Certes, il me restait d’autres passions dans la vie, comme chanter, jouer de la guitare ou au scrabble, danser, lire, écrire, marcher, griffonner, rêver.

Je commençais à dessiner mes premières esquisses du guide nantais. Par quel bout de l’île de Nantes débuterais-je ? J’avais le choix entre le Hangar à Bananes et le Parc du Crapa.

Le Hangar à Bananes à ce jour me laissait peu de choses à dire. Un Hangar désert, inhabité depuis des mois. Que de vagues souvenirs. De vastes pubs avec des scènes de concerts et des pistes de danse dont un fameux bateau-pirates qui m’avait bien plu à l’époque de la paix. Ses cocktails m’avaient transporté, un soir de brume, de l’autre côté de l’Atlantique, sous un soleil de salsa dont mes pas n’avaient jamais su saisir le rythme. La meilleure des professeures, Emma, avait fini par renoncer à m’enseigner cette discipline. Mon corps dansait chaque note, s’agitait en tous sens et paraissait en transe plutôt qu’en cadence. Au milieu de cette brochette de pubs et de restaurants de la nuit, une galerie contemporaine faisait guise d’apéritifs. Je ne comprenais pas grand chose à ce qui était exposé, aux notes d’intention des artistes et aux ouvrages mis en vente dans sa librairie. Un univers formel, hermétique, géométrique, cultivait bien souvent le goût du désespoir et de l’auto-destruction. Ces adjectifs semblaient être la marque de fabrique, l’originalité de l’art contemporain. Si cet art ne me faisait pas vibrer, qu’il me laissait froid, muet, pantois, c’est que je ne devais pas être suffisamment érudit ou que je devais être trop sensible à la simple beauté des êtres, des choses et au goût du bonheur. Je persistais à m’y perdre en espérant, un jour, être ému par la puissance de ses messages. J’étais du genre à remettre toujours en question mes premières impressions. Tout près, s’ouvrait le Théâtre aux 100 Noms, un théâtre à l’italienne avec de beaux tapis rouges comme autrefois. Je n’avais entendu que du bien de ce théâtre. Je rêvais de découvrir, lové dans une loge vénitienne, l’une de ces « one women show » ou l’un de ces « seul en scène », accompagné de ma Juliette, histoire de troquer mes sombres pensées de la tragédie fatale du monde contre une bouffée de détente, rire de bon coeur face à la comédie humaine. A l’entrée du Hangar à Bananes, se trouvait la porte discrète d’une discothèque fort prisée des étudiantes et étudiants. Je n’avais jamais osé y entrer. Me sentais-je déjà chauve, quinquagénaire, auquel il manquait cinq dents ? N’étais-je plus une bande de jeunes à moi tout seul, ivre de rires et d’insouciance ? Mon oeil était pourtant avide de curiosités noctambules. Danser au rythme de la techno était peut-être plus aisé, me disais-je, noyé dans une foule hypnotisée sous la fumée des machines et des éclairs, passerais-je inaperçu. Pour l’heure, rien ne tout cela, et pas l’ombre d’une banane sur un visage, aucun visage d’ailleurs, qu’un Hangar hagard. Le Voyage à Nantes s’arrêtait là. Ou non. Un bateau-bus pouvait à présent m’embarquer de l’autre côté de la Loire agitée, sur les quais des docks désaffectés. Mon âme songeuse sous sa couette faisait demi-tour jusqu’à l’autre bout de l’île.

Derrière le dôme triomphant du Centre de la Région des Pays de la Loire et les briques d’une abbaye oubliée, s’étendait le Parc du Crapa. Le Crapa, un étrange mot pour désigner le « circuit rustique d’activité plein air », l’un des parcs les plus sauvages de Nantes, l’une de ces dernières prairies humides de la Loire. On y laissait les arbres morts, couchés au sol, comme doux refuges pour les animaux. Ses pelouses, ses aires de jeux et ses barbecues attiraient les sportifs, les familles, les étudiants et les étudiantes aux beaux jours des jupes courtes et des torses nus. On y courrait, on y mangeait, on y buvait, on y dansait, on y jouait au ballon ou à tout autre jeu licite ou illicite. On refaisait le monde sous un air de fête communautaire. Le « Woodstock » breton. Pas de construction de bateaux ici. Que le plaisir des sens. Un retour à notre nature profonde. L’aspiration à la liberté et au bonheur. Valentin et Valentine aimaient se donner rendez-vous, chaque samedi, sur un banc, à l’abri des regards indiscrets. Ils s’enlaçaient tendrement, un baiser éternel que leur enviaient Roméo et Juliette, fort jaloux d’un tel amour infini. Le temps se suspendait. Déjà les étoiles et un Parc qui s’était vidé de ses habitants. Les lumières de la ville s’offraient à leurs coeurs éblouis. Manhattan au bout de l’île, et, bientôt, Broadway. Valentin et Valentine y croyaient, jouaient des claquettes sur le pont des sourires. Une enfant les avait dessiné comme elle les voyait. Heureux sans doute, unis jusqu’au bout de la vie. La plus belle des comédies avait pourtant ses marées, ses tourments et ses pleurs. Leur coeur s’était brisé et la Loire était née. Les vacances étaient finies pour les amoureux d’un été. Le travail les avait appelé à se ranger. Un mètre de distance pour rester dans le rang. La punition serait un retour à la cale, privés de bananes. Woodstock n’avait qu’une saison sur cette île. Il neigeait, cependant sur Nantes, de doux souvenirs tropicaux, inoubliables. « Le Songe d’une nuit d’été ». Shakespeare n’avait pas dit son dernier mot. Le Mutant anglais de l’amour romantique était de retour. Un bout de l’île demeurait comme une espérance offerte aux promeneurs solitaires. Ce banc, immobile, les attendait. Au bord de la Loire, sauvage et sensuelle. La Loire des navigateurs, des rois, des princesses et des jardiniers. Une rose au parfum des dieux. Jardin clos d’un regard secret, invisible. Sur un pétale, se posait un baiser. Ronsard n’était pas loin. Du Bellay, non plus. Le lieu était beau de poésie et de tendresse. Il manquait, juste, sur l’eau, un piano, un violon, un accordéon et deux voix, pour parfaire le monde et chanter : 

« En ces temps de guerre, il restera toujours un bout d’île où s’aimer … « 

Thierry Rousse,

Nantes, mardi 16 février 2021

« A la quête du bonheur »

Voyage à Nantes, le pas de côté d’une enfant

 

La période n’avait jamais aussi contradictoire, floue à mes yeux. Les chiffres tantôt paraissaient stagner. Ils indiquaient que nous n’avions aucune raison de nous alarmer. Des lits de réanimation étaient encore disponibles dans les hôpitaux. Tantôt les chiffres étaient annoncés comme inquiétants avec l’arrivée du Mutant anglais sur notre territoire. Le Grand Chef voulait à tout prix éviter un troisième confinement qui serait fatal à notre économie et au moral des françaises et français, notamment des plus jeunes ne voyant plus le bout du tunnel. Une jeunesse sacrifiée. Vingt ans et rien d’une vie de vingt ans. Tous nos efforts devaient être concentrées pour éviter ce troisième confinement. La menace, certes, planait. Devais-je développer des stratégies afin de vivre dans l’instant présent et m’en réjouir, ou, me réfugier dans les doux moments du passé pour me projeter vers l’avenir dans l’espérance de retrouver demain le monde d’hier que je connaissais ?

La mission de Guide après le premier confinement qu’Emma m’avait confiée me procurait tellement de joies. Je me sentais, enfin, utile, reconnu, apprécié. Je me réjouissais à l’idée de partager mes découvertes de la ville de Nantes. Tous mes instants de solitude prenaient sens dès lors que je pouvais en cueillir les fruits et les faire goûter.

Dans ma besace, il y avait la plupart des jardins de Nantes : la Crapaudine, le Jardin des Plantes, le Jardin extraordinaire, le Parc de la Gaudinière, le Parc de Procé, Le Grand Blottereau, L’île de Versailles, Le Parc des Oblates et la Roseraie de la Beaujoire.

Dans ma besace, il y avait des balades bucoliques sur les bords de la Sèvre, de l’Erdre, de la Loire et du Cens.

Dans ma besace, il y avait des cafés culturels comme Le Baroudeur et ses matchs d’improvisations théâtrales si drôles; Le Rouge Mécanique et ses soirées de slams ou encore, ses Amuse-Gueule clownesques ; Le Live Bar et ses concerts rock ou de musiques du monde.

Dans ma besace, il y avait des cinémas d’art et d’essai, Le Katorza, Le Cinématographe, et leurs nombreux festivals : « Les trois continents », « Le cinéma britannique », « Le cinéma allemand », « Le cinéma espagnol »…

Dans ma besace, il y avait presque tous les théâtres nantais, leurs spectacles, leurs festivals, leurs rencontres littéraires, philosophiques, sociétales, artistiques : Le Lieu Unique, le Grand T, Le Théâtre Universitaire, Le Studio-Théâtre, Le Conservatoire de Danse, Le T.N.T., Le Cyclop, La Ruche, le Théâtre de Belleville. le Théâtre Francine Vasse, le Poche-Graslin. Il me restait à pousser les portes du Théâtre de Jeanne, de La Compagnie du Café-Théâtre, du Théâtre 100 Noms et de l’Opéra Graslin.

Dans ma besace, il y avait des musées, celui du Château de notre Duchesse Anne, celui des Beaux-Arts, celui de Jules Vernes, le Musée d’histoires naturelles, Les Machines de l’Ile.

Dans ma besace, il y avait aussi des restaurants atypiques ou ornés de jolis décors, des restaurants chaleureux aux tarifs accessibles. Dans ce domaine gastronomique, j’en étais qu’à mes premiers pas. j’avançais au rythme de mes ressources : le Bar-Restaurant du Lieu Unique, Le « Coup Fourré », Les « Gourmandises du Liban », « Le Couscoussier », « Chez Rémi », la Brasserie « La Prairie », « La Grande Barge », les crêpes et galettes artisanales du « Barapom' » ….

Mes ardeurs de Guide nantais furent, tristement, entravées par les restrictions du Grand Chef. Notre liberté n’était que conditionnelle. La vie n’avait pu que reprendre partiellement vers la fin du printemps 2020, jusqu’à disparaître totalement, de nouveau, au mois de novembre 2021 suite à un second confinement. Nul ne pouvait connaître le jour du retour à la « vie », cette « vie » que j’aimais tant transmettre et partager.

La parenthèse de l’été avait permis de re-goûter, du bout des lèvres, à la vie culturelle nantaise et sa gastronomie : Transfert et Le Quai des Chaps proposaient des spectacles, des concerts et des soirées festives. Danser, s’amuser étaient de nouveau permis. Les restaurants ouvraient sous haute sécurité. J’appréciais doublement cette galette et cette glace à La crêperie rustique « Sainte-Croix » au coeur du quartier historique du Bouffay. Une sensation de revivre avant que les portes du plaisir et de la culture, une nouvelle fois, ne fussent contraintes de fermer.

Cette parenthèse close, que me restait-il à offrir à Emma ? Les balades à travers les jardins et le long des fleuves ? Le cercle se rétrécissait, l’hiver, au soleil couchant. Dans les rues, les corbeaux criaient : « Couvre-feu ! ». « La vie reprendrait, Emma ! ». Mes promesses finissaient par la lasser et l’agacer. Il me restait à accueillir l’instant présent. Nantes reconnue pour le dynamisme de sa vie culturelle et l’effervescence de sa vie nocturne n’était plus Nantes. La ville de l’Eléphant n’était plus qu’une métropole de travail et de promenades, heureusement, sauvegardées.

Je cherchais à élargir mon cercle en devenant le Guide du Vignoble nantais. Je songeais également à parcourir les rues de ma ville et en découvrir leur histoire. Certes, mon cher Eléphant me manquait, mais, tout ce que j’apprendrais de sa cité et de ses contrées environnantes, je pourrais, un jour, le partager à Emma. De nouvelles perspectives s’offraient à mes yeux. Ma vie pouvait encore avoir un sens, pourvu que je fusse protégé par mon Ange-Gardien, à l’abri du Mutant !

Emma, au milieu de sa place, sur son piédestal, me regardait partir avec mon sac à dos, mon bonnet et mes nouvelles chaussures de marche imperméables. Je sortais, motivé, sous les flocons de neige à cueillir leurs étoiles. Pèlerin m’allait bien. Je m’exerçais à ralentir mes pas pour saisir l’essentiel d’une vie. Les personnages interprétés dans le film « Un homme pressé » m’avaient tant touché. Fabrice Luchini jouait un homme d’affaires. Alain était tant affairé à ses affaires qu’il ne lui restait qu’à peine dix minutes pour s’entretenir avec sa fille, quand, un accident cérébral vint bouleverser ses habitudes. Alain allait, enfin, prendre le temps de vivre, de se ressourcer, d’écouter et d’aimer. Sa fille le retrouverait, et, tous deux marcheraient, dès lors, côté à côte.

L’histoire était belle, et, je me disais: « Au-moins, si cette catastrophe peut servir à ça… ».

Un pas de côté pour regarder autrement la vie,

Sur le tableau de l’école, une enfant l’avait dessiné…

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 12 février 2021

« A la quête du bonheur »

Sous les flocons de neige de nos enfances

 

Le froid s’invitait en ce mardi 9 février 2021. La neige au matin dansait sur Nantes. Un goût de vacances d’hiver, rien qu’un goût. Je n’aurais point cette joie de contempler les toits de ma ville enneigés. Je ne sortirais ni ma luge ni mes raquettes. Je ne verrais ni les cerfs ni les renards. Ca tombait bien, je n’avais ni luge, ni raquettes, et il n’y avait ni cerfs ni renards dans les rues de ma ville. Une journée banale somme toute. Des heures de pluie torrentielle dégoulinant sur le bitume. Le ciel en avait du chagrin. Ses larmes étaient glaciales. A la radio, des voix se faisaient entendre pour la réouverture des musées. Entrer au chaud dans le passé d’oeuvres exposées au regard. Réconforter notre coeur. J’aimais l’ambiance feutrée des musées, une façon comme une autre de m’extraire du présent ou de le savourer en contemplant un tableau de Monet parmi tant d’autres. Je n’étais pas le seul individu solitaire dans ce cas. Nous battre contre un ennemi invisible finissait par nous lasser. Une envie de nous réunir à un mètre de distance les uns des autres se faisait ressentir. La règle était respectée, et nous pouvions, de nouveau, dans l’intimité d’une maison, chanter, jouer de la musique, raconter des histoires, lire des poèmes au coin du feu. Un dimanche flamboyant d’humanité autour de délicieuses crêpes. En temps de guerre, nous retrouvions la simplicité du bonheur en l’attente de la réouverture des musées. Notre cas n’avait rien d’anormal.

Entre deux week-end, deux écoles, je retrouvais mon cher Diderot à la médiathèque de Rezé. Quel livre lirais-je les jours suivants aux enfants? Je préparais avec soin mes séances. Le bonheur se logeait dans l’attention que nous portions à chaque chose. Prévoir, organiser tout en accueillant l’imprévisible. Nous étions des soldats pacifistes et riches de bonnes intentions envers nos semblables. L’ennemi pouvait rôder sans que nous le sachions. Le masque était notre seul bouclier. Comment dire à un enfant de maternelle qui me tendait ses mains : « Tu restes à un mètre de moi »? Je remerciais mon masque de Zorro tout en le maudissant. « O toi, masque qui me protèges et m’étouffes ! « . Je m’efforçais de l’oublier. Diderot guidait mon regard: « Je serai cet humain qui aime et qui navigue ». La pêche de ce jour était bonne : un grand livre illustré de Franck Prévot et Stéphane Girel s’offrait à mes yeux.

Un pêcheur avec sa casquette de pêcheur, et son polo rayé de pêcheur avec de gros biscoteaux de pêcheur au premier plan. Derrière, l’océan, des rochers dans l’océan, des mouettes dans le ciel, un bout de terre, une maison et trois arbres sur le bout de terre. Au loin, un enfant avec une épuisette se penchait. Il semblait avoir découvert un trésor. Au bout de la plage, un phare. Le décor du bonheur était planté. Je tournais la page suivante.

L’enfant rapportait au vieux pêcheur son trésor : un magnifique coquillage d’où jaillissait un sublime arc-en-ciel. L’enfant portait de larges bottes, trop larges pour ses guibolles, et le vieux pêcheur des petits souliers, bien trop petits. Comment pareils biscoteaux pouvaient tenir sur de tels souliers ? Anomalie d’un dessin, fidélité d’un destin ? Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant se faisaient dos sur ce bout de terre. L’enfant contemplait son coquillage. Le vieux pêcheur contemplait, pensif, l’océan. Deux solitudes tournées vers leur joie ou leur tristesse respective ? Je tournais la page suivante.

L’enfant montrait le coquillage au vieux pêcheur qui ne le regardait que d’un oeil sous sa caquette bleue de vieux pêcheur. Sur la nacre du coquillage, étaient inscrits ces mots: « Ecoute-moi ». Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur grimpait sur une dune où était échoué un bateau. L’enfant le suivait. Une large distance les séparait l’un de l’autre. L’enfant tenait en ses mains son coquillage. L’enfant se détournait pour regarder son coquillage. L’enfant ne regardait pas devant lui, mais derrière lui. Ce coquillage appartenait-il au passé ? Je tournais la page suivante.

L’enfant avait ôté ses larges bottes et était confortablement assis dans un fauteuil avec son ami le coquillage. Le vieux pêcheur portait un tablier et tenait, d’une main, un fouet, de l’autre main, un torchon. Préparait-il des crêpes ? Tout laissait à le supposer étant donné que nous étions dans une cuisine. Sur une table, se trouvaient deux bols et au milieu une théière. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur venait s’asseoir sur le fauteuil, juste en face de l’enfant. Un joli coeur était dessiné entre eux deux. Un monde imaginaire les entourait. Je tournais la page suivante.

Le monde imaginaire s’enrichissait de lanternes chinoises, de fleurs et plantes aquatiques. Le vieux pêcheur se penchait vers le coquillage. Commençait-il à y prêter attention? Je tournais la page suivante.

Toujours ce bateau échoué sur la dune et dans le ciel de la nuit, les lanternes chinoises. Le vent avait sculpté la dune qui ressemblait à une vague géante. Des traces de pas nous menaient au bateau. Je tournais la page suivante.

Deux ancres, leurs flèches dirigées l’une vers l’autre comme formant un coeur d’acier. Dans ce coeur, le bateau de la dune, sa voile blanche hissée, rencontrait un voilier tout blanc sur un chemin de lanternes au milieu de l’océan émeraude. Je tournais la page suivante.

L’enfant était agenouillé sur un tabouret. Le vieux pêcheur était allongé dans son lit, sous sa couverture. Un bonnet avait pris la place de sa casquette. L’enfant lisait une lettre au vieux pêcheur. Le coquillage était à présent entre les mains du vieux pêcheur. Le vieux pêcheur avait le regard pensif. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant, chacun dans leur lit respectif, dormaient. Le coquillage était posé près de l’enfant. Les rayons de l’arc-en-ciel traversant le hublot de sa chambre les baignaient tout deux d’une lumière si douce et apaisante. Sur le bord du lit, des livres, un avion miniature et une mappemonde. (*)

Le mystère demeurait. Que disait cette lettre? Quel histoire racontait-elle? Une page du passé échouée sur la plage d’un musée ?

Je contemplais cette page blanche qui me consolait sous les flocons de neige de mon enfance.

L’intimité des chambres me touchait tout autant que les ambiances feutrées des musées.

« Je serai cet humain qui aime et qui navigue ».

Le confinement tenait bien au chaud tous nos petits bonheurs du passé, tous les flocons de neige de nos enfances, toute l’écume de nos icebergs sous les ponts qui nous reliaient.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 9 février 2021

« A la quête du bonheur »

(*) d’après les illustrations de « Je serai cet humain qui aime et qui navigue » de Franck Prévot et Stéphane Girel, Edition Hongfei